Contexte économique et politique – L’année 2020 a été marquée dans notre pays par la crise économique née de la pandémie du Coronavirus et la crise politique et sécuritaire engendrée par les consultations électorales du 22 mars 2020 et du 18 octobre 2020. Les deux crises conjuguées ont eu un impact très négatif sur l’activité économique et les finances publiques, et sur les conditions de vie très misérables de la population. Ainsi, toutes les prévisions de la Loi de Finances initiale 2020 devaient être revues et réajustées, dans le cadre d’une Loi de Finances Rectificative de 2020. Et justement, à cause du calendrier électoral, toute l’Administration étant mobilisée à 100% pour la campagne du parti au pouvoir, n’a pas été en mesure de présenter à temps la LFR 2020. De retour de vacances parlementaires le 5 octobre 2020, c’est début novembre que le texte a été soumis à l’Assemblée. Il a été voté fin novembre, c’est-à-dire à peine un mois avant la fin de l’exercice budgétaire, ce qui constitue une anomalie et une présomption de texte uniquement formel, car la dépense est déjà exécutée. Nous n’avons pas manqué d’en faire la remarque au cours de nos travaux. Quant à la Loi de Finances originale 2021, nous l’avons reçue il y a à peine deux semaines. Malgré ce petit retard, il était tout à fait possible de faire normalement le travail législatif, pour que le vote intervienne avant la clôture de l’année budgétaire le 31 décembre 2020. Malheureusement, en ce moment même, nous nous retrouvons dans une confusion totale, à cause de l’indisponibilité totale des ministres, tous occupés on suppose, à la cérémonie d’investiture de leur patron le 15 décembre ! De ce fait, tous les travaux sont presque à l’arrêt, ce qui nous promet de dures journées dans la dernière quinzaine de décembre, avec la grande crainte de bâcler les travaux en n’ayant comme préoccupation que la forme, au détriment du fond. Il faut noter que le président de l’Assemblée nationale, l’Honorable Amadou Damaro Camara, a pris sur cette question une position très ferme, soutenue par la totalité des députés, toutes sensibilités confondues : pas question d’examiner un budget sans avoir entendu le ministre concerné, qui a le devoir d’être là, en personne pour répondre aux questions des députés. Le président de la République serait lui-même de cet avis.
Dans ces conditions, je ne peux parler que du volet recettes de la LFI 2020, dont le vote a été suspendu pour les raisons indiquées ci-dessus.
RECETTES LFI 2020
Les prévisions de recettes de 2021, toutes origines confondues, s’élèvent à 23 400.32 Milliards de FG, contre 21 364.14 dans la Loi de Finances rectificative de 2020, soit une hausse de 9.53%. Dans l’analyse de ce poste, notre préoccupation principale est de nous assurer que du fait de la corruption généralisée et endémique des régies financières, l’Etat ne subit pas de pertes liées la corruption ou au manque de compétence des agents de l’Etat, face à des sociétés étrangères – plus particulièrement dans le secteur minier – qui ne reculeront devant rien pour maximiser leurs profits. Pour en savoir plus, j’ai envoyé à la Direction Nationale des Impôts et à la Direction Nationale des Douanes, un questionnaire sur des données de 2019 et 2020. Il est important de noter à cet effet, que la Direction Générale de la Douane a répondu dans un très court délai, 48 heures ! Ils nous ont fourni des données très importantes sur les importations de produits alimentaires, tabacs et boissons (alcoolisées ou non), ainsi que les chiffres des exportations de minerai, de métaux précieux et de bois. C’est un travail assez volumineux mais effectué dans un temps record, ce qui est déjà une présomption de chiffres sérieux qui n’ont pas pu être fabriqués en deux jours. Nous avons ainsi eu la confirmation qu’il y a bien un gros travail de modernisation de la Douane qui a été accompli et les résultats sont là. A mon humble avis, la Douane guinéenne est au niveau des douanes africaines les plus avancées. Bien entendu, ce n’est pas la fin dans problèmes à la Douane, mais au moins il y a une base sérieuse de travail. Il nous reste à leur poser la lancinante question du contrôle réel qu’ils ont sur les quantités réellement exportées par les miniers. De plus, nous demanderons l’interdiction totale de l’exportation de bois, indispensable pour ne pas transformer la Guinée du Sud-Est en une savane arborée, au lieu d’un magnifique paysage de forêts. Quant à la Direction Nationale des Impôts, au bout de 3 semaines, ils nous ont transmis des données partielles sur les régimes fiscaux privilégiés dont bénéficient certaines sociétés minières et sur les impôts sur les sociétés payés par ces contribuables. Nous attendons la suite pour poser des questions précises. Mais hélas, nos graves soupçons d’anomalies dans ce domaine demeurent et il faudra enfoncer le couteau dans la plaie. Le commun des citoyens a tendance à ne voir que la corruption par la dépense (surfacturation, fausse facturation, salaires fictifs, salaires à des fonctionnaires ne travaillant pas pour l’administration, marchés de gré à gré société – prête-noms des décideurs ou leurs complices, etc.), alors que la fraude aux recettes éludées peut aussi est très dévastatrice pour les finances publiques.
A part cela, nous avons posé au ministre du Budget la question du manque à gagner que subit l’Etat du fait de la fermeture des frontières avec la Sierra-Léone, la Guinée-Bissau et le Sénégal Il nous a été répondu que l’impératif sécuritaire était primordial et que de toutes façons, les opérateurs économiques avaient la possibilité de débarquer leurs marchandises au port de Conakry…
Maintenant, toujours au chapitre des recettes, il faut noter que la grave question des entreprises paraétatiques non soumises aux règles de gestion de l’unicité de caisse a été soulevée : Patrimoine bâti, Office guinéen de publicité, Office guinéen des chargeurs, Agence de régulation des postes et télécommunications. A ce sujet il me parait important de faire un constat : contrairement à ce que certains peuvent penser, aucun de nous n’a le monopole de la vérité. Ainsi, avant même que j’aie eu à poser mes questions sur cette grave anomalie de la gestion de la fortune publique, beaucoup de députés de la mouvance présidentielle et de l’opposition étaient intervenus pour dénoncer vigoureusement cette situation et exigé des explications claires de la part des responsables de ces caisses clandestines qui n’ont de comptes à rendre qu’au chef de l’Etat. Même le président de l’Assemblée est monté au créneau dans ce sens. Vous comprenez bien j’espère que les députés de la majorité écrasante au parlement n’ont pas envie d’être assimilés à de simples « godillots » du pouvoir exécutif…Les travaux étant interrompus, nous allons nous battre pour que la vérité soit connue.
A part cela, et grâce aux informations très détaillées reçues de la Douane, j’ai l’intention de proposer aux collègues de mon groupe parlementaire d’opposition et à la mouvance, l’institution de taxes spéciales sur la consommation de luxe importée – j’insiste, seulement importés : alcools, eaux minérales, tabacs, bijouterie, parfumerie, cosmétiques, fruits et légumes, véhicules de luxe (plus de 9 CV). Pour moi, il ne s’agira pas du tout de réprimer quiconque veut consommer ces produits, mais ce sont des produits de luxe sur lesquels, par simple mesure de justice sociale, l’Etat doit prélever des taxes pour financer des postes aussi importants que les pistes rurales, les forages d’eau potable, la santé des populations les plus vulnérables et l’éducation. Ce n’est pas cette surtaxe qui pèsera sur le train de vie démentiel de nos « nouveaux riches ». Je me souviendrai toujours des leçons de formation que le président de la FEANF à l’époque nous faisait sur la bourgeoisie bureaucratique et ses méfaits pour le bonheur de nos peuples…De plus, il faut rappeler que le budget 2021 est fortement déficitaire et ces surtaxes de 30 à 50% seront les bienvenues, y compris pour réduire un peu le déficit budgétaire assez élevé (environ 4227 Milliards FG).
Sur ce chapitre de la taxation des produits importés de luxe et pour favoriser la production locale, il est réconfortant de noter que des organisations de la société civile sont montées au créneau pour exiger la mise en place immédiate de ces mesures salutaires. Pour moi, l’Etat peut facilement y gagner 300 à 500 milliards.
Pour l’instant je vais donc m’arrêter là. Je ne souhaite pas parler de la dépense publique, dans la mesure où les débats sont en cours. Mais je vous promets qu’il y aura beaucoup à dire sur tout le Budget 2021 et la Loi de programmation militaire en discussion actuellement.
Je vous remercie
Conakry le 9 décembre 2020
Mamadou Baadiko BAH
Député à l’Assemblée nationale