GBK Dans un article publié chez notre confrère « Le Cercle Les Echos », M. Mory DORÉ, Responsable risques financiers, Banque mutualiste régionale a réagi à l’article du président Alpha Conde sur "l’impératif de transparence de l’Afrique" (paru dans le Cercle Les Échos le 13/06 dernier) et dans lequel le Chef de l’Etat guinéen déclarait que "le manque de transparence ronge le processus politique, compromet des principes de base démocratique et sape notre démocratie en évolution". Lisez plutôt!
{jcomments on}Aujourd’hui, j’ai décidé de réagir à l’article du président de la République de la Guinée sur l’impératif de transparence de l’Afrique (paru dans le Cercle Les Échos le 13/06 dernier).
Non pas parce que je suis un spécialiste de l’économie guinéenne et de ses considérables ressources minières, mais tout simplement parce que je conserve un lien sentimental fort avec ce pays.
Je voudrais dans ce papier interpeler le Président de la République de Guinée sur 2 points : la transparence démocratique dans les faits ; la transparence économique dans les faits.
La transparence démocratique
Le président Alpha Condé ne peut qu’avoir raison lorsqu’il affirme : "le manque de transparence ronge le processus politique, compromet des principes de base démocratique et sape notre démocratie en évolution".
Alors pourquoi ne pas faire vivre tout simplement cette démocratie dans son propre pays puisque je crois savoir que l’opposition politique ne cesse de réclamer des élections législatives qui devaient avoir lieu en juin 2011, mais n'ont toujours pas eu lieu en ce mois de juillet 2013 dans un pays qui reste gouverné par décrets présidentiels.
Au-delà d’une véritable coopération économique à laquelle vous vous référez et sur laquelle l’on reviendra, permettez-moi d’insister sur le fait que la qualité des institutions reste une des conditions nécessaires, mais non suffisantes de la croissance et du développement. Cela passe par une réelle professionnalisation de la vie économique et surtout par sa dépolitisation.
Cela passe aussi par un apaisement des tensions sociales et ethniques. Ces tensions sont naturellement un handicap majeur à tout investissement étranger.
En fait, les clivages ethniques entretenus en Guinée par les gouvernements successifs, les difficultés de vie liées à l'extrême pauvreté des couches populaires tant urbaines que rurales, le chômage massif des jeunes de moins de 25 ans (70 % de la population) et le refus de l'opposition de tout dialogue avec le pouvoir peuvent installer la République de Guinée dans des conflits sociaux et ethniques violents.
La transparence économique
Je ne peux également que souscrire aux propos du président Condé rompant enfin avec l’infantilisme et le misérabilisme primaires hérités du traumatisme colonial selon lesquels "ce qu'il nous faut maintenant, c'est le soutien des pays développés dans la construction d'un climat d'affaires global qui permet l’épanouissement de ceux qui respectent les règles, et la correction de ceux qui ne les respectent pas".
Oui, effectivement, la seule aide efficace dont devrait avoir besoin un pays en voie de développement, c’est celle qui consisterait à créer les conditions économiques de la croissance et du développement (fiscalité, code des investissements attractif et intelligent aussi bien pour l’investisseur étranger que pour le pays d’accueil).
Oui, mais voilà là encore des paroles aux actes, comportements et réalités, il subsiste des décalages aussi malsains qu’indécents.
Depuis que je suis tout petit, j’entends parler des immenses potentiels miniers de la Guinée. C'est devenu d'ailleurs une antienne pour tous les dirigeants guinéens qui se sont succédé depuis 54 ans (pour le meilleur et surtout pour le pire) de répéter que leur pays est un "scandale géologique" en référence aux variétés des ressources potentielles minières.
Mais même pendant les années de très forte production de bauxite, ressource minière de référence, entre 1976 et 1982 avec des moyennes annuelles de plus de 10 millions de tonnes, aucun effet bénéfique notable n'est intervenu ni dans le niveau de vie des populations ni dans l'aménagement des zones géographiques des unités d'implantation de bauxite et d'alumine. En revanche, les cadres de ces secteurs et les dirigeants politiques se sont énormément enrichis dans l'opacité au cours de ces années, d’abord durant la dictature de Sékou Touré puis aussi et surtout comme vous le savez pendant la période de dictature militaire (1984-2009).
Alors naturellement, tout ceci c’était avant votre arrivée au pouvoir en novembre 2010 – si ma mémoire ne me fait défaut. Mais voilà votre discours sur la transparence souffre à mes yeux d’un réel déficit de crédibilité. Sans être un spécialiste de l’économie industrielle et minière – je ne suis que spécialiste des questions économiques et financières –, je crois me souvenir que les débuts de votre présidence ont été marqués par des contrats miniers signés en catimini et dans la précipitation.
Il aura fallu que la presse internationale spécialisée intervienne en mettant en avant un certain nombre d’incohérences pour que vous fassiez machine arrière en dénonçant certains de ces contrats (ce qui, au passage, était tout à votre honneur). Alors la reprise de nouveaux contrats a démarré avec la signature d'un décret en août 2011 portant création d'une Société de Patrimoine du Secteur Minier (Soguipam) et qui a commencé à fonctionner, me semble-t-il. Je ne suis pas pour autant convaincu que le potentiel minier du pays sera mieux exploité que ces 20 dernières années.
Ce que je note en tout cas, c’est que Rusal le producteur d'alumine est à l'arrêt. On se souviendra qu’il s’agissait de l’ex Compagnie Friguia (production d’alumine de la région de Fria) dont la production d’alumine se situait entre 185 000 et 690 000 tonnes entre 1960 et 1980 (qui furent pourtant parmi les années les plus sombres de l’histoire de la Guinée indépendante).
Alors me direz-vous, il faut sans doute donner du temps au temps. Peut-être, mais permettez moi de m’interroger.
En tout cas de la transparence, cher Président Condé, oui, mais montrez enfin l’exemple tant dans le cadre de la consolidation démocratique de votre pays que dans celui de la mise en place – certes dans la mesure de vos moyens – d’une politique économique cohérente et crédible.
Vous n’êtes malheureusement pas en matière de déficit d’exemplarité – ou heureusement suivant la façon dont l’on appréhende la question – une exception sur le continent africain et, si tant est que cela puisse soulager les dirigeants africains, les vieilles démocraties occidentales ont très peu de leçons à donner en la matière. Mais bon vous ne trouvez pas que l’on a déjà perdu beaucoup de temps en Afrique en général et surtout en Guinée en particulier.
Mory Doré