Depuis l’accession de la Guinée à l’indépendance, les problèmes de gouvernance, d’infrastructures et du faible financement ont été les difficultés auxquelles l’enseignement supérieur a été confronté. Avec l’augmentation de la population scolaire et estudiantine, le gouvernement guinéen a été obligé d’accepter, contre son gré, la prolifération des universités privées pour absorber les nouveaux bacheliers dont le nombre va croissant, sans pour autant atteindre les projections du gouvernement.
Aujourd’hui il y a 57 universités privées agréées par l’Etat et seulement 19 établissements publics d’enseignement supérieur pour 26.000 bacheliers dont 5.500 orientés dans les universités privées. Ce qui prouve à suffisance que l’ambition de l’Etat, qui rêvait de bâtir un système d’enseignement diversifié, moderne et performant en portant les effectifs des universités d’Etat de 60.000 en 2012 à 105.000 en 2015, de développer un enseignement supérieur à distance en accueillant 10.000 étudiants en 2015 et de soutenir l’enseignement privé afin de porter ses effectifs de 25.000 en 2012 à 35.000 en 2015, n’a pas été atteinte.
Cet échec s’explique par le manque criard des infrastructures universitaires publiques et la prolifération anarchique des universités privées. En effet, l’Etat non seulement n’a pas investi dans la construction des établissements publics d’enseignement supérieur, mais aussi pour corriger cela par les universités privées, il n’a pas appliqué la rigueur dans l’octroi des agréments aux fondateurs. Les critères d’autorisation n’ont pas été définis tels que la qualification du promoteur, l’accréditation des programmes à enseigner, la présentation des locaux appropriés, les dossiers des enseignants qualifiés ou les procédures d’évaluation des étudiants.
Ainsi, pour répondre à cette insuffisance d’universités publiques, le gouvernement en 2006, décidera de payer les frais de scolarité aux universités privées pour former les milliers d’étudiants bacheliers qui n’ont pas eu de places dans le public.
L’idée en elle-même était bonne et pouvait bel et bien réussir si l’Etat n’avait pas procédé à la délivrance anarchique des autorisations aux promoteurs d’universités privées dont les conséquences ont été désastreuses et qui sont ressenties aujourd’hui sur le système d’enseignement supérieur.
Aujourd’hui, malgré que l’Etat paye un coût moyen de 4 millions de GNF par étudiant et par an, le niveau des étudiants laisse à désirer. Ces derniers sont très mal formés parce que parmi les universités privées reconnues par l’Etat, il y a des petites universités qui ne peuvent même pas accueillir 500 étudiants, disposent d’une dizaine de filières qu’elles ne peuvent pas faire valoir. Elles n’ont pas suffisamment d’argent, non seulement pour engager des bons enseignants, de construire des infrastructures appropriées, mais aussi de supporter des charges d’équipements tels que les bureaux, les laboratoires, les ordinateurs, l’internet, les dépenses de fonctionnement, etc.
Comme ces petites universités n’ont aucun moyen de donner de bons cours, la bonne formation des jeunes qui est l’objectif principal du gouvernement pour la réalisation du progrès de la nation, est devenue impossible.
A cela, il faut ajouter les difficultés d’orientation auxquelles les étudiants sont confrontés à cause de la complexité du système d’orientation. Les bacheliers sont orientés en deux étapes.
Dans une première étape, les bacheliers sont divisés en deux groupes après un questionnaire d’orientation, de près de quinze propositions, dans lequel ils expriment leurs choix : deux tiers étaient orientés dans les institutions publiques et un tiers dans les universités privées.
Dans la deuxième étape, les bacheliers orientés dans le secteur privé s’inscrivaient librement dans l’université de leur choix.
Cela a entrainé une asphyxie des meilleures universités qui ont accueilli un très grand nombre d’étudiants qu’elles ne peuvent assurer convenablement leur formation, et la fermeture des mauvaises universités. Celles qui n’ont pas été fermées sont devenues des coquilles vides qui ne survivent qu’au niveau des contrats. Quand elles inscrivent une vingtaine d’étudiants par exemple, elles les envoient en location dans les universités qui marchent moyennant des gains.
C’est face à cet étouffement des bonnes universités et les difficultés d’orientation des étudiants que le ministère de l’enseignement supérieur a imaginé un logiciel, dénommé la plateforme Djoliba, qui a été conçu dans le but d’améliorer la performance du processus d’orientation des bacheliers. Il pourrait améliorer le contrôle des effectifs à condition d’être moins opaque.
Cette plateforme Djoliba qui est une suite d’instructions données à la machine devrait permettre aux bacheliers, en tenant compte de leurs moyennes, de choisir librement leur orientation. Aussi, la plateforme devrait-elle éviter aux bacheliers de faire des longues queues devant les administrations chargées de procéder à l’orientation. Et dans ce genre de conception, les résultats peuvent être souvent contraires aux objectifs prévus comme ce fut le cas de la plateforme Djoliba qui a été expérimentée cette année.
Si la plateforme a évité aux bacheliers de faire la queue devant l’administration chargée des orientations, elle a aussi, créé une autre difficulté et non des moindres, relative au sérieux souci de connexion à l’internet, en ces temps de dégradation des prestations de nos compagnies téléphoniques. C’est ce qui a d’ailleurs poussé les bacheliers à se demander de quel gain de temps parle-t-on si le candidat à la préinscription doit patienter de longues heures, à la fin prier que la connexion soit bonne.
Obligés d’aller dans les cybercafés, payer de l’argent pour se connecter, les bacheliers sont souvent confrontés à la complexité du mode d’opération d’inscription. Quand la machine rejette une donnée du futur étudiant, il est aussitôt renvoyé revoir sa copie. Pire. Il peut répéter cette opération autant de fois que la machine rejettera en payant les frais de connexion du Cybercafé.
Aujourd’hui, la déliquescence du système d’orientation des bacheliers, à travers la mise en place de la plate-forme Djoliba, initiée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique’’ a occasionné une prolifération anarchique des universités privées et une corruption de grande envergure.
Au lieu de se référer aux capacités d’accueil communiquées par les universités privées, le ministère de l’enseignement supérieur a introduit le système de quotas qui a eu de graves conséquences sur l’orientation des bacheliers. L’étudiant n’a pas la liberté de choisir. Il est soumis aux exigences du système de quota.
Autant dire que l’introduction de ces quotas dans le logiciel Djoliba a favorisé la multiplication des petites universités privées qui ne disposent d’aucun moyen pour assurer une bonne formation aux étudiants.
En principe, cette politique d’orientation devrait présenter deux mérites essentiels, à savoir la canalisation de la prolifération d’universités, et l’octroi des moyens à celles qui le méritent. Mais avec ces quotas, certaines universités incapables de supporter le poids de la concurrence, ont été amenées simplement et purement à fermer portes et fenêtres, ou à marchander leurs étudiants aux universités qui se sont maintenues d’où l’asphyxie de celles-ci. Cela a encouragé évidemment la corruption et le marchandage étudiants contre profits que certains spécialistes considèrent comme le but recherché par le secrétaire général du ministère de l’Enseignement Supérieur, concepteur de ladite plateforme.
Ce dernier est le plus grand bénéficiaire de l’utilisation de ce logiciel par les bacheliers en négociant avec les universités moribondes et en créant des doublons ici et là pour empocher les frais de scolarité de ces étudiants fictifs, l’argent du contribuable guinéen. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer ici le cas des 1.000 doublons découverts à l’université de Kankan. Et il en est de même dans plusieurs autres universités.
Il est temps pour l’Etat de sévir contre les fonctionnaires corrompus du département de l’Enseignement Supérieur et d’arrêter cette prolifération des universités privées qui contribuent à l’abaissement du niveau de l’enseignement en Guinée. Augmenter le nombre d’établissements publics pour que l’Etat cesse de payer la scolarité des étudiants dans les universités privées et retourner à l’ancien système d’orientation. Car la plateforme Djoliba se présente non seulement comme une négation pure et simple de la politique d’orientation qui avait cours jusque-là, mais aussi comme un danger pour l’avenir du pays, qui repose essentiellement sur la jeunesse.
Avant qu’il ne soit trop tard, il est grand temps pour le gouvernement de réagir pour corriger ces écueils provoqués par la plateforme Djoliba conçue beaucoup plus dans l’intérêt égoïste du concepteur que pour assurer une bonne formation aux jeunes qui constituent l’espoir du pays de Mr. Bailo Telliwel Diallo.
Par Alassane Kaba « Jacques »