GBK En Novembre 2010, les Guinéens ont élu l’opposant historique de leur pays à la magistrature suprême avec l’espoir de mettre fin à la mal gouvernance et à la corruption qui ont décimé le pays depuis les années 2000.
{jcomments on}Au-delà des alliances communautaristes et régionalistes, la réputation de candidat aux mains propres ne trainant aucune casserole a joué en faveur du vieil opposant qui a pu rattraper son retard du premier tour pour remporter l’élection. Les Guinéens qui attendaient beaucoup du nouveau régime dans tous les domaines ont donc rêvé d’un nouveau départ.
A l’heure du bilan à mi-parcours, la présente contribution se penche sur le changement (ou l’absence de changement) dans la lutte contre la mal gouvernance et la corruption. L’homme qui a le plus vilipendé la gouvernance de Lansana Conté, qui a fait rêver beaucoup de ses compatriotes d’un début de changement en cas de victoire de son parti aux présidentielles, qui a tissé sa toile de relations avec les leaders et médias internationaux (pour des besoins de communication politique) a-t-il comblé les attentes des Guinéens en matière de lutte contre la corruption et la malgouvernance ? Il ne fait pas de doute que la réponse à cette réponse est négative au vu de tout ce qui se passe aujourd’hui dans le pays. Certes tout bilan en matière de gestion peut susciter des débats et si la présente allait dans ce sens, ce serait tant mieux. Avec un début salué par les Guinéens (atteinte de PPTE, instauration d’un système de caisse unique, accord transactionnel avec Rio Tinto avec 700 millions US pour les caisses de l’Etat), le président Guinéen s’est révélé méconnaissable par son laisser aller envers des pratiques aux antipodes de tout son combat politique, notamment le manque de transparence et l’implication personnelle de son fils dans des négociations minières (alors que dans sa première interview de Président à Jeune Afrique, il promettait que sa famille resterait loin des affaires du pays). Analysons ces 2 aspects négatifs de la gouvernance de notre opposant historique devenu président.
1. Rôle du fils dans les grandes négociations :
Comme beaucoup de présidents Africains avant lui, Alpha veut confier d’immenses responsabilités à son fils, certainement pour tester la capacité de ce dernier à jouer un rôle de premier plan dans la vie de la nation. On espérait que les deux tireront leçon du cas Wade & fils pour éviter une humiliation de fin de règne car, comme les Sénégalais, les Guinéens ne pourront pas accepter une transmission dynastique du pouvoir. Mais revenons sur le rôle (négatif) des activités du fils sur l’image du papa.
Le 5ème Président a, dans sa première interview de Chef de l’Etat, laissé entendre que sa famille ne jouerait pas de rôle dans la gestion des affaires publiques. Mais très vite, cette promesse sera démentie par la forte implication du fils Condé dans les négociations des contrats miniers. On l’a vu damer le pion à des ministres surtout lorsqu’il s’est agi de chercher d’éventuels partenaires au Brésil dans le cadre du Simandou (son voyage mouvementé avec Bah Ousmane est dans toutes les têtes). Les va et vient de l’administration Guinéenne dans le cadre de l’assainissement du secteur minier (nouveau code minier, révision des contrats, …) sont interprétés par beaucoup comme la conséquence du non professionnalisme de ceux qui dirigent cette lourde tâche, notamment du fils du président dont la voix compte mais qui n’aurait exercé que dans le secteur bancaire avant l’arrivée de son père au pouvoir. Ce sont surtout les scandales miniers comme celui de Paladino qui finiront par éclabousser le père et son fils et dévoiler la méthode de gestion mise en place.
Au-delà des mines, le nom de Mohamed Condé est aussi cité dans les attributions de marchés aux entreprises Brésiliennes qui font actuellement la concurrence aux Chinoises et Françaises. Il est même considéré par certains comme le représentant occulte des intérêts Brésiliens en Guinée (OAS et ASPERBRAS sont cités entre autres).
Avec le précédant cas Wade, on pensait que les Dirigeants Africains allaient cesser de faire jouer les rôles d’influence par leurs fils, mais hélas. L’excuse trouvée en Guinée, c’est qu’officiellement le fils du président est juste un conseiller à la présidence et n’intervient pas dans ses affaires. Mais l’influence et l’implication du fils Condé dans les grands dossiers de l’Etat sont des secrets de polichinelle à Conakry. On se demande comment Alpha tient à suivre Wade dans la mise au soleil de son enfant surtout depuis que les Sénégalais ont renvoyé le vieux Gorgui malgré son œuvre en matière d’infrastructures.
2. La tolérance de Alpha Condé pour la mal gouvernance :
S’il y a un domaine où les Guinéens nourrissaient beaucoup d’espoir après l’élection de Alpha, c’est bien celui de la lutte contre la mal gouvernance, la corruption et le manque de transparence dans la gestion de la chose publique. La première erreur du nouveau président a été le choix des hommes de la haute administration : un savant dosage des caciques du régime Conté et de nouveaux venus (RPGistes pour la plupart) qui manquent d’expérience. Même les postes techniques ne seront pas épargnés par les nominations à caractère politique. Les gens qui se targuent d’avoir tout perdu dans l’opposition, à cause du RPG sont venus aux affaires avec le reflexe de se remplir les poches (cela est fréquent en Guinée). Leur chef a bien fait de mettre en place une politique de caisse unique et une certaine rigueur dans la gestion publique. Mais la parade sera vite trouvée : création de sociétés aux noms des proches qui bénéficieront de marchés de gré à gré ou de marchés arrangés. A défaut de créer des entreprises, certains cadres négocient des commissions mirobolantes. Il ne fait aucun doute que la complaisance du Président envers ce genre de pratiques a négativement joué sur son image et découragé plusieurs de ses électeurs.
Beaucoup ne comprennent pas le manque de volonté du Président à sévir contre les pratiques qu’il a dénoncé 20 ans chez les autres. Pendant que Ouattara n’a pas hésité une seconde à faire démissionner BicTogo du poste de Ministre des affaires étrangères quand le nom du cabinet de ce dernier a été cité dans l’affaire Probocoala, notre Alpha n’a jamais dépassé le stade des dénonciations. Tel était le cas de Jean Marc Telliano, après le fiasco de la première campagne agricole. Le Ministre et Allié d’alors osera même faire une conférence de presse pour démentir les propos du président qui accusait son département de surfacturation. Le président ne dira rien et le Ministre allié ne sera débarqué que lorsque des divergences politiques apparaitront (notamment le refus de Telliano de fondre son parti dans le RPG Arc en ciel). Le nom qui revient le plus quant on parle « d’indulgence » du chef de l’Etat envers les cadres taxés de mal gouvernance est celui de l’ex Coordinateur de l’EDG, Monsieur Abdoulaye KEITA. Après avoir bénéficié de toute l’attention du Gouvernement, ce dernier, en 2 ans de gestion, n’a pas pu poser les bases d’un règlement du problème d’électricité et les délestages de cette année font penser plutôt à un recul. Ici aussi, le protégé ne sera débarqué que lorsque les manifestations contre EDG avaient coïncidé à peu près avec les manifestations politiques. Pour éviter juste une récupération politique en cette période très tendue avec l’opposition, Alpha a accepté de se séparer de ce cadre de son parti qui n’a pas su honorer le camp présidentiel. A côté des choix discutables (lampadaires dans les villes au lieu de donner le courant dans la capitale, achat de mauvaise qualité de lubrifiant, …), il est accusé de passer des marchés de gré à gré dont un aurait une valeur de plus de 50 millions d’Euros (la radio Espace qui a révélé cette situation connaitra d’ailleurs un contentieux de plusieurs semaines avec EDG suite à ce déballage). A part le réseau de distribution de Kaloum qui est en renouvellement, on ne voit rien de concret puisqu’il se dit que les stations Tombo ne sont plus aptes à donner du courant. Keita a été remplacé mais aucun compte ne lui a été demandé après injections de centaines de millions de dollars. Un autre membre de la mouvance dont la gestion est décriée aujourd’hui est le Ministre de l’Enseignement Pré-Universitaire. Après un bon début (une organisation acceptable examens de 2011), il est aujourd’hui accusé de fuites de sujet lors des récents examens nationaux, de recrutement fantaisiste (ou monnayé) lors de la récente opération de recrutement d’enseignants et son nom a été cité dans une affaire de détournement de 2 milliards de Francs par une dame de son département auprès des étudiants qui désiraient obtenir des bourses d’études pour l’extérieur. A ce niveau aussi, le Président ne demande aucun compte.
La question qui vient à l’esprit est celle de savoir comment quelqu’un peut passer 40 ans à dénoncer des pratiques et une fois au pouvoir, il n’arrive pas à les combattre, pire il les couvre. Je n’arrive pas à imaginer quel dividende politique, Alpha compte recueillir à travers cette gouvernance à la Conté. Dans sa dernière sortie, il nous dit que les manifestations pour le courant sont un sabotage (donc il ne reconnait pas qu’il y a eu mauvaise gestion). On n’a pas besoin d’être pour ou contre Alpha pour lui demander de changer cette façon de gérer car il y va de l’avenir de notre maison commune, la Guinée. A l’approche des législatives, il a intérêt à revoir sa copie car beaucoup de ses électeurs sont déçus et pourraient, pour certains, changer de camp (tout dépendra de la qualité des autres candidats).
A notre époque, un Manager ne montre pas seulement la voie, il se donne aussi les moyens de s’assurer que les choses évoluent conformément à la vision (partagée) ; et à ce niveau le suivi est primordial et l’instauration des sanctions (positives ou négatives) nécessaire.
Mamadou CISSE
Depuis Conakry