Les causes d’illégalité manifeste de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains

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Évaluation de l'article

Le président de la République le professeur Alpha Condé vient de promulguer par décret,  un corps de textes injustement qualifié de Loi organique portant création et fonctionnement de l’Institution Nationale Indépendante  des Droits Humains conformément à l’article 148 de la constitution guinéenne.

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Cette promulgation a suscité une véritable stupéfaction des organisations de défense des droits de l’homme telles que l’OGDH et la FIDH, des citoyens guinéens  ainsi qu’un communiqué de l’Union des Forces Républicaines(UFR) présidée par monsieur Sidya Touré du fait que la loi organique en question avait fait l’objet de falsifications,  matérialisant  entre autres, le délit de faux en écriture publique dans le sens de l’article 155 du code pénal guinéen. Depuis son investiture, le président Alpha Condé s’est inscrit dans des violations délibérées et systématiques de la constitution, s’exposant ainsi à l’incrimination de haute trahison dans le sens de l’article 119 de la constitution. Il est étonnant que l’opposition ait adopté pour la voie de l’inertie alors qu’il ne suffit que de 11 députés pour mettre le président de la République en accusation devant la Haute cour de justice de la République pour haute trahison. Il faut souligner que l’opposition compte plus de 40 députés.
     

 

Si la grande majorité des intervenants est unanime sur le caractère illégal et frauduleux  de la démarche de l’exécutif, il n’en est pas de même quant aux solutions juridiques concrètes proposées. C’est ce manque d’abondance de proposition de solutions qui motive ma modeste intervention.

 

La proposition de solutions passe par l’analyse de la nature juridique de la Loi organique promulguée,  permettant  la mise en évidence de son illégalité(I), avant de proposer des voies et moyens juridiques permettant de rétablir la légalité constitutionnelle volontairement bafouée par l’exécutif (II).

Attention : contrairement à ce que pensent certains observateurs, ce n’est pas la conformité à la constitution du contenu de la loi organique contestée qui est en cause si elle émanait du CNT. Son inconstitutionnalité tient au fait que la Cour s’était prononcée sur une loi falsifiée, comportant des dispositions émanant d’une entité incompétente en la matière. Ce qui représente un motif suffisant pour entrainer  son annulation. 

I)-Nature juridique de la Loi organique contestée

Pour déterminer  la nature juridique de la soi-disant loi organique, on peut  commencer par s’interroger  s’il s’agit bien d’une loi organique comme le prétend le décret de promulgation ?
 

La réponse à cette question exige la lecture de l’article 83 de la constitution guinéenne qui dispose que : « Les lois qualifiées d'organiques par la présente Constitution sont votées et modifiées à la majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée Nationale.
 

Elles ne peuvent être promulguées si la Cour Constitutionnelle, obligatoirement saisie par le Président de la République ne les a déclarées conformes à la Constitution.
 

L'Assemblée Nationale ne peut habiliter le Président de la République à prendre par voie d'Ordonnance des mesures qui relèvent de la loi organique ».

Les dispositions de l’article 83 de la constitution indiquent clairement qu’une Loi organique est forcément l’émanation de l’assemblée nationale et qu’elle doit être votée par une majorité qualifiée des deux tiers des membres  composant l’assemblée nationale. La constitution ne prévoit aucune possibilité à l’exécutif d’être auteur d’une loi organique du fait entre autres que l’article 83 alinéa 3 interdit à l’assemblée nationale d’habiliter le président de la République à prendre par voie d’ordonnance des mesures qui relèvent de la loi organique contrairement à ce qui se passe en matière de loi ordinaire conformément à l’article 82 de la constitution. 

Il se trouve que le corps de textes appelé loi organique relative à l’Institution Nationale  Indépendante des Droits Humains déclarée conforme à la constitution par la Cour suprême et  promulguée par décret présidentiel n’était pas celle qui a été votée  par le CNT dans les conditions requises par la constitution. De ce fait, la soi-disant Loi organique n’est pas une loi pour motif qu’elle n’émane pas du législateur, mais d’une entité incompétente  à savoir, l’auteur de falsifications des dispositions de la loi organique votée par le CNT. 

N’étant pas une loi organique, quelle peut être sa nature juridique ?

Il est évident que ce corps de texte n’a aucune valeur juridique. Elle n’a jamais franchi la porte de la légalité. Il comporte tous les éléments d’un texte nul de nul effet, pouvant être déclaré inexistant par la cour suprême pour motif d’incompétence caractérisée de l’auteur des falsifications des textes, aggravé par sa volonté frauduleuse  matérialisée par le faux en écriture publique dans le sens de l’article 155 du code pénal. Il faut souligner qu’un acte déclaré inexistant se singularise par le fait qu’on n’est soumis à aucun délai pour contester sa légalité. Il est considéré par les juges comme n’ayant jamais existé. Une jurisprudence abondante démontre que des actes ou décisions prises par une autorité manifestement incompétente sont en principe déclarées  inexistantes par les juges. 

Après les constats d’illégalité qui précèdent, il nous incombe de nous pencher sur les voies et moyens juridiques à mettre en œuvre pour rétablir la légalité constitutionnelle.

II)-Voies et moyens légaux pour rétablir la légalité constitutionnelle           

Sans prétendre être exhaustif, trois voies s’offrent à nous. La première peut être la saisine de la Cour suprême pour obtenir l’annulation de la loi organique en question et par ricochet, le décret de promulgation d’une part (A), la saisine de la juridiction répressive  pour faux en écriture publique d’autre part (B), et ensuite, la voie parlementaire pour  un éventuel engagement de la responsabilité du président de la République pour haute trahison sur le fondement de l’article 119 de la constitution guinéenne(C). Je souligne que ces trois voies de procédures peuvent être menées de concert.

A)- Saisine de la Cour suprême 

L’article 93 alinéa 1er de la constitution fait de la cour constitutionnelle le juge de la constitutionnalité des lois. En attendant son installation, la cour suprême reste compétente.
 

Les partis politiques ou tous ceux qui le souhaitent peuvent saisir la cour suprême afin qu’elle déclare l’inconstitutionnalité de la soi-disant Loi organique relative à l’institution nationale indépendante des droits humains. Les arguments  qui fondent ce recours sont mentionnés ci-dessus (première partie du texte). 
 

Un éventuel arrêt  de la cour suprême qui déclarerait la soi-disant Loi organique inconstitutionnelle, emporterait automatiquement  le décret de promulgation du simple fait qu’il porte sur des textes injustement qualifiés de Loi organique, alors qu’un décret de promulgation ne peut porter que sur  des lois (ordinaire ou organique) et non sur un texte frauduleux qui n’a aucun caractère normatif.
 

De ce qui précède, on peut légitimement espérer que la cour suprême n’aura d’autre choix que de relever le caractère inconstitutionnel de ladite Loi organique.

 

B)- Saisine de juridiction répressive

Le principal vice dont souffre  la loi organique contestée réside dans sa fausseté. Elle a subi des falsifications d’écritures. Ces atteintes volontaires  à l’intégrité de la Loi organique votée par le CNT sont constitutives de l’incrimination de faux en écriture publique conformément à l’article 156 du code pénal qui expose ses auteurs à une peine d’emprisonnement de 3 à 10 ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000  francs guinéens.
 

Si le président de la République sur lequel pèsent des forts  soupçons, reste protégé par son immunité, il n’en est pas de même de ses éventuels complices,  car  en principe, la responsabilité pénale est personnelle. C’est l’auteur des faits répréhensibles qui en subit les conséquences. Ce n’est pas parce que le commanditaire d’un délit est hors portée de la justice que ses complices bénéficieront de l’impunité. Même si le président de la République était le commanditaire, il me semble probable qu’il n’est pas l’auteur matériel de la falsification d’écritures  contenues  dans ladite Loi organique. Il est important de souligner que les complices éventuels ne peuvent  invoquer l’ordre de leur supérieur hiérarchique(le président de la République par exemple) pour s’exonérer de leurs responsabilités conformément à l’article 6 alinéa 2 de la constitution qui dispose que : «

 

Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestementillégale ». Il est évident que le caractère d’illégalité manifeste d’un ordre ayant pour but de falsifier  les dispositions d’une loi organique en catimini ne peut échapper à une personne normalement constituée. En obéissant à un tel ordre ostentatoirement illégal, les complices éventuels  ont pris le risque de s’exposer aux foudres des dispositions pénales guinéennes.

C)- Responsabilité du président de la République pour haute trahison   
 
Si le président de la République est pénalement irresponsable pour des actes accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions, sa responsabilité peut être engagée devant la Haute cour de justice de la République pour haute trahison sur le fondement de l’article 119 de la constitution qui dispose ce qui suit : « Il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé son serment, les Arrêts de la Cour Constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession d’une partie du territoire national, ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement ».

Parmi les éléments constitutifs de l’incrimination de haute trahison, il y a le fait par le président de la République de violer son serment  dont le contenu est reproduit ci-après : « Article 35 : Le Président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la Cour Constitutionnelle, en ces termes :
 

Moi __________, Président de la République élu conformément aux lois, je jure devant le Peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les Institutions Constitutionnelles, l'intégrité du territoire et l'indépendance nationale. En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la loi ».

Après lecture du serment présidentiel dont la violation est constitutive de haute trahison, on constante que, respecter et faire respecter les dispositions de la constitution et la défense des institutions constitutionnelles tel que le pouvoir législatif, occupent une place importante. S’il s’avère que le président de la République est impliqué dans cette violation intentionnelle d’une gravité exceptionnelle  de plusieurs dispositions constitutionnelles, plus particulièrement la confusion des pouvoirs exécutif et législatif  et l’empiètement frauduleux d’une compétence législative par le chef de l’exécutif, alors, il se rendra coupable de haute trahison et sera passible de la Haute cour de justice de la République.
La mise en accusation du président est demandée par un dixième des députés à savoir 11 députés, ce qui est largement à la portée des partis politiques de l’opposition qui disposent de plus de 40 députés.
 

On peut légitimement soutenir que l’espoir est permis quant à la suite que donnera la Cour suprême au recours en annulation introduit par les partis d’opposition contre la fausse loi organique attaquée.
 

La Cour suprême guinéenne nous a habitués à des multiples dénis de justice insupportable pour toute personne dotée d’un minimum de sens d’honneur et de la fibre patriotique. Si la Cour suprême  récidive en cautionnant un tel flagrant attentat contre la constitution, le peuple doit considérer cela comme une agression intolérable commise par l’instance qui est pourtant la gardienne de la constitutionnalité des textes. Dans cette funeste hypothèse, le peuple dans son ensemble est fondé à récuser la Cour Suprême, puisqu’elle-même aura choisi  de servir une personne, plutôt que d’œuvrer à construire sa propre crédibilité. La servilité des hauts magistrats ne peut en aucun cas être le droit. De ce fait, toute forme de contestation y compris des manifestations doit avoir la Cour suprême comme première cible. Le peuple doit faire en sorte que la Cour suprême subisse les conséquences de son inconséquence. On ne peut impunément, transformer une telle institution constitutionnelle en un fonds de commerce au profit de certains fonctionnaires dépourvus de toute considération pour le peuple. Il ne faut plus se tromper de cible. Cette institution continue à avoir des effets  dévastateurs  sur notre pays dans tous les domaines.     

En conclusion, il ne sera pas de trop de souligner que la démocratie ne se donne pas, elle s’arrache. La gestion démocratique d’un Etat  consiste pour les dirigeants  à respecter  et faire respecter les normes qui régissent le fonctionnement des institutions, relations entre institutions et justiciables  et entre  justiciables.
 

Il est de l’obligation de tout citoyen d’œuvrer dans ce sens. Cela passe par la saisine des institutions compétentes à chaque fois que les normes sont violées. Les partis politiques investis de mission  d’éducation politique des citoyens  par l’article 3 de la constitution doivent renoncer à leur inertie habituelle face aux multiples violations de la loi par les autorités guinéennes depuis des années.   
 

Makanera Ibrahima Sory

Juriste d’affaires et d’entreprise
Fondateur du site « leguepard.net ».
Contact : makanera2is@yahoo.fr

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