La première partie supprimée de cet article, consacrée à la confusion faite par le Parquet guinéen entre (constatation du) « flagrant délit » et « procédure de flagrance », a été brillamment traitée par M. Ibrahima SoryMakanéra. Vu que je ne saurais faire mieux et pour éviter la longueur de ce texte, il sera fait référence à l’excellent papier de M. Makanéra : http://www.guineepresse.info/index.php?id=14,17273,0,0,1,0)…
{jcomments on}
Dudit papier, il ressort que le temps maximum qui s’écoule depuis la perpétration du délit et les actes d’instruction (par exemple l’arrestation) ne soit que le temps matériellement nécessaire pour permettre leur accomplissement. Ainsi l’ « enclenchement » de la procédure de flagrance doit être très rapide et sans interruption. Ce n’est qu’une question de minutes et d’heures (« temps très voisin »). C’est la procédure de flagrance engagée APRES la constatation du flagrant délit qui peut durer pendant 8 jours en France (renouvelable sous certaines conditions) et selon le nouveau Code de Procédure Pénale Guinéen (pas encore en vigueur, pour des raisons contraires aux Articles 78 et 81 de la Constitution) : « A LA SUITE DE LA CONSTATATION d’un crime ou d’un délit flagrant, l’enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de 10 JOURS, renouvelable deux fois, dès lors qu’il n’existe pas de garde-à-vue. » (Article 63, Alinéa 4).
Il m’apparait nécessaire de rappeler, ici, que l’objectif de l’immunité parlementaire ne consiste pas à mettre « le député au-dessus des lois » mais de « préserver la séparation des Pouvoirs » (un bien constitutionnel très sacré). Il s’agit d’éviter que les pouvoirs Exécutif (procureur) et Judiciaire n’entrave le bon fonctionnement du Législatif ou prive arbitrairement un représentant du Peuple d’accomplir sa tâche. En principe, en cas de poursuite d’un député par l’un des 2 premiers Pouvoirs cités, le 3ème Pouvoir statue pour permettre ces poursuites ou pas : C’est l’immunité parlementaire. Et cette immunité parlementaire a un caractère D’ORDRE PUBLIC !!!
Même en cas de simple doute de la « flagrance » (exception), c’est la règle générale (immunité) qui est à retenir. Vu que le « flagrant délit » ne constitue qu’une exception à la garantie constitutionnelle qu’est l’immunité parlementaire, il (le flagrant délit) devrait nécessairement être interprété de manière restrictive (tout comme le droit pénal). En somme, le « flagrant délit » devrait être vraiment « flagrant » ! En effet, en vertu de la hiérarchie des normes, la Constitution prévaut sur le Code de Procédure Pénale. Autrement dit: En cas de doute sur une protection constitutionnelle, celle-ci doit être accordée.
Aussi le député Ousmane Gaoual Diallo devrait-t-il jouir de son immunité parlementaire ! Ainsi la procédure de flagrance est illégale.
Qu’en est-il de sa mise à garde-à-vue ?
Il est primordial de noter que la privation de la liberté constitue l’exception. Raison pour laquelle toute privation de liberté est soumise à de strictes conditions. Et la garde-à-vue en est une. Elle est encadrée par l’article 62-2 du Code de Procédure Pénal (CPP) français, intégralement repris par l’article 85 du nouveau CPP guinéen :
« Article 85 : La garde-à-vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. Cette mesure doit constituer L’UNIQUE MOYEN de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
1. permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2. garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
3. empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
4. empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5. empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
6. garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit ».
Dans le cas d’espèce, aucun de ces 6 points ne serait recevable. Vu que TOUTES les preuves (audio et vidéo) du délit dont est accusé le député sont sur la place publique, qu’il n’existe AUCUN risque (de sa part) de dissimulation et de destruction de ces preuves et que le risque de fuite est quasi-nul (le député s’est présenté en personne devant les autorités), cette garde-à-vue me parait illégal. Et ce indépendamment de la question de flagrant délit et d’immunité !
Seulement, il serait hasardeux de s’arrêter ici. Approfondissons la discussion ! Se focaliser sur la non-existence du « flagrant délit » et s’y figer, comme on l’assiste actuellement, ne suffit point. Et cela présente de très graves risques. Il suffirait que des policiers en civil assistent aux AG des partis politiques pour prendre « la main dans le sac », donc en « flagrant délit » indiscutable. Aussi m’apparait-il nécessaire d’aborder cet aspect avec un peu plus de rigueur.
Dans le cas du flagrant délit de vol ou d’atteinte à l’intégrité physique, par exemple, il existe des « symptômes objectifs » indiscutables, donc visibles et palpables par une autre personne en dehors de la victime et les preuves matérielles sont quasi-indéniables : objet volé, blessures, sang etc… Et tous les ingrédients de l’article 50 et suivants du CPP peuvent être « réunis »: être en « possession d’objets » incriminés, présenter en soi des « traces ou indices » laissant penser à la participation au crime ou délit, l’OPJ « se transporte sans délai sur le lieu du crime (ou du délit) et procède à toutes constatations utiles » Etc…
Par contre l’ « outrage » ou la « menace » reste à démontrer. Ces délits sont abstraits et TRES subjectifs. Quels sont les éléments objectivant l’existence du délit?Il appartient seulement au juge d’attester du caractère « injurieux » ou « menaçant » de propos. Ce sont des délits qui pourraient être qualifiés d’opinion.
Pour mieux illustrer cela, terre-à-terre :
Si (presque) tout le monde est d’accord que dire « Le Président est un salaud» est sans ambages une offense ou un outrage (sauf, peut-être, dans le cadre de la satire), que dire de : « le Président est un incapable », « Alpha grimpeur », « Le Président est incompétent », «Le Président est le violeur de la Constitution », «Le Président est un opportuniste »,« Le Président est myope », « Le Président a dilapidé les ressources financières, matérielles et humaines du pays », « Le Président est un voleur » ou « Le Président est un burkinabé » etc ? Ces phrases peuvent être considérées, en fonction des affinités politiques, comme un « outrage » ou la «vérité ».
Maintenant si je dis : « CDD est un incapable », « la Petite Cellule », « Le Président de l’UFDG est incompétent », «CDD est un violeur des Statuts et RI », «CDD est un opportuniste », « CDD a dilapidé les ressources financières, matérielles et humaines du Parti » (clin d’œil aux UFDGistes ayant qualifié ces paroles d’ « attaques répétées » contre leur président, motivant en partie des sanctions contre certains membres), « CDD est myope », , « CDD est un voleur »ou « CDD est un somalien », la plupart des personnes qui avaient considéré ces mêmes propos d’ « outrage » ou « d’injures » envers le Président ne trouveront rien à dire ici. Et vice-versa !
Ici, la porte de l’arbitraire est grandement ouverte. Pourtant tout le monde (sauf les Diallo, les Camara et les Djakanke comme Makanéralol) est d’accord quand il s’agit par exemple de qualifier un vol.
Par ailleurs, la liberté d’expression est consacrée, entre autres, par l’Article 7 de la Constitution : « Chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques. Il est libre d’exprimer, de manifester et de diffuser ses idées et opinions par la parole, l’écrit et l’image».
Ensuite, les partis politiques sont protégés par l’Article 3: « Les partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens, à l’animation de la vie politique et à l’expression du suffrage. Ils présentent seuls les candidats aux élections nationales.
Les droits des partis politiques de l’opposition de s’opposer par les voies légales à l’action du Gouvernement et de proposer des solutions alternatives sont garantis». La loi Organique sur la Charte des Partis Politiques et la Loi sur le Statut de l’Opposition leur accordent, entre autres, la liberté de se réunir (AG et autres),d’exprimer leur opinion sur toute question d’intérêt national et de critiquer le gouvernement, d’œuvrer pour l’alternance au pouvoir par des voies légales, bref de de disposer de l’espace qu’il leur est nécessaire pour participer pleinement et sans entrave à l’animation de la vie politique nationale». Etc…
Bien sûr, tous ces droits ont des limites quelque part. Mais, il serait incongru de laisser à l’appréciation d’un officier de police judiciaireou d’un procureur de fixer ces limites en recourant à la procédure d’exception qu’est la flagrance. Seul un juge, à la lumière de la Constitution et de nos lois est en mesure de statuer si ces bornes ont été franchies. Raison pour laquelle, il devrait être fait recours à la procédure judiciaire « normale » ou « ordinaire » dans (presque) TOUS les cas de délits d’opinion.
En engageant une procédure de flagrance contre un ELU du PEUPLE pour un délit dit d’opinion, on assiste à une GRAVE COLLISION entre « flagrant délit » (qui est encore une fois, une exception dans le code pénal) et certains biens ou droits constitutionnels, jouissant d’une TRES GRANDE PROTECTION OU GARANTIE CONSTITUTIONNELLE tels que l’immunité parlementaire (qui cimente la séparation des Pouvoirs et qui accorde des garanties au bon fonctionnement du Parlement élu au suffrage universel par le Peuple Souverain), la liberté d’opinion et d’expression, les droits des partis politiques… Ces biens constitutionnels font partie des piliers de l’Etat démocratique pluraliste (ou multipartite) et de l’Etat de Droit que notre pays est (selon notre Constitution).
Pour faire simple ou pour résumer : « Y a pas flagrant délit dans affaire-là, Messieurs les procureurs ! Ça peut pas! Ya pas moyen» 😉
PS: J’ai cru comprendre que le porte-parole du gouvernement a, lors d’une emission radio à grande écoute, insinué que le député Jean Marc Telliano aurait pu subir le même sort qu’Ousmane Gaoual s’il n’avait pas retiré ses mots qualifiés d’ « outrageant » ou d’ « injurieux » par la Mouvance. Je trouve cela très grave. Le ministre ne sait-il pas que l’Article 65 stipule: « Aucun membre de l’Assemblée Nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions de Député »? En effet, le député jouit d’une immunité absolue (Irresponsabilité), au niveau pénal et civil, pour tous ses actes (interventions, votes, propositions de loi etc..) liés à sa fonction. Bon, …