Je ne reviens pas sur les raisons officielles avancées par l'UFDG. Certains les approuvent, d'autres les dénient, d'autres encore ajoutent des arguments complémentaires.
Je faisais partie des gens qui soutenaient ce refus, d'abord sur la forme, persuadé qu'Alpha Condé ne visait qu'une opération de communication. Pourquoi publier en effet son courrier adressé au chef de l'opposition dans Jeune Afrique, mais jamais la liste des Guinéens assassinés – parfois assimilés à tort à des manifestants – lors des marches pacifiques depuis 2011 ?
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Ensuite sur le fond, persuadé que cela n'apporterait rien du tout. Les différentes réactions à ce refus confortent mon opinion, que le régime ne veut rien lâcher. C'est pourquoi, nous allons rapidement analyser après coup, les réactions de certains membres de la mouvance et du gouvernement, à savoir Albert Damantang Camara, Mohamed Diané et Nantou Chérif Konaté.
Ce qui transpire du compte-rendu d'Albert Damantang Camara
Dans une réplique tout acerbe que scandaleuse, Albert Damantang Camara ose exprimer le fonds de sa pensée, qui dénote un individu qui se regarde le nombril : « Vous remarquerez que depuis le début des dernières manifestations, jamais l'opposition n'a appelé ses militants au calme et à la retenue. Jamais elle n'a appelé ses militants à cesser de jeter des pierres ; que ce soit sur les forces de sécurité ou les véhicules privés, d'endommager la chaussée, de barricader les rues avec des pneus brûlés, de déverser de l'huile de moteur sur la route (ce qui a déjà causé de multiples carambolages de véhicules privés). Jamais, que ce soit avant, pendant ou après. Ceci s'ajoutant au fait que ce sont des manifestations qui ne font l'objet d'aucune déclaration aux autorités administratives ».
Ce qu'il condamne est vraisemblable (on peut le constater sans pouvoir affirmer qu'il ne s'agit pas d'éléments infiltrés, une spécialité du RPG), mais on pourrait lui rétorquer : « Vous remarquerez que depuis le début des manifestations, jamais le gouvernement n'a appelé ses forces de sécurité à la retenue. Jamais elle n'a appelé ses agents à cesser de tirer à balles réelles ; que ce soit sur les manifestants, les citoyens – qu'ils soient hommes ou enfants -, ou sur les journalistes. Jamais, que ce soit avant, pendant ou après. Ceci s'ajoutant au fait que les meurtres et/ou assassinats n'ont jamais fait l'objet de poursuites judiciaires ».
Ne dit-on pas, qu'il ne faut pas reprocher aux autres, ce que l'on fait soi-même ?
Ce qui transpire de l'entretien de Mohamed Diané
Quant à Mohamed Diané, il est plus radical, mais tout aussi malhonnête intellectuellement parlant, puisqu'il affirme que l'opposition est responsable de la crise actuelle : « Nous avions des doutes quant à la volonté réelle de l'opposition de trouver une solution consensuelle à cette crise qu'elle a elle-même cherché à créer par tous les moyens ». Il fait semblant d'ignorer que c'est l'inversion du calendrier électoral, à l'initiative d'Alpha Condé et consacrée par la CENI, qui pose problème et rien d'autre.
Mohamed Diané n'hésite pas à mentir, alors que le contenu de son entretien prouve à tous les sceptiques, quels en étaient les tenants et aboutissants.
D'abord il indique que cette invitation visait à faire annuler par l'opposition la manifestation du 7 Mai : « Nous avons la ferme conviction que l'opposition aurait pu faire l'économie d'une nouvelle manifestation non autorisée… ».
Ensuite, il rappelle que : « Désormais, tout le monde sait qui veut le dialogue et qui ne le veut pas ». Chacun sait toutefois que dans le domaine syndical ou politique, le dialogue est une discussion, une négociation menée avec la volonté commune d'aboutir à une solution acceptable par les deux parties en présence. Pour Alpha Condé, le dialogue n'est qu'une simple conversation entre deux parties, pour parler de la pluie ou du beau temps, voire même un monologue, en témoigne les « dialogues » précédents. Comme Mohamed Diané le dit lui-même, le but de la rencontre est de « démontrer par cette démarche qu'il [Alpha Condé]est non seulement à l'écoute de tous les Guinéens mais aussi et surtout, contrairement aux affirmations de l'opposition, il n'est pas la source du blocage politique dans le pays ».
Traduction : peu importe d'aboutir, l'important est de montrer l'image d'un président qui est à l'écoute, même s'il n'entend rien. En effet, Mohamed Diané précise que Alpha Condé « est convaincu que c'est en se parlant qu'on peut faire avancer les idées des uns et des autres ». En fait il veut surtout parler des siennes.
La preuve, il laisse entendre qu'il existe des éléments non négociables, à savoir la date des présidentielles : « Bien évidemment, comme chacun le sait, conformément à la Constitution, il y a ce qui est faisable et ce qui ne l'est pas. La Constitution nous impose d'organiser les élections présidentielles à une date précise ». Autrement dit tout est discutable sauf la date des présidentielles, et comme le temps passe, mettre les communales avant les présidentielles paraît impossible, si l'on s'en tient à ce seul argument. Comme la requête de l'opposition est essentiellement liée à l'inversion du calendrier électoral, on ne voit pas bien ce qu'on pourrait discuter.
D'ailleurs il enfonce le clou, en affirmant qu'il n'existe pas d'échappatoire à leur argument. « Nos adversaires savent très bien qu'il est pratiquement impossible d'organiser deux élections cette année ! Nous avons énormément de contraintes, budgétaires notamment, sans compter les autres et très nombreux problèmes liés à l'organisation d'une élection ».
La suite est discutable et laisse filtrer les penchants revanchards de Mohamed Diané, indignes d'un dirigeant, lorsqu'il ose prétendre qu'« Il est important que les jeunes d'aujourd'hui sachent que depuis les élections communales et communautaires de 1991, les gouvernements successifs de Sidya Touré et de Cellou Dalein ont inversé 5 fois l'ordre des élections, pour organiser 3 présidentielles et 2 législatives sans organiser une seule fois les élections communales et communautaires jusqu'en 2005. Ce sont les élections présidentielles de 1993, 1998 et 2003 et celles des législatives de 1995 et de 2000 ».
Autrement dit, il laisse sous-entendre que puisque d'ex-PM ont violé la loi par le passé, c'est au tour d'Alpha Condé d'en faire de même, et ces ex-PM – donc 12 millions de Guinéens – n'auraient rien à dire.
Il est vrai, comme il le rappelle qu'« en 1998, Alpha Condé, candidat du RPG, a été arrêté en plein processus électoral avant même la proclamation des résultats provisoires du vote et condamné à 5 ans de prison ferme, en violation flagrante de sa double immunité en tant que candidat et député, par le gouvernement de Sidya Touré, auquel appartenait Cellou Dalein Diallo ».
Mais si cette page sombre de l'histoire de la Guinée est réelle, on ne comprend pas trop pourquoi Mohamed Diané voudrait la remettre à l’ordre du jour, ce qui est d'autant plus ignoble, qu'il ne se préoccupe absolument pas des nombreux Guinéens nés dans les années 90 – qui représentent plus de la moitié de la population d'aujourd'hui -, et qui se moquent éperdument du passé qu’ils n’ont pas connu, ne se préoccupant que de leur avenir. Est-ce à cause d'individus pareils, préoccupés par de vils sentiments, que 12 millions de Guinéens devraient en subir les conséquences ?
Au regard de ces basses considérations, qui n'honorent pas Mohamed Diané et qui n'ont rien à voir avec la question électorale, quelles sont au final, les concessions que pourrait faire le gouvernement ?
Ce que le compte-rendu de Nantou Chérif Konaté apporte comme information
Les rares concessions – si on peut les considérer comme telles – sont de deux ordres, ainsi qu'on les perçoit à travers l'entretien précédent et le compte-rendu de Nantou Chérif Konaté.
Lorsqu'on demande à Mohamed Diané si on pourrait envisager le couplage des élections communales et présidentielles, ce dernier laisse entendre que cela dépend de la CENI… et que c'est donc possible. L'ennui c'est que cela ne changerait absolument rien aux revendications de l'opposition, qui souhaite que ce soient des gens élus – et non nommés par Alpha Condé – qui « participent » même indirectement aux élections présidentielles.
Nantou Chérif Konaté quant à elle, laisse entendre que le gouvernement pourrait faire quelques concessions sur les délégations spéciales. Le gouvernement indique qu'il pourrait peut-être – mais rien n'est moins sûr -, simplement appliquer la loi. Quelle fumisterie !!!
En conclusion
Voilà pourquoi il ne sert à rien de discuter avec un gouvernement, qui veut une photo présentant Alpha Condé comme un homme ouvert aux discussions (les monologues notamment), et dont l'autre objectif est de montrer à son interlocuteur, que l'opposition ne peut absolument pas violer la loi pour l'inversion du calendrier, mais en même temps, si le gouvernement viole la loi (sur les délégations spéciales), cela n'a pas beaucoup d'importance, même si on peut essayer d'y remédier un peu.
Enfin Lucien Guilao, dont on ignore le département où il exerce, tellement son bilan frise l'encéphalogramme plat, ne connaît pas l'histoire de la Guinée, ce qui le rend ridicule, lui qui ose affirmer « ne rien comprendre[ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on lui demande], parce que quand on est chef de file de l’opposition avec la prétention d’être le futur chef d’Etat Guinéen, on doit pouvoir supporter la pression et accepter le dialogue direct avec le Président de la République ». Sans doute ignore t-il que son boss, n'a jamais accepté de discuter avec Lansana Conté. Mais comme le dit Mohamed Diané, il faut parfois évoquer le passé !!!
Néanmoins pour rester positif, car on ne gagne rien à l'intransigeance stérile, maintenant que la rencontre a été hyper médiatisée – on en attend donc des résultats probants -, le chef de l'opposition en tant que tel, doit quand même rencontrer Alpha Condé pour lui faire des propositions concrètes,car il existe des solutions de sortie de crise, qui respectent les desiderata de tous, et la Guinée a besoin de sortir de ce cycle violent.
Je vais me charger d’en présenter une parmi d’autres, dans mon prochain texte (d’ici 24 heures), mais cela suppose qu'Alpha Condé, soit de bonne foi… et là, rien n’est moins sûr.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).