Hommage à mon père Ansoumane DORE…

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Ce papier reprend la majeure partie du discours hommage que j’ai rédigé et lu lors de la cérémonie des obsèques de mon père Ansoumane Doré le samedi 26 mars 2016 à Dijon

Bien sûr, même si vous avez l’habitude de vous exprimer sur des choses de la vie ici ou là, il est des instants et des circonstances ou s’exprimer est un exercice difficile et douloureux…

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Nous vivons aujourd’hui ce genre d’instant avec la disparition de papa ; ce genre d’instant que vous redoutez de temps à autre mais qui reste honnêtement lointain pour ne pas dire abstrait. Certes la disparition d’un être cher arrive chaque jour pour beaucoup de gens ; pire elle peut survenir brutalement et prématurément dans des situations tragiques d’accidents, d’attentats ou de guerres. Mais lorsque vous devenez concerné, lorsque vous êtes touchés dans votre chair et lorsque vous revoyez le fil de votre vie, c’est forcément très dur et difficilement exprimable

Evoquer et raconter l’histoire de papa, c’est, pour moi, faire référence à trois grandes attitudes et qualités qui auront caractérisé et jalonné sa vie. Et dans ce petit discours, j’aurai l’occasion de le citer directement.

Ansoumane Doré, notre père, c’était avant tout l’histoire d’un homme qui sera resté fidèle à ses racines et à son histoire. Arrivé en France en 1957 en provenance de sa Guinée natale, il disait souvent « malgré toutes les turpitudes de la gouvernance guinéenne en particulier et africaine en général, je reste attaché au pays profond ». J’aimais beaucoup cette belle image qu’il employait souvent : « je ne me désolidarise pas de la Guinée réelle, de l’Afrique réelle mais de la Guinée légale, de l’Afrique légale oui! ». Dans le prolongement de tout cela, il m’écrivait en février 2009 «On connaît des peuples qui, malgré, deux mille ans de diaspora et des métissages divers,  sont restés fidèles à leur racine et en sont intérieurement et extérieurement forts »

Mais Papa ne se sera pas contenté de rester fidèle à son histoire, il aura réussi à transmettre à mes sœurs Sarah, Marie et moi-même ces valeurs, lesquelles sont transmises aujourd’hui à nos enfants : Yacine, Sarah, Elias, William et Léna. Nous avons été éduqués par un papa et une maman qui avaient des origines géographiques, culturelles et religieuses différentes. Merci Papa, merci Maman de nous avoir inculqué des notions aussi importantes que le respect des différences, la tolérance et l’ouverture sur le monde, toutes choses dont le monde a cruellement besoin aujourd’hui. Finalement je me dis qu’en 1958 en se rencontrant et en s’aimant, ils avaient sans doute beaucoup d’avance sur le monde d’aujourd’hui.

Ansoumane Doré, notre père, c’était aussi un homme de principes. Il ne sert à rien de refaire l’histoire, mais il est évident que sa stature intellectuelle et sa capacité à transcender les origines culturelles, ethniques, religieuses et surtout sociales des individus en les jugeant et respectant pour ce qu’ils valaient auraient fait de lui un homme d’état. Chacun sait objectivement que les personnalités de l’envergure de papa n’ont jamais exercé le pouvoir en Guinée et qu’en lieu et place nous avons eu à subir la dictature d’un sanguinaire complexé entre 1958 et 1984, un régime médiocre entre 1984 et 2008 et puis les atermoiements d’une succession de régimes aussi insipides qu’inconsistants dans un cadre soi-disant démocratique. Vous savez quand on est mauvais et incompétent, on a peur de s’entourer de gens éduqués et brillants. Le drame guinéen se résume à cela et Thierno Monenembo, avec son talent, l’exprimerai bien mieux que moi.

En tout cas, loin de la démagogie légendaire des dirigeants africains en général et guinéens en particulier, mon père Ansoumame Doré mettait en pratique dans sa vie de tous les jours ses principes d’hospitalité et de tolérance. Je suis le témoin vivant depuis mon plus jeune âge d’un père professeur ouvrant son toit à des étudiants d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale, d’Afrique du Nord, du Moyen Orient mais aussi d’Amérique Latine. Alors vous imaginez bien que les articles qui parlaient du prétendu ethnocentrime de mon père ne peuvent que me faire sourire

Je suis également le témoin vivant depuis mon plus jeune âge d’un père qui pouvait recevoir à la maison aussi bien un groupe de travailleurs immigrés maliens que des professeurs français

Ansoumane Doré, notre père, c’était encore un homme entier, sincère, plein de convictions et surtout intellectuellement honnête. Il continuait inlassablement et surtout en toute indépendance à écrire sur les injustices, les dérives et l’inefficacité de nombreux régimes politiques africains et en particulier des régimes successifs guinéens. Il savait, en toute modestie, que des écrits ont eu leur part d’effet sur les changements politiques dans l’histoire d’autant que, comme il le disait justement « nos écrits sont attendus et lus avec fébrilité en Guinée ». Il avait rapidement compris à quel point la révolution des technologies de l’information pouvait éduquer, informer et conscientiser des populations et favoriser ainsi une réelle démocratie malgré les tentations totalitaires de pouvoirs médiocres.  

Ils étaient un certain nombre d’expatriés guinéens qui auront, au nom de leurs principes, refusé toute compromission avec des systèmes peu démocratiques dans le meilleur des cas, despotiques dans le pire des cas.

Il se retrouvait beaucoup avec ces gens qui lui ressemblaient dans la façon de concevoir la gestion de la chose publique : Lansiné Kaba de Chicago, Sy Savané de Rouen, Thierno A. Diallo de Bordeaux, Drahmane Touré de Conakry, « Ollaid » de Londres, Kylé Diallo ,Jacques Kourouma, Ibrahima Sory Makanéra de la Région parisienne,Thierno Monénembo de Caen,

Lors des 50 ans de l’indépendance de sa chère Guinée en 2008, voici ce qu’il m’écrivait.

« Pour ce cinquantenaire de l’indépendance, combien d’activistes m’ont inscrit, sans d’avance  m’avertir à des soit-disants débats à Africa n°1 ou à RFI .Le but était de se servir de moi pour se faire entendre d’eux. S’il s’agissait de débats honnêtes, j’y serais allé. J’ai participé cette année à trois débats sur RFI avec l’animateur de « Mèmoire d’un continent », l’historien « ex-zaïrois » Elikia Mbokolo et avec Mme Dominique Bangoura de l’Observatoire Politique et Stratégique de l’Afrique (OPSA). »

Il disait souvent

« Il faudrait que les détenteurs du pouvoir en place dans notre pays, en viennent à une conception de ce pouvoir qui les implique sur le terrain, dans un cadre de morale publique »

En tout cas, il nous aura également transmis ce besoin de comprendre et d’analyser le monde économique et politique qui nous entoure, faisant de nous des citoyens. Je pensais pouvoir échanger avec lui encore tellement de choses sur de nombreux sujets et questions de notre environnement, comme nous en avions pris l’habitude pratiquement chaque dimanche soir au téléphone… Ce que les dimanches soirs vont devenir tristes sans toi papa

Ansoumane Doré, notre père, c’était enfin un homme accompli, d’une richesse extraordinaire et doté d’une puissance intellectuelle exceptionnelle

D’abord d’un point de vue académique, avec de nombreuses publications économiques, démographiques et sociologiques dans le cadre da carrière universitaire ici à Dijon (j’aimais bien cette formule qui le décrivait comme le plus guinéen des bourguignons ou le plus bourguignon des guinéens). Papa appartenait à cette génération très érudite passée par ce que l’on appelait dans les années 1950 et au début des années 1960 les classes de propédeutique (espèce de courspréparatoires obligatoires, pour entrer dans l’enseignement supérieur après le baccalauréat).

Ensuite compte tenu de son éclectisme rare et incroyable. Je me souviens de sa passion pour la belle émission animalière des années 1960 « la vie des animaux » créée par Frédéric Rossif (un nom qui parlera aux plus anciens d’entre nous). Je me souviens encore de son amour pour le grand cinéma classique du western US des réalisateurs John Ford et John Huston aux grands films français avec les légendes du cinéma français des années 30, 40 et 50 (Raimu, Fresnay, Bourvil, Fernandel, Gabin, Ventura entre autres).Je me souviens aussi de ses goûts musicaux qui épousaient la diversité des styles : amoureux de la petite musique de nuit de Mozart ou des Quatre saisons de Vivaldi (allez soyons clairs, cet africain-là était forcément au-dessus du lot), mais aussi de la légendaire « eau vive » de Guy Béart. Ce qui ne l’empêchait pas de nous laisser écouter Claude François et Johnny Halliday puis plus tard Pink Floyd et Génésis et surtout Bob Marley. J’avais réussi à lui faire aimer le reggae surtout par rapport aux messages « politiques » intéressants du mouvement rastafari. De son coté, il avait réussi à nous faire partager son amour de la musique du continent africain (la Guinée naturellement avec Kouyate Sory Kandia et son « Toubaka » ou le Bembeya Jazz national et son « Waraba » mais aussi des musiques venant du Congo , de l’ex Zaire, du Cameroun, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire ou encore du Sénégal).

Et que dire de ses capacités de conteur, de pédagogue et de cette préoccupation de favoriser notre diversité culturelle. Pendant que nous lisions à l’école le Roman de Renart (avec le méchant loup Ysengrin), il nous lisait à la maison son « équivalent » africain, la belle histoire de Leuk le lièvre (avec la méchante hyène Bouki). Pendant qu’il nous encourageait à comprendre et étudier l’histoire de France de Charlemagne à De Gaulle, il nous expliquait l’histoire des empires et royaumes précoloniaux en Afrique Noire (Songhai, Mali , Sosso)

Cette faculté d’adaptation et de curiosité incroyable, c’était (vraiment douloureux d’utiliser l’imparfait) aussi et surtout cela notre père Ansoumane Doré

Le fil de votre vie qui se déroule sous vos yeux, comme je le disais tout à l’heure. Voilà Papa, je pourrai parler encore des heures et des heures de toi. Oh je n’ai pas parlé des engueulades quand j’étais jeune et adolescent, vous savez le genre de situations que l’on ne comprend pas quand on les vit mais dont on se félicite plus tard qu’elles aient eu lieu. Papa, je t’aime, Papa, nous t’aimons. Tu seras à tout jamais dans nos cœurs. Merci infiniment d’avoir été notre père.

Je ne peux m’empêcher de terminer avec ce passage de Charles Péguy et je pense que toi papa tu pourrais prononcer ce texte, toi qui aimais la belle et grande littérature française

 » Il est vrai que je suis passé dans la pièce d’à côté, je suis ici et vous là-bas. Mais, ce que nous étions les uns pour les autres, nous le restons toujours. Appelez-moi du nom que vous m’avez donné. Parlez-moi comme vous l’avez toujours fait. N’employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel ou triste, continuez à rire de ce qui nous faisait rire. Pensez à moi, priez pour moi. La vie signifie encore ce qu’elle a toujours été, le cordon n’est pas rompu.
Pourquoi serais-je hors de votre pensée? Simplement parce que je suis hors de votre vue? Soyez sans crainte, je ne suis pas loin … je suis juste dans la pièce à côté « .

MORY DORE

PS à mon père : Je n’ai pas eu vraiment l’occasion d’être présent sur les sites guinéens jusqu’à présent non pas parce-que cela ne m’intéressait pas ou parce-que je n’avais rien à transmettre – tu le sais – mais parce-que tu étais là et que tu diffusais des idées et des principes que je partageais. Aujourd’hui, et je sais que tu le souhaitais ardemment, je vais intervenir sur ces médias non pas pour te remplacer (car tu n’es pas remplaçable) mais pour diffuser, dans la mesure de mes moyens et à ma manière, mes compétences et expériences dans mes domaines d’expertise (non seulement pour te rendre un hommage permanent car après tout c’est toi qui m’a transmis ma passion pour l’économie et la finance mais aussi parce-que ceci pourra être utile à notre pays). Comme je te le disais souvent, la Guinée – comme n’importe quel autre pays dans le monde- ne pourra créer un cercle vertueux de croissance économique, de progrès social et de cohésion nationale qu’avec des professionnels et intellectuels désintéressés, avec un savoir faire prouvé et démontré dans la société civile, démocrates certes mais surtout débarrassés des turpitudes de la partitocratie. En tant qu’observateur depuis longtemps des vieilles démocraties occidentales, nous savons bien que celles-ci souffrent justement aujourd’hui de ces décalages entre la compétence et le savoir-faire des responsables politiques et la complexité des problèmes à résoudre. Inspirons nous de ce qui marche et rejetons ce qui ne marche pas. Les guinéennes et les guinéens ont besoin de pragmatisme et non de phraséologie (la spécialité des gens qui nous dirigent). Oh je sais que certains me diront que je n’ai pas jamais vécu en Guinée et que je ne parle ni le soussou, ni le poular, ni le malinké. Et alors, ne t’inquiète pas papa, je saurais leur répondre que je ne suis pas moins guinéen qu’eux ni plus d’ailleurs et que beaucoup de guinéens seront toujours très demandeurs d’idées et de propositions concrètes, simples, utiles, pragmatiques permettant de créer les conditions de la croissance et du développement.

Je ferais de l’économie et pas de la politique faisant miens les propos de l’économiste noir américain Benjamin Sowell « La première leçon de l’économie est celle de la rareté : qu’on n’a jamais assez de tout pour satisfaire entièrement les besoins de chacun. Et en politique, la première leçon est de ne pas tenir compte de la première leçon de l’économie »

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