Les relations entre la France et l’Afrique noire francophone, longtemps marquées par la domination sans partage de la première sur la seconde, sont en cours de mutation silencieuse. La très prochaine réunion de l’O.I.F. (Organisation Internationale Francophone) à DAKAR est peut-être l’occasion pour moi de rendre publique, une réflexion sur ce qu’on appelle communément la « Françafrique ». Car cette appellation renferme plusieurs réalités, elles-mêmes très mouvantes. L’évolution qui semble amorcée, n’est pas à rejeter en bloc, ni à faire l’objet d’une bienveillance naïve…
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Couramment sous nos contrées en Afrique Noire, toute tentative, individuelle ou collective, de rendre effectif l’exercice d’un droit élémentaire, appelle aussitôt un déluge de répression dont on ne voulait guère réaliser la violence, ni à PARIS, ni à WASHINGTON, ni à LONDRE. Les accords secrets dits de « défense » étaient instantanément invoqués pour venir en appui aux « grands démocrates » Noirs africains, trop « démocratiquement élus », quoi qu’ils aient fait, quelle que soit l’horreur des crimes qu’ils commettent ou qu’ils aient commis. Leur cruauté parait sans importance aux yeux de leurs amis occidentaux, si leurs victimes sont elles-mêmes des Noirs Africains.
L’apparente neutralité que la puissance militaire française s’est imposée lors de la récente insurrection populaire des Burkinabès contre M. Blaise Compaoré, intrigue plus d’un Africain. Car elle tendrait à montrer que les relations FRANCE-AFRIQUE ont pris, ou vont prendre une tournure originale, à laquelle peu d’Africains auraient pensé, même dans un rêve. Peut-être, commence –t-on à considérer dans certaines Puissances Occidentales, que l’exercice concret des libertés individuelles et collectives par les populations Noires Africaines, n’est peut-être pas mauvais pour les AFFAIRES, et que c’est là, la véritable stabilité durable.
S’agit-il d’un changement de philosophie à l’égard de régimes ou de présidents africains vomis par leur peuple ? Est-ce un simple repli tactique pour s’acheter une virginité souhaitable, même tardive, parce que, commencent à émerger en Afrique Noire, même francophone, des générations plus éduquées, moins dociles, plus ouvertes sur le vaste monde, et surtout plus déterminées à ne plus subir passivement comme l’ont trop longtemps fait leurs parents et grands-parents ? L’avenir répondra à ces interrogations. Peut-être.
Monsieur Blaise Compaoré, longtemps un des piliers de la françafrique en Afrique Noire francophone, a été « chassé » par ses compatriotes, dans « l’indifférence » bienveillante de ses puissants soutiens. Il n’était pas nécessairement le plus infréquentable, ni le plus incompétent, ni le plus grand kleptocrate, loin s’en faut. Sur ce plan, il pouvait même faire parfois figure de raisonnable, de modéré. En dépit de son passé sulfureux et de ses gesticulations peu recommandables dans la sous-région, il n’a pas abimé son pays. Il a même parfois, déshabillé des pays plus ou moins voisins, pour rhabiller le sien. Nous Guinéens, nous en savons quelque chose, depuis bientôt cinq ans.
La « Françafrique » renvoie d’abord à l’idée de l’exercice d’unedomination implicite du plus puissant sur plus faible, avec ou sans la France. Et c’est précisément parce qu'il s’agit de rapports entre la France et une partie de l’Afrique francophone subsaharienne qu’on parle de françafrique. Or, il y adomination, ou plus exactement effet de domination dès qu’il y a contact entre Etats d’inégale puissance. De ce fait, l’Etat le plus fort exerce toujours une domination volontaire ou pas, du seul fait de sa puissance, et de la faiblesse de son partenaire. Toutes les puissances, y compris la France sont dans ce rapport avec les Etats pauvres et moins puissants, africains ou pas. J’en déduis donc que la notion de « françafrique » est certes originellement liée aux rapports inéquitables entre la France et certains Etats d’AFRIQUE francophone, mais elle ne devrait pas convoquer que la France. D’autres puissances étatiques qu’on appelle « pays émergents » ont exactement les mêmes pratiques françafricaines qu’on condamnerait si la France y était impliquée. La CHINE, leBRESIL n’agissent pas autrement en Afrique, qu’en Grande Puissance dans des pays faibles. Les contrats miniers, et forestiers concédés aux entreprises chinoises en GUINEE (CONAKRY), ne sont pas dépourvues de dimensions françafricaines sur bien des points. En un certain sens, en Afrique Noire aujourd’hui, la France est suspecte ou accusée plus en raison de son passé, que de ce qu’elle y fait réellement. On devrait donc admettre qu’il y a une autre françafrique, sans la France.
Tout comme leur indifférence bienveillante pour les insurgés burkinabès, le discours récurrent d’Officiels français sur la disparition supposée de la françafrique, peut laisser croire qu’elle fait désormais partie du passé. Une telle conclusion me parait hâtive, en tout cas peu conforme à la réalité vécue par les Noirs Africains dans leur pays respectif. Toutefois, il semble bien apparaitre ici et là, des nuances diverses dans le fonctionnement pratique d’un mode de domination vieux de plus de 60 ans. Le nier serait commettre selon moi, quelques erreurs d’appréciation dont voici certaines :
La première serait de croire que la pratique politique « françafricaine » est le fait de la France seule, et que toute évolution dont elle fait ou fera preuve, n’est que subterfuge pour une malveillance inéluctable en préparation. Il n’y a pas toujours des coups tordus derrière chaque tentative d’évolution positive. Exemple : la France pour avoir refusé de cautionner la tentative de falsification de la constitution Burkinabè, n’a pas fait de coups tordus aux burkinabès. Bien au contraire, elle a soutenu à sa façon l’aspiration populaire. Et c’est ce que tous les peuples africains SOUHAITENT d’elle, lorsqu’ils sont en conflit avec leurs dirigeants peu économes de la vie de leurs compatriotes.
La deuxième, c’est d’ignorer l’impact indéniable que la fin de la guerre froide a exercé et exerce encore sur la françafrique, en ouvrant aux Africains la possibilité de percevoir qu’ils peuvent nouer d’autres relations avec d’autres puissances, sans pour autant passer pour un apprenti ouvalais communiste dangereux. Cela dit, le risque de transformer subrepticement la lutte légitime et nécessaire contre le terrorisme religieux islamiste, en un substitut à la guerre contre la prétendue communisation de l’Afrique au temps de la guerre froide, n’est pas négligeable. C’est un nouveau piège possible pour nous AFRICAINS NOIRS. Certains pouvoirs subsahariens, violents et prédateurs, rejetés par leur peuple, ont déjà essayé ou vont essayer d’invoquer ce prétexte fallacieux pour obtenir appui et aides militarisés ou policiers auprès de certaines puissances étatiques ou privées pour se maintenir au pouvoir contre le gré de leur peuple. C’était déjà un des arguments du clan COMPAORE avant sa chute. Lors des manifestations populaires à OUAGADOUGOU contre la FORFAITURE probable de M. COMPAORE, les chaînesFRANCE24, et TV5monde tendaient complaisamment leurs micros et caméras à ses représentants pour qu’ils y développent leurs fallacieux arguments.
Pour les besoins de mon propos, d’éventuels lecteurs voudront bien me permettre l’usage d’expressions Françafrique d’Etat, et françafrique privée, faute de mieux.
J’appelle « Françafrique d’Etat » ou françafrique OFFICIELLE, ce type très particulier de domination de petits Etats faibles par un une puissance, en l’occurrence la France dont ils étaient autrefois la colonie. En effet, quand le président HOUPHOUET BOIGNY utilise pour la première fois l’expression FRANCE-AFRIQUE, il renvoyait bien à l’idée que, même si certains pays africains dont la Côte d’Ivoire, avaient accédé à la souveraineté internationale, leurs rapports avec la France gaullienne resteraient privilégiés, presque exclusif, au point de reposer sur des liens personnels, et pas seulement sur des rapports d’Etat à Etat. Ce qui explique en partie,l’immense pouvoir que M. Jacques FOCCART a pu exercer, directement ou indirectement sur l’évolution souvent désastreuse des « nouveaux » Etats africains francophones. Car, il s’agissait tout simplement d’imposer aux faibles nouveaux Etats africains des conventions léonines assorties de clauses secrètes, lesquelles ont été peut-être, réaménagées, ou supprimées. La contrepartie alors attendue et fournie, était d’installer ou aider à installer un« ami docile» de la France au pouvoir, l’aider à s’y maintenir. Aussi longtemps qu’il épargnera les contrats léonins de ses accès d’humeur, il avait la certitude absolue d’être soutenu, et proclamé seul« garant de la stabilité » dans cette région (noire africaine). Il n’était pas rare d’invoquer un accord de « défense réciproque » comme base juridique à une intervention militaire discutable contre les mécontentements populaires, et écraser ainsi la moindre tentative d’insoumission à un pouvoir dictatorial, pour finalement conforter les tyrannies dynastiques(voir les pouvoirs au Togo, en R.D.C., au Gabon….). Ainsi du temps de la guerre froide, la nécessité d’endiguer une fausse expansion d’un communisme imaginaire en Afrique Noire, était systématiquement avancée pour justifier des interventions militaires plutôt destinées à soutenir des tyrans « amis » en difficulté devant leurs populations. Car il n’y a jamais eu de communisme en Afrique Noire, il n’y en aura jamais.
Tous ces différents alibis avaient un seul objectif : garantir à la France gaulliste un approvisionnement en matières premières, en sources d’énergie comme le pétrole et l’uranium (voir GABON, CONGO Brazzaville, Nigr….), et sur le plan diplomatique extérieur, s’assurer d’avance, unstock de voix bien précieuses à l’O.N.U., en période de tension Est-Ouest. Remarquons que le contexte sociopolitique de l’époque était caractérisé par une forte et longue croissance économique, un plein emploi, et donc l’impérieuse obligation d’alimenter cette croissance en énergie et matières premières quasi-gratuites. Exemple : ELF, société pétrolière publique aujourd’hui vendue à TOTAL, n’a été créée que pour exploiter le pétrole du GABON et du CONGO, puisque la France gaulliste n’avait plus la main sur celui de l’ALGERIE.
La Françafrique d’Etat, ou gaullienne, avait ceci de particulier : une finalité principale et exclusive : fournir à la France en reconstruction, par tous les moyens, toutes les ressources nécessaires à sa ré-industrialisation après la seconde guerre mondiale dont elle était sortie exsangue. Les ministres et hauts cadres français qui en avaient la charge étaient tous ou en très grande majorité, motivés par la grandeur de leur patrie, plutôt que par leur propre réussite matérielle. Donc pas de mercantilisme, à titre personnel. A front renversé, je pense que cela pouvait avoir une certaine « noblesse » si on est Français et gaulliste. La noblesse ne réside pas dans l’exploitation cruelle des Africains et de l’Afrique Noire, mais dans le fait de participer à une aventure dont la finalité est de rebâtir sa Patrie. Or cette génération a disparu, ou n’a plus en charge l’Etat. Elle est remplacée, à mon avis durablement par une autre génération, celle de COMPTABLES-MANAGERS dont le marqueur idéologique n’est pas la bienveillance pour les faibles (Etats et individus). Et selon moi, c’est à partir de là que commence la Françafrique privée.
Françafrique Privée, danger pour l’Afrique Noire : cas de la GUINEE-CONAKRY
La françafrique d’Etat dans sa forme originelle est effectivement morte, récupérée et transformée en une sorte de « Françafrique » privée par d’ex-notabilités publiques (anciens ministres, militaires, parlementaires français, britannique, Belge….), plus cynique, et âpres aux gains.
Cette autre françafrique est dite privée,non pas au sens qu’elle serait la propriété de quelqu’un de particulier, mais au sens où des individus, en raison des positions élevées de pouvoir qu’ils ont occupé dans les gouvernements de leurs pays, décident individuellement ou collectivement, d’utiliser leur carnets d’adresses à des fins d’enrichissement personnel. Or leur fonds de commerce qu’est devenu leur carnet d’adresses est le produit des fonctions occupées par le passé, et non pas de leur qualité intrinsèque personnelle. Et on peut légitimement penser que, pendant qu’ils étaient en fonction, au service de leur pays, ils créaient simultanément les possibilités de reconvertir à leur profit, les rapports d’Etat à Etat, liés à la position hiérarchique naguère occupée.
Ainsi, des rapports qui auraient dû rester d’Etat à Etat, sont transformés en rapports individuels d’amitié, mais monétarisés, ou monétarisables à terme. Les contrats commerciaux, et autres conventions relevant d’autres domaines sont passés parce que, on a fait prévaloir les « amitiés » dites personnelles, sur les intérêts du plus grand nombre, en France et en Afrique.
J’ai parlé de Françafrique privée. On peut la définir comme une association directe ou implicite de personnalités ayant occupé des responsabilités d’Etat (premier ministre, ministre, officiers de haut rang….) dans leur pays qu’elles cherchent de diverses manières, à reconvertir ou à monnayer dans les relations d’affaires. En général, ces notabilités, Françaises ou Britanniques, s’organisent en Associations « Humanitaires ». Leur zone géographique de déploiement est généralement l’AFRIQUE Noire et plus particulièrement la GUINEE-CONAKRY. Alors, pourquoi la GUINEE-CONAKRY, et pas d’autres pays ?– Pour certaines raisons dont celles-ci :
1°. Cette partie de l’Afrique Noire, à la différence du Sénégal ou du BENIN par exemple, a une classe politique pas toujours consistante. Leur analyse de la situation de leur pays, va rarement au-delà de ce que, eux croient être l’intérêt immédiat de l’ethnie ou du clan dont ils sont eux-mêmes issus. Ils sont plus portés à obéir à la prétendue communauté internationale, qu’à être attentifs à certaines des analyses de certains de leurs compatriotes, peut-être pauvres, mais pas tous des crétins. Je prétends avoir, avec d’autres compatriotes, une vision, un projet plus en adéquation avec les intérêts de notre pays, que les conseils prodigués par l’ambassadeur de telle ou telle puissance. Les « aides » financières ou matérielles de circonstance, octroyées par telle ou telle puissance, ne devrait pas conduire à livrer le pays, pieds et poings liés à cette puissance, quelle qu’elle soit.
2°. Les sociétés civiles, comparées à celles du Burkina, y sont faibles, parfois même inorganisées. De ce fait, la captation du pouvoir par un clan ou une personne est possible, si on dispose d’un appui extérieur. L’inversion autoritaire de résultats sortis des urnes y est relativement facile. Exemple : en Guinée-CONAKRY en 2010, MM. Cellou Dalein DIALLO etSydia TOURE étaient respectivement sortis des urnes au 1er tour avec 39% des voix pour M. DALEIN, et 27 % pour M. Sidya TOURE. Mais c’est M. Alpha CONDE qui fut militairement déclaré élu, contre toute vraisemblance électorale. M. Bernard KOUCHNER, à l’époque ministre des affaires étrangères de la France, avait au paravent effectuer plusieurs voyages à CONAKRY pour aider son « ami » et peut-être se « désintéresser » de son invraisemblable élection. Quelque temps plus tôt, l’élection présidentielle gabonaise avait connu le même type d’inversion des résultats sortis des urnes. Le candidat désigné dans les urnes est finalement écarté au profit de BONGO Fils, ami de M. Bernard KOUCHNER alors ministre des affaires étrangères de M. SARKOZY.
3°.La GUINEE-CONAKRY est particulièrement dotée en ressources potentielles (Fer, bauxite, uranium, or, diamant….). Le sol, peu exploitée au plan agricole, peut être facilement mise en exploitation avec peu d’apport en engrais. Le pays a une large façade maritime. Ce qui bien évidemment attise d’énorme convoitise.
L’agitation humanitariste semble être le masque sous lequel la Françafrique privée réussit à faire passer ses intérêts personnels pour une aide humanitaire. A CONAKRY, après la cooptation de M. Alpha CONDE à la présidence, M. Bernard KOUCHNER s’y précipite. Le French Doctor médiatique, au motif de construire en Guinée un hôpital pour femmes, en fait un dispensaire, s’installe à CONAKRY. L’hôpital y est effectivement construit, mais dans la capitale, avec l’argent de certaines entreprises pas connues pour leur charité particulière. L’hôpital aurait pu être construit à l’intérieur du pays. Car la capitale n’est pas la région la plus sinistrée du pays, au plan de l’absence de toute infrastructure sanitaire. Mais elle présent l’avantage de pouvoir être immédiatement visitée. On peut donc facilement montrer au premier venu à CONAKRY que le Dr. KOUCHNER ne fait que de l’humanitaire ici. A l’intérieur du pays, cette propagande facile poserait quelque difficulté.
Excellents communicants, l’un et l’autre( MM. BLAIR et KOUCHNER), l’humanitaire est leur porte d’entrée favorite en Afrique Noire, et de préférence dans des pays disposant d’immenses potentialités minières et pétrolières commela GUINEE. Leur autre argument décisif, est d’ordre géopolitique : la STABILITE.
L’argument géopolitique TOTAL, DEFINITIF systématiquement invoqué ?—la stabilité. Il faut soutenir leurs amis, même tyranniques, même s’ils pillent leur pays. Car selon eux, sans ce tyran « utile », le chaos s’installerait. Les autochtones(Noirs Africains), seraient portés à s’entretuer à coups de machettes, parce que, ils seraient« comme ça », par nature. Et certaines puissances, pas seulement la France comme on a trop tendance à le croire ou à le laisser supposer, s’estiment alors autorisées, sous un habillage « humanitaire » ou « légal »(voir accord de défense) à occuper totalement ou partiellement, directement ou indirectement, tel ou tel pays.
Dans la quasi-totalité des cas, il s’agit toujours de pays regorgeant de ressources minières, forestières, marines ou agricoles. C’est dans cette configuration que des « élections démocratiques» sont pré-arrangées au bénéfice d’un « vainqueur » lui-même désigné avant même le jour du déroulement du scrutin. Dans la foulée, on suggère à l’heureux « élu » d’organiser une législative dans laquelle il s’accorderait une petite majorité, de l’ordre de 51 ou52%. Et à l’opposition officielle, on conseille de se montrer « responsable » en acceptant sa courte « défaite », même si elle a largement remporté les élections dans les urnes. Ainsi selon moi, nous tenons une possible explication de la distorsion entre les votes émis dans les urnes et les résultats proclamés par les autorités officielles, en GUINEE-CONAKRY.
Mamadou Billo SY SAVANE (ROUEN France).