Dans la journée du vendredi 29 mai 2015, s'est tenu au Senat français, un colloque sous le thème "La cohésion nationale, un défi pour l'Etat et la liberté du culte". Ce colloque était sous le haut patronnage du Président du Senat…Nous vous livrons une synthèse dudit colloque qui vient d'être transmise à notre rédaction…
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CONTRIBUTION DE MANSOUR KABA AU COLLOQUE ORGANISE LE VENDREDI 29 MAI 2015 DE 9H00 A 12H30 AU SENAT FRANÇAIS SOUS LE HAUT PATRONNAGE DE M. GERARD LARCHER, PRESIDENT DU SENAT ET SOUS LA PRESIDENCE DE MME LEILA AICHI, SENATRICE DE PARIS, VICE-PRESIDENTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES
THEME : « LA COHESION NATIONALE, UN DEFI POUR L’ETAT ET LA LIBERTE DE CULTE ».
TABLE RONDE N°1 A 9H45 : « Islam, quelle place dans la République ? »
TABLE RONDE N°2 A 11H00 : « L’Islam et la Loi de 1905 ».
Pour la première table ronde, il y avait sept (7) participants qui ont exposé leurs points de vue en sept (7) minutes par orateur sur le sujet cité plus haut. Suivi de débats avec l’auditoire.
Pour la deuxième table ronde, il y avait six (6) orateurs qui ont fourni des contributions, également en sept (7) minutes par orateur, cette fois sans débats avec l’auditoire par manque de temps.
Ayant participé au podium de ce colloque sur l’invitation de la Sénatrice de Paris, Mme Leila AICHI, j’ai fourni pour la deuxième table ronde une contribution que je présente dans le présent document. Après les formules de politesse à l’endroit du Sénat et des organisateurs du colloque, j’ai exposé mon point de vue sur le thème de « L’Islam et la Loi de 1905 » comme suit :
« Ma participation au présent colloque relève d’une double appartenance : je suis de prime abord d’Afrique Noire, plus précisément de la République de Guinée, et je suis ensuite un musulman pratiquant l’Islam tel qu’il est enseigné en Afrique de l’Ouest. Un proverbe mandingue dit, citation : « Celui qui ne sait pas d’où il vient, ne peut pas savoir où il va ». Appliqué aux jeunes africains de la diaspora vivant en France, cela pose le problème de la nécessité, pour les jeunes africains et africains-français vivant majoritairement dans les banlieues des grandes villes françaises, d’une éducation à la citoyenneté en France complétée par une meilleure connaissance de la culture et de l’histoire des pays d’origine de leurs parents africains. Ayant justement eu la lourde charge d’élever mes cinq enfants (deux filles et trois garçons) en banlieue parisienne, j’ai très tôt compris la nécessité d’immerger ceux-ci dans cette double culture dès le début de leur scolarisation. Ils ont ainsi fréquenté les cycles primaires et secondaires pour moitié en Côte d’Ivoire et pour l’autre moitié en banlieue parisienne.
Au cours des années 1970 et 1980, j’ai remarqué que nos enfants n’ont connu sur les programmes de télévision destinés aux plus jeunes, que les séries quotidiennes de « Goldorack » ou de films similaires. Des films qui ne véhiculaient ni des valeurs culturelles françaises, ni, encore moins, des valeurs culturelles africaines. Mais plutôt des valeurs culturelles des pays d’origine de ces films asiatiques ou américains. Or en Afrique, les enfants sont directement et indirectement formés et influencés par les contes et légendes déclamés et souvent chantés et/ou dansés par nos grands-mères, nos tantes et certains oncles doués pour cet art. Des contes que l’on est pressé d’écouter tous les soirs, en famille, au coin du feu. Cette ambiance récréative et combien formatrice véhiculait des valeurs d’humanisme, de probité et de courage qui manquent cruellement à nos enfants des banlieues européennes. C’est pour cela que certains amis africains ayant constaté les mêmes problèmes d’intégration et d’aliénation culturelle de nos enfants vivant dans la Région parisienne ont décidé de créer, au début des années 2000 à Cergy-Pontoise, une association Loi de 1905 dénommée : « Immigration et racines ».
Cette association avait pour objet de donner aux jeunes africains résidant en France, en Europe et ailleurs dans le monde, le complément historique et culturel qui leur manquait et que l’école française ou européenne ne pouvait pas leur donner. Plusieurs types d’activités avaient été prévus dans cet ordre d’idées : organisation de séminaires, de formation qualifiante pour les jeunes déscolarisés, de voyages d’études et des vacances en Afrique, ainsi que la création et l’animation de groupes artistiques et sportifs dans les communes qui accepteraient de coopérer avec notre association. Un programme de production de courts-métrages sur les contes et légendes d’Afrique, soit sous forme de dessins animés, soit présentés par des acteurs et des actrices africains et destinés aux jeunes Africains de la diaspora était également prévu. Ces films pourraient même plus tard trouver un marché au niveau de la communauté noire (africaine-américaine) des Etats Unis d’Amérique.
A défaut d’une telle action de « réappropriation culturelle » et de conscientisation des jeunes des banlieues, ceux-ci deviennent la proie facile des trafiquants en tous genres, dont le trafic de drogue, et, nouvellement, des « djihadistes » comme le jeune Amédy Coulibaly, l’un des auteurs des attentats sanglants de janvier 2015 à Paris. Celui-ci ignorait probablement tout de son origine familiale. Car en Afrique de l’Ouest, les Koulibaly ou Coulibaly font partie des familles les plus illustres de l’histoire de cette région. Aussi bien dans l’Afrique précoloniale avec Da Monzon Coulibaly, Biton Coulibaly et N’Golo Coulibaly, fondateurs du royaume de Ségou dans l’actuelle République du Mali, que dans l’Afrique sous domination coloniale avec Mamadou Coulibaly du Mali qui a été Vice-président de l’Assemblée nationale en France dans les années 1946 au titre du RDA, Ouezzin Coulibaly qui a été député au Palais Bourbon à Paris et compagnon du président Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire et en Haute Volta (Burkina Faso), Gbon Coulibaly, le vieux parrain du jeune Houphouët-Boigny en 1946 à Korhogo (Côte d’Ivoire) et Mamadou Coulibaly qui a été ministre d’Etat dans presque tous les gouvernements du président Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire. D’autres membres de cette illustre famille ouest-africaine participent aujourd’hui encore à l’histoire de l’Afrique postcoloniale.
Il convient, cependant et dans cet ordre d’idées, de signaler le cas très heureux du jeune Africain-Américain Barack Hussein OBAMA, qui a manifesté très tôt un très grand attachement à la culture et aux coutumes d’origine de son père. Son premier livre autobiographique ne s’intitule-t-il pas : « Les rêves de mon père » ? Il n’a pas hésité à aller demander les bénédictions de sa grand’mère dans le petit village où celle-ci habitait au Kenya, avant de déclarer sa candidature à l’élection présidentielle de l’Etat le plus puissant de la Terre, les Etats Unis d’Amérique. Dans la tradition africaine, un enfant aussi reconnaissant et obéissant aux coutumes ancestrales (positives) ne peut que réussir !
Pour revenir à la pratique de l’Islam en Afrique de l’Ouest, avec les exceptions notoires de « Boko Haram » au Nigeria et des salafistes au nord du Mali, nous tenons à affirmer que cet Islam-là est des plus pacifiques qui puissent être. Cet Islam interdit par exemple le suicide. Au point que celui qui se suicide dans cette région court le risque de ne trouver personne pour organiser ses obsèques et son enterrement. Le corps du défunt qui s’est suicidé est tout simplement jeté dans la tombe sans aucune formalité religieuse. On y pratique aussi un principe cardinal de l’Islam qui dit, citation : « Nulle contrainte en religion ». L’Islam tel qu’il est pratiqué en Afrique de l’Ouest fait la promotion du savoir et de l’instruction. Le premier verset du Saint Coran ne commence-t-il pas par l’injonction faite au Prophète Mahomet : « Ikra ! », ce qui veut dire « Lis ! », alors que celui-ci était encore analphabète ?
Pour conclure, nous dirons que l’intégration des jeunes immigrés ou des jeunes français issus de l’immigration de religion ou de tradition musulmane devra passer par une meilleure connaissance de leur culture d’origine. Sinon, nous aurons des jeunes sans références historiques, ni culturelles, qui seront des bombes à retardement dans les mains de manipulateurs dont les raisons de l’engagement doivent être cherchées ailleurs que dans la religion musulmane. Des associations « Loi de 1905 » du genre de la nôtre « Immigration et racines » sont des réponses possibles aux défis d’une intégration réussie des jeunes des banlieues en France et en Europe. J’allais oublier de citer une boutade que nos érudits d’Afrique de l’Ouest prêtent au Prophète de l’Islam : « Si tu veux conquérir le monde ici-bas, il faut t’instruire ! Si tu veux conquérir le Paradis dans l’au-delà, il faut t’instruire ! ». Nous devrions en conclusion enseigner à nos enfants des banlieues plutôt l’amour de l’instruction que tout autre exercice de type mafieux ou djihadiste.
Merci de votre très aimable attention ».
Fait à Paris, le 29 Mai 2015
Mohamed Mansour KABA, Ancien ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat en République de Guinée.