GBK Le 28 septembre, les Guinéens ont voté dans le calme pour élire leurs députés. Dans la capitale Conakry au moins, la participation paraissait significative. Parfois dès six heures du matin, les gens se pressaient pour voter, patientant dans de longues queues. Face à des problèmes organisationnels considérables et dans des conditions matérielles difficiles, membres des bureaux de vote et délégués des partis se débattaient et débattaient avec gravité et sérieux, le code électoral à la main…
{jcomments on}En ville sans doute plus que dans les campagnes, et à Conakry sans doute plus que dans les régions, observateurs nationaux et internationaux, experts électoraux et journalistes ont pu relayer les multiples problèmes au fil de la journée, et bien des conflits ont pu être ainsi désamorcés. Au soir du scrutin, la fierté et le soulagement étaient palpables.
Mais plus d’une semaine plus tard, la totalité des résultats officiels n’a toujours pas été publiée. Cette longue attente alimente les accusations de fraude formulées explicitement par l’opposition. La tension monte. Des incidents mineurs ont éclaté en certains endroits, comme à Fria. Le dispositif sécuritaire est en cours de renforcement à Conakry. Des commerçants ferment boutique et évacuent leurs stocks. Des citadins seraient en train de s’équiper pour se défendre en cas de troubles. Pour sa part, le régime met en avant sa crainte d’un coup d’Etat associant opposants, militaires et intérêts miniers dans un pays dont les ressources naturelles suscitent la convoitise.
Selon des défenseurs des droits de l’homme, des civils et des militaires mais aussi des ressortissants étrangers ont été arrêtés à Conakry ces dernières semaines et transférés et interrogés à Kankan et Kassa – certains ont été libérés depuis. On le voit bien : l’enjeu n’est plus seulement la crédibilité du processus électoral mais la sauvegarde de la paix et de la stabilité.
Les Guinéens n’avaient pas voté pour des législatives depuis 2002. Prévu en 2007, le renouvellement de l’Assemblée nationale n’avait pu avoir lieu : le pays était entré dans un cycle de crises qui n’a pris fin qu’avec l’élection du président Alpha Condé en décembre 2010. Mais le scrutin présidentiel de 2010 a été marqué par une vive controverse sur le dispositif électoral, et la Guinée a semblé prise depuis dans un véritable bourbier électoral, analysé dans notre dernier rapport sur la Guinée, publié en février 2013. Il aura fallu près de trois années, marquées par des manifestations et des violences, pour aboutir à un accord minimum sur l’organisation des élections législatives. La tenue de ce scrutin est donc une étape importante pour un pays qui sort de plus de cinq décennies d’autoritarisme.
Mais les résultats, d'abord annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour le 2 octobre, ne sont sortis qu'au compte-gouttes. La suspension rapide ou le silence des canaux alternatifs de diffusion des résultats locaux, radios privées et structures de la société civile, suspension qui semble en partie liée aux pressions du pouvoir, ne rassure pas. Le 30 septembre, les chefs de l'opposition ont annoncé qu'au terme de leur propre décompte, ils savaient avoir gagné l'ensemble des cinq communes de Conakry et qu'ils n'accepteraient pas d'autre résultat. Le 3 octobre, ils ont annoncé que leurs représentants se retiraient de la commission nationale de centralisation des votes, et ils ont réclamé le lendemain l'annulation du scrutin, soulignant qu'ils se réservaient la possibilité de recourir à toutes les formes légales de protestation.
Depuis la demande d'annulation du scrutin formulée par l'opposition, plusieurs résultats favorables à celle-ci ont été publiés, y compris pour certaines communes très disputées à Conakry. Manque encore cependant Kaloum, le centre historique et symbolique de la capitale, qui accueille la présidence de la République. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Saïd Djinnit, qui avait facilité les négociations sur l'organisation du scrutin, est arrivé à Conakry et des consultations ont été engagées. L'opposition y participe, mais elle n'est pas encore revenue sur sa demande d'annulation du scrutin. Elle reste très méfiante.
Il faut bien admettre que de nombreux problèmes ont été observés tout le long du processus, de la présence de mineurs sur les listes électorales à la distribution inégale ou insuffisante de matériel électoral. Si les missions d'observateurs à court terme (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, Union africaine, Francophonie) ont, selon la formule rituelle, souligné que ces problèmes ne remettaient pas en cause la sincérité du scrutin, la puissante mission d'observation de l'Union européenne, déployée bien avant le scrutin et profitant du rôle central de l'UE dans l'assistance électorale et dans les négociations, a été beaucoup plus prudente dans son communiqué préliminaire du 30 septembre quant à la qualité du scrutin. Informellement, une bonne part des experts électoraux internationaux impliqués considèrent que la fragilité institutionnelle n'explique pas tous les problèmes et s'interrogent sur la bonne foi du pouvoir, de la direction de la CENI et des autorités locales. Rencontré peu avant le scrutin, un haut responsable du parti du président Condé justifiait ainsi sa confiance en la victoire : « dans les régions [c'est-à-dire en dehors de Conakry], les préfets et les sous-préfets sont comme des rois ».
L'opposition n'a pour sa part pas eu besoin des réserves des observateurs européens pour se persuader que ces défaillances sont délibérées, organisées par un dispositif électoral qu'elle estime contrôlé par le pouvoir. Elle considère que son électorat a été soigneusement érodé, son inscription sur les listes et sa participation découragées de mille manières. Elle soupçonne également que le pouvoir entend se saisir des fragilités organisées de procédure pour faire annuler le vote dans les bureaux qui lui sont favorables. Enfin, elle maintient avoir connaissance de fraudes plus directes durant et après le scrutin, urnes remplacées ou bureaux de vote parallèles.
Comment sauver, une fois encore, les élections en Guinée, et la prémunir de nouvelles violences ?
Le risque de violence est réel. Dans un pays où les votes sont largement déterminés par les affiliations ethniques, où chacun peut faire recours au récit de victimisation de sa communauté, un minimum de confiance dans les institutions électorales est particulièrement nécessaire pour apaiser les tensions communautaires. Entre rancœurs éthno-communautaires et tradition de pouvoir militaire, de nouveaux troubles pourraient déboucher sur une catastrophe.
En Guinée, le droit et les procédures ne sont malheureusement toujours pas en mesure de fournir un cadre autonome de règlement des litiges. En effet, ce n'est pas un véritable accord de fond sur les règles qui a permis d'aller aux élections, mais plutôt un long cheminement marqué par des protestations et des violences qui ont fait plusieurs dizaines de morts (essentiellement parmi les partisans de l'opposition) et qui ont suscité une implication internationale forte. Car c'est bien la pression des partenaires internationaux, France, Etats-Unis, Union européenne, Nations unies, qui a permis la tenue de l'élection. S'ils n'ont pas assuré une certification du scrutin sur le modèle ivoirien, ces acteurs avaient assuré à l'opposition la mise en œuvre d'un certain nombre de révisions et de procédures de sécurisation du dispositif électoral. Ces engagements n'ont malheureusement pu être mis en œuvre que très partiellement, comme l'a souligné la mission de l'UE.
A très court terme, pour faire baisser la tension, il est important, comme la mission européenne l'a suggéré, que la CENI publie rapidement et de façon organisée les résultats des 12 000 bureaux de vote, en commençant par les circonscriptions litigieuses. Ce sont en effet de ces résultats locaux mais sans validation officielle, que les opposants ont connaissance, et non des résultats centralisés par circonscription. Grâce aux résultats annoncés ou recensés par les radios privées et la société civile, aux copies des procès-verbaux remises aux partis politiques et à l'affichage, il existe des sources variées qui peuvent aider à clarifier la situation. Il faut au minimum que chacun, parmi ceux qui ont pu voter, puisse se convaincre que sa voix est bien prise en compte, que c'est bien sur la base des suffrages exprimés par les électeurs dans chaque bureau de vote que la CENI établit le résultat dans chaque circonscription.
A moyen terme, pour trancher les cas litigieux, il est difficile de compter seulement sur une CENI tenue pour partisane par l'opposition. Il n'est pas beaucoup plus simple de s'en tenir à la seule justice électorale, très contestée lors du scrutin de 2010. La CENI doit donc travailler en lien étroit avec la facilitation internationale et le comité de suivi où sont représentés les principaux acteurs et les partenaires internationaux, structures qui constituent (malheureusement) le fondement réel du processus électoral en cours : c'est dans ce cadre que doivent se clarifier les principes selon lesquels traiter des cas litigieux. L'exclusion, comme lors de l'élection présidentielle de 2010, de centaines de milliers de votes sur des points de forme, n'est pas acceptable pour la démocratie guinéenne en construction.
Exceptionnellement, il ne faut pas exclure, s'il s'avérait impossible d'avoir des résultats consolidés et acceptés dans certaines circonscriptions, d'y reprendre le scrutin. Il s'agit là d'apporter de vraies réponses aux interrogations des citoyens guinéens. Un replâtrage hâtif, comme celui qui avait été opéré autour du scrutin de 2010, ne fera que rendre plus difficile et risquée l'élection présidentielle de 2015, vers laquelle tous les acteurs guinéens regardent déjà. Il est encore temps de faire des législatives de 2013 une étape dans la consolidation des institutions électorales guinéennes plutôt qu'un nouveau moment de crise.
Par Vincent Foucher, International Crisis Group 7 Oct 2013