Assainissement et hygiène publique : un autre domaine où le changement se fait attendre (2e partie) Par Mamadou CISSÉ

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GBK Dans la 1ère partie de la présente contribution, nous avons essayé de faire un état des lieux du secteur de l’assainissement, hygiène et environnement dans notre pays en mettant un accent particulier sur la problématique de la gestion des ordures. Nous vous proposons ci-dessous nos proposions de solution pour un réel changement dans cet autre secteur prioritaire qui devrait à présent mériter de l’attention de nos gouvernants.

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2. Propositions concrètes pour une meilleure gestion des ordures et de l’hygiène publique dans nos villes

Comme rappelé dans la première partie, la Guinée accuse un grand retard dans la prise en charge des questions environnementales et d’hygiène publique par rapport aux autres pays africains. Pendant que le Rwanda devient le modèle en Afrique en matière de bonnes pratiques dans le domaine de l’hygiène et de la propreté du cadre de vie des populations, notre pays continue sa reculade et Conakry, autrefois appelée perle de l’Afrique de l’ouest, a l’allure d’une bourgade qui croupit sous le poids de ses ordures. Pour inverser la tendance, nous proposons nos pistes de solutions qui, sans être exhaustives, susciteront néanmoins le débat et pourraient aider les décideurs dans leur réflexion sur la question. Avec l’espoir que la nouvelle Assemblée nationale qui se met en place ainsi que l’équipe gouvernementale qui suivra, mettront tout en œuvre pour amorcer un début de changement dans ce secteur vital.

 

a. Elaboration/révision des textes réglementaires sur l’environnement 

La Guinée est réputée avoir de bons textes dont la mise en œuvre fait défaut le plus souvent. Selon les spécialistes, un code de l’environnement a été adopté en 1987 et le pays a participé à plusieurs conventions internationales telles que celle de Bâle, les recommandations de Rio, le protocole de Kyoto sur les changements climatiques, … Comme dans d’autres secteurs, il y a de bons textes mais tous les domaines ne sont pas couverts, sans oublier le fait que l’application de la réglementation fait défaut. Le gouvernement doit donc faire un toilettage et une adaptation au contexte actuel de ce qui existe comme textes réglementaires et envisager une application progressive (lieux publics, zones minières, industrielles et commerciales).

b. Trouver une solution aux conflits de compétence entre départements

Il est certes vrai que les questions d’assainissement, d’hygiène et de protection de l’environnement sont transversales et touchent plusieurs aspects. Toutefois, les querelles de chapelles et les conflits entre différents départements sont à la base du retard ou de l’échec de plusieurs bonnes initiatives, comme en atteste la première partie de ce texte. Il serait donc judicieux que le Gouvernement planche sur les prérogatives de chaque partie prenante et mette de l’ordre dans ses propres interventions. La création d’une structure autonome au niveau du ministère de l’Environnement ou rattaché à la Primature pourrait permettre de résoudre ce problème et de coordonner toutes les actions pour une meilleure efficacité.

c. Organisation de voyages d’études et benchmarking avec les pays qui ont réussi (Rwanda, Ghana)

Le Ghana et surtout le Rwanda constituent aujourd’hui des fiertés africaines en matière d’assainissement et d’amélioration de l’environnement. Il serait préférable que l’administration guinéenne puisse s’inspirer de ces réussites africaines pour un peu mettre de l’ordre. Au-delà des mécanismes opérationnels de collecte et de transfert des ordures, il faudra voir les textes, les cas particuliers de gestion des emballages plastiques, des déchets industriels, électroniques et hospitaliers, de la pollution atmosphérique (véhicules, climatiseurs, frigo, …). Au Rwanda, l’emballage plastique vous est retiré déjà à l’aéroport et la propreté des villes vous coupe le souffle, le Ghana a fait de très grand progrès dans le domaine de l’hygiène publique même si le pays détient un des 10 sites les plus pollués électroniquement (on pourrait s’en inspirer pour éviter un cas similaire chez nous).

d. Etude des meilleurs moyens de gestion des déchets à Conakry et dans les villes de l’intérieur 

Avec l’expansion de la ville de Conakry et l’explosion démographique qui l’accompagne, il est impérieux de revoir le système de collecte des ordures dans la capitale. Pour rappel, le système de collecte des ordures dans la ville se fait de la manière suivante : une pré-collecte assurée par des PME au niveau des ménages pour envoyer les déchets au niveau des zones de transfert aménagées dans le temps par le projet PDU3 (ou au niveau des carrefours transformés en dépotoirs ou des conteneurs offerts par certaines sociétés), une collecte au niveau de ces zones de transfert vers la décharge de la minière par le SPTD. Ce système est mis à mal depuis une dizaine d’années suite à l’essoufflement de PDU 3 (Programme de développement urbain 3e phase). Avec la nouvelle configuration de la capitale (plus de 2/3 de la population vivant en banlieue sans voirie), la question d’une réorganisation de la collecte s’impose. Un système hybride pourrait être mis en œuvre : pré-collecte puis collecte dans les communes de Matoto et Ratoma et collecte directe par camion poubelle dans les ménages dans les communes de Kaloum, Dixinn et Matam (où il existe de la voirie dans les quartiers). Une attention particulière devra être portée sur la réhabilitation des zones de transfert aménagées dans le temps par PDU 3 et complètement envahies aujourd’hui par les constructions. Dans d’autres cas, il faudra songer aux conteneurs comme bacs à ordures. Un dimensionnement technique permettra de calculer le nombre de zones de transferts et de conteneurs/bacs à ordures à installer sans oublier la dotation des espaces publics en poubelles (fabriqués localement et importés) pour éviter que les citoyens jettent les ordures n’importe où.

 

e. Comment faire payer par les populations les frais d’évacuation des ordures 

En l’état actuel, chaque usager s’abonne au niveau des PME de collecte et les bureaux d’administration des marchés sont chargés de la propreté de ces lieux spécifiques. Cette méthode ayant montré ses limites, il serait judicieux de réfléchir à d’autres mécanismes plus pratiques. Sans avoir la solution magique, moi je proposerais une réorganisation de tout le système et une solidarité dans la prise en charge de la collecte des ordures. Réorganisation parce que l’on peut bien tirer quelque chose des taxes et impôts payés par la population pour bien organiser ce secteur. S’il y a une bonne gouvernance, les taxes de marché collectées par les administrateurs desdits marchés devraient, avec une petite subvention de l’Etat, suffire pour l’assainissement desdits lieux. Pour les ordures des ménages, il est possible de faire payer une taxe environnementale modeste par chaque foyer et de subventionner le secteur par une partie des recettes tirées de la taxe d’habitation CFU (ce qui suppose une bonne gestion au niveau de la Direction Nationale des Impôts).

f. Relance du projet d’aménagement de la décharge de Kagbélen et plus tard d’aménagement de décharges dans les villes secondaires 

En tirant les leçons de l’échec récent du projet cité ci-dessus et en refaisant un nouveau dossier d’études, il est possible de lancer un dossier d’appel d’offres pour la construction de la décharge de Kagbélén avec les sous-composantes tri, recyclage et méthanisation. L’administration étant la même (ACGP et maitre d’ouvrage), rien ne garantit qu’avec cette reprise, le choix sera plus transparent et neutre. On peut alors adjoindre à l’équipe de passation un expert international pour un mois de travail dont le rôle est de s’assurer que le choix se fera conformément au contenu du dossier d’appel d’offres (DAO). Dans un second temps, le département doit faire une étude sommaire du système de collecte des ordures dans les villes secondaires (sièges des régions administratives) et faire un document qui pourrait être présenté aux bailleurs pour une levée de fonds (il faut profiter de l’annonce de 300 millions de $ US par la BID pour les 3 prochaines années).

g. Cas particulier des emballages plastiques

Avec la prolifération des sociétés d’eau minérale dont personne ne contrôle la qualité du produit, les petits sachets plastiques sont devenus une composante essentielle des ordures dans notre pays. A cela s’ajoute les sachets d’emballage lorsque vous faites votre achat chez le boutiquier du quartier ou dans une superette. Connaissant la nocivité de ces plastiques pour l’environnement, il est du devoir de l’Etat de rechercher des solutions et ne pas céder au fatalisme en la matière. Parallèlement à la sensibilisation, il est bien possible d’imposer aux sociétés d’eau minérale le recyclage ou tout au moins la collecte de leurs emballages dans les rues. Cela aura certainement pour conséquence d’augmenter le prix unitaire du sachet de 100 GNF mais le bénéfice pour le pays sera énorme. Il est aussi possible d’envisager avec des grandes superettes l’utilisation des emballages papier et de donner un délai de 3 ou 5 ans pour basculer vers une utilisation généralisée de ce type d’emballage à l’échelle nationale. Avec la volonté politique et un minimum d’organisation, on peut faire de petits progrès avec des moyens qu’on a.

h. Cas des zones minières 

La prise en compte de l’environnement est généralement le cadet des soucis des grandes multinationales minières, elles ne le font que sous contrainte. Une simple visite de ces zones vous fera comprendre que les clauses ne sont point respectées par les sociétés en ce qui concerne la remise en état des carrières, le reboisement ou le traitement des déchets industriels rejetés dans la nature. On a encore en mémoire le scandale de la SMD du temps où Papa Koly était ministre de l’Environnement. Il est donc urgent que l’Etat exige un respect des clauses environnementales par chaque partenaire et qu’il soit vigilant pour inclure dans les prochaines conventions des clauses qui prennent en compte la protection de l’Environnement. Comme rappelé dans la première partie, le Tchad a arrêté cette année la production pétrolière de la société Chinoise qui exploite le pétrole du pays en exigeant de celle-ci une meilleure prise en compte de questions environnementales. Cet exemple doit inspirer notre administration.

i. Les déchets électroniques 

Avec le chômage des jeunes et l’essor de la demande asiatique, la filière de collecte et de vente des déchets électroniques et électriques se développe à grande vitesse à Conakry. Sans attaquer de front (on ne peut leur demander d’abandonner ce secteur sans leur donner de l’emploi ; aussi c’est la seule façon de nous éloigner cette pollution électronique puisque nous n’avons pas les moyens de recyclage), il s’agira de voir comment réglementer une telle activité : sensibiliser les acteurs au danger, les former pour la protection, leur trouver un endroit pour cette activité, prélever des taxes, appuyer leur association en cas de différend avec leurs clients acheteurs, …bref les organiser afin que leurs activités soient profitables (pour eux-mêmes et pour l’Etat).

j. Instaurer une émulation entres les collectivités en matière d’hygiène et de protection de l’environnement

Dans le cadre du renforcement de la décentralisation dans notre pays, la mise en place d’un prix de la « commune la plus propre » pourrait inciter les autorités locales à la créativité et à la prise d’initiatives pour trouver des solutions aux questions d’hygiène et d’environnement de leurs localités. Sachant la fierté des administrateurs territoriaux à exhiber leurs tableaux d’honneur, une telle récompense ne manquera pas de susciter de l’émulation en leur sein. On verra certainement des petites initiatives d’aménagement d’espaces verts par-ci, de protection de forêts classées ou d sources d’eau par là sans oublier les lobbying auprès des sociétés installées dans leurs zones pour la prise en compte des questions environnementales ainsi que le financement d’activités s’y rapportant.

Ces 10 propositions sont loin d’être exhaustives pour une meilleure prise en compte de l’assainissement, de l’hygiène et de l’environnement. Elles ne sont que le point de départ d’un débat que nous espérons fructueux et responsable pour l’amorce d’un véritable changement dans ce secteur qui parait oublié. J’espère que les décideurs en tiendront compte, y compris les commentaires enrichissants qui seront faits par les uns et les autres.

Mamadou Cissé
depuis Conakry

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