Les accords politiques signés mercredi 12 Octobre par le gouvernement et l’opposition suscitent de nombreuses réactions, justifiées parfois, mais pas toujours. Je suis parti du contenu des accords et de ces débats, pour tenter de comprendre, et donc d’expliquer ensuite les tenants et aboutissants…
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Comme il sera facile de le constater, chacun peut interpréter à sa façon les différents points traités et/ou reportés par le dialogue entre la mouvance et l’opposition, et c’est la raison pour laquelle il était d’autant plus important de faire le point, que des membres de la société civile se sont également exprimés sur le sujet.
Le bilan sera fait en deux parties, l’une consacrée au contenu de la quasi-totalité des accords, l’autre plus polémique, relative aux élections locales.
Concernant la Haute Cour de Justice
Elle devait être installée 6 mois après l’élection de l’Assemblée Nationale et permettrait aux ministres et au président lui-même, de répondre de leurs actes devant cette Institution, car c’est la seule structure qui permet de les poursuivre judiciairement, notamment en cas de haute trahison, c’est-à-dire lorsque le PRG a violé son serment, les arrêts de la Cour constitutionnelle, ou est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains.
Selon l’opposition, il a été décidé que des dispositions seraient prises à l’ouverture de la session budgétaire1, pour que l’Institution soit mise en place.
Le gouvernement affirme au contraire que « dans le cadre de la mise en place des institutions républicaines déjà amorcée, les parties recommandent la mise en place de la Haute Cour de Justice dans les meilleurs délais…».
En définitive et contrairement à l’optimisme de l’opposition, le gouvernement précise dans les meilleurs délais (après 2020 probablement !!!), mais il n’existe aucune date impérative et chacun comprend bien pourquoi. Le gouvernement viole donc la Constitution, car absolument rien n’empêche sa mise en place… en dehors de la volonté politique de ce régime.
Concernant le fichier électoral
Le fichier comporte de nombreuses anomalies2, l’opposition a demandé à ce qu’il soit revu et corrigé. Il a été décidé pour les élections nationales qu’un « Comité technique paritaire comprenant l’opposition et la mouvance, sera mis en place pour l’élaboration d’un cahier de charges y afférent, au plus tard le 30 Novembre 2016, pour rédiger les termes de référence, en vue du recrutement sur la base d’un appel d’offres international, d’un cabinet international, qui fera l’audit complet du fichier électoral et formulera des recommandations, permettant d’assainir davantage le fichier et le rendre plus performant et consensuel ». Ce Comité technique pourrait se faire assister d’une expertise étrangère en cas de besoin.
La mouvance rappelle que « l’état actuel du fichier électoral permet son utilisation sans trop d’incidences pour les prochaines élections locales ». Il n’y a donc pas lieu de se précipiter dit-elle, même si « les conclusions de l’audit devraient être disponibles au plus tard le 31 Mai 2017 ». Autrement dit, les élections communales seront organisées sans révision du fichier électoral. Ce n’est pas la première fois que la CENI viole la Constitution en ne révisant pas le fichier électoral, peu importent les raisons. Oser même demander à la Cour constitutionnelle une « autorisation » de ne pas réviser avant ces élections, est tout simplement incroyable, car cette dernière ne peut décemment pas l’y autoriser sur le plan juridique.
Là encore, contrairement à l’optimisme de l’opposition, on reporte l’examen du fichier électoral à partir de Juin 2017, fichier que l’opposition aurait du contester dès 2015 à la Cour de la Cedeao. Comment imaginer qu’on pourra vérifier ce fichier rapidement, alors que les élections locales constituaient une occasion parfaite pour l’examiner. Tous les électeurs d’une commune sont en effet capables de contrôler la réalité physique des électeurs, alors qu’il n’est pas évident de le faire à partir d’un fichier numérique à Conakry. En matière d’élections, le fichier constitue pourtant la plus grande anomalie permettant la fraude, que manifestement l’opposition n’est pas pressée de corriger. Il est vrai que les incidences sont moins évidentes sur le résultat des scrutins, mais reporter systématiquement, montre le manque de conviction de l’opposition.
Concernant la réforme de la CENI
En premier lieu, tout le monde s’accorde pour que la CENI termine l’organisation des élections communales et locales. L’opposition avait demandé l’application de la disposition de l’accord du 20 Août 2015, qui stipulait qu’après l’élection présidentielle, l’Assemblée nationale devrait revoir la loi pour mettre en place une nouvelle CENI. L’opposition considère que c’est obtenu, puisqu’à la session des lois d’Avril 2017, l’Assemblée nationale devra voter une loi pour mettre en place une nouvelle CENI.
L’opposition souhaitait que cette loi soit votée à la session budgétaire3, et qu’on fasse une dérogation, parce que la session budgétaire n’est pas de voter les lois (sic), et précise qu’une nouvelle concession a été faite par elle, pour reporter à la session de Printemps4. Doit-on rappeler à l’opposition que la loi électorale va être modifiée pendant cette session, et qu’on pouvait très bien y acter les textes relatifs à la CENI ? Oser affirmer que sa passivité coupable est une concession en dit long sur son inconsistance.
En définitive, il a finalement été décidé que la CENI serait modifiée et restructurée selon les points sur lesquels sont convenus les acteurs du dialogue politique, mais que c’est l’Assemblée Nationale qui déciderait, autrement dit Alpha Condé (règle de la majorité oblige). L’opposition a donc tort de croire que le principe d’une nouvelle CENI, technique cette fois, est déjà acquis.
D’ailleurs la déclaration finale est rédigée comme suit : « les parties conviennent que la révision de la loi doit permettre la mise en place d’une CENI plus technique pour une meilleure gestion du processus électoral. La proposition de loi introduite par l’opposition à l’Assemblée Nationale, pourra servir de base de discussion en vue de l’adoption d’une loi lors de la session des lois d’Avril 2017 ».
On a l’impression que l’opposition n’a tiré aucune leçon du passé et cela en devient désespérant.
À titre personnel, je considère que le MATD devrait être responsable de la gestion du fichier électoral sous le contrôle, et de l’opposition et des citoyens. On y gagnerait financièrement et politiquement, car dès que les citoyens sont déclarés à la naissance, il suffit ensuite de suivre automatiquement leur parcours.
Concernant l’identification des auteurs et commanditaires des crimes commis lors des manifestations
D’abord cela ne concerne que les élections législatives de 2013, et on se demande bien pourquoi. Quid des crimes d’Avril 2011 (Zachariou Diallo) à Octobre 2016 sous le mandat d’Alpha Condé ?
Les déclarations d’intention sollicitant la diligence des enquêtes judiciaires, ne fera pas oublier la responsabilité pleine et entière d’Alpha Condé, Ministre de la Défense.
Concernant les indemnisations
Relativement aux indemnisations, on a l’impression que la mouvance présidentielle et l’opposition sont tombées d’accord, davantage pour faire oublier le fait que les enquêtes n’aboutiront probablement pas, que pour parvenir réellement à un dédommagement équitable.
Il est prévu effectivement, la création de 2 fonds d’indemnisation ; un premier fonds pour les ayant-droits des personnes décédées ainsi que des personnes handicapées ; un deuxième fonds pour les victimes de pillages à l’occasion des manifestations politiques enregistrées lors des législatives de 2013 conformément à l’accord du 20 Août 2015.
Les parties prenantes au dialogue proposent que les indemnisations se fassent graduellement et puissent avoir lieu au plus tard le 30 Juin 2017 après que ces fonds aient été budgétisés dans la loi de finances.
Des structures vont être crées et domiciliées au MATD et alimentées par l’État ainsi que les partenaires techniques et financiers. Les 2 parties sont convenues de formuler des modalités qui seront retenues ultérieurement sur le fonctionnement des différents fonds. Autrement dit on verra plus tard, comment cela va fonctionner. Donc rien ne dit en effet, que même si le principe est acquis, l’indemnisation ne sera pas quasiment symbolique et partagée entre des victimes de la mouvance et de l’opposition.
À titre personnel, je considère que cela ressemble à un « deal entre amis », car deux problèmes majeurs restent en suspens :
- d’une part, pourquoi se limiter aux crimes d’Août 2013 et non ceux d’Avril 2011 à Octobre 2016 ?
- d’autre part, comment identifier les victimes et les responsables du dommage ?
Dès lors qu’on laisse la possibilité à des politiciens de régler la situation, des marchandages ont lieu. D’ailleurs Lansana Komara (Secrétaire du RPG), précise que « on ne peut pas indemniser une victime si elle n’est pas identifiée, il faut que la victime soit identifiée alors, la question est de savoir qui va identifier les victimes. D’ailleurs, quand nos amis d’en face nous disent qu’ils sont victimes, nous sommes aussi victimes et le gouvernement est également victime car, pendant les manifestations des élections législatives de 2013, les gens ont tiré à bout portant sur les hommes en uniforme. C’est clair et visible, il y a eu des blessés de balles. Donc, chacun est entrain de trier la couverture de son côté donc, pour se faire, il serait bon de commettre la justice pour savoir qui a tiré sur qui et qui a perdu quoi et qu’est ce qu’il faut pour évaluer les pertes ».
En résumant, la mouvance considère que les victimes des manifestations sont ceux du RPG et du gouvernement, ce qui sous-entend soit que ceux-là recevront de l’argent en dédommagement, soit qu’il faut laisser tomber cette demande d’indemnisation en vertu du principe inique selon lequel les coupables deviennent des victimes et inversement. Non seulement, il met en avant une liste de victimes datant de Mars 2012, alors qu’on parle des élections législatives de 2013, mais on ne sait pas d’où elles sortent. Enfin, Lansana Komara, spécialiste des fumisteries, précise que « ses » victimes le sont, à cause des partis d’opposition, oubliant qu’en Guinée, un parti ne peut être poursuivi pénalement.
D’ailleurs, le RPG a pris les devants pour expliquer qui sera chargé de l’identification des victimes, tout en précisant que « nous sommes tous victimes, les victimes ne sont pas seulement dans un seul camp… Donc, le problème d’identification des victimes revient au MATD, au ministère de la justice, à celui de l’économie et des finances » car « on ne peut pas confier cela à un groupe d’hommes, sinon ils vont faire des chiffres faramineux et on ne s’en sortira pas », argumente Lansana Komara.
En conclusion, il n’est pas du ressort des politiciens de décider de l’indemnisation de certaines victimes (et pas d’autres), mais plutôt à la justice, à l’issue d’un procès équitable et contradictoire, car seul le juge est habilité à identifier les responsables de pillage, ceux-ci ayant alors l’obligation de réparer financièrement.
Concernant la libération des prisonniers politiques »
La déclaration finale est la suivante : « afin d’apaiser le climat socio-politique, les parties sollicitent que des mesures d’indulgence soient prises pour libérer les personnes arrêtées et condamnées à l’occasion des manifestations politiques, conformément à l’esprit du Dialogue. Cependant, ces mesures de libération ne concernent pas les personnes condamnées pour des crimes de sang. De même, les parties sollicitent la diligence des procédures pour les personnes poursuivies à l’occasion desdits évènements conformément à l’esprit du dialogue ».
L’opposition considère donc que ce point est résolu alors que le gouvernement précise au contraire que ces mesures de libération ne concernent pas les personnes condamnées pour des crimes de sang, et qu’on ne peut que solliciter la diligence des procédures pour les personnes poursuivies à l’occasion desdits évènements. Autrement dit, on ne va pas les libérer comme cela, mais après jugement… et si les magistrats le décident.
Comme la date des jugements est à la discrétion « illégale » du gouvernement, qui viole systématiquement la loi (se référer à l’affaire Nouhou Thiam), rien n’est fait encore. Ceux qui osent affirmer que la Guinée est une démocratie, ne sont pas gênés pour détenir des prisonniers politiques.
Concernant les garanties de l’application des accords
À la question de savoir quelle garantie l’opposition possède, pour que ces accords soient respectés, Cellou Dalein Diallo a répondu que l’opposition disposait de 2 garanties :
- la première est que le PRG s’est engagé publiquement devant tous les Guinéens et la communauté internationale,
- la seconde est que l’UFDG ne renoncera jamais à son droit à la manifestation.
On rappelle qu’Alpha Condé s’est engagé maintes fois devant les Guinéens, mais cela n’a pas été suivi d’effets. Quant au droit à la manifestation, il est malvenu. À titre personnel, je considère qu’il faut utiliser la voie pacifique judiciaire (à la Cedeao), et n’utiliser ensuite la manifestation que pour chasser un régime, qui ne respecterait pas les décisions judiciaires.
Enfin, il est prévu la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre du présent accord, présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire, et composé de 3 représentants de la mouvance, 3 représentants de l’opposition et un représentant du MATD. Des représentants de la société civile (2) et de la Communauté Internationale (Cédéao, OIF, ONU, Union Européenne, Ambassades des États-Unis et de France) y participeront en qualité d’observateurs). Chacun observera immédiatement que la parité n’est déjà pas respectée.
Conclusion
Le seul aspect positif de ces accords, est le fait de discuter de façon apaisée de certains points litigieux, mais il aura fallu montrer ses muscles pour y parvenir. Mais on a la désagréable impression que ce dialogue n’a pour but que d’offrir à Alpha Condé le temps de se refaire une « santé » sur le plan financier (actuellement la situation est désastreuse) et politique, pour préparer la fraude qui lui fera gagner, aux prochaines législatives, la majorité absolue. Et cette majorité pourrait lui permettre de prolonger « légalement » son mandat, voire de modifier la Constitution pour rester à vie au pouvoir.
En effet, comme d’habitude, l’opposition s’est contentée de prendre pour argent comptant les déclarations d’intention du pouvoir. Quelqu’un peut-il m’expliquer en effet, quelle est la différence entre les engagements d’Août 2013 et ceux d’aujourd’hui ?
Venue avec un tas de revendications, l’opposition n’a pu – comme à l’accoutumée – obtenir satisfaction, se contentant d’un compromis (ou d’un diktat), en se conformant aux propositions de l’adversaire tout préparé à le mener en bateau, ce qui fut fait, de main de maître :
- la réforme de la CENI, on verra plus tard,
- la refonte du fichier électoral, on verra après les élections,
- l’indemnisation de certaines victimes, c’est le MATD qui s’en occupe,
- la création de la Haute Cour de justice, c’est comme si c’était fait (mais ce n’est pas fait),
- la libération des prisonniers politiques, la justice s’en occupe,
- l’identification des criminels, la justice va s’en occuper…
Bref, mis à part les élections locales, sur lesquelles la mouvance et l’opposition se sont entendues (voir texte à venir), rien de concret à se mettre sous la dent. Tout à l’air de dépendre que de la seule volonté d’Alpha Condé. Or moi je ne crois pas un seul instant en cet individu (je rêve de me tromper), d’autant qu’il doit s’appuyer sur le RPG, apparemment hostile à ces évolutions, qui consacreraient leur défaite.
Mais il convient également d’examiner pourquoi de nombreux partis contestent des violations constitutionnelles, mais uniquement celles relatives aux élections et pas celles – nombreuses – évoquées ici !!!
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
1 À partir du 5 Octobre pour 2 mois maximum.
2 On rappelle que les 6 préfectures de la Haute Guinée, ainsi que celle de Beyla et de Matoto suffisent pour faire élire Alpha Condé, quels que soient les résultats des autres préfectures.
3 La session budgétaire d’Octobre est notamment, mais pas exclusivement, relative au vote de la loi de finances. Elle démarre le 5 Octobre pour 2 mois maximum.
4 À partir du 5 Avril pour un mois maximum.