Cellou Dalein Diallo sur RFI : en Guinée, « le pouvoir veut créer l’anarchie »

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 « Publiez les vrais résultats des élections locales du 4 février », scandent les « amazones » de Guinée Conakry, qui réclament aussi justice pour les 94 manifestants tués par les forces de l’ordre depuis avril 2011. Ces « amazones », qui manifestent presque tous les jours à Conakry, sont des militantes de l’Union des forces démocratiques de Guinée, l’UFDG. Quelle est leur stratégie ? En ligne de Conakry, le chef de l’UFDG, l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Après plusieurs semaines de manifestations, le parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), vous accuse de vouloir créer l’anarchie pour déstabiliser le régime d’Alpha Condé.

Cellou Dalein Diallo Je pense que c’est le pouvoir qui veut créer l’anarchie dans la mesure où le pouvoir a instrumentalisé les commissions de centralisation des votes pour s’octroyer des victoires qu’il n’a pas eues dans les urnes. Nous, nous détenons les PV des bureaux de vote qui donnent les vrais résultats issus des urnes. Et les résultats publiés par la centralisation sont en faveur du pouvoir et ne reflètent nullement la vérité des urnes. Donc il faut qu’on nous restitue les suffrages qui ont été volés et qui ont été transférés au parti présidentiel.

La Commission électorale nationale indépendante, la Céni, affirme avoir fait de son mieux et avoir restitué la vérité des urnes.

Ce n’est pas du tout vrai. Nous avons des pièces à conviction. Les résultats à la sortie des urnes ont été complètement transformés au niveau de centralisation,  avec la complicité active des magistrats chargés de superviser lesdites commissions. Et lorsque nous avons introduit les recours près des tribunaux, les tribunaux sous l’effet de l’intimidation et de la corruption ont validé cette fraude.

Justement est-ce parce que vos recours ont été rejetés que vous essayez aujourd’hui de contester les résultats dans la rue ?

Exactement. Nous contestons les résultats dans la rue dans la mesure où nous détenons des preuves irréfutables. Les magistrats n’avaient pas le droit d’écarter des PV simplement parce que l’opposition était largement majoritaire dans les bureaux de vote concernés. Les magistrats n’avaient pas non plus le droit de falsifier les résultats de certains PV.

Le chef du groupe parlementaire du parti au pouvoir RPG vous accuse d’avoir un agenda caché afin d’arriver au pouvoir avant la présidentielle de 2020.

Ce n’est pas vrai. Je prépare 2020. Je ne veux pas que les gens, les militants, les citoyens guinéens pensent que, même lorsqu’ils ont voté, le pouvoir peut leur prendre leur suffrage sans que nous nous puissions défendre leur vote. Ce n’est pas possible parce que, en 2015, avec le « Un coup KO »,  c’était exactement la même chose. En 2010, vous le savez, en 2013, on ne peut plus accepter cela.

Mais concrètement, si vos recours devant la justice ont été rejetés, qu’est-ce que vous espérez ?

A un moment donné, nous avions parlé avec le président. Alpha Condé a dit que, si nous pouvons mettre en évidence justement des pièces à conviction qui prouvent que les résultats issus des urnes n’ont pas été reflétés dans les résultats proclamés, il pourrait trouver une solution politique. Il a invité la Céni à nous recevoir et à examiner en tant qu’expert électoral les pièces que nous avons. Le président de la Céni a fait un communiqué et nous a invités. Nous sommes entrés dans cet exercice, mais après il a reçu des instructions contraires et il nous a dit qu’il ne peut plus continuer l’exercice.

Donc pour l’instant, cette rencontre avec le président de la Céni n’a rien donné ?

On s’était rencontrés, on s’était mis d’accord avec lui. Il a compris sa lettre de mission, mais c’est après que certains sont venus dire encore au président que ce n’était pas bon, que cela risquait d’humilier les magistrats qui ont aidé le parti présidentiel et que, s’il le faisait, la prochaine fois les magistrats n’allaient pas aider le parti présidentiel.

Donc aujourd’hui, c’est l’impasse ?

Aujourd’hui, c’est l’impasse parce que, si ces pratiques continuent à prospérer, il n’y a aucun intérêt d’aller aux élections lorsque le  pouvoir réussit à faire proclamer les résultats qu’il veut. Parce que la justice est inféodée. Et lorsque c’est le cas, qu’il y a une faillite des institutions, le président de la République doit prendre des dispositions pour les corriger. En tant que clé de voûte des institutions, c’est lui qui est chargé de veiller au bon fonctionnement de toutes les institutions.

Après les élections locales, vous avez appuyé votre mouvement de contestation sur la crise sociale. Mais maintenant que la grève des enseignants est terminée, est-ce que l’élan de ces dernières semaines n’est pas brisé par la reprise du travail des enseignants ?

Non, pas du tout. Ce n’est pas pour rien que le pouvoir essaie d’empêcher nos marches. Au sein du pouvoir, ils savent que ce sont des marches qui sont généralement suivies. Il a fallu qu’on marche pour avoir droit à ces élections locales. Le peuple s’est beaucoup sacrifié. Inutile de vous rappeler qu’elles devaient avoir lieu en 2011. Monsieur Alpha Condé a refusé de les organiser en nommant, dans les collectivités, les militants zélés de son parti pour faire la propagande du parti présidentiel et organiser la fraude à l’occasion des élections nationales. C’est au forceps qu’on a obtenu que ces élections locales soient organisées. Et là, des dispositions pour la fraude ont été aussi prises. On ne peut pas accepter ça.

Ca y est, les élections locales sont passées, les chefs de quartier ont été nommés. Est-ce que votre lutte n’est pas maintenant un combat d’arrière-garde ?

Non, les chefs de quartier ne sont pas nommés, ne sont pas désignés. Les conseils communaux ne sont pas encore installés. On attend que ce contentieux électoral soit vidé, soit résolu parce que c’était une sanction sévère contre monsieur Alpha Condé dans les bureaux de vote et dans les quartiers, notamment au niveau de Conakry et en Basse-Guinée où il a perdu dans toutes les communes. C’est ça l’enjeu aussi.

Le 8 mars 2018, le président Alpha Condé a promis d’être à l’écoute de tous les mécontentements, de lutter beaucoup plus ardemment contre la corruption, de faire un grand remaniement gouvernemental. Est-ce que cela ne prouve pas qu’il est à l’écoute de la population ?

Cela ne suffit pas. Cela ne suffit pas de faire des professions de foi ou des promesses. Il n’a pas la réputation de respecter ses engagements parce que vous savez bien qu’aujourd’hui la corruption fait des ravages importants dans la gestion des ressources publiques. S’il est décidé à lutter contre la corruption, naturellement on va approuver. Mais ce n’est pas le changement du gouvernement qui va résoudre le problème. C’est lui-même. Parce que ceux qui s’enrichissent, c’est dans son entourage, ce ne sont pas nécessairement des membres du gouvernement. Ceux qui bénéficient des marchés à gré à gré avec des surfacturations indiscutables, ce sont des gens de son entourage, ce sont ses amis. Si vous prenez les secteurs de l’électricité, le secteur des travaux publics, la Banque mondiale a fait une étude qui a mis en évidence que 91% des marchés publics ont été faits par entente directe, sans faire appel à la concurrence. Donc la lutte contre la corruption requiert de sa part vraiment des mesures hardies, mais je ne le crois pas en mesure de les prendre

La Constitution interdit à Alpha Condé de se représenter en 2020. Mais beaucoup lui prêtent l’intention de réviser la Constitution. Est-ce que vous lui prêtez aussi cette intention ?

Oui, je lui prêtais cette intention, mais je pense que le message qui lui a été délivré à l’occasion de ces élections locales devrait l’en dissuader parce que cela a été vraiment un échec total, notamment dans la capitale où il n’a gagné dans aucune commune. Et en Basse-Guinée qu’il considérait souvent comme son fief, il n’a gagné dans aucune commune urbaine non plus, parce que là, la surveillance était possible, la sécurisation a bien marché. Dans les bureaux de vote, il n’a pas pu.

Voulez-vous dire que, malgré la fraude, votre parti a remporté un certain nombre de victoires qui lui permettront d’avoir suffisamment de chefs de quartier pour peser sur la présidentielle de 2020 ?

Oui, à Conakry, selon les résultats officiels qui sont truqués, nous avons gagné 69 conseillers pour la capitale. Alpha Condé en a 47. Et au niveau des quartiers, naturellement, l’UFDG aura plus de la moitié des quartiers sous son contrôle. Maintenant en dehors du Fouta, qui est mon fief, si j’ai gagné à Conakry lors des élections locales, c’est parce qu’effectivement, il y a eu un changement. Il y a beaucoup de gens qui sont déçus de la gouvernance d’Alpha Condé et qui ont voulu le sanctionner en votant UFDG. C’est ce qui me donne le bon score au niveau de la capitale et dans certaines régions de la Basse-Guinée, comme Kindia, comme Boké, comme Kamsar, comme Dubreka où j’ai largement gagné.

C’est ce qui vous rend confiant pour la présidentielle de 2020 ?

Cela en fait partie, ce n’est pas tout. Mais ça ne me dispensera pas d’aller à la conquête des autres qui sont déçus d’Alpha, mais qui hésitent à venir à l’UFDG. Je vais aller vers eux, je vais les rassurer pour qu’en 2020, je puisse quand même l’emporter dès le premier tour.

Oui, sauf si Alpha Condé fait modifier la Constitution et se présente ?

Là oui, c’est sûr qu’il a entretenu une ambiguïté suspecte par rapport à ce troisième mandat. Tout le monde savait qu’il avait cette intention. Est-ce que les résultats qu’il a eus pendant ces élections locales vont le dissuader ou va-t-il persister ? Je sais que la population guinéenne n’acceptera pas.

Source : RFI

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