Aliou Barry: « tout dépassement du délai de la transition sans consensus entraînera une crise politique majeure » (Interview)

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Dans une grande interview qu’il a accordée à nos confrères de Mosaiqueguinee.com, Aliou BARRY, président des sociaux-démocrates de guinée évoque les questions de l’heure en Guinée et en Afrique. Le désormais leader politique s’est d’abord prononcé sur la gestion de la transition en Guinée par le CNRD. Il estime que les actes de développement sont plus visibles que les actes pour un retour à l’ordre constitutionnel alors que les deux pouvaient être menés de pair. Le spécialiste des questions de défense et de sécurité en Afrique s’exprime aussi sur l’épidémie de coups d’états qui sévit en Afrique de l’ouest plus particulièrement et donne des pistes de solutions pour y remédier. Il répond aux questions de Mohamed Bangoura.

Mosaiqueguinee.com : Que pensez-vous de la façon dont la transition est gérée par le CNRD ?

Aliou Barry (Président SDG) : Près de deux ans au pouvoir du CNRD, nombreux sont aujourd’hui les citoyens guinéens qui s’interrogent sur le respect ou non de la durée de la transition annoncée par la junte militaire. La place est donc aux interrogations sur le respect des dix étapes qui doivent mener au retour à l’ordre constitutionnel en Guinée. Les actes de développement sont plus visibles que les actes pour un retour à l’ordre constitutionnel alors que les deux pouvaient être menés de pair.

Quelle analyse faites-vous du décret relatif à la nomination des chefs de quartiers et de district ?

L’article 99 de la loi organique n°39 du 24 février 2017 stipule que la désignation des membres du Conseil de district ou de quartier est faite au prorata des résultats obtenus dans les districts et quartiers par les listes de candidature à l’élection communale. A ma connaissance ce texte n’a jamais été abrogé. par conséquent, ce décret relatif à la nomination des chefs de quartiers et de district enfreint donc les dispositions du code électoral révisé en date du 24 février 2017. Pourquoi prendre un décret pour traiter d’une question déjà réglée par la loi.

Que vous inspire le soutien de la junte guinéenne aux putschistes de Niamey ?

Depuis, le coup d’état au Niger le 26 juillet dernier, les pays ouest-africains se divisent entre les régimes militaires soutenant le putsch et ceux qui appellent au rétablissement de l’ordre constitutionnel. Une délégation de la junte au Niger a été reçue à Conakry par les autorités militaires guinéennes, auxquelles elle a demandé un soutien renforcé pour affronter les défis à venir. Le président de la transition, le colonel Mamadi Doumbouya, dont le régime est également issu d’un putsch a apporté son soutien à la junte nigérienne. Je n’y vois là qu’une sorte de solidarité entre juntes militaires issues de coups d’état.

4- Faut-il craindre un dépassement de la durée de 2 ans de transition conclue avec la CEDEAO?

Selon le programme détaillé par le CNRD, la fin de la transition doit passer par :

-le recensement général de la population ;

-le recensement administratif à vocation d’état-civil ;

-l’établissement du fichier électoral ;

-l’élaboration de la nouvelle constitution ;

-l’organisation du scrutin référendaire ;

-l’élaboration des textes de lois organiques ;

-l’organisation des élections locales puis législatives ;

-la mise en place des institutions nationales issues de la nouvelle constitution, et enfin l’organisation de l’élection présidentielle. Aucun calendrier précis n’est fourni pour cet agenda, dès lors il n’est pas exclu qu’il y ait un dépassement. Et s’il y a glissement comme disent les citoyens, quelle sera la réaction des acteurs politiques et de la société civile ? Ce qui reste évident, tout dépassement du délai de la transition sans consensus entraînera une crise politique majeure dont je ne peux mesurer les conséquences.

5-Quelles pistes de solutions pour remettre la transition guinéenne sur les rails ?

La violence politique et le manque de confiance des acteurs politiques dans le dispositif électoral ont toujours été des motifs d’inquiétude en Guinée. La Guinée ne peut plus se permettre un bricolage du système électoral ni une nouvelle campagne fondée sur des arguments ethniques. Il est impératif pour une stabilité durable dans le pays, qu’on parvienne à un véritable accord entre l’ensemble des acteurs politiques sur les modalités des élections à venir. Les soupçons que suscite toujours le dispositif électoral pourraient aggraver les tensions et entraîner des violences intercommunautaires. Tout doit être fait afin que les prochains scrutins électoraux se fassent dans la transparence la plus totale. Une nouvelle période d’instabilité électorale pourrait s’avérer dangereuse pour le pays, c’est pourquoi, la junte au pouvoir, l’opposition et les acteurs de la société civile doivent engager un dialogue au plus haut niveau sur l’ensemble du dispositif électoral.

Quelle est votre analyse de la situation au Niger ?

Le président Bazoum, élu démocratiquement en 2021, a été renversé le 26 juillet 2023 par un coup d’État mené par un groupe de militaires autour du chef de la garde présidentielle le général Omar Tchiani. Toute l’histoire politique du Niger est jalonnée de Coups d’Etat. Depuis l’indépendance en 1958, quatorze ans de parti unique ont été interrompus par l’irruption de l’armée, omniprésente dans la vie politique du pays de 1974 à 2010. Les militaires nigériens se sont toujours comportés en arbitre de la vie politique. Donc rien d’étonnant à ce énième coup d’état au Niger. Aujourd’hui, dans la sous-région, les juntes militaires ont pris le pas sur des démocraties jugées inefficaces et corrompues par une partie des populations. Les régimes militaires sont une fausse solution à un vrai problème de gouvernance des États en Afrique de l’Ouest.

Êtes-vous favorable à l’intervention militaire de la CEDEAO

La CEDEAO envisage une intervention militaire qui est loin d’être un succès garanti car, aucun calendrier ni modalité d’intervention n’ont été dévoilés. Et face aux voix discordantes au sein même de l’Organisations sous-régionale, nombreux sont les experts qui mettent en doute la faisabilité d’une telle intervention. Aussi, la CEDEAO ne s’est jamais entendue sur le type de missions spécifiques que doivent faire sa force anti-coup d’état et qui n’a pas été pensée pour rétablir l’ordre constitutionnel dans un pays où il y a eu un putsch. Par ailleurs, les États de la sous-région sont très attachés à leur souveraineté et notamment dans les affaires de sécurité et de défense. Aussi, une telle force mobilisera d’après des experts militaires de la sous-région, 3 000 à 4 000 soldats. Un tel effectif sera difficile à mobiliser dans des armées qui sont fragiles et manquent de moyens. Par ailleurs des dissensions sont visibles au sein des pays de la sous-région. En effet, de nombreux pays comme, le Burkina, le Mali ont fait part de leurs réserves estimant qu’une telle intervention serait une déclaration de guerre faite au Niger. L’Algérie voisine a également estimé qu’une action militaire seraitune menace directe pour sa propre sécurité

Quelles approches de solutions aux coups d’Etat en Afrique de l’ouest et en Afrique en général ?

La résurgence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’explique par le fait que le terrain est fertile avec la question sécuritaire qui a favorisé le terreau pour ces coups d’Etat, mais aussi par la faillite même de la démocratie électorale en Afrique. Mais la première cause de la recrudescence des coups d’État en Afrique de l’Ouest est sans doute liée à la carence de la démocratie dans l’espace communautaire. En effet, la démocratie et l’alternance peinent à s’imposer comme règle du jeu politique dans la région ouest-africaine. C’est pourquoi, pour prévenir les coups d’état dans la sous-région, il faut impérativement traiter les causes de la carence démocratique et surtout revoir la place et le rôle des armées. Il est urgent que l’institution sous-régionale se penche sur la gouvernance militaire, l’efficacité et la mission des armées, bref, des armées, comment et pourquoi faire en Afrique de l’Ouest. Il est temps de se pencher sur le rôle et la place des armées dans des Nations en plein processus de démocratisation. Le contrôle civil de l’armée dans les pays d’Afrique de l’ouest se pose avec acuité et, l’organisation sous-régionale doit pouvoir prévenir les situation de crise dans les pays membres, mener une politique de prévention de crise politique et être à l’écoute des populations.

Au niveau national, dans mon ouvrage sur l’armée guinéenne, j’évoquais déjà la restructuration de l’outil de défense nationale. Au regard de la situation sécuritaire du pays, aucune autre alternative n’est offerte aux prochains dirigeants de la Guinée sinon celle de réorganiser fondamentalement les forces de défense et de sécurité afin de mettre en place un nouvel outil de défense nationale répondant aux besoins de sécurité nationale. Au niveau de notre parti nous y travaillons pour fonder les bases d’une armée républicaine où le soldat guinéen aura prêter serment de fidélité non pas à un homme mais à la Constitution et aux Institutions.

Interview réalisée par Mohamed Bangoura

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Gandhi
Gandhi
20 août 2023 23:19

Il est de notoriété publique que des militaires putschistes ne quittent le pouvoir que lorsqu’on les y oblige. Ils ne le font pas d’eux-mêmes.

Kaou Labe
Kaou Labe
19 août 2023 17:29

 » Depassement du délai de transition  » ! Pensez-vous que ces bidasses , ayant goûté au  » Nectar  » du Pouvoir vont s’en allé par des HALLELUJAH ? Attendez toujours ! S’ ils partent en temps prévu , pas de doutes la dessus , il y aura une NOUVELLE CRIEF ( qu’ils ne contrôleront pas ) . Leurs Biens , et eux même , seront rattrapés par CE MONSTRE . ILS LE SAVENT . GLISSEMENT , absolument , il y en aura . Et puis , ces zozos , vont nous entraîner dans une idiotie pas possible :(DEFENDRE le NIGER… Lire la suite