
Deux jours avant l’évacuation de Sékou Touré, mon ami et comptable à Boissogui (boissons de Guinée) me dit « Le président est malade. Cette fois, c’est grave, il est tombé dans les fleurs de la présidence, il a craché du sang. « Qui t’a dit, ça ? » — « Mon directeur, Bah Habib, il a été le premier ambassadeur de Guinée à Washington ».
Tiens ! En 1967, j’avais un camarade de banc qui s’appelait aussi Bah Habib, il disait que son homonyme est ambassadeur à Washington. Voilà que ce nom revient.
Le monde saura par la suite que Sékou Touré a eu une attaque cardiaque, que le roi Hassane-VI, pardon, Hassane-II, a envoyé un avion-hôpital pour l’évacuer vers les USA. Alors que beaucoup pensaient à Moscou ou à Pékin, c’est dans la gueule du loup qu’il avait été envoyé.
Cette controverse dans les milieux populaires avait sa raison d’exister, et pour cause, Sékou Touré a passé son temps à fustiger et à invectiver l’impérialisme, le colonialisme, le capitalisme … et l’Uncle Sam était le plus représentatif de ces ressentiments. A l’inverse et en connaissance de cause, elle ne devrait pas exister, puisque dans le problème du Sahara occidental, Sékou Touré était un allié précieux pour le Maroc, il était presque le seul allié pour le roi esseulé dans son camp, mais même seul, Sékou Touré faisait poids beaucoup qui écumaient au sein de l’OUA. Le roi du Maroc n’avait aucune raison de le ‘’sacrifier’’, en l’envoyant dans la gueule du loup. Contrairement à ce qui est apparent, Sékou Touré était aussi dans le giron de protection de l’Oncle Sam. On ne le dira pas publiquement, mais si on connait l’adversité entre de Gaulle et Sékou Touré, on ne savait pas l’adversité entre les USA et de Gaulle, adversité qui a commencé depuis la seconde guerre mondiale, et depuis que de Gaulle s’est procuré la bombe atomique en 1960, et encore surtout surtout depuis qu’il s’est retiré de l’OTAN, en 1966. Et comme l’ennemi de mon ami est mon aussi mon ennemi, il va s’en dire que beaucoup de coups-bas mijotés par la France contre Sékou Touré ont été désamorcés dans l’ombre et dans l’anonymat par l’Uncle Sam.
Tout ce qui vient d’être dit montre que le roi du Maroc avait plus de raison de garder Sékou Vivant que de le voir mort.
Une conjonction de circonstances malheureuses
La grande dissension qui va être fatale à l’OUA, et peut-être aussi à Sékou Touré, a été sans conteste ce problème du Sahara occidental. En Afrique du nord, il divisait déjà le Maroc d’un côté et l’Algérie et la Libye réunies depuis 1975, sinon avant. En 1984, la moitié des pays d’Afrique était ralliée à eux.
Pour sauver « son sommet », Sékou Touré avait fait le déplacement d’Alger pour demander à l’Algérie de ne pas pousser les Sahraouis à forcer l’indépendance et d’accepter d’être observateurs, en attendant un consensus. Pas question. Les Sahraouis voulaient être immédiatement membres de l’OUA à part entière, et non entièrement à part. Ça sentait le brûlé. Ensuite, à Alger, le journaliste qui avait tendu le micro à Sékou Touré l’avait dissimulé dans son dos dès la fin de l’interview. Des gens ont interprété cela comme un empoisonnement à travers ce micro.
Même si cela pouvait paraître absurde, ce n’était pas loin de la vérité, puisque depuis son retour, Sékou Touré n’était plus ‘’dans son assiette’’. Ceux qui l’ont vu à la clôture de la rencontre avec la JRDA, le 20 mars, ont interprété son signe d’au revoir comme un adieu. Deux jours après, il a eu l’attaque cardiaque.
L’OUA était en phase critique. L’Afrique était en deux camps. D’un côté l’Algérie et la Libye avaient du pétrole pour arme. On a même entendu que Kadhafi a promis une année de carburant gratuit à tout pays qui boycotterait le sommet de Conakry. On n’en doutait pas, la majorité des pays était derrière eux. Une année de carburant, ça bouchait un sacré trou dans le budget. Dans l’autre camp il n’y avait que Sékou Touré et Hassane II, qui n’avaient pas de contrepartie à offrir (ce tableau rappelle l’alliance Cellou Dalein Diallo-Sidya Touré face à l’Alliance RPG-Arc-en-ciel de Alpha Condé, en 2010)
Le doyen Pathé Diallo nous rabattait à l’envi les portugaises avec une citation de Sékou Touré à ce sujet : « Même si l’unité équivoque dans laquelle nous vivons doit aboutir à la scission, l’OUA vaincra ! ».
Ce n’est pas pour chercher la petite bête à Sékou Touré, le père de l’indépendance, mais il faut dire ce qui est. La chute de l’OUA a été l’une des plus grandes désillusions pour l’homme du 28 septembre.
L’OUA n’a pas éclaté à Conakry, c’est l’hôte du sommet qui a pris les devants, en cassant la pipe au bon moment. L’OUA, orpheline de l’un de ses pères fondateurs les plus panafricanistes, est tombé dans un coma de 1984 à 1999 pour renaître en 2002 sous son premier nom de baptême, le nom qui avait été préconisé à sa naissance en 1963 : « l’Union Africaine ». Il fallait s’unir avant de faire l’unité, mais ceux qui avaient placé la charrue avant les bœufs» ont été rattrapés 20 ans après. Qui a dit qu’en voulant aller trop vite on perd du temps ?
A quelque chose malheur est bon. Sékou Touré est mort au bon moment. En disant cela comme ça, personne ne verra les choses dans leur réalités, mais M. Mansa Moussa Sidibé, qui était inspecteur général du travail en 1984 pourrait dire un mot : Toutes les routes de Conakry étaient dans un état de dégradation lamentable. La cité de Sangoyah devant accueillir les journalistes accrédités pour le sommet n’était pas à 50%, et les travaux étaient en arrêt par manque de matériels. Le CFP de Ratoma avait été appelé en renfort pour accélérer les travaux de masse, mais on a passé des journées à tourner les pouces. Le doyen se souviendra-t-il ?
Le décès et le capotage du sommet de l’OUA n’a pas donné l’occasion à la presse internationale de décrire l’état de dégradation de l’économie guinéenne … Il faut avoir vécu ce temps pour comprendre de quoi il s’agissait. On a vu pire que ça.
A Cleveland, sur la table d’opération ce lundi 26 mars, selon les confidences de Abdoulaye Touré, le ministre des Affaires Etrangères, Sékou Touré avait dit que ce jour n’est pas bon pour lui. Les médecins n’ont pas écouté, il y avait urgence à réparer.
Sékou avait raison que ce jour n’était pas bon pour lui. Ceux qui avaient spéculé qu’il a été tué, aussi, quoi qu’on dise, le résultat est le même.
Le lendemain, à 6h45, la voix du Premier ministre Lansana Béavogui chevrotait en parlant de quelqu’un au passé, finalement, «… notre camarade responsable suprême de la Révolution était… » J’ai filé en vitesse chez Gaucher, le comptable, qui sortait de sa chambre : Sékou Touré est mort, lui dis-je en soussou.
« Allez parler de ça loin d’ici, qu’on ne vous entende pas chez moi ! » avait dit son père. Je dis à Gaucher d’ouvrir sa radio, toutes les langues nationales se relayaient l’information. Dans toutes les concessions, les gens étaient attroupés autour de la radio. A 7 heures, tout Conakry était en émoi. Il y avait même qui demandaient « Est-ce que c’est vrai, ça ? ».
L’heure d’arrivée du corps est communiquée. Tout Conakry s’est massé des deux côtés de l’autoroute. Un cercueil drapé du rouge-jaune-vert était sur un camion militaire qui roulait au pas devant une foule compacte en pleurs et en lamentations. Certains roulaient par terre. L’hystérie avait gagné la population.
J’avais personnellement été intrigué par la longueur étriquée du cercueil. Je n’ai pas eu l’occasion de serrer la main de Sékou Touré, mais il s’est arrêté à 50 centimètres de moi en 1967. Ce jour-là, les collégiens ont été demandés à la Case de Bellevue, je ne sais plus pourquoi. On nous a placés pour la haie. Les manguiers greffés qui sont devenus de grands arbres n’avaient que la taille d’un homme, et ils portaient des fruits abondants. Les collégiens les avaient vandalisés devant des militaires de garde.
Quand Sékou passa au milieu de la haie, les filles crièrent si fort qu’il a fait halte à quelques centimètres, comme Dadis avait fait halte face à moi à la RTG pour une photo qui a fait longtemps la Une de l’indépendant.
Presque épaule contre épaule, j’avais pu jauger Sékou Touré à sa taille. Mon impression était que le cercueil vu sur le camion ne lui seyait pas, je n’ai pas émis d’opinion jusqu’à ce que la rumeur populaire s’empara de la même observation pour dire que le corps n’était pas dans le cercueils pour spéculer sur ce que Sékou Touré aurait dit, un jour : « Personne ne dira que c’est le tombeau de l’ancien président de la Guinée », ou encore : « Voilà l’ancien président de la Guinée qui passe ». Cela implique que la dépouille est restée au Maroc ?
Quand Madame André Touré a dit que l’avion a quitté Cleveland directement pour Conakry, et elle est connue pour sa rationalité à toute épreuve, la raison est venue de comprendre que le mort se recroqueville sur lui-même, Même les vivants se ratatinent sur eux-mêmes dans leur vieillesse. On a entendu Salif Kéita Domingo, le Ballon d’or, pas le chanteur, se plaindre de sa diminution de taille avant sa mort. Même Salif Kéita, le chanteur, paraît moins grand actuellement que dans les années 80.
Malgré cela, certains persistaient à dire que le corps n’est pas venu, qu’il serait au Maroc. Et comme pour confirmer cette rumeur, le cercueil était gardé farouchement par des Marocains. Personne n’avait accès au corps : Félix Houphouët Boigny voulut dire adieu à un compagnon de lutte : Haram ! Samuel Doe dit que c’est son père spirituel, il veut lui dire adieu : Haram ! George Bush-père, alors vice-président de Ronald Reagan, s’est aussi approché : Haram. En un mot, Haram pour tout le monde. Circulez, il n’y a rien à voir !
Voilà qui donne l’occasion aux détracteurs de Sékou Touré de gloser en long, en large et en travers. Il est puéril de relater ici certains de ces fantasmes.
Moïse Sidibé
Bamce ,
Ton poste vaut ce objectif texte .
Ainsi vécu et trepassa Satan Toure .
Allo – la …. y a quelqu’un a côté ?
Ce que je retiens … YOUSSOUF BANGOURA vous êtes là ?😂
« Sékou Touré a passé son temps à fustiger et à invectiver l’impérialisme, le colonialisme, le capitalisme … »
« Le décès et le capotage du sommet de l’OUA n’a pas donné l’occasion à la presse internationale de décrire l’état de dégradation de l’économie guinéenne … Il faut avoir vécu ce temps pour comprendre de quoi il s’agissait. On a vu pire que ça »