Dans cet entretien informel et à bâtons rompus, Cellou Dalein Diallo, le leader de l’opposition républicaine en Guinée, exprime sa déception après la mascarade électorale, selon lui, du 11 octobre 2015 ; détaille les fraudes et les violences subies par les militants de son parti, l’UFDG, l’Union des forces démocratiques de Guinée, au cours du premier quinquennat du président Condé Alpha ; porte un jugement sans appel sur le pouvoir dictatorial, estime-t-il, de ce dernier ; regrette l’inaction de la communauté internationale, voire la complicité de celle-ci avec le pouvoir guinéen ; déplore la défection de Sidya Touré ; rappelle à Bah Oury ses obligations ; et esquisse sa nouvelle stratégie pour 2015-2020 qu’il explicitera à l’occasion de son adresse solennelle à la nation guinéenne lors de sa prochaine rentrée politique pour le nouvel an 2016…
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Son état d’esprit après le scrutin présidentiel du 11 octobre 2015
Je suis déçu. Déçu du fait qu’il n’y a pas eu d’élection démocratique mais une véritable mascarade électorale. Je me suis engagé en politique dans le but d’établir la démocratie dans notre pays, pour bien entendu conquérir le pouvoir et engager les réformes nécessaires à l’amélioration des conditions de vie de nos populations. J’aurais souhaité que les suffrages exprimés par le peuple soient respectés, ce qui n’a pas été le cas lors de ce scrutin du 11 octobre. Les préfets, les sous-préfets, les gouverneurs, les ministres, les membres des institutions républicaines, les juges, les fonctionnaires, ont tous été obligés de se mobiliser pour participer de manière active à la fraude massive qui a caractérisé ce scrutin.
Le fichier électoral a totalement faussé le verdict des urnes
Depuis 2013, le pouvoir d’Alpha Condé s’est engagé dans une entreprise de recensement massif des mineurs dans ses fiefs, c’est-à-dire en Haute Guinée. Si bien qu’entre 2010 et 2015, on a constaté un accroissement de plus de 80% du corps électoral dans cette région, alors que la moyenne nationale ne s’est accrue que de 40% (soit le double). Entre 2010 et 2015, le corps électoral de la région administrative de Kankan a augmenté de 44% alors que pour l’ensemble de la nation, y compris Conakry, l’accroissement n’a été que de 17%. A l’heure actuelle, le corps électoral de la Guinée représente 57% de la population totale, contre 40% en 2010. Je rappelle qu’au Sénégal, cette proportion est de 38%. En Côte d’Ivoire, compte tenu du grand nombre d’étrangers, ce taux est de 30%. On voit clairement la surévaluation du corps électoral en Guinée.
En Haute Guinée, on a sorti les élèves des écoles primaires pour les recenser et les inscrire sur la liste électorale. L’UFDG a dépêché ses députés et des missions dans cette région pour constater les faits. Nous avons dénoncé cette opération d’enrôlement des mineurs. Nous avons attiré l’attention de la communauté internationale. Malheureusement il n’y a eu aucune réaction.
Lorsque les résultats de ce recensement sont sortis, l’ambassade des Etats-Unis a parlé d’« anomalie statistique ».
Lors du dialogue qui a conduit à l’Accord du 20 août 2015, toutes les parties se sont engagées à ce que le fichier électoral soit assaini, c’est-à-dire extirper de la liste électorale toutes les personnes indûment enrôlées, notamment les enfants. Parmi les parties à l’Accord, il y avait l’opposition républicaine, le gouvernement, la mouvance présidentielle, les ambassades des Etats-Unis, de France et de l’Union européenne, ainsi qu’Ibn Chambas, représentant des Nations unies. Toutes ces parties ont signé l’Accord. Nous avons sollicité l’appui d’experts des Nations unies et de la CEDEAO. Il a été dit qu’on ne pouvait pas déterminer l’âge d’un électeur à partir de sa photo. Il fallait donc aller sur le terrain pour reprendre le recensement. Mais, pour M. Alpha Condé, la date de l’élection présidentielle qu’il avait fixée unilatéralement au 11 octobre 2015 était immuable. Donc, cette opération d’assainissement n’a pas eu lieu. On est allé au scrutin avec ce fichier totalement corrompu. Toutes les parties à l’Accord avaient admis que le fichier n’était pas bon. Malheureusement, la communauté internationale n’a pas exercé sur le pouvoir Alpha Condé la pression qu’on attendait d’elle.
Tout le monde savait que le fichier électoral était mauvais, mais l’opposition est allée quand même à l’élection présidentielle
Lorsque nous n’avons pas obtenu l’assainissement du fichier électoral, il s’est posé la question de savoir s’il fallait aller à cette élection. Les sept candidats face à Alpha Condé ont unanimement décidé qu’ils ne participeraient pas à l’élection. Malheureusement, parmi nous, il y a eu des défaillances. Par la suite, l’UFR de Sidya Touré a dit que, dans tous les cas, il participerait à la consultation. A partir du moment où un seul de ces sept candidats décidait d’y aller, il n’était plus possible de procéder au boycottage des urnes.
A l’UFDG, nous avons estimé que, compte tenu de l’impopularité de M. Alpha Condé, même avec le handicap du fichier électoral, il était possible de battre le sortant si le scrutin se déroulait normalement, c’est-à-dire dans la transparence.
Nous avons décidé de nous investir dans la sécurisation du suffrage, pour nous assurer que dans chaque bureau de vote il y aurait un représentant de l’UFDG pour empêcher le bourrage des urnes et le vote des mineurs. Nous avons recensé 4 000 jeunes que nous avons formés et déployés sur l’ensemble du territoire national, y compris dans les fiefs de M. Alpha Condé, en Haute Guinée. Mais, à leur arrivée dans cette région, ils ont été arrêtés, battus et parfois même enfermés. De telle sorte qu’ils n’ont pas pu accomplir leur mission de sécurisation du suffrage. C’est ainsi que nous n’avons pas pu empêcher le bourrage des urnes. On a noté des taux de participation de 96%, voire 98% dans les fiefs de M. Alpha Condé.
A Mandiana et à Kérouané, le RPG appuyé par les autorités administratives a refusé qu’il y ait des représentants de l’opposition dans les bureaux de vote. Dans chaque bureau, les deux assesseurs étaient désignés par le RPG.
Les ministres ressortissants, les préfets et sous-préfets, les gouverneurs, les officiers supérieurs de l’armée, les juges et les fonctionnaires étaient tous mobilisés pour organiser cette fraude électorale massive.
La Cour constitutionnelle n’est pas un recours crédible
Le jour du scrutin, vers 16 heures, la CENI a diffusé un communiqué disant qu’il ne fallait plus se référer à la liste électorale : tout détenteur d’une carte électorale était autorisé à voter et il ne fallait plus émarger sur la liste. En Haute Guinée, ce communiqué a été falsifié dans son interprétation : tout détenteur d’une carte électorale de 2013 ou de 2015 pouvait voter.
Il n’y a aucun recours. Faya Millimouno et Lansana Kouyaté ont recouru à la Cour constitutionnelle, ce qui n’a rien donné.
Le manque d’action de la communauté internationale et son parti-pris pour le pouvoir d’Alpha Condé
Les représentations diplomatiques des Etats-Unis et de la France ont été parties prenantes à l’Accord du 20 août 2015. Un premier projet a été préparé et soumis à l’opposition. Le RPG et ces parties ont signé sans la participation de l’opposition. C’est la première fois que, dans une négociation, les témoins signent alors que les parties à l’accord ne signent pas.
Le pouvoir a dit qu’il était impossible d’organiser les élections locales avant la présidentielle. On a fini par accepter cette décision capricieuse et inadmissible.
L’Accord du 20 août 2015 prévoyait que les délégations spéciales soient recomposées à la lumière des résultats de la proportionnelle lors des élections législatives de septembre 2013. M. Alpha Condé a dit que même ce compromis ne serait pas appliqué avant l’élection présidentielle.
Le mandat des élus communaux est échu depuis décembre 2010. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, il n’y a pas eu besoin de recourir à des manifestations de rue pour obtenir que les élections locales soient tenues.
M. Alpha Condé s’est arrangé pour faire diriger toutes les collectivités locales par son parti, le RPG. Toutes les communes rurales et urbaines étaient dirigées par des représentants du RPG ou des personnes qui ont été obligées d’y adhérer. Or, ce sont eux qui distribuent les cartes électorales, composent les bureaux de vote et transportent les résultats.
Nous avons déploré le manque d’action de la communauté internationale pour amener M. Alpha Condé à respecter les engagements pris dans le cadre de l’Accord du 20 août 2015.
Bilan des violences exercées par le pouvoir Alpha Condé contre l’opposition depuis 2010
Depuis 2010, 76 militants de l’UFDG ont été tués par les forces de l’ordre par balles et à bout portant lors des manifestations pacifiques ou le lendemain, parfois dans leur domicile, sans jamais qu’aucune enquête ne soit diligentée par les tribunaux, malgré les engagements pris par le pouvoir lors des accords du 3 juillet 2013. L’Etat s’était engagé à identifier les auteurs des crimes et à indemniser les familles des victimes. Rien de tout cela n’a été appliqué.
Lors de la campagne présidentielle de cette année, il y a eu des affrontements entre les militants du RPG et de l’UFDG à Koundara. Ce sont 35 de nos responsables (dont le premier qui devait devenir le président de la délégation spéciale) qui ont été arrêtés et déférés nuitamment à Boké où ils sont encore détenus à l’heure actuelle. Aucun responsable du RPG n’a été arrêté.
A Banankoro, les responsables du RPG se sont attaqués aux militants de l’UFDG. Ils ont incendié 11 concessions. La maison de l’imam central, un Peul, a été brûlée. Le secrétaire fédéral de notre parti, un Kouranko, a été chassé et sa maison incendiée. Tout autre parti politique que le RPG est banni dans cette localité. Bilan : une dizaine de morts, 3 véhicules 4×4 et 104 motos calcinés. Et tout cela, trois jours seulement avant l’élection présidentielle du 11 octobre 2015. Une véritable chasse à l’homme a été organisée, comme à Siguiri en 2010, contre les ressortissants de la Moyenne Guinée. Personne dans les rangs du RPG n’a été arrêté.
A N’Zérékoré, mon passage après M. Alpha Condé l’a beaucoup ébranlé. C’est pourquoi, il y est revenu après moi. Il est arrivé à 15 heures. A 17 heures, les violences ont été déclenchées contre les militants de l’UFDG. Les boutiques et les étalages ont été incendiés. La maison de l’imam, originaire de Tougué, à été brûlée par les militants du RPG.
A Mamou, 24 personnes ont été arrêtées, dont certaines jugées et condamnées. Il faut rappeler que 4 ministres ressortissants de la région, Bantama Sow, Aliou Diallo, Boubacar Barry et Rougui Barry, sont venus y faire campagne. Ils ne voulaient pas perdre Mamou en raison de la localisation de la fête nationale.
L’opposition est toujours sur la défensive. Pourquoi ne prend-elle jamais d’initiative ?
C’est un procès d’intention. C’est le pouvoir qui viole les principes de la démocratie et de l’Etat de droit.
L’opposition combat les dérives autoritaires du pouvoir. Nous luttons contre les actes posés par le pouvoir lorsqu’il décide de ne pas respecter la loi ou viole les accords politiques.
Cela dit, à l’Assemblée nationale, nous avons pris pas mal d’initiatives. Dès qu’elle a été installée, l’opposition a présenté un projet de loi portant sur la restructuration de la CENI. Car, très tôt on a constaté que celle-ci n’était pas à la hauteur de la mission qui lui était confiée.
Après les législatives de 2013, la mission d’observation électorale de l’Union européenne avait fait des recommandations. A partir de celles-ci, nous avons élaboré un projet de loi. Malheureusement, la mouvance présidentielle l’a bloqué.
Nous avons pris aussi l’initiative de modifier le code électoral pour le rendre plus moderne. Conformément aux recommandations de la mission d’observation de l’Union européenne. Cela a également été bloqué.
Nous avons préparé une résolution pour inviter le gouvernement à respecter les dispositions des accords du 3 juillet 2013, notamment l’ouverture d’enquêtes pour identifier les auteurs des violences subies par nos militants. Nous avons demandé que l’Etat indemnise les familles des victimes. Là aussi, la majorité parlementaire a bloqué cette initiative.
Les gens pensent que nous n’utilisons que les manifestations de rue. Celles-ci nous coûtent excessivement cher car, à chaque fois, une répression sauvage s’abat sur nos militants. L’impunité est garantie aux auteurs de ces crimes. Parfois même, les responsables de la police et de la gendarmerie bénéficient de promotion au sein de leurs corps respectifs.
Au niveau du Parlement, nous avons essayé d’utiliser l’espace qui nous est donné pour faire avancer le pays. Mais, dès qu’on pose un problème, on nous dit de passer immédiatement au vote. Nous insistons pour confronter nos arguments, pour discuter de l’opportunité de changer la loi. Mais rien n’y fait. Finalement, on passe au vote et la mouvance l’emporte.
Nous avons voulu contrôler l’action gouvernementale, notamment par rapport aux marchés de gré à gré au profit de sociétés amies d’Alpha Condé. Nous avons demandé que des missions parlementaires soient constituées. Là aussi, ils se sont coalisés pour nous opposer un refus.
L’opposition prend des initiatives. Mais, avec M. Alpha Condé, toutes les institutions républicaines lui sont inféodées. D’abord, par leur composition. Vous voyez la gymnastique à laquelle il se livre pour les contrôler toutes. C’est le cas notamment de l’Institution nationale indépendante des droits humains (INIDH) dont la mise sur pied a été décidée par une loi organique adoptée en juillet 2010 par ce qui tenait lieu de parlement à l’époque, en l’occurrence le Conseil national de transition (CNT). M. Alpha Condé a modifié cette loi avant de la faire adopter par la Cour suprême, ce qui a faussé la composition de la Cour constitutionnelle. Nous avons préparé un dossier, recruté des avocats, déposé une plainte à la Cour suprême, mais en vain. C’est ainsi que l’INIDH, qui doit envoyer deux de ses membres à la Cour constitutionnelle (qui en compte neuf), est composée de fonctionnaires désignés par M. Alpha Condé et non par des structures indépendantes du pouvoir. Dans un pays normal, il aurait été mis en accusation et destitué pour avoir modifié une loi sans débat au Parlement.
Pourquoi ne pas recourir plus souvent à la voie judiciaire ?
Là aussi, c’est un procès d’intention. Lorsque M. Alpha Condé a dissous les conseils communaux en mettant en place des délégations spéciales dès 2011 en violation flagrante de la loi, nous avons adressé une plainte à la Cour suprême. Sans résultat.
Lorsqu’il y a eu le premier mort par les forces de l’ordre en avril 2011, à savoir l’étudiant Zakariaou, nous avons adressé le rapport d’autopsie, ainsi que la balle qui a été extraite de son cou, au tribunal. Les juges ont refusé de traiter le dossier. Il est vrai que nous aurions dû aller à la Cour de justice de la CEDEAO. Dorénavant, nous le ferons systématiquement. Car, il ne faut pas espérer gagner un procès auprès des tribunaux guinéens contre l’Etat.
Cellou Dalein mobilise des millions de personnes mais n’obtient aucune concession de la part du pouvoir, par exemple que le président Condé Alpha s’engage publiquement à ne pas briguer un troisième mandat en 2020, comme l’a fait le président Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire.
Pour nous, un troisième mandat est totalement exclu. Notre lutte, c’est d’obtenir des élections transparentes. Pour le moment, nous avons échoué sur ce plan.
Il est vrai que nous sommes capables de mobiliser des foules de millions de personnes. Ce fut le cas lors de mon retour de campagne à Conakry le 8 octobre 2015. De Dubréka à Conakry, au moins 2 millions de personnes m’ont accueilli. Tout le monde ne pouvait pas aller jusqu’au Palais du peuple. Si le président de l’UFDG sort, il mobilise des masses énormes. C’est pourquoi désormais, dès qu’il y a une manifestation de rue, je suis séquestré pour m’empêcher de sortir.
Que doit faire maintenant l’opposition ?
Nous réfléchissons à une nouvelle stratégie face à la dérive dictatoriale de M. Alpha Condé.
Nous avons quatre moyens d’action : le dialogue, les manifestations de rue, la justice et la communauté internationale.
En Afrique sud-saharienne, notre parti est celui qui a organisé le plus de manifestations pacifiques. Mais nous l’avons payé très cher : je répète, 76 morts, à quoi s’ajoutent des dégâts matériels et des destructions de biens évalués à près de 50 millions d’euros (environ 500 milliards de FG) perdus par nos militants. Parfois ce sont des innocents, qui n’ont jamais participé à une manifestation, qui sont victimes. On détruit leurs boutiques. Récemment, lorsque je suis rentré à Conakry, le 8 octobre, on s’est attaqué la nuit aux boutiques des Peuls.
Alpha Condé a repris la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée. C’est la dictature, le pouvoir personnel, le régime du parti-Etat. C’est tout cela à la fois. Aucun fonctionnaire n’ose militer dans un parti d’opposition, sous peine d’être « non posté », comme on le dit en Guinée, c’est-à-dire d’être purement et simplement licencié. Il n’y a pas de liberté. C’est l’usage de la force brutale. Il n’y aucune voix discordante dans la société civile. Alpha ne laisse rien de côté. Il faut que tous soient au service du RPG. Ce qui nous éloigne de l’Etat de droit.
La plupart des leaders de l’opposition (Saliou Béla, Abé Sylla, Mohamed Soumah, Baadiko, Sadakadji, …) ont rejoint le pouvoir. Est-il encore possible d’envisager un mouvement de coalition nationale de tous les partis pour résister, comme l’avait fait Macky Sall au Sénégal ?
Il y a ceux qui luttent par conviction et ceux qui luttent pour leurs intérêts personnels. J’estime que ceux qui sont soucieux des valeurs de démocratie, de justice, d’Etat de droit doivent pouvoir résister. Nous voulons l’égalité devant la justice, la fraternité entre les Guinéens, la réconciliation, que les conditions de vie des citoyens soient améliorées, moins de discrimination et d’exclusion. Ce combat doit être mené par des gens de conviction. On ne peut pas dire hier qu’Alpha est mauvais, qu’il est la source de tous les problèmes de la Guinée et le rejoindre aujourd’hui pour le soutenir dans ses pratiques.
Comment expliquer le retournement de Sidya Touré, qui représente la deuxième force de l’opposition ?
Il n’a pas cessé de dénoncer le pouvoir Alpha Condé en le qualifiant de dictature. Je ne vois pas comment tout d’un coup il trouve qu’Alpha a changé (or celui-ci ne changera jamais, ce sont les hommes qui s’adaptent à lui), qu’il est devenu un démocrate soucieux du respect des droits humains, du bien-être des Guinéens. Je ne vois pas comment, en un mois, on peut expliquer cette volte-face. Je n’ai aucune explication. Je m’interroge plutôt.
L’état de ses relations avec Bah Oury
Je pense qu’il a donné des assurances à M. Alpha Condé. Mais je ne pense pas qu’il puisse s’engager dans une entreprise de démolition de l’UFDG. Il a besoin de rentrer en Guinée. Nous souhaitons qu’il rentre. Je pense que s’il est là, on pourra discuter des divergences qui existent entre nous. S’il s’engage dans la voie de la division de l’UFDG, cette entreprise est vouée à l’échec.
Je ne crois pas que les militants de l’UFDG soient prêts à une division du parti. Ils veulent continuer le combat pour rester la première force politique de la Guinée par ses effectifs et par la détermination de ses militants, jusqu’au triomphe de la démocratie dans notre pays.
Bah Oury était déterminé à lutter contre la dictature. Pendant longtemps, il m’a reproché d’être plutôt accommodant. Je ne le vois pas se mettre avec M. Alpha Condé pour lutter contre moi dans les faits. Nous avons lutté pour l’implantation du parti dans les autres régions. Je comprends qu’il puisse donner actuellement des assurances à M. Alpha Condé. Celui-ci sait qu’il ne peut pas organiser des élections transparentes sans perdre le pouvoir. Pour l’intérêt de la démocratie et de la Guinée, on devrait préserver la force que représente l’UFDG.
A son retour en Guinée, Bah Oury devrait s’inscrire dans cette dynamique-là. On a des malentendus, des ambitions personnelles, des divergences sur la manière de lutter contre M. Alpha Condé, mais pas ailleurs.
Il disait qu’il fallait déployer plus de vigueur, plus de force pour faire tomber Alpha Condé. Je ne le vois pas se mettre du côté de celui-ci.
Il parle de changement de leadership au sein de l’UFDG. Mais, on vient de sortir d’un congrès. Nous avons tous été élus pour une durée de 5 ans. Le congrès a élu 5 vice-présidents dont chacun est chargé d’un domaine bien précis : affaires politiques ; affaires économiques ; affaires sociales ; affaires culturelles ; relations extérieures et communication. Le rôle de chaque vice-président est d’assister le président et d’exécuter toute mission à lui confiée par le président dans son domaine de compétence, selon les statuts. Il n’y a pas de premier vice-président.
Bah Oury a été élu vice-président chargé des relations extérieures et de la communication. Une résolution dispose que sur le plan protocolaire, il vient immédiatement après le président et peut le remplacer en cas d’absence.
Lors de notre dernière conversation, je lui ai dit que nous avons bien fait d’aller aux élections législatives et à l’élection présidentielle. Un parti qui boycotte en permanence finit par mourir car les campagnes électorales vivifient et animent le parti. Lui, estime qu’avec Alpha Condé, les élections ne servent à rien.
Nous avons montré que l’UFDG est très forte, non seulement en Moyenne Guinée, mais aussi dans toutes les autres régions. L’accueil chaleureux et la mobilisation grandiose suscités par ma visite dans toutes les préfectures l’ont suffisamment montré.
Nous n’avons pas conquis le pouvoir, certes. Maintenant, nous devons nous organiser pour y parvenir. Ce qui est vrai, c’est que dans le contexte particulièrement difficile créé par le régime du parti-Etat, l’UFDG a étendu son influence dans toutes les régions. Dire que l’UFDG n’a rien fait, que Cellou a perdu par sa faute, non ! On peut discuter de la stratégie à adopter. Le débat est ouvert.
En Guinée, on entend des officiels, même des ministres, déclarer que les Peuls sont des étrangers, alors qu’ils y sont établis depuis plus de cinq siècles. Ces personnes devraient être poursuivies devant la justice pour violation de la loi qui interdit toute attitude allant à l’encontre de l’unité nationale.
Ce sont des politiciens qui sont à court d’argument. De tels propos sont totalement déplacés. Au XXIe siècle, il faut parler plutôt de citoyens, de leur égalité et du libre exercice de leurs droits.
La stigmatisation de toute communauté nationale est quelque chose de déplorable. La compétition entre les citoyens doit être basée sur le mérite et la compétence. Je fais de la politique pour combattre le tribalisme.
Aujourd’hui, tous les Guinéens devraient se mobiliser contre le sectarisme. On devrait déférer devant les tribunaux ceux qui tiennent de tels propos. Cette situation est due à un réel manque de volonté politique. La justice devrait s’autosaisir. C’est dans ce cadre que le pouvoir a lancé sa politique de Manden Djallon. On a voulu diviser le Fouta Djallon. Beaucoup d’argent public a été dépensé dans les Roundés en inculquant la haine contre leurs voisins. Cette politique a échoué.
Il ne faut pas exclure un retour éventuel de la Guinée dans la zone franc
Il est absolument indéniable que la zone franc est un facteur d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. On observe que les chocs externes ont beaucoup diminué dans les pays membres. L’euro a beaucoup baissé par rapport au dollar. Les déficits ont été considérablement réduits. Et le recours au compte d’opérations auprès du Trésor public français est devenu négligeable.
Je suis partisan de l’extension de la zone franc à la Guinée et aux autres pays non francophones de la CEDEAO. Je pense que la ZMAO, la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest, qui devait regrouper ces pays ne verra pas le jour en raison, entre autres, du trop grand poids du Nigeria et du manque de volonté politique.
Je proposerai une nouvelle convention monétaire au niveau européen et que le franc CFA soit rattaché non pas seulement à l’euro, mais à un panier de monnaies. Il faut mettre en œuvre un nouveau mécanisme. Si le Programme élargi de crédit (PEC) en vigueur actuellement en Guinée avec le soutien des institutions de Bretton Woods est convenablement mené, le coût du retour de la Guinée dans la zone franc sera amoindri. Et une monnaie unique au niveau de la CEDEAO serait un facteur de progrès économique et social dans la région ouest-africaine.
Des économistes libéraux de haut niveau, dont certains sont des prix Nobel ont démontré que le libéralisme est une utopie et une idéologie dangereuse. Cellou Dalein continue de se proclamer libéral, malgré tout. Voici ses arguments.
J’ai grandi dans un système qui se réclamait du socialisme. Au nom de cette idéologie, beaucoup de mauvaises choses ont été faites en Guinée. Moi je crois à la liberté, à la liberté du citoyen, à la liberté d’entreprendre. Je pense que le débat doit se situer au niveau du degré de libéralisme.
En Afrique aujourd’hui, la grande majorité des Etats militent au sein de l’Internationale libérale. La différence avec ceux qui n’y sont pas vient de l’histoire. Par exemple, les mouvements de libération nationale ont été soutenus par l’ex-Union soviétique et les pays satellites. Ce qui explique qu’en Afrique du Sud notamment, l’ANC se réclame du régime socialiste. Mais, partout ce sont les pratiques libérales qui sont mises en œuvre.
La doctrine socialiste a causé beaucoup de préjudices à nos pays. Dans la prochaine conférence de l’Internationale libérale prévue en janvier 2016 au Cap en Afrique du Sud, je vais faire une communication sur « le rôle de l’Etat libéral dans une économie sous-développée ». Dans un tel contexte, l’Etat a de grandes responsabilités, beaucoup plus que dans une économie développée.
Il faut créer un cadre pour permettre aux entreprises de prospérer afin de pouvoir lever suffisamment d’impôts et à travers le budget de l’Etat soutenir les secteurs dans le but de réduire la pauvreté.
Il faut une politique économique qui rassure les investisseurs, garantisse la prospérité des entreprises pour créer de la richesse à partir de laquelle l’Etat prélève des impôts et taxes pour faire face à ses obligations régaliennes. La mise en place d’un cadre réglementaire et juridique cohérent est absolument indispensable. Il faut noter que la forte croissance économique que nous enregistrons actuellement sur le continent est le résultat des politiques libérales qui ont permis d’assainir les économies.
Propos recueillis à Paris par Alpha Sidoux Barry
Economiste, journaliste professionnel et essayiste, président de Conseil & communication international (C&CI)