GBK Il est de notoriété publique que nombreux de nos compatriotes ont cette propension à s’essayer dans des domaines qu’ils ne maîtrisent point. Chacun se prenant pour ce qu’il n’est pas, ils s’offrent en spectacle dans leurs tentatives de nier des faits même scientifiquement vérifiables. C’est le cas de Sadio Barry qui, dans une lamentable tentative de « confondre » un homme dont l’intégrité intellectuelle et morale n’est plus à démontrer, c’est livré à des approximations pas dignes de quelqu’un qui, depuis un certain temps, ne cesse de s’abreuver de l’illusion d’avoir « un destin national ».
{jcomments on} Ce compatriote n’est pourtant ni un anthropologue, ni un sociologue, encore moins un historien…
Pour toute réponse à ce qu’il croit être un « travail de recherche », je me contenterai – n’étant ni un anthropologue, ni un sociologue, encore moins un historien – de soumettre cet extrait du lien que « Africain » a bien voulu nous recommander, à la lecture des nos compatriotes.
Bonne lecture
Abdoulaye Sinko
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"Stigmates sociaux et discriminations religieuses :l'ancienne classe servile au Fuuta Jaloo*"
Au Fuuta Jaloo, lors de l'insurrection menée par de pieux musulmans au commencement du xvme siècle, la religion s'affirme d'emblée comme une idéologie politique de la domination. En effet, si le djihad – prétexte à la conquête du pays sur les animistes – se nourrit bien d'une sincère passion religieuse, la propagation de la foi se résout vite en un dessein plus profane : le prosélytisme s'épuise aussitôt proclamé et, bientôt, la distinction décisive entre musulmans et non-musulmans justifie la production d'esclaves pour le marché domestique, et de captifs pour le marché international.
Ainsi, l'État théocratique qui s'affirme repose sur un système économique fondé à la fois sur l'esclavage et la traite négrière (Botte 1991), et la représentation du monde qui l'anime, puisée dans l'islam, régit l'ensemble des rapports sociaux.
Aujourd'hui, quatre-vingt-dix ans après le début de la suppression de l'esclavage, alors que l'hégémonie politico-économique des anciens maîtres, les fulbés, a disparu sous ses formes antérieures, persiste une domination intellectuelle et discursive se prévalant du savoir religieux. C'est elle qui accrédite les préjugés et les exclusions dont sont toujours victimes les anciens esclaves, les RunndeBés.
Mais qu'il s'agisse de la possession de la terre, des interdits matrimoniaux, des fonctions politiques exercées dans le cadre de l'État-nation, du rang occupé à la mosquée ou de la condition de l'individu face à la mort, le critère religieux ne peut masquer les enjeux terrestres de ces tenaces discriminations : c'est pourquoi les Runndebe font encore de l'accès à la connaissance coranique un instrument d'émancipation et de libération.
Paradoxalement, cet attrait actuel pour le Coran — ultime tentative pour transgresser les frontières sociales plutôt qu'irrésistible élan vers Dieu — ne fait qu'aviver tensions et ressentiments : les runndebe savent désormais que, seraient-ils meilleurs exégètes que les fulôe, ils ne seront d'ici longtemps considérés comme leurs égaux.
Pourquoi ?
Esclave, serf, citoyen
Je ne reviendrai pas ici sur l'esclavagisme à l'époque précoloniale, Meillas-soux (1986 : 327) en a formulé la théorie générale : « un système social fondé sur Y exploitation d'une classe de producteurs […] renouvelée essentiellement par acquisition » ; et Baldé (1975), pour le Fuuta Jaloo, a bien montré quelle fut la situation des esclaves après l'instauration du pouvoir islamique. Je remarquerai simplement que le Fuuta Jaloo n'était pas un cas isolé. Comme dans la plupart des sociétés de l'Afrique de l'Ouest, l'esclavage y était un « fait primordial » et tout aussi incontesté ; les violences, les injustices et les manifestations tyranniques des maîtres n'y étaient, au reste, pas pires qu'ailleurs.
Toutefois, deux traits distinguent le Fuuta Jaloo : le poids démographique des esclaves par rapport aux hommes libres et leur rôle dans la production font bien de cet Etat une société esclavagiste; la concentration de ces esclaves dans des villages à part, les dume (sing. runnde), traduit sur le mode de la ségrégation spatiale une puissante volonté d'exclusion sociale. Ces dume étaient subordonnés à d'autres villages, lieux d'étude et de connaissance (les misiide et les fulaso), habités par les fulBe, qui formaient l'armature politico-religieuse de l'Etat. Faut-il le préciser ? Dans les dume, les esclaves, destinés à la production, exploités, aliénés, privés de l'enseignement de la vraie foi, étaient voués à l'obscurantisme et au fétichisme ; les fulbe se gardaient bien de les instruire dans la religion puisque la connaissance du Livre en aurait fait des hommes libres. Or si, de la « commune » au « Pouvoir révolutionnaire local » (PRL) et au « district », les dénominations ont varié avec les régimes au cours du temps, cette ancienne division spatiale de l'habitat entre dominants et dominés, entre musulmans et païens, perdure pour l'essentiel dans les campagnes. Ainsi la marque des rapports sociaux — la frontière entre ignorance et savoir — se trouve-t-elle toujours inscrite dans le paysage. Ainsi l'édification d'une mosquée dans ce qui fut un runnde, autrefois impensable et aujourd'hui rarissime, est-elle à coup sûr le signe concret d'une transformation des relations entre fulbe et runndeBe, l'aboutissement tangible de luttes opiniâtres et de palabres obstinées ayant pour enjeu l'usage des symboles du pouvoir et du savoir religieux.
La mutation s'amorce avec le siècle, en 1926, lorsque le colonisateur français interdit la traite, c'est-à-dire l'achat ou la vente de marchandises vivantes : l'esclave n'étant plus un bien aliénable, seule sa reproduction biologique assurera désormais l'approvisionnement de la formation esclavagiste. En outre, en défendant de séparer les couples (mari et femme ne peuvent plus appartenir à des maîtres différents) et ceux-ci de leurs enfants (jusqu'alors propriété du maître de la femme), les mesures de 1902 contrecarrent la coutume de doter et de tester en biens humains : la cellule familiale servile s'en trouve d'autant renforcée, sa reproduction sur place facilitée, et la transition de l'esclavage au servage accélérée.
Trois ans plus tard, l'abolition officielle de l'esclavage n'en reste pas moins toute théorique. À vrai dire, elle commence même plutôt mal : tant par calcul économique que par crainte du chaos social, la politique coloniale recourt à un artifice lexical pour préserver la classe des maîtres : l'« esclave » devient un « serviteur » mais l'esclavage comme état social demeure ignoré, administrativement et juridiquement. Certes, en dépit de son ambiguïté, la politique « anti-esclavagiste » du pouvoir colonial met en cause, pour la première fois dans l'histoire du Fuuta Jaloo, une pratique séculaire; mais la métamorphose de l'esclave en serf débute pour lui sous de sombres auspices : la charge de travail qu'il fournit à son maître s'est désormais alourdie des exigences coloniales (paiement de l'impôt par récolte du caoutchouc, réquisition du travail forcé, recrutement de l'armée) qu'il doit satisfaire en lieu et place de ce dernier. Simultanément, le maintien au pouvoir des représentants des familles fondatrices de l'État théocratique et le renforcement du pouvoir autochtone par les Français expliquent que la chefferie au Fuuta Jaloo y soit restée puissante, empressée à contenter l'administration et impitoyable envers les faibles pendant toute la durée de l'oppression coloniale.
Bref si, sous l'effet du service militaire, du commerce, de la prolétarisation et de l'exode vers les centres urbains, la colonisation a induit de façon non intentionnelle un processus d'émancipation, c'est avec lenteur que dépérira le système esclavagiste. Il faut attendre, au sortir de l'effort de guerre, les importantes réformes de 1946 (abolition du travail forcé, citoyenneté) et, au terme de la crise politique des années 1950, la suppression d'une chefferie de canton irrémédiablement discréditée et honnie, pour assister à l'effondrement de l'institution. Tandis qu'au lendemain de l'indépendance Sékou Touré décrétait la « suppression définitive de l'esclavage » et défendait de faire allusion à l'état antérieur des runndeBe, leur transmutation en « Peuls du 28 septembre », comme les qualifiaient alors par dérision les fulôe, laissait subsister entre eux — quelle que fût par ailleurs l'évolution de leur statut civil — des écarts de condition : un large spectre social qu'expliquent les liens d'homme à homme (il y avait de bons et de mauvais maîtres), les résistances obstinées au changement de la part de nombreux maîtres et les inégalités économiques. Cette classe qui, sous ses divers avatars, n'en finit pas de renaître, voyons qui la compose et ce qu'elle représente démographique-ment.
Selon une étude démographique conduite au Fuuta Jaloo, en 1954-55, 202 000 personnes, sur une population estimée à 852 000 habitants, se définissaient comme runndeôe, soit 23,71 %. Suret-Canale (1969 : 91-92), à par tir de l'examen de fiches de recensement, a donné une première estimation de leur appartenance ethnique. Je reprends l'analyse avec des données plus complètes portant sur un échantillon de 2 777 personnes réparties dans vingt et un villages (dume). Les ancêtres de ces runndede, à l'origine asservis, étaient toujours des allogènes car le Fuuta Jaloo ne déroge pas à cette règle universelle : barbare, gentil ou infidèle, l'esclave est l'étranger par excellence ; c'est même la condition de son asservissement : lors du djihad, celui qui professait une autre religion (l'animiste) et qui parlait une autre langue (le prototype du barbare) et qui pour ces deux raisons ne voulait ou ne pouvait prononcer correctement en langue peule la profession de foi (simtirgol) était décapité ou réduit en esclavage. C'est pourquoi les ethnonymes relevés lors de l'enquête permettent de cerner les multiples visages de l'« autre » :
Ethnie Nombre de personnes %
1. Malinke 630 22,69
2. Bambara 408 14,69
3. Kissi 379 13,65
4. Jalunke 331 11,92
5. Wasulonke 285 10,26
6. Toma 33 8,39
7. Konianke 173 6,23
8. Kuranko 148 5,33
Total 2 587 93,16
19 autres ethnies 190 6,84
Ensemble 2 777 100 %
La structure d'ensemble des runndebe, répartis entre vingt-sept ethnies, fait ressortir la diversité des sources d'approvisionnement du Fuuta Jaloo et, du même coup, le caractère composite de la classe servile.