La dignité de l’homme dans l’univers carcéral (Dr. Aliou BARRY)

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Au moment où nous nous consacrons aux réjouissances des fêtes de fin d’année, j’ai une pensée pour nos compatriotes privés de liberté et une préoccupation particulière pour la préservation de leur dignité dans cet univers carcéral car, la dignité de l’homme est primordiale même et surtout en milieu carcéral.

En abordant la question de l’univers carcéral, un univers créé pour l’homme par l’homme, répondant aux urgences et aux exigences répressives aptes à canaliser les déviances, les violences, les ignominies de nos semblables, nous abordons la question de l’univers sans liberté.

Je parle d’un univers sans la liberté qui s’inscrit dans une société notamment l’homme et respectant l’humain. Je parle d’un univers sans liberté inscrit dans un cadre juridique qui vise à protéger l’homme de lui-même, de l’autre qui s’est mis hors des lois, mais qui veille à sanctionner dans le respect de l’humaine condition.

La prison est une sanction. Son essence constitue la privation de liberté. Si mon propos d’aujourd’hui n’est point l’idée de justice, la notion de sanction nous renvoie aux assises de notre vie dans la cité : le bien/le mal. De ce que l’on peut faire et ce que l’on ne doit pas faire, du permissif et du condamnable. Mais cette sanction n’est pas une vengeance, ni une revanche, elle n’est pas non plus une humiliation ou un déni d’humanité. Dans notre société qui doit respecter l’humain, la sanction légale est au contraire l’affirmation ou la réaffirmation de l’humanité de celui qui est sanctionné. En le sanctionnant, ses concitoyens le reconnaissent comme faisant partie d’eux, et ceux-ci appellent au sursaut de ce qu’il y a de plus humain en lui et qu’il a nié en commettant son acte. La sanction est une mise en responsabilité. Elle rend le sanctionné responsable de ses actes, et lui confère dans le même temps un statut d’humanité qu’il avait lui-même perdu de vue. C’est pourquoi la sanction, dans son exécution, ne saurait porter atteinte à la dignité humaine. Elle devrait au contraire l’affirmer et la réaffirmer à chaque instant, afin de permettre une réconciliation de l’individu sanctionné avec ce qu’il a de plus noble en lui. Sanctionner en niant la dignité humaine c’est entrer dans la boucle infernale de la désespérance, c’est éjecter le sanctionné de la sphère humaine, de l’installer non seulement dans une négation de lui-même, mais aussi dans une négation de la société dans laquelle il vit. C’est donc le condamner à recommencer, à récidiver de la manière la pire qui soit.

Toute sanction devrait donc redéfinir la dignité, et par là-même rompre avec le passé en ouvrant au futur, c’est à dire à l’insertion ou la réinsertion.

Ceci est donc le cadre pour ainsi dire philosophique dans lequel devrait s’inscrire la sanction, et donc en l’occurrence la prison, ou l’univers carcéral.

Reste maintenant la réalité.

Pour celui qui se retrouve en univers carcéral, en prison donc, il est question de privations, de renoncement, de promiscuité, d’humiliation, d’absences de relations sentimentales et sexuelles, c’est à dire la castration pénitentiaire. Il est question de vies mises entre parenthèses, d’existences suspendues aux heures des visites familiales. En bref d’une plongée dans une condition où l’équation humaine se retrouve diminuée.

Vivre en prison relève au quotidien de la privation de tout ce que l’on vit de manière naturelle jusqu’à oublier le goût. Vivre en prison revient à demeurer en un non-lieu. Non pas dans les méandres philosophiques de l’errance poursuivie comme une démarche intellectuelle, mais dans l’obligation de se soumettre à une perte de repères sociaux, sentimentaux, culturels, dans l’obligation de vivre hors du monde, de ne partager que des espaces minimes et des moments toujours trop courts qui vous rattachent au monde sensible.

Humaniser les conditions de vie en prison n’amoindrit en rien la peine à y vivre. C’est une condition extraordinaire d’atteinte à ce qui fait la dignité humaine. Il faut partir de ce constat pour mieux savoir comment réagir et conserver à la sanction que cela représente son intention philosophique profonde.

Il faut se dire que c’est toujours un homme, aussi horrible que puisse être sa faute, son crime, qui entre en prison. C’est en homme qu’il a été jugé, c’est en homme qu’il doit subir ses années de détention. S’il a perdu de vue sa part d’humanité dans une conduite l’ayant amené en prison, il nous faut veiller à ne pas caresser dans le sens du poil sa part d’animalité. C’est un homme dont la société a la responsabilité et le devoir de préserver ce qui lui reste de prérogatives d’être humain. Amputé de liberté, un homme doit encore se considérer comme tel. Comment ne pas se révolter, face aux horribles conditions de détention dans les cales de la maison centrale de Conakry ou aux images de cette femme tenant son enfant dans ce même lieu de détention en 2016 ? Dans quel univers est né cet enfant, dans quel monde ? le nôtre assurément, celui de sa mère et le sien forcément. Quelle société autorise encore ce reniement de dignité à l’heure de mettre au monde ? Comment oser la barbarie à cet instant ? Il suffirait de détourner les regards, de corrompre nos consciences éveillées afin de dormir tranquillement, quitte à se coucher tard après y avoir pensé….

Au nom de principes et de valeurs que d’autres ont par ailleurs bafoués, nous nous devons de les assumer avec encore plus d’éclat et d’exigence. Respecter l’homme détenu, car nous l’avons respecté avant, et le reconnaitre en tant qu’homme, maintenant et pour toujours. Lui et lui seul s’est autorisé l’abrogation de son contrat social. Notre devoir est de le lui restituer. De lui offrir cette chance de le saisir à nouveau. La dignité humaine ne se négocie pas entre avocats interposés, la dignité ne se monnaye pas en années de détention comme dette à la société et en addition de douleurs inconsolables. La dignité humaine ne se réalise que dans la finitude de l’être, détenu et libre.

C’est pourquoi il me semble que c’est d’atteindre un haut degré de civilisation que de parvenir à concilier jour après jour la dignité humaine et la sanction carcérale. Priver un homme de sa liberté, c’est se rapprocher dangereusement de la négation de toute dignité, et cela très souvent à cause d’insuffisances matérielles, de contraintes de toutes sortes, de manque de personnel ou de crédit.

C’est par ce que nous sommes conscients de cela que nous devons nous efforcer de faire en sorte que le temps carcéral devienne un temps de réalisation de soi, de mise en perspective dans un projet individuel, de temps d’expérimentation de diverses pistes de possibles. Que le temps carcéral devienne non pas un temps mort, mais un temps riche.

La sanction c’est la privation de liberté, non l’humiliation, l’isolement ou la souffrance. La sanction ne réalise son plein effet que lorsqu’elle permet une interrogation saine de soi, et une possibilité de réorganisation de soi. Seulement les réalités ne correspondent pas toujours à nos idéaux, les moyens manquent et les déconstructions sociales auxquelles nous avons à faire face, nous précipitent le plus souvent dans des urgences, des adaptations et des compromis inacceptables. C’est pourquoi la dignité humaine en prison dot être l’affaire de tous. Les professionnels ont besoin de la participation de tous, de bénévoles, de sympathisants, d’initiatives et de soutien. Quand la prion va mal, nous sommes tous infectés. Quand la dignité humaine pour des raisons conjoncturelle est bafouée, nous sommes tous menacés. La prison doit s’ouvrir à une conscience plus large. Il faut que chacun s’en préoccupe, s’en saisisse, et se sente responsable de ce qui s’y passe. C’est un lieu difficile, et dans un lieu difficile toute insuffisance possède un coût dramatique en termes de dignité humaine. Et ce coût ce ne sont pas seulement les détenus qui le payent, mais c’est toute la société qui voit diminuer une partie de l’éclat de son âme.

Si le détenu est sous l’œil du gardien, le gardien sous l’œil du directeur, la prison est sous l’œil du peuple.

Aliou BARRY, Directeur du Centre d’Analyse et d’Études Stratégiques

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Laure Karcher
Laure Karcher
8 janvier 2024 17:30

Excellent article. Merci M. Barry. Il est rare de voir rappeler l’humanité des détenus/détenues, et ce devoir d’humanité envers eux.

BAMCE
BAMCE
29 décembre 2023 11:22

À l’allure ou vont les choses, la Guinée est loin de sortir des ténèbres, les droits humains et le cadet des soucis de DOUMBOUYA et son son CNRD