Le Ministre de la Justice joue au matamore. Ce faisant, il perd son sang froid en montrant une nouvelle fois son militantisme zélé, incompatible avec les valeurs qu’il prétend inculquer aux autres. Sa dernière sortie ne fait qu’illustrer ses dérapages passés.
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Le communiqué du Garde des Sceaux
Par un communiqué du 7 Mars retranscrit sur différents sites, Cheick Sako rappelle qu’Ousmane Gaoual Diallo « a été condamné à 18 mois de prison avec sursis pour violence caractérisée sur la personne d’un citoyen. Cette peine avec sursis pend sur sa tête et en cas de récidive, monsieur le député n’échappera pas à une peine de prison ferme. Le tribunal de première Instance de Mafanco ayant été assez clément à son égard. Pour les faits de même nature, (flagrant délit et hors session parlementaire), monsieur le député aurait écopé d’une peine ferme dans n’importe quel État de la sous-région.
Monsieur le député peut (c’est son droit) jeter l’opprobre sur la justice guinéenne, mais en attaquant publiquement et par voie de presse une décision de justice, Monsieur le député sort de son rôle d’élu du peuple et enfreint à la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire… Dans le cas d’espèce, les militaires condamnés et leurs avocats ont la possibilité de faire appel, voire même de saisir la cour de la Cedeao…
La sentence incriminée couvre le temps de détention. Il en va de la responsabilité du tribunal militaire ; et il n’appartient pas à un député de dire ce que le tribunal doit juger…
Je rappelle au passage que Monsieur le député lorsqu’il a été incarcéré à la maison centrale de Conakry, a été bien traité tenant sa qualité d’élu du peuple. D’ailleurs, il a reconnu lui-même le traitement dont il a bénéficié.
Enfin, je me réserve la possibilité de saisir le bureau de l’Assemblée Nationale pour demander la levée de son immunité parlementaire s’il continue à attaquer publiquement et par voie de presse les décisions de Justice ».
Il convient de reprendre les arguments de Cheick Sako pour montrer non seulement ses nombreuses contradictions (nous sommes habitués), mais également sa mauvaise foi.
Quid de la condamnation d’Ousmane Gaoual ?
Oser prétendre que le député est un repris de justice aurait pu être considéré comme un abus de langage de la part d’un profane. Mais de la part de quelqu’un qui nous a été présenté comme un ancien avocat du Barreau de Montpellier, il y a de quoi se poser des questions sur sa spécialité… sans doute le droit de la famille (pensions alimentaires et divorces) !!!
A t-il oublié qu’un jugement ne devient définitif que lorsque toutes les voies de recours sont épuisées. Dans la mesure où Ousmane Gaoual Diallo a fait appel de la décision du TPI de Mafanco, il sera présumé innocent devant la Cour d’appel.
En revanche, tout le monde sait que « l’employeur » de Cheick Sako possède un casier judiciaire, ce qui aurait d’ailleurs dû l’empêcher de se présenter en 2010. Manifestement cela n’a pas dérangé Cheick Sako d’être nommé par un vrai repris de justice.
Par ailleurs, Cheick Sako se plaint du « député qui sort de son rôle d’élu du peuple et enfreint la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire ».
Mais que fait-il lui-même – sic !!! – lorsqu’il déclare que « le TPI de Mafanco a été assez clément à son égard. Pour les faits de même nature,… le député aurait écopé d’une peine ferme dans n’importe quel État de la sous-région ».
Peut-on critiquer une décision de justice ?
L’article 238 du Code pénal dispose que : « quiconque aura publiquement par actes, paroles ou écrits cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance, sera puni de 3 mois à 1 an d’emprisonnement et de 50.000 à 1.000.000 de GNF d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement…. les dispositions qui précèdent ne peuvent en aucun cas être appliquées aux commentaires purement techniques, ni aux actes, paroles ou écrits tendant à la révision d’une condamnation… ».
À condition de rester dans la limité acceptable
On peut parfaitement commenter une décision de justice, mais il ne faut pas tomber dans l’outrance (jeter le discrédit). L’infraction sanctionnée par le Code pénal (article 238 ci-dessus) peut consister en déclarations, écrits et/ou commentaires, dont le but est de jeter publiquement le discrédit sur la décision rendue, de manière à porter atteinte à l’autorité ou à l’indépendance de la justice. Mais même si cette dernière formule est extrêmement vague, elle n’interdit ni la critique, ni le commentaire, comme on l’entend trop souvent.
Mais tout est dans la subtilité. Ainsi si l’on affirme publiquement que la décision judiciaire est « absurde et imbécile », on peut considérer qu’on frise l’injure, mais encore une fois, pour être poursuivi il faut porter atteinte à l’intérêt de la justice comme institution fondamentale de l’État et non aux magistrats qui concourent à la justice. J’espère que la nuance est claire, même si je doute qu’en Guinée on s’embarrasse de ces subtilités.
En effet, Cheick Sako voudrait utiliser ce texte à tort et à travers, pour limiter tous les commentaires, alors que le texte est au contraire très restrictif. La liberté d’expression, chèrement acquise en Guinée, doit éviter de reculer et d’imiter le système français des années 30, où les condamnations pour des broutilles, sur les fondements de l’outrage à magistrat ou du discrédit d’une décision de justice, étaient fréquentes. Alpha Condé veut retourner la Guinée en 1984, Chéick Sako veut-il la reculer encore jusqu’au moment de la colonisation ?
Certes, il faut protéger la justice pour en assurer un fonctionnement apaisé, et si un citoyen peut critiquer la non application de tel ou tel article, ou le non respect de tel ou tel autre… il ne peut pas dire que la justice est pourrie et que les magistrats sont des corrompus sans éthique.
Toutefois la justice guinéenne est tellement affligeante, aux ordres du pouvoir, que personnellement je ne prends pas de gant pour dire que je n’ai aucun respect pour elle en général. Certains magistrats sont des escrocs avérés – ils l’ont eux-mêmes reconnu publiquement -, ce qui ne les empêche pas de siéger au Conseil Supérieur de la Magistrature, une vraie honte.
De même, on pourrait se dispenser de commentaires lors de jugements, si on avait la certitude qu’en appel, voire en cassation, la décision puisse être éventuellement réformée. Malheureusement la Cour Suprême en 2010 et 2013, la Cour constitutionnelle en 2015, soient les plus hautes juridictions de la république, ont montré sinon leur incompétence – ce serait grave – mais en tous cas leur soumission servile au pouvoir, de telle sorte qu’on puisse sans se tromper, deviner la décision finale. Il n’y a donc pas lieu de la surprotéger, sauf à vouloir camoufler un pouvoir dictatorial qui ne dit pas son nom.
Oui, c’est donc tout à fait possible
Comme on peut le constater dans l’article ci-dessus, il est parfaitement autorisé de commenter les décisions de justice en Guinée. Cela est même nécessaire, car la justice est rendue par des hommes et l’homme est faillible (surtout en Guinée). La liberté d’expression ne peut pas s’arrêter devant l’énoncé d’un verdict (a fortiori lorsque celui-ci est scandaleux). D’autant que la plupart du temps, les jugements ou arrêts se limitent à la décision en l’absence de motivations écrites. Sans doute n’aime t-on pas laisser de traces de motivations souvent fallacieuses. En outre sans écrit, il est difficile de contester…
Certes il n’existe pas en Guinée de revues juridiques à destination des professionnels du droit, où la finalité serait justement de commenter les décisions, mais une lecture trop rigide de l’article 238 serait préjudiciable au débat public. Il est donc important de pouvoir critiquer tous les pouvoirs, qu’ils soient politiques, mais aussi médiatiques et judiciaires. C’est aussi ça le jeu des contre-pouvoirs.
De même, il faut aussi prendre en compte le statut de la personne qui a prononcé certaines paroles. Un avocat a plus de latitude pour critiquer une décision de justice, qu’un citoyen lambda. Un député doit également bénéficier d’une tolérance plus grande, car il faut préserver à tout prix la liberté d’expression des élus, qui sont d’ailleurs protégés par l’immunité de l’article 65 de la Constitution1.
Enfin il faut aussi s’adapter à la personne outragée, plus un homme est public, plus il a du pouvoir – un juge d’instruction est un homme très puissant, puisqu’il possède celui de demander la détention d’un homme -, plus la justice doit tolérer la critique.
Les autres dérives de Cheick Sako
« S’il n’appartient pas à un député de dire ce que le tribunal militaire doit juger… » dixit Cheick Sako, il appartient encore moins au Ministre de la justice d’en faire autant, sic…
Et je ne reviens pas sur l’illégalité à faire juger des militaires par une institution (le Tribunal militaire) qui n’existait pas au moment des faits reprochés, et dont il faudra attendre 4 ans pour sa mise en place. Au-delà de la décision scandaleuse quant à la durée de la peine, voilà un autre motif de censure de la décision par un tribunal… régional.
Quant à la levée de l’immunité parlementaire d’un député, il faut rappeler encore et encore à Cheick Sako, qu’il n’a pas ce pouvoir vis-à-vis d’un représentant du peuple, ni même celui de la solliciter publiquement (voir article 65 de la Constitution ci-dessus évoqué). Quid de la séparation des pouvoirs qu’il prétend imposer aux autres, mais s’en dispenser lui-même ?
Conclusion
Cheick Sako a une nouvelle fois perdu l’occasion de se taire. Il faut lui rappeler qu’il n’est pas juge, ni procureur, mais un simple « contrat à durée déterminée », sans aucune légitimité démocratique, au contraire de l’élu.
Certains Guinéens considèrent qu’on ne peut pas travailler avec un dictateur, quel qu’il soit. D’autres pensent au contraire, qu’on peut travailler pour l’État guinéen (si tant est qu’il existe) indépendamment de la nature de son chef. Mais même dans cette dernière hypothèse, il n’est nul besoin d’être un zélateur.
S’il veut jouer au justicier par des sorties médiatiques qui ne l’honorent pas, il pourrait demander à ses collègues de publier leur déclaration de biens… et commencer par la sienne.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
1« Aucun membre de l’Assemblée Nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions de Député. Aucun Député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière pénale, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf le cas de flagrant délit. Aucun député ne peut, hors session, être arrêté ou détenu qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale, sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées par l’Assemblée Nationale ou de condamnation définitive. La détention préventive ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert».