L’Agression du 22 novembre 1970, qui reçut le nom codifié de l’opération Mar verde (mer verte), n’a été ni une opération virtuelle ni une opération spontanée, mais le point nodal de toutes les actions de déstabilisation montées contre la Guinée, entre 1958 et 1970 ; apparemment bien préparée, elle devait constituer la solution finale pour la Première République. Mais elle fut un fiasco dont certaines conséquences désastreuses sous-tendent encore l’attitude de certains guinéens…
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Pourquoi le choix de l’agression militaire ?
C’est que de l’examen des résultats des différentes missions effectuées au Sénégal, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, et même en Côte d’Ivoire, le président ivoirien, qui coiffait et finançait principalement l’opposition guinéenne à l’étranger, et qui avait surtout aidé à la création du FNLG en 1966 et permis la mise en place d’un bureau de coordination de cette organisation en mars de la même année, en vint à la conclusion qu’il n’était pas possible d’entreprendre, avec succès , une action directe contre la Guinée à partir de ces territoires pris individuellement ; que leur appui était certes nécessaire, mais pas suffisant. C’est pourquoi il fit entreprendre d’autres démarches auprès de ses collègues africains et dans les pays européens, en particulier au Portugal, en y envoyant des Guinéens du FNLG et en faisant intervenir sa diplomatie ; il s’agissait de changer de méthodes et d’envisager une véritable agression regroupant tous ceux qui voulaient en finir avec le régime guinéen de l’ époque ; les pays européens contactés , en particulier la France, avaient accepté de mettre leurs services secrets et tous les moyens de l’ OTAN à la disposition du Portugal dont le prétexte d’intervention contre la Guinée semblait justifier une attaque militaire ; mais cette opération fut un fiasco, avec des conséquences désastreuses dans tous les domaines.
Evolution des relations des opposants guinéens de l’extérieur avec le Portugal
Mais il faut retenir que les contacts des opposants guinéens de l’extérieur, sur leur initiative et sur l’appui de leurs alliés, avec les autorités portugaises étaient étalés dans le temps :
Jusqu’en 1967, ces contacts se faisaient à travers un « comité clandestin » constitué de quatre éléments , dont selon le conseiller personnel du feu président Houphouët-Boigny « un médecin, un vétérinaire, un professeur de lycée et un employé » qui reçurent des noms d’emprunt : Francis, François, Serge et Didier ; selon ce conseiller « ils étaient prêts à s’ allier au diable, le Portugal, pour libérer leur pays » ; les contacts s’étaient intensifiés de juin à septembre 1966 ; mais les autorités portugaises hésitaient et tenaient à en savoir davantage sur le programme et le gouvernement de rechange promis. Et selon le capitaine Alpoim Calvao, organisateur du côté portugais, ils avaient « échangé les idées, analysé des possibilités, mais n’avaient pas trouvé de solutions pratiques ».
Tout changea en 1968, avec la nomination du nouveau gouverneur de la Guinée-Bissau, Antonio Spinola. Ayant senti, selon Alpoim Calvao, qu’il y avait désormais plus de possibilités de provoquer la chute du Régime de Sékou Touré, l’opposition, aidée par les feux présidents Houphouët-Boigny et Sedhar Sengor, intensifièrent les contacts, en particulier avec le ministre d’outre-mer portugais et la police secrète portugaise, la PIDE.
Des personnalités de l’opposition guinéenne, comme David Soumah, Jean-Marie Doré, commandant Thierno Diallo, pour ne citer que ceux-là, prirent langue avec les autorités portugaises. Le commandant Diallo précise même, selon l’ouvrage de sa fille, Bilguissa Diallo, que pour entrer en contact avec les Portugais, il a dépêché « le sergent Mamadou Samba, ainsi que mon grand ami Camara Laye, auteur du livre Enfant Noir » ; une information qui m’a surpris, parce que j’étais convaincu jusqu’en 2014 que cet écrivain était accusé à-tors par les autorités guinéennes de l’époque. Il a fallu la même année, date de parution du livre de Builguissa, pour savoir que sa femme Mme Marie Diara n’a pas été arrêtée en juin 1970 par vengeance, quand elle était venue en Guinée voir son père récemment libérée du camp Boiro : « Au fond, je suis convaincue, dit celle-là, que j’ai été livrée au régime par Sadou Bobo », un responsable du FNLG installé à Dakar.
Arguments utilisés par le FNLG pour convaincre les Portugais
Les responsables du FNLG réussirent à persuader les autorités portugaises que l’ alliance avec le FNLG était une nécessité politique : il leur fut facile de démontrer, qu’aidé par le gouvernement guinéen , le PAIGC qui les combattait pour son indépendance, continuait à s’implanter dans les zones stratégiques du territoire bissau-guinéen conquises et les brillantes victoires militaires et politique que ce mouvement remportait sur les forces armées coloniales portugaises conduisaient inéluctablement à la défaite du Portugal ; ils reçurent à les persuader que seule une alliance avec l’opposition guinéenne permettrait d’engager une opération d’envergure contre la Guinée Conakry susceptible de réduire la capacité militaire du PAIGC ; ce mouvement serait privé ainsi de sa base arrière, de son sanctuaire essentiel.
D’autres arguments avaient été également présentés pour convaincre les Portugais : ils étaient attendus par les populations de Conakry qui pouvaient seules débarrasser la Guinée des combattants du PAIGC ; Sékou Touré était honni et ne bénéficiait plus d’aucun appui solide à l’intérieur du pays ; le renversement du régime et l’élimination physique des différents dirigeants était d’autant plus facile que le Président guinéen ne se maintenait au pouvoir que par la terreur. Leurs amis à Conakry avaient pris toutes les dispositions à Conakry pour la réussite de l’opération.
Convaincues par ces arguments, ne pensant qu’à liquider le PAIGC et ses principaux responsables, le couper de sa base de ravitaillement et de repli qu’était la Guinée , et rassurées par les promesses d’appuis de leurs alliés de l’OTAN, les autorités portugaises se réjouirent de cet exposé et décidèrent de formaliser leurs rapport avec le FNLG.
Formalisation des rapports FNLG-autorités portugaises
Ainsi, venant d’une réunion politique consacrée à cette agression avec le ministre d’Outre-mer, le gouverneur Spinola reçut le capitaine Alpoim Calvao qui tenait à lui exposer différentes propositions d’attaque de la Guinée. Il l’interrompit et lui tendit une liste en lui demandant de prendre contact avec les principaux responsables du FNLG figurant sur cette liste « pour voir ce que l’on peut faire avec ceux-là ».
Le capitaine Alpoim Calvao se rendit aussitôt à Genève où il s’entretint longuement d’abord avec Jean-Marie Doré, alors fonctionnaire au BIT, qui se retira très tôt de l’opération vu la tournure que prenait « le jeu tribal de gens coincés dans leur exil », dit-il; le capitaine Alpoim Calvao rencontra David Soumah à Dakar ; ce dernier était soutenu par les feux présidents Houphouët-Boigny et Senghor ; il prit contact à Paris avec le commandant Thierno Diallo. Il leur donna les moyens financiers prévus pour compléter les ressources dégagées pour les frais divers que nécessite l’opération (achat d’armes et autres équipements militaires).
Il faut préciser que Siradiou Diallo se joignit au groupe contacté grâce au commandant Thierno Diallo, qui l’appelait son Kissinger son Conseiller. Selon le capitaine Alpoim Calvao, qui le trouvait « arrogant», Siradiou Diallo n’était là que comme journaliste. Et il remplira cette mission en publiant, dans Jeune Afrique, un article anonyme de diversion intitulé « J’ai participé au débarquement de Conakry » innocentant le Portugal, car l’opposition guinéenne espérait encore un appui matériel pour une seconde agression; cet article de diversion soutenait, contre l’évidence, que l’agression avait été organisée à partir de la Sierra Leone. Le démenti du gouvernement sierra léonais vint aussitôt confondre l’auteur de l’article qui préféra se terrer durant des mois.
Après une dernière réunion à Paris, tous se retrouvèrent ensuite à Lisbonne pour la mise au point définitive. Selon le capitaine Alpoim Calvao, il s’était « mis d’accord » avec ses interlocuteurs « sur une liste des membres du gouvernement avec, comme Président de la République de Guinée, David Soumah ».
Mais finalement suspecté par les Portugais sur dénonciations calomnieuses de certains responsables du FNLG, David Soumah fut mis en résidence surveillée pendant trois mois dans la capitale portugaise. Ce qui provoqua la désaffection de dernière minute des présidents Houphouët-Boigny et Senghor qui le soutenaient.
Du côté portugais, le capitaine Alpoim Calvao fut finalement retenu pour organiser et superviser l’exécution de l’opération. Après avoir eu de nombreuses séances de travail avec le ministre d’outre-mer et la PIDE, les autorités portugaises lui donnèrent leur accord pour l’idée de « coup de main technique » : transporter les éléments du FNLG jusqu’à Conakry, libérer les prisonniers portugais, détruire le PAIGC et rester quelque temps afin d’aider les envahisseurs guinéens à remplacer le régime par un autre plus accommodant.
Principaux objectifs retenus
Si le renversement du régime de Sékou Touré, était le seul l’objectif immédiat du FNLG, pour les autorités portugaises, éliminer le PAIGC, détruire ses infrastructures militaires et civiles, liquider physiquement tous les responsables guinéens et du PAIGC ciblés, en particulier Sékou Touré et Amilcar cabral, libérer et ramener les 26 prisonniers portugais du PAIGC, tout cela devait se faire immédiatement pour éviter que les agresseurs ne soient pris et exhibés par les autorités guinéennes.
Préparation matérielle
Après achat des armes, munitions et habillements auprès des sociétés bulgares , et s’être mis d’accord avec les autorités portugaises sur les modalités de préparation et d’exécution de l’opération : période d’agression (un samedi-dimanche), nombre d’hommes à recruter, les codes radiophoniques à utiliser entre eux, les lieux , la date et l’heure pour le ramassage des recrues sur les différentes plages et les signaux lumineux à utiliser, les responsables du FNLG s’attela aux recrutements des assaillants parmi des civils , pour la plupart, des chômeurs, vivants au Sénégal, en Gambie, en Sierra-Léone, et parmi les anciens militaires qui avaient rejoint la France après le référendum du 28 septembre de 1958 et qui étaient parqués à Rivesaltes (France).
Après d’autres mises au point nécessaires, le capitaine Alpoim Calvao se rendit ensuite au Sénégal et en Sierra-Léone pour procéder au ramassage des recrues dans le plus grand secret ; il ne put le faire en Gambie, où les éléments recrutés avaient été , bien avant, tous arrêtés, jugés et condamnés.
Au final, 250 mercenaires guinéens encadrés par des officiers portugais sont regroupés à l’Ile Soga, qui abritait une base militaire pour des opérations spéciales portugaises.
Même s’il fut difficile de constituer une véritable unité de combat en raison des conflits ethniques entre les recrues, les intéressés subiront, entre septembre et octobre 1970, des entrainements intenses sous des officiers portugais.
En début novembre 1970, ayant reçu le feu vert, le capitaine Alpoim Calvao fit regrouper tous les moyens matériels acquis (bateau, canots pneumatiques, armements et munitions, tenues de combat vert olive comme celle de l’armée guinéenne pour semer la confusion, etc.).
Entre le 14 et le 18 novembre 1970, il rencontra une dernière fois les autorités portugaises, en particulier le président du conseil de ministres Marcelo Caetano, pour les dernières instructions.
Le 19 novembre 1970, muni de l’autorisation finale, il rejoignit, via Bissau, l’Ile Soga où se trouvaient déjà les membres du gouvernement de remplacement qui s’embarqueront avec eux.
Des équipes mixtes (hommes du FNLG et Portugais) furent constituées sous la supervision des officiers portugais peints en noir pour se confondre avec les assaillants guinéens. Au total 450 hommes dont 200 fusiliers portugais africains et 250 mercenaires guinéens du FNLG avaient été rassemblés à l’Ile Soga pour l’opération prévue.
Selon le capitaine Alpoim Calvao, dit le « Pacha », nom pour l’agression, « les équipes ont été mises dans » six bateaux « en fonction des lieux de débarquement » avec des cibles précises: Orion, Dragon, Cassiopea, Montante, Bombarda et Hidra, chacun disposant des barques d’assaut qui devaient faire la navette entre le bateau et la côte.
Exécution de l’opération
Le trajet Ile Soga-Conakry qui eut lieu du 20 novembre, à 19h 50, au 21 novembre 1970, vers 20H30, s’effectua, sans incident.
La première phase préparée avec le Portugal
Elle concerna Conakry et eut lieu du 21 au 22 novembre 1970
Les assaillants étaient particulièrement heureux de trouver que les conditions étaient bonnes : la météorologie était favorable et la population était en plein mois de Ramadam; la fatigue et le sommeil s’étaient ainsi emparés de la plupart des militants, avec un week-end pouvant empêcher toute mobilisation administrative dans les pays susceptibles de réagir en faveur de la Guinée.
Dans la nuit du 21 novembre 1970, les assaillants ayant débarqué de l’Orion détruisirent les 7 vedettes guinéennes et rejoignirent leur bateau.
Le 22 novembre 1970, à partir d’une heure du matin, la ville de Conakry se réveilla sous un déluge de feu, attaquée sur les principaux côtés : Petit bateau, camp Boiro, centrale électrique, camp Almamy Samory Touré, Port de Belle-Vue, Port de Gbessia, etc.
Chaque groupe d’assaillants s’attaqua à des cibles préalablement déterminées.
I.- Du Dragon et de Casssiopea, débarquèrent trois groupes qui entrèrent immédiatement en action :
- Le premier groupe guidé par un espion déserteur revenu avec les envahisseurs et qui avait été interné dans « la Montagne », la prison du PAIGC, fit libérer les 26 prisonniers portugais et les transporta dans les bateaux, après avoir tué tous les gardes et de nombreux promeneurs civils surpris.
- Le deuxième groupe détruisit 5 bâtiments et 6 voitures du PAIGC et tua de nombreux militants de ce mouvement. N’ayant pas trouvé, à son domicile, Amilcar Cabral, secrétaire général du PAIGC, en mission de son mouvement à Sofia (Bulgarie), il détruisit la villa et assassina tous les gardes.
C’est le lieu de noter un fait important dans l’explication de l’échec de l’Agression: confondu avec Cabral auquel il ressemblait, le coordinateur militaire « étranger » venu informer les assaillants de l’absence de ce dernier à Conakry et donner des précisions sur les cibles, en particulier sur l’emplacement exact des avions MIGS, fut tué par les agresseurs. Seul le coordinateur civil guinéen qui se fera prendre bêtement par les autorités guinéennes tentera de remplir sa mission.
- Le troisième groupe attaqua le camp de la milice Populaire, tuant plus de soixante miliciens, la villa Syli tuant les gardes ; ayant constaté l’absence du Président Ahmed Sékou Touré, tua les gardiens et incendia la villa.
II. De Montante, débarquèrent quatre groupes
- Le premier groupe attaqua le camp de la Garde républicaine dénommé le Camp Boiro où se trouvaient, selon Alsény René Gomez, seulement 76 prisonniers. La farouche résistance des gardes sera vaine ; la plupart d’entre eux furent égorgés par les assaillants. Le camp fut pris par les portugais et remis aux hommes du FNLG dirigés par un certain Ibrahima Barry III, du FNLG.
- Le second groupe dirigé par un certain Camara Mamadou dit Thiam du FNLG obligea les responsables de la centrale électrique de Tombo à couper le courant de la ville. Tout Conakry vit dans l’obscurité qui ne profita pourtant pas aux agresseurs.
- Le troisième groupe, comprenant du côté du FNLG, le commandant Thierno Diallo, qui aurait été proclamé Président de la république à la place de David Soumah en cas de victoire, le commandant Hassane Hassad et le journaliste Siradiou Diallo, occupa le camp Almamy Samory Touré après avoir détruit 16 véhicules, tué plusieurs soldats et incendié les édifices de l’Etat-major du camp.
Ce groupe aurait été arrêté si un complice de l’intérieur n’avait pas mis une pirogue à sa disposition lui permettant de rejoindre l’un des bateaux qui avait déjà levé l’ancre : sa radio ayant été détruite, ce groupe responsables étaient pratiquement coupés des autres assaillants. Or, l’étau se resserrait déjà autour des agresseurs.
III.- De la Bombarda, quatre des cinq équipes débarquèrent à la plage Péronne, actuelle Cité Mohamed VI :
- La première équipe ne put atteindre son objectif, la Voix de la Révolution, la RTG actuelle à Boulbinet, pour des raisons qui n’ont pu être éclaircies par l’Etat-Major de l’Agression. Elle était pourtant dirigée par un ingénieur électronicien guinéen, Tidjane Diallo, du FNLG.
qui a vécu à Conakry, avant sa fuite à l’étranger.
- Les trois équipes constituées pour couper Conakry I de Conakry II afin d’empêcher l’arrivée des renforts de l’intérieur ne réussirent pas à atteindre leur objectif.
- La cinquième équipe, chargée de l’arrestation du président Ahmed Sékou Touré, ne débarqua pas, ayant été informée par des complices intérieurs qu’ils n’avaient aucune trace du leader guinéen ni à la villa Syli de Belle-Vue, ni au Palais de la Présidence de la République où certains l’avaient soit disant entouré pendant un certain temps pour assurer sa sécurité ; finalement tétanisés parce que certains avaient été très tôt découverts par l’américain Carl Minkaël qui les avait filmés de la résidence de l’ Ambassadeur de la Tanzanie et remis le film au Président Ahmed Sékou Touré, des complices intérieurs préférèrent disparaitre du Palais de la présidence, en attendant l’ accalmie .
IV .De la Hydra, l’équipe chargée de la destruction des MIGS se dirigea vers son objectif, l’aéroport Gbessia, pour détruire ces avions afin de faciliter l’intervention de la Force aérienne portugaise prévue. Par précaution ces avions avaient été déplacés. L ‘équipe mixte, malgré toutes les fouilles, ne put trouver les MIG ; il a fallu cependant des instructions fermes du capitaine Alpoim Calvao, pour que le groupe du FNLG, dirigé par le sous-lieutenant Boiro et Amadou Diallo, ancien contrôleur de la circulation aérienne à l’aéroport de Conakry avant sa fuite à l’étranger, ne détruisent par dépit tous les autres avions trouvés sur place. Le lieutenant Juan Januario et ses hommes, chargés de détruire les MIGS, préférèrent se rendre aux autorités de Conakry. Un échec décisif.
Riposte populaire
A 9 heures du matin, réfugié, après le Palais, chez une militante au quartier Almamya, feue Madame Guichard, sur insistante de son épouse, hadja Andrée Touré, le Président Ahmed Sékou Touré lança son premier appel de résistance, suivi de plusieurs autres tout aussi pathétiques.
Ce fut la débandade chez les assaillants et en particulier au sein des groupes de complices intérieurs qui n’eurent pas le temps de se regrouper, quand bien ils avaient des brassards verts indicatifs ceints au bras.
Aussi, passé l’effet de surprise et l’impact patriotique de ces appels aidant, la promptitude de la résistance et de l’offensive organisée immédiatement par le parti et l’armée eurent raison des agresseurs. Les professeurs, étudiants de Poly et l’Armée réussirent à libérer le camp Boiro. Quant aux portugais qui rejoignaient les bateaux aussitôt que leurs objectifs étaient soit atteints soit ratés, embarquèrent aussitôt leurs hommes de troupe. Ce qui leur permit de partir aussi rapidement que possible. L’équipe gouvernementale de remplacement ne put donc pas descendre.
Selon, le capitaine Alpoim Calvao, « ceux du Front qui voulaient aller avec nous, se sont embarqués, d’autres, convaincus que le peuple finira par se révolter et les soutenir sont restés et ont eu le sort que vous connaissez ».
Désemparés et surpris par la résistance populaire, les responsables du FNLG ont préféré, comme des lâches, s’enfuirent en abandonnant certains de leurs mercenaires pris au piège.
Le dimanche, le lundi et le mardi furent les journées de calvaire pour les assaillants du FNLG et des portugais africains abandonnés sur le terrain : traqués, parce que ayant soit infiltrés les concessions, soit dissimulés dans les arbres d’où certains tiraient sur les passants, soit capturés au marché du Niger à la recherche du manger, ils seront tous tués. Aucun assaillant abandonné n’échappa à la vigilance des militants du parti, de l’armée et du PAIGC.
C’est dire qu’il faut retenir également que le PAIGC, dont le sort était lié à celui du PDG-RDA, a joué un grand rôle dans l’échec des agresseurs: les hommes cantonnés à Conakry réussirent à faire démasquer les assaillants portugais, trahis par l’emploi du portugais et à les combattre. Le front de Boké avait été dégarni et les renforts constitués furent dirigés par le futur Président de la République du Cap-Vert, Pedro Pires, pour renforcer la défense de Conakry organisée par les autorités guinéennes.
La deuxième phase de l’agression, organisée par le FNLG
L’agression contre Conakry ayant lamentablement échoué, le FNLG engagea une autre agression, du 26 au 29 novembre 1970, cette fois par la frontière de la Guinée-Bissao, à Koundara qui enregistra des attaques meurtrières d’une grande ampleur. Il s’agissait, pour le Front, d’y créer un maquis pour continuer la lutte sur le terrain espérant être rejoint par ses partisans intérieurs. Selon Alpoim Calvao, les autorités portugaises ignoraient ce plan. L’échec sera, là aussi cuisant ; certes on dénombra, parmi les Guinéens, de nombreuses morts , des centaines de blessés et des dégâts matériels importants, mais les assaillants avaient été soit liquidés sur le champs, soit capturés(23 dont 21 anciens soldats de l’ armée coloniale française recrutés en France ).
La solidarité internationale envers le peuple de Guinée
Mais, à quelque chose malheur est bon ! L’agression démontra aux adversaires de la Première République que la Guinée n’était pas isolée. De partout parvinrent des messages d’indignation et de soutien, des dons divers ; la communauté internationale fut presque unanime à condamner cette opération militaire comme un crime.
L’ONU se saisit aussitôt du problème à l’appel de son représentant résident en Guinée et de celui de la Guinée aux Nations Unies
Dès le 23 novembre 1970, le Conseil de Sécurité exigea le retrait de toutes les forces d’invasion de la Guinée et décida de dépêcher une commission d’enquête qui séjourna à Conakry du 25 au 28 novembre 1970 et dont les conclusions seront rendues publiques le 5 décembre 1970.
Le 8 décembre 1970, il fit siennes ces conclusions ; après avoir situé la responsabilité effective du Portugal, il condamna, par 11 voix et 4 abstentions, « énergiquement le gouvernement portugais pour son invasion de la République de Guinée » et lui exigea de l’indemniser intégralement.
Après avoir salué et remercié les Nations Unies, le gouvernement guinéen signifia, dans une lettre du 18 décembre 1970 au secrétaire général U THANT, qu’ayant été agressée pour son soutien au PAIGC, la Guinée n’acceptera qu’une seule réparation du Portugal : la proclamation de l’indépendance de toutes ses colonies : Angola, Guinée –Bissau, Mozambique, Sao Tome et Principe.
En Afrique, différents pays firent non seulement des dons en nature et argent, mais mirent aussi leurs armées en alerte pour des interventions aux côtés de la Guinée. Des manifestations populaires de soutien se déroulèrent dans presque tous les pays.
Quant aux organisations africaines, elles soutinrent toutes la Guinée et votèrent des motions contre le Portugal.
L’OUA
Après l’OERS dès le 24 novembre 1970, la réaction de l’organisation continentale fut tout aussi prompte et ferme. Ses 41 ministres des Affaires étrangères, réunis du 9 au 12 décembre 1970, votèrent à l’unanimité une motion qui exigea, entre autres, qu’ « un châtiment exemplaire soit infligé à tous ceux qui ont collaboré et perpétré l’agression contre la République de Guinée ».
Les pays arabes et les pays socialistes eurent les mêmes attitudes de soutien politique, diplomatique, etc.
Mais pourquoi l’agression a échoué ?
Le plan des agresseurs contre la Guinée paraissait opérationnel et le succès était assuré parce que les Portugais s’étaient fondés sur la puissance de l’OTAN dont ils faisaient partie, surtout que cette organisation leur apportait tout son soutien dans leur guerre contre les mouvements de libération nationale. Le Portugal put certes libérer les 26 portugais du PAIGC, mais ne put détruire le PAGC. Quant au FNLG, il n’atteignit aucun de ses objectifs.
Le capitaine Alpoim Calvao dégage trois causes de l’échec lamentable :
- Le manque d’informations précises et fiables sur les principales cibles (la position des MIGS, la radio, les principaux responsables guinéens et du PAIGC, Ahmed Sékou Touré et Amilcar Cabral en particulier).
- Le manque de soutien pourtant promis par le FNLG et attendu des complices intérieurs ; selon Alpoim Calvao « ils nous avaient assurés qu’ils avaient des appuis internes actifs ».Or, très peu de ceux-là ont osé exhiber le brassard vert, signe distinctif des partisans intérieurs des agresseurs; même ceux qui s’étaient agglutinés autour du président Ahmed Sékou Touré au Palais de la Présidence, face à la réaction populaire, après quelques heures de surprise et d’effroi, étaient presque tous tétanisés ; tous eurent peur d’agir et n’avaient , pour seuls soucis, que l’affirmation de leur patriotisme, de la sincérité de leur loyauté et de leur fidélité au PDG-RDA et à son secrétaire général.
- La troisième cause de l’échec serait le manque de cohésion qui sévissait au sein de l’opposition guinéenne, du FNLG en particulier. C’est pourquoi il recommanda aux autorités portugaises : « de faire … soigneusement des investigations sur des individus qui viennent à se présenter à nous comme chefs de l’opposition aux régimes africains, nos adversaires. Le panorama que le FNLG nous a présenté, poursuit-il, sur la situation de la République de Guinée est fondamentalement correct, mais a échoué totalement concernant l’appui qu’il prétendait avoir à l’intérieur de la Guinée. Le même FNLG avait des tendances divergentes et pour notre mauvaise chance, nous avons choisi la tendance la moins honnête pour travailler avec nous », conclut-il.
Voilà brièvement présenté l’introduction au débat que l’ONG « Plus jamais d’agression contre la Guinée » nous avait demandé de traiter.
Beaucoup d’autres questions ont été soulevées à propos de cette opération assassine et irresponsable aux conséquences humaines et matérielles regrettables : les autorités politiques de l’époque n’avaient-elles pas parlé de 365 morts et le capitaine Alpoim Calvao « plus de 500 » ?
Nous pensons que ces questions feront l’objet de notre débat. Mais nous souhaiterions surtout que ce débat soit civilisé et que les intervenants mesurent leurs propos et restent jusqu’à la réaction à ces propos. Car, quand on est sûr d’avoir raison et que l’on dispose de preuves irréfutables pour illustrer cette conviction, on ne fuit pas un débat public contradictoire ; on le recherche.
N’oublions pas que les Guinéens doivent se réconcilier définitivement entre eux et par eux-mêmes sur la base de la Vérité et de la justice qui sortiront de la confrontation des idées et des faits replacés dans leur contexte propre, de façon publique et contradictoire. Toute autre démarche amusera certes la galerie et profitera financièrement à certains comme nous l’avons vu, mais n’aboutira pas à notre objectif fondamental : la réconciliation définitive comme le veulent nos populations.
Je vous remercie de votre aimable attention.
El hadj Sidiki Kobélé keita Enseignant-chercheur