1. La dilapidation de l’engagement militant.
La sous-culture d’allégeance aveugle au chef dans les partis politiques dont on a tracé la racine au règne du PDG reste l’obstacle majeur à la participation des intellectuels guinéens. Le fanatisme des inconditionnels du chef ruine la notion même de parti politique. Le dogmatisme et le culte de la personnalité sclérosent les institutions existantes. Comme les partis sont conçus comme outils de conquête du pouvoir à tout prix, ils se limitent à des combats électoraux discontinus. Ignorant que la préparation d’une élection est un processus continu, les partis ne se mobilisent que lors des campagnes électorales. Leurs combats s’atrophient dès que l’attraction et l’enjeu du pouvoir ne sont pas à l’horizon.
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Pour le parti au pouvoir, les cadres osent à peine faire des propositions – à fortiori des critiques – sur le fonctionnement de l’administration. Les militants sont des caisses de résonnance de louanges au chef de l’état et l’activisme se réduit à des querelles de partage de butin et de postes. Le clientélisme à l’intérieur des partis au pouvoir est féroce. Il élimine de leurs rangs tous ceux ne cautionnent pas les crimes et erreurs du gouvernement. Il dégrade la notion de militantisme et transforment les militants en complices.
Les coutumes dans les partis de l’opposition ne sont différentes que dans leur intensité. Dans l’opposition, la stratégie discontinue du fonctionnement du parti détruit l’engagement indéniable de centaines de milliers de militants sincères. Leurs aspirations au changement et pour la remédiation des torts subis sont subordonnées à la prééminence des enjeux électoraux. Entre les périodes électorales, les partis d’opposition ronronnent, sans direction – ne réagissant qu’épisodiquement aux actions du gouvernement. L’énergie disponible est démobilisée.
L’assemblée nationale, la société civile et le système de justice qui sont les champs d’action par excellence de la démocratie sont délaissés. Dans aucune de ces instances, un haut-fonctionnaire n’est interpellé. Ainsi il a été facile au gouvernement de phagocyter la société civile pour faire régner silences et confusions sur ses crimes et ses erreurs. La léthargie de l’opposition guinéenne sur les violations des droits de l’homme et sur impunité dont leurs militants sont victimes est incompréhensible et frise l’irresponsabilité.
Le punch et la mobilisation des campagnes électorales ne sont pas mis à profit par aucun parti de l’opposition pour réduire la capacité de nuisance des gouvernants. Il n’y a aucune stratégie d’organisation, d’accompagnement ou d’auto-défense des victimes. Il n’existe pas l’ombre d’un plan pour alléger leurs souffrances et encourager les démarches des familles dont la plupart ne demandent qu’à obtenir justice et réparation. Dans le microcosme politique de Conakry, aucun secret ne résiste aux rumeurs. A fortiori à une enquête sérieuse. Les auteurs et les commanditaires des crimes sont identifiables s’ils ne sont déjà connus. Les partis politiques de l’opposition doivent faire d’une priorité leur neutralisation – par la force si la justice s’emmure dans sa déliquescence. Mais l’opposition a fait d’une tradition d’enterrer ses morts avec des prières et de figer les militants dans l’attentisme avec l’idée que les comptes seront réglés, quand il y aura changement de régime.
L’infatuation pour le pouvoir des leaders politiques guinéens, leur mépris des victimes, leur désolante ignorance du ressort essentiel de la société civile pour qu’une culture démocratique prenne racine, leur incompréhension des dispositions constitutionnelles sont autant de facteurs qui contribuent à enraciner la dictature. Ces facteurs sont-ils dus à la peur de remuer le passé de la part d’apparatchiks des régimes passés que sont les ténors de l’opposition ? D’une immaturité politique et d’un manque d’expérience militante? D’une lecture erronée de l’impunité comme ossature de la faillite de la Guinée? En tout état de cause, il y a là un manque d’ancrage des partis dans la réalité sociale qui met l’opposition perpétuellement à la traine des évènements. Elle se condamne de ce fait à exploiter et à attiser des sentiments ethniques pour se faire entendre. Et à n’offrir que des promesses – d’un changement automatique après la prise du pouvoir. En l’absence d’un bilan minimal de solutions aux problèmes réels de la cité, avec des actions parlementaires et populaires – même si elles sont bloquées par le gouvernement – ces promesses ne sont perçues que comme de la démagogie.
L’une des plus éprouvantes constantes de l’histoire guinéenne, c’est cette dilapidation allègre – par l’opposition et les gouvernants – de l’enthousiasme et de la ferveur des guinéens pour le changement sur le piédestal des glorioles personnelles. Pour dissimuler leur mauvaise conscience, les dirigeants guinéens ne tarissent jamais d’injures sur les citoyens : envieux, paresseux, menteurs etc. En Afrique, il y a peu d’exemples de peuples auxquels on a autant fait de promesses mirobolantes pour n’offrir que misère, répressions et insultes. La désillusion, le cynisme, l’individualisme et la dislocation du tissu social guinéen ne sont que le produit de cette frauduleuse pratique politique. Ce n’est pas l’inverse en dépit de ce que voudrait faire croire le mythe du « mauvais guinéen ».
En particulier, l’ethnocentrisme n’est qu’un effet de l’échec inévitable qu’engendre cette fraude massive fraude politique. Prendre l’ethnocentrisme comme postulat pour expliquer la Guinée est en soi une fraude intellectuelle. Bonne vieille recette du bouc-émissaire, l’ethnocentrisme n’est que pour masquer l’incurie des gouvernants en drainant vers des groupes ethniques la colère des gouvernés. Il joue sur le reflexe communautariste pour désarmer les forces civiles. L’idéologie de l’ethnocentrisme n’est possible que parce que dans notre nation les substrats de confiance ont été ruinés par un assaut continuel de promesses mensongères, de répression et d’impunité garantie pour les criminels d’état. Cette ruine du contrat social entre les citoyens et ceux qui aspirent à les diriger se nourrit de l’arbitraire et non d’une quelconque animosité entre les composantes ethniques de la Guinée. Ce n’est pas la propagande de la «réconciliation nationale » qu’on sert avec le garni du spectre des guerres ethniques qui va y remédier. La «réconciliation nationale » sert plutôt à nier la contradiction majeure – sinon unique – qui existe en Guinée entre les gouvernés et les gouvernants. L’alternance électorale ne va pas mettre fin automatiquement à cette contradiction. Croire le contraire c’est refuser de lire l’histoire de la nation où, la succession des chefs ne produit que des résultats toujours plus catastrophiques.
2. La fragilité des institutions politiques
En Afrique de l’Ouest, la fragilité des institutions politique est plus marquée en Guinée que partout ailleurs. Bien au-delà du pullulement de «partis-cabine-téléphonique » comme le sens populaire les nomme, les institutions politiques guinéennes sont fragiles au point de succomber dès que l’écran qu’est le chef tombe. Leurs disparations est toujours concomitantes à celles des leaders. Après 26 ans de règne d’une main de fer, le PDG implosa une semaine après la mort de son leader. Ainsi en fut-il du PUP qui, déjà en décomposition avancée du fait de la longue agonie de sa figure de proue, ne survécu que quelques heures à Conté. Il est certain que le même sort attend le RPG après la disparition d’Alpha Condé.
Du côté de l’opposition, le même phénomène est à l’œuvre. Il conduisit à l’érosion rapide du PRP après la mort de Siradiou Diallo. Et, dans un contexte qui semble différent seulement du fait de la proximité des faits dans le temps, l’UFDG est sur la pente de la même érosion.
Le fait qu’un tel enchainement perdure tout au long de l’histoire de la Guinée est plus qu’une simple question de personnalités. C’est une culture politique insidieuse qui est ici à l’œuvre. Il serait erroné de la réduire à ses manifestations. Inexplorée, elle se manifeste dans des bagarres factionnelles : entre anciens et nouveaux militants auxquels on colle l’infamante marque de profiteurs de butin électoral ainsi que par une fausse dichotomie entre jeunes et vieux. Et, bien entendu dans les identifications ethniques. Laissée à l’ombre, la fragilité des institutions politiques permet aux facteurs multiples et imbriqués qui l’entretiennent de se reproduire mécaniquement. Le modèle de partis politiques, typiquement guinéen, idéologiquement vide et personnalisé à l’excès est par essence anti-démocratique. La tendance malencontreuse de le ravaler à des questions de personnalité ne fait qu’évacuer la question fondamentale de la refonte des institutions politiques.
3. Ruine de la mémoire collective et des expériences politiques
La fragilité des institutions politiques guinéennes et l’égotisme des leaders sont imbriqués dans une logique de support mutuel qui ruine des expériences politiques et de la mémoire collective de la nation. À l’intérieur des partis il n’y a pas de cadre de bonne conduite pour contrôler et censurer le comportement des dirigeants. Les partis sont de ce fait des écoles d’apprentissage de la dictature.
Le dogmatisme prospère dans l’ignorance dont des guinéens se vantent, tant du côté du pouvoir que de l’opposition. Les militants sont happés par l’engrenage de la fragilité des partis. Il n’y a pas de stratégie – et même de mots d’ordre – pour qu’on puisse parler de défendre une direction, de convaincre les réticents et d’éduquer les citoyens. Le manque d’arguments pour justifier leurs adhésions engendre chez beaucoup de militants un penchant à la provocation et aux conflits.
Au temps du PDG, le postulat était que la ligne du parti est pure de toute erreur. Le sous-entendu étant que le chef était infaillible. Dès lors, les échecs ne peuvent être dus qu’à des facteurs externes : l’autre ethnie, la conspiration de la communauté internationale, les comploteurs, les « saboteurs » etc. Il est impossible d’en tirer des leçons. C’est un sacrilège de questionner les missions du parti, de demander l’ajustement des stratégies et des modes de fonctionnement ainsi que les méthodes de travail. Informer et éduquer consiste à diaboliser un vague impérialisme et ses « suppôts internes » et en sous-entendu leur ethnie. La confrontation d’idées étant interdite, la culture politique est celle du silence et des complicités.
Cette culture fonctionne en sourdine à l’intérieur des partis d’aujourd’hui avec un processus plus insidieux. Il fait des chefs des partis des fixations auxquelles la psyché des militants s’accroche. Les leaders politiques guinéens sont des catharsis des tares ou des sanctuaires d’espérances infondées. Il est aisé d’assimiler la disparition physique d’un leader avec la fin d’une ère et la naissance d’une nouvelle. A l’avènement de chaque nouveau chef, les crimes et erreurs commis des règnes passés sont enterrés de façon expéditive. La délusion du changement laisse dans l’ombre les ressorts des mauvaises pratiques et la culture des partis politiques, de leurs orientations légères et fortuites, sans égards minimaux aux desideratas des citoyens et sans une lecture même superficielle de l’histoire. Cette fuite en avant a profondément imprégné la notion de politique en Guinée.
La quête d’oubli des populations guinéennes est certes explicable par le désir d’échapper de l’ornière des faillites. Mais l’engouement incontrôlé pour un nouveau qui a prouvé ne jamais l’être est pernicieux. Il dilue les expériences politiques collectives et conduit à la reproduction des systèmes dictatoriaux. Le manque d’accumulation consciente et critique des expériences politiques expose la Guinée à de continuelles mésaventures. Il réduit la mémoire collective – seul ciment d’une collectivité nationale viable –à un amas de fragments d’histoire et d’anecdotes. Il permet à n’importe quel groupe organisé avec un minimum de support financier et de violence de noyauter l’état et de prendre la nation en otage.
Avec une mémoire collective en lambeaux, la notion de justice – en tant que processus de gestion des erreurs et des crimes – prend difficilement racine. D’où son absence qui laisse la place à des normes politiques spécifiquement guinéennes. Le consensus négatif décrète que « c’est ça la politique ». Le pays s’englue dans les complicités opaques de l’ethnie. Les populations acceptent la violence comme forme de gouvernement, rationnalisant la sécrétion sans fin des autocrates.
Ourouro Bah
Prochain article- La difficile émergence d’institutions politiques en Guinée – Rompre avec les pratiques actuelles