Le verdict des juges d’assises de Conakry: une réforme s’impose ! (par Salim Gassama-Diaby,)

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GBK L’arrêt de la Cour d’assises de Conakry, prononcé par le juge Fodé Bangoura dans l’affaire du 19 juillet 2011, a été accueilli  avec amertume et suspicion en Guinée et à l’étranger. Si la médiatisation du procès a été interprétée comme une volonté de la part des autorités guinéennes de jouer la carte de la transparence, il est apparu à l’issue de ces assises que la justice guinéenne a adopté une curieuse attitude quant à l’application des principes fondamentaux qui gouvernent  un procès pénal.

{jcomments on} La suspicion qui a entouré les décisions de condamnation, quant à elle, s’est généralement manifestée par une attitude qui a consisté à dire : ‘seul Dieu sait ce qui s’est passé dans cette affaire !’.  Or quand à l’issue d’un procès pénal le sentiment général est le recours à la science de Dieu pour découvrir la vérité, il en découle que le doute n’a pas étélevé sur la culpabilité des accusés et donc, en vertu d’un principe sacrosaint et transversal  en matière pénale, ce doute doit profiter à l’accusé et non à la partie civile comme ce fut le cas dans le procès du 19 juillet 2011. C’est l’application du principe ‘In dubio pro reo’ ou le doute profite à l’accusé.

Concrètement, ce principe invoqué ne fait que consacrer la notion de présomption d’innocence qui voudrait dire que quelle que soit la gravité des faits reprochés à un individu, quand il comparait devant le juge il est considéré comme innocent. Par conséquent, il revient à l’accusateur ou la partie civile de démontrer que l’individu en question est effectivement responsable des faits qui lui sont reprochés.  À défaut, pour l’accusateur, d’apporter des preuves  rationnelles et irréfutablespour soutenir ses allégations, il ne devrait pas y avoir de décision de condamnation.  Curieusement dans le procès dit du 19 Juillet 2011 on a assisté, face au manque de preuves rationnelles, à une présomption de culpabilité qui est l’inverse de la présomption d’innocence.

Parmi les choses à déplorer  dans le cadre de ce procès, c’est la préférence donnée aux témoignages teintés de conjectures et passion au détriment des méthodes scientifiques utilisées dans les tribunaux modernes pour parvenir à la manifestation de la vérité qui aura retenu l’attention ; c’est aussi le fait d’avoir vu des accusés être condamnés non pas sur les faits, mais pour ce qu’ils sont !

 

Au demeurant, on pourrait légitimement se poser la question de savoir pourquoi les juges ont-ils pris le risque de rendre un arrêt aussi controversé et maladroit, sachant que le recours en cassation prévu en l’espèce les exposerait à voir leur arrêt annulé. La réponse à cette question est contenue à l’article 348 du Code de procédure pénale guinéen qui reprend les dispositions de l’article 353 du code français selon lequel, la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, mais que leur intime conviction suffisait à fairecondamner des accusés. Ceci permet aux juges d’assises de prendre connaissance des moyens de preuves invoqués par les parties, puis de se dire :’malgré l’existence ou l’absence de preuves, je me fie à mon intime conviction d’autant plus que je n’ai pas à donner les raisons de ma décision’. En d’autres termes, les juges sont dotés de ce pouvoir antidémocratique et fantaisiste de sévir ou même de prononcer la peine de mort sans se justifier ou sans s’en expliquer comme ce fut le cas dans le cadre du procès du 19 juillet 2011. C’est justement ce pouvoir dictatorial et digne d’une société d’une autre époque accordé aux juges d’assises que j’analyse et condamne fermement dans cet article.

L’introduction de la notion d’intime conviction du juge dans les procès en cours d’assises en France trouve son origine en 1791, suite à la révolution Française qui a donné  lieu à la mise en place d’une commission chargée de reformer le système judiciaire français.  Cette commission appelée la constituante avait deux préoccupations fondamentales : la première étant celle de soustraire le système judiciaire de l’emprise du roi,  supposément représentant de Dieu et la seconde était celle de tempérer le pouvoir des juges eux-mêmes qui étaient réputés être corrompus, arbitraires ou despotiques au point de justifier la torture pour extorquer l’aveu comme l’atteste cette phrase de Muyard de Vouglans : ‘Les raisons qui semblent devoir l’autoriser sont fondées sur ce qu’étant souvent impossible d’acquérir une entière conviction du crime, soit par la déposition des témoins, soit par les pièces, soit par des indices qui concourent rarement ensemble pour former cette preuve plus claire que le jour qu’il faut pour condamner … C’est pour cela que faute d’autres moyens pour parvenir à cette entière conviction, on s’est vu obligé de torturer lecorps de l’accusé’ (cité dans Esmein A., Histoire de la Justice Criminelle en France, p.282). Partant, la constituante avait reçu un mandat tacite de replacer le citoyen, le justiciable au cœur du nouveau système judiciaire. Ce faisant, comment peut-on remettre le citoyen au cœur d’un système sans sa présence physique et surtout sans qu’il n’y ait son mot à dire sur les décisions de justice ? La réponse à cette question va venir de l’Angleterre qui avait institué le système de jurés populaires dès le 13ème siècle, à l’image de la Grèce antique et de l’empire Romain. Néanmoins, la constituante va adapter cette pratique aux réalités Françaises en refusant le recours aux jurés dans les procès civils et commerciaux comme c’était le cas en Angleterre et en instituant que les jurés se prononcent aussi bien sur les faits que sur le droit en matière criminelle, contrairement à ce qui se passait de l’autre côté de la manche. Étant donné que les jurés ne sont pas des praticiens du droit, leur demander de motiver leurs décisions viendrait à donner un pouvoir de fait, par ricochet, aux juges professionnels. Cette option était donc hors de question pour préserver l’indépendance et le pouvoir des jurés issus de la société civile. C’est ainsi qu’est née l’idée d’exempter les juges d’assises de motiver leurs décisions.

À ce niveau, il est important de se poser la question de savoir ce qui pourrait justifier l’introduction d’une telle pratique découlant de l’histoire politico-judiciaire Française dans le droit guinéen ou africain francophone ! Des voix s’élèvent aujourd’hui en France pour dénoncer le caractère archaïque et despotique de cette loi qui, en voulant lutter contre l’arbitraire des juges a fini par instituer l’arbitraire des jurés et des juges à la fois (Ranouil et Portejoie, 2009, Glas pour l’intime conviction). Dans une décision récente, la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Belgique sur cette question pour affirmer que les juges d’assises doivent motiver leurs décisions de condamnation. Le mimétisme juridique à outrance qui est en réalité l’expression de la paresse intellectuelle et du complexe d’infériorité dans nos États Africains est une véritable source d’instabilité et d’arbitraire.C’est malheureusement avec cette pratique rétrograde que des accusés ont été condamnés sans preuve, dans le procès du 19 Juillet. La motivation des arrêts de la cour d’assises, c’est-à-dire le fait que les juges disent clairement dans leurs arrêts pourquoi ils ont décidé de condamner ou acquitter des accusés doit être une des priorités de la future assemblée nationale de Guinéepour soustraire le pays des risques de troubles sociaux liés au comportement de juges coquins qui trouveront dans l’article 348 un échappatoire face à la pression, une sortie heureuse en cas de corruption ou une aubaine pour s’attacher les faveurs du politique.

La difficulté supplémentaire réside dans le fait que contrairement à la France, le droit guinéen ne prévoit pas d’interjection d’appel en la matière, mais un recours en cassation. Or, la Cour de cassation qui a été saisie par le recours contre cet arrêt de la cour d’assises n’est pas juge des faits, mais juge du droit. En d’autres termes, les juges de cassation ne vont plus revenir sur les faits du procès, mais ils vont limiter leur travail à examiner si les questions contenues dans l’arrêt de mise en accusation sont conformes aux questions qui ont été posées aux jurés et le cas échéant, si cinq (5) juges au moins ont voté pour la condamnation (article 353 code de procédure pénale de Guinée) ou tout autre vice de forme ou de procédure.

Si les juges d’assises avaient l’obligation de motiver leurs décisions, le juge de cassation aurait pu déceler les contradictions de motifs, les applications erronées de la loi, les problèmes liés aux lois de référence (visas) ; les juges eux-mêmes s’apercevront des incohérences dans leurs motivations et surtout les accusés comprendront ce que les juges ont retenu de leurs moyens de défense et pourquoi il a rendu sa décision à leur encontre. Ceci est plus conforme aux idéaux de justice dont aspirent les Hommes libres. En 2009, la CEDH a exprimé cette préoccupation en ces termes :La motivation desdécisions dejusticeest étroitementliée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de ladéfense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue unrempart contre l'arbitraire.(CEDH, 13 janv.2009, No926/05, Taxquet c/Belgique, RFDA 2009)

 

Salim Gassama-Diaby, Juriste, Spécialiste de l’Économie Politique du Développement

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