Invité au salon du livre à Paris et, tout en consacrant le reste de notre temps à des recherches documentaires, nous avons eu, du 20 mars au 17 avril 2015, des occasions de participer à quelques rencontres très instructives et de recevoir des jeunes très curieux et très exigeants. Mais c’est l’ambiance et le contenu de la conférence du 29 mars 2014 qui nous ont le plus marqué.
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En effet, à l’occasion de l’anniversaire du décès du Président Ahmed Sékou Touré, le 26 mars 1984, le Club-France du même nom a organisé une conférence sur le thème « Diaspora guinéenne pour la réhabilitation de la mémoire collective dans la perspective de la réconciliation nationale ».
Atmosphère sereine
Les débats ont été particulièrement intéressants, ouverts, respectueux et enrichissants.
Après le souhait de bienvenue du dynamique et courtois Président du Club, Mr Kémoko Camara, et l’intervention intéressante de Mr Gouéressy Condé, ancien ministre de la Sécurité, qui nous a notamment appris que, grâce à l’entremise de son organisation, les membres de « l’association des victimes du camp Boiro » et celle du 4 juillet 1985 dirigée par monsieur le commissaire Youmessy se rencontrent désormais et notre brève contribution, nombreux furent ceux qui avaient tenu à participer aux débats ; tous le firent dans une atmosphère amicale, civilisée et de façon très profitable.
Avant d’apporter quelques précisions sur diverses questions évoquées, nous avons tout d’abord tenu à affirmer qu’ Ahmed Sékou Touré est une page essentielle de l’histoire de la Guinée, de l’Afrique et du monde qu’on ne peut arracher à moins qu’on ne veuille tronquer cette histoire ; nous avons ensuite félicité le club pour son bilan largement positif dans le domaine de la communication et de l’information, en particulier. Nous devions d’autant plus le faire que l’approche des contentieux guinéens est devenue, dans le milieu guinéen, en Guinée comme à l’étranger, plus scientifique, donc plus objective parce que plus critique, moins passionnée, grâce cette structure culturelle et à d’autres cadres tout aussi déterminés à défendre la vérité des faits vérifiables et non des affabulations, même si certains philistins, fatigués, pitoyablement fanés et des ethnocentriques indécrottables continuent à ramer à contre-courant.
Certes, la répression est toujours la partie visible de l’iceberg en Guinée et permet tous les fantasmes sur le droit de l’homme ou sur tout autre sujet sensible (le droit du peuple n’est plus évoqué en Guinée depuis le coup d’Etat du 3 avril 1984) ; il s’agit d’obtenir l’apport financier de certaines organisations étrangères dont les représentants sont toujours prêts à s’associer à la comédie guinéenne pour justifier la gestion des fonds destinés à amuser la galerie et à toutes les gymnastiques juridiques de certains cadres guinéens en mal de popularité ; son évocation continue à s’accompagner d’une charge affective que véhicule la littérature de douleur pour conditionner les faibles d’esprit et quelques déséquilibrés mentaux qui continuent à surfer négativement sur des sites ou dans certains journaux ou radio d’opinion.
Prise de conseil chez les jeunes
Mais en Guinée comme à l’étranger, nous avons noté que nombre de jeunes – cible principale de tous les protagonistes- ceux qui n’ont pas vécu les faits du passé récent ou qui les vivent sans en connaître les causes véritables, les acteurs, les mécanismes de préparation ou de montage et le rôle de relai manipulateur qu’ont toujours joué certains médias africains et européens quand il s’agit de tout évènement qui se déroule en Guinée, ne se contentent plus des témoignages arrangés ; ils ne sont plus sensibles à l’évocation politicienne des faits historiques récents, des rencontres-spectacles de Conakry presque toujours télévisés, relatés dans la presse écrite ou dans certaines Radios avec des qualificatifs parfois injurieux ou diffamatoires; ils ont abandonné l’esprit de critique au profit de l’esprit critique ; ils veulent aller désormais au-delà des témoignages sciemment falsifiés, tronqués pour les tromper ; ils veulent désormais comprendre ; aussi, se posent-ils ou posent-ils des questions diverses, éprouvent-ils de l’inquiétude intellectuelle à travers une lecture intense et variée des ouvrages à références vérifiables sur la Guinée et des discussions fréquentes avec les auteurs. Nous pouvons d’autant plus le certifier que nos entretiens, comparativement à ceux de 2012, même au téléphone, avec les jeunes, en Guinée comme à l’étranger, sont devenus de plus en plus sereins, respectueux et enrichissants.
Absence regrettée du club Telli Diallo
Il faut noter aussi qu’au cours des débats, des intervenants, à cause du thème de la Conférence, ont vivement regretté l’absence du club Telli Diallo ; selon monsieur Kémoko Camara, ce club y avait été invité. Or, puisque la réconciliation nationale est une nécessité vitale pour la Guinée et devrait intéresser tout le monde ; toute rencontre amicale entre les Guinéens doit encouragée et se dérouler dans un cadre civilisé, être l’occasion de débats contradictoires, francs et sincères sur nos contentieux en vue d’aboutir à une compréhension entre nous et, si possible, en une entente. Il ne sert à rien de retarder ou bouder ces débats et espérer être dans une hypothétique position de force pour se venger un jour comme nous l’avons vécu dans la nuit du 7 au 8 juillet 1984 et suite à la tentative du coup d’ Etat des 4 et 5 juillet 1985, du moins pour ceux qui ruminent cette illusion qui a provoqué beaucoup de ressentiments et de rancœurs, mais n’a pas assouvi le désir de vengeance de certains citoyens. Seule la confrontation des arguments et des idées permettra de relativiser les points de vue et de faciliter la compréhension, puisque chacun a sa vérité et s’y tient mordicus.
Cette attitude du club Telli Diallo nous a fait penser à la même attitude qui s’était produite en 2004, quand les autorités de l’Afrique du Sud avaient décidé de décorer, à titre posthume, les feux Gamal Abdel Nasser, Ahmed Sékou Touré et Telli Diallo de leur plus haute décoration pour la contribution de ces personnalités à la libération de l’Afrique et au processus d’unification de ce continent : « Ordre des Compagnons suprêmes du Cor Oliver Tambo en Or ».
L’intransigeance de certains éléments de la famille de Telli Diallo ayant heurté les autorités sud-africaines auxquelles on aurait rapporté certains propos désobligeants, seule la décoration des deux feux chefs d’Etat a été respectivement remise le 21 octobre 2004 à leurs parents au cours d’une grande cérémonie de caractère international ; le nom de Telli Diallo n’ a pas été prononcé une seule fois; ce que tous les Guinéens et les cadres progressistes de l’Afrique du Sud, de l’Angola, du Mozambique, de la Guinée-Bissau, etc., qui ont vécu en Guinée ou participé à différentes rencontres internationales où les Guinéens dont Telli Diallo avaient défendu avec acharnement et brio le bienfondé de la lutte de leur peuple pour l’indépendance, ont vivement regretté ; au cours de la collation qui a suivi la cérémonie de remise des décorations et qui a permis des entretiens libres en aparté, cette constatation était l’objet de discussions ; la plupart des participants s’attendaient à voir et s’entretenir avec les représentants de Telli Diallo.
En effet, après les cérémonies officielles, des cadres sud-africains ont interpellé certains guinéens de la délégation -dont l’auteur- ou résidant dans leur pays pour connaître « la cause ou le prétexte de ce refus des parents du premier secrétaire général de l’OUA de répondre à l’invitation de notre Pays. Il est vrai, disaient-ils, que Mr Telli Dialo appartient d’abord à ces parents et à la Guinée ; mais, devenu un personnel public, il appartient désormais à l’Afrique depuis 1963. Aucun pays africain n’est obligé de consulter la Guinée pour lui faire honneur à titre posthume, à plus forte raison sa famille».
En fait, les autorités sud-africaines avaient fait cela dans un esprit de réconciliation.
A propos de la réconciliation nationale
C’est en cela que nous avons également félicité le club Ahmed Sékou Touré-France pour avoir choisi le thème qui traduit le mieux la deuxième grande préoccupation actuelle de la Guinée, après la guerre contre l’Ebola : la réconciliation des Guinéens entre eux et par eux-mêmes ; les partisans d’une réconciliation effective et définitive militent soit pour une véritable conférence nationale, soit pour une approche directe entre les protagonistes, mais toute deux fondées sur un dialogue national contradictoire organisé et supervisé, mais non dirigé par les autorités guinéennes actuelles ; celles-ci n’étant, en principe, pas directement impliquées dans la plupart des contentieux, ou ne devant pas être juges et parties, doivent imposer des débats contradictoires, sans conséquence négative entre les protagonistes ; mais certains estiment que « le problème est actuellement mal posé et qu’il ne sert à rien de vouloir réconcilier sur la même base et de la même manière, puisque le contexte des contentieux des trois Républiques ne sont pas les mêmes et puisque les protagonistes risquent finalement de rester braqués sur leur position ».
Nous avons dès lors conseillé au Club Ahmed Sékou Touré-France de maintenir sa position apolitique, d’éviter toute attitude rigide ou passionnelle ; il doit continuer à accepter la contradiction, convaincre par des arguments objectivement irréfutables ; continuer à être une structure culturelle et scientifique ouverte à tous, au service de tout guinéen qui partage son objectif d’écriture et de lecture correctes et autant que possible objectives de l’histoire récente de la Guinée et de l’ Afrique, quelle que soit la position politique de l’interlocuteur; nous avons conseillé à ses membres à participer à toute rencontre de Guinéens pour y défendre la nécessité de la réconciliation nationale définitive sur la base de la vérité historique.
Spécificité des contentieux guinéens
Mais nous avons constaté aussi que pour nombre de jeunes Guinéens, nos problèmes sont spécifiques et politiques ; nous devrions, pour les résoudre, les replacer ,selon eux, d’abord dans leur contexte véritable et en débattre avec des concepts de l’époque et sur le plan politique; ils ont dès lors insisté sur le fait qu’aucune solution importée à travers des concepts inappropriés, inadéquats, ne peut les résoudre ; certes, des exemples pris en Rwanda, en Afrique du Sud ou ailleurs peuvent nous aider à mieux cadrer nos rencontres sur nos conflits. Mais ce sont de vrais débats contradictoires et civilisés entre les Guinéens sur leurs seuls contentieux replacés dans leurs contextes véritables qui faciliteront leur réconciliation définitive et non conjoncturelle ; cette réconciliation ne doit se faire que sur la base du seul triptyque recommandable en la circonstance: vérité, justice et réconciliation ; que toute autre approche, en particulier les réhabilitation furtives à travers des rapports arrangés et des propositions subjectives, partiales et partielles de certains départements ministériels ne fera que prolonger l’incompréhension entre les Guinéens et faciliter l’émergence d’autres conflits. Elle seule fera taire définitivement, parce que confondus, les menteurs, les démagogues, les opportunistes, les falsificateurs des faits avérés, les affabulateurs, les belliqueux, les ethnocentriques et les cadres en mission commandée ; ceux-là qui ont fait de nos contentieux leur fonds de commerce auprès de certaines organisations internationales et qui ne veulent pas en fait que les Guinéens s’entendent, s’unissent pour se consacrer à la seule chose qui vaille, après s’être compris et mutuellement pardonnés, même s’ils n’oublient pas les reproches réciproques : le développement unitaire et harmonieux de leur pays au service de tous.
Nous devons effectivement tirer les leçons des précédentes tentatives de réconciliation nationale: nous avons déjà perdu tellement de temps, imaginer tellement de solutions stupides (échecs de la commission du livre blanc mise en place par le CMRN pour démontrer que tous les complots dénoncés par les autorités de la première République étaient faux ; du ministère de la réconciliation dont les cadres dirigeants n’ont pas compris l’objectif unitaire visé à l’époque, la conférence nationale annoncée, mais non tenue du CDD) et gaspiller tellement d’argent en enrichissant certains !
Ce qui est également heureux à noter, c’est que la grande majorité des jeunes de la diaspora semble aujourd’hui persuadée que nous devons militer, effectivement et sans préjugé, pour une réconciliation véritable et définitive quoiqu’il nous en coûte de remise en cause de nos certitudes, car comme nous l’avons souvent dit, une plaie masquée n’est pas une plaie guérie ; tous souhaitent que nous abandonnions les solutions dilatoires, militent pour un débat public contradictoire et civilisé organisé par les autorités centrales, le seul remède pour une guérison définitive de nos maux ; ce débat constitue la voie royale vers une démocratie vraie, apaisée, rejetant tout mimétisme désintégrateur dont des « experts guinéens et étrangers » et certaines Ambassades nous abreuvent tous les jours, comme si les Guinéens étaient des enfants à éduquer politiquement.
Ne pas bâcler la réconciliation nationale
Il faut également insister sur un autre souci de certains intervenants à la conférence du 29 mars et des jeunes qui nous ont rendu visite ou nous ont téléphoné afin d’approfondir les discussions portant sur l’histoire récente de la Guinée : la nécessité de ne pas bâcler l’entreprise de réconciliation nationale en voulant imposer des solutions improvisées à partir des approches non appropriées ou en tenant à examiner globalement tous les cas, alors que les différentes catégories de « victimes » résultent de contentieux aux contextes différents, aux causes spécifiques ; puisque tout le monde est d’accord de se réconcilier sur une base objective afin d’éviter tout rebondissement, certains jeunes ont évoqué la nécessité de la mise en place de commissions ad hoc pour une certaine durée. Ces structures consensuelles seraient chargées de mener des enquêtes minutieuses et d’examiner cas par cas, complot par complot, contentieux politique par contentieux politique; cela permettrait de mieux saisir chaque cas dans tous ses aspects à partir de la cause spécifique et son mécanisme de montage par les protagonistes du contentieux abordé. Ils sont convaincus que notre histoire n’étant pas linéaire, mais séquentielle et s’inscrit dans des contextes spécifiques précis, l’examen global de nos contentieux risque de heurter l’une des parties en conflit qui ne satisferait pas de solutions imposées, chaque partie ayant sa vérité et ses arguments.
En effet, à partir du moment où les structures de consensus chargées d’élaborer des rapports d’enquête et non de faire des propositions s’attèleront à leur travail, il serait facile d’exiger de chaque groupe de victimes, le Peuple et des individus, la culture de la patience, de la paix ; toutes les parties en conflit sont convaincues que les résultats des enquêtes feront l’objet de débats publiques contradictoires et civilisés en vue de l’établissement de la VERITE dans une atmosphère apaisée et que les vraies victimes seront alors réhabilitées et éventuellement indemnisées, si cela se justifie.
Nécessité de déclassifier les archives françaises sur les rapports franco-guinéens de 1958 à 1984
A ce propos, la décision prise en France par l’Elysée, le 7 avril 2015, de déclassifier ses documents d’Archives relatifs au génocide des Tutsis du Rwanda pour la période 1990 à 1995, (en attendant que le ministère de l’Intérieur, ceux de la Défense et des Affaires Etrangères, l’Assemblée nationale et les services spéciaux en fassent autant), a relancé le débat sur la réconciliation des Guinéens, au cours d’un dîner d’amis, le 15 avril 2015 suite à une question qui nous a été malicieusement posée par un invité dont un parent faisait partie des victimes de l’agression du 22 novembre 1970 contre la Guinée: « Mr Kobélé vous êtes en Guinée depuis 1967 ; vous avez choisi la période 1945 à nos jours comme domaine de recherche et vous avez été aussi, un moment, chef de cabinet du feu Président Lansana Conté ; selon vous, pourquoi les autorités guinéennes n’ont jamais voulu, depuis le 3 avril 1984, demander ou exiger de la France la déclassification de toutes ses archive relatives aux rapports franco-guinéens de 1958 à 1984, ne serait-ce que pour prouver l’innocence de certains guinéens accusés à tort ou à raison de trahison et qui, semblent-ils, furent victimes de la répression dialectiquement liée aux tentatives de liquidation du régime politique de la première République organisées par les différent gouvernements français, aidés de leurs alliés américains, européens et des « Foccart africains ? La transparence en vue d’une vraie réconciliation nationale l’exigeaient en Rwanda ; elles l’exigent toujours en Guinée». Nous n’avons pas pu répondre à cette question que nombre de patriotes guinéens et africains continuent à se poser.
C’est l’occasion de dire que la théorie de l’Etat guinéen seul responsable des contentieux en Guinée depuis 1958 est une fausse théorie ; ceux qui l’évoquent tentent tout simplement de dégager la responsabilité de la France de l’époque et proposer des solutions dilatoires qu’ils tentent de faire partager par les autorités guinéennes ; ils donnent l’impression d’avoir peur de la lumière comme les voleurs ; il est vrai qu’ils savent que leurs arguments ne résisteront pas, lors de débats publics contradictoires sur les résultats des enquêtes des structures suggérées, face aux aveux du général de Gaulle, Jacques Foccart, Pierre Messmer, Maurice Robert, Philippe Bernert, Patrice Chairrof, Constantin Melnick, Jacques-Faragué Toukara, Ibrahima Fofana, Almamy Ibrahima, Apoim Calvao, Alpha Oumar Bah (seul mercenaire d’origine guinéenne capturé et dont la déposition devant les commissions d’enquête des Nations Unies et de l’OUA à la suite de l’ agression contre le Benin le 16 janvier 1977 avait fortement impressionné les membres de ces commissions),etc. Ont-ils lu les témoignages de Jacques Baulin, Jacques Batmanian, Roger Faligot et Pascal Krop, Robert Julienne, Patrick Pesnot, Pierre Péan, Bob Denard, etc., pour ne citer que quelques ouvrages imprimés parmi une cinquantaine disponibles sur les rapports conflictuels entre la Guinée et la France avant 1984 ? Si oui, ils sont de mauvaise foi et ne militent pas pour une vraie entente entre les Guinéens.
C’est dire que la position que nous avons toujours défendue, que nous continuons à défendre et qu’un ancien prisonnier du camp Boiro, Dr Baba Kourouma, gouverneur de Conakry au moment de l’agression du 22 novembre 1970 contre la Guinée, au cours d’une conférence tenue en 2010 au Palais du Peuple (Conakry), a appuyée, ne peut être objectivement rejetée : tout en admettant qu’il y a eu des règlements de compte et des délations calomnieuses dont nous avons failli être victime dans la nuit du 25 au 26 novembre 1970, nous continuons à affirmer que tous ceux qui ont été emprisonnés au camp Boiro ou dans d’autres prisons ou ont failli y séjourner n’ étaient pas tous coupables, mais tous n’étaient pas innocents non plus de participation aux opérations de déstabilisation dénoncées par les autorités de la première République. Nous continuons à penser qu’il n’y a aucune honte à soutenir qu’on a fini par lutter contre un régime dont on a fini par ne plus approuve les options politiques et idéologiques ou les pratiques, même si on a été par ailleurs l’un des privilégiés dudit régime jusqu’à l’arrestation (membre du BPN, du comité central, du gouvernement, diplomate, gouverneur de région, préfet, député ou des structures du parti) .
Ainsi, si
1. Les contentieux du 4 juillet 1985 à novembre 2010 se situent entre l’Etat guinéen et des citoyens guinéens, sans implications étrangères avérées.
2. Les contentieux du 28 septembre 1958 au 3 avril 1984 impliquent effectivement les différents gouvernements français d’alors ; mais en raison du principe de la continuité administrative, ils ne peuvent pas se régler définitivement sans la participation des autorités française actuelles par la déclassification des archives de la France relatives aux rapports franco-guinéens de cette période. Des citoyens guinéens ont été accusés d’avoir été utilisés par ces gouvernements contre leur peuple ; des responsables des services secrets français l’ont confirmé dans des écrits imprimés et internationalement édités. Seules ces archives peuvent attester l’innocence de certains de ces accusés.
Mais pour appréhender tous les aspects desdits contentieux, les autorités guinéennes actuelles doivent également travailler à la récupération du patrimoine documentaire spolié et conservé indûment par certains citoyens ; exiger en particulier la restitution de tous les documents d’archives de la Première République puisque ce régime s’est écroulé en laissant toutes ses archives intactes (Permanence Nationale, Présidence de la République, Départements ministériels, services de sécurité, de la gendarmerie, de l’ Armée, Camp Boiro etc.) pour la période du 2 octobre 1958 au 3 avril 1984 ; il s’agit de s’adresser aux membres du CMRN, membres des gouvernements successifs, des diplomates et de nombre de cadres guinéens plus ou moins impliqués encore vivants, tel El hadj Sékou Mouké Yansané, qui se glorifie au cours de chacune des présentations de mes ouvrages « aux 72 heures du livre » d’être un témoins incontournable de l’histoire récente de la Guinée (mais qui n’a jamais rien écrit) et affirme gaillardement détenir des documents importants trouvés au camp Boiro le concernant).
Le Président Paul Kagamé vient de nous donner une leçon : malgré le geste positif de l’Elysées, il n’a pas manqué de reprendre, le 8 avril 2015, ce passage de son discours de l’année dernière : « Aucun pays n’est assez puissant, même s’il pense l’être, pour changer les faits. Les faits sont têtus ». C’est ce courage qui a toujours manqué à nombre de cadres guinéens, surtout à ceux qui doivent tout à la première République, de la formation (tous les cycles gratuits) à l’emploi effectif en particulier. Il est vrai que certains cadres ont tout simplement peur qu’une telle action des autorités françaises actuelles ne les livre aux vindictes populaires.
Nous voudrions bien les voir aux commandes face à une telle hostilité, à une telle détermination à liquider un régime dans lequel ils jouent un rôle déterminant. Nous estimons que certains cadres guinéens doivent cesser d’amuser la galerie et militer, comme le veulent les autorités guinéennes actuelles, pour une vraie réconciliation nationale à l’issue de laquelle on parlera alors de réhabilitation et d’indemnisation des vraies victimes.
Le refus de tout dialogue public contradictoire
C’est le lieu de se demander –l’on se demande toujours à l’étranger- pourquoi les Guinéens fuient les débats publiques contradictoires sur leur passé récent alors que de telles approches n’auront que des conséquences heureuses pour le peuple contrairement à ce qu’affirment certains qui ont peur de perdre leur fonds de commerce. Car, il est prouvé que seul le mensonge et le déficit de dialogue sincère divisent, en général, les citoyens et entretiennent l’incompréhension entre eux et permet aux menteurs d’évoluer aisément.
A propos de la prison du camp Boiro
De même, il est ressorti des discussions parfois tendues que nous avons eues avec de nombreux visiteurs que nous aimons trop l’amalgame ; « qu’en Guinée, ceux qui parlent de réconciliation ne parlent jamais des innocentes victimes de l’agression du 22 novembre 1970 » ; que certes des innocents qui ont péri ou souffert de mauvais traitements méritent notre compassion ou notre compréhension, selon ; mais que « nous devons cesser de diaboliser le Camp Boiro ; que l’histoire a enregistré, enregistre encore de nombreux camps Boiro, en Europe ou en Amérique ».
Cette réflexion nous a fait penser à cette autre de Jean Loup Pivin, architecte consultant, auquel nous avions commandité, en novembre et décembre 1984, alors que nous assumions les charges de la direction de l’Institut de Recherche et de Documentation de Guinée, une étude en vue de la création d’un centre national des droits de l’homme au sein du camp Boiro.
« Des camp Boiro, écrit-il, il y en a toujours eu ,ils changeaient de nom selon les pays ou les époques, et malgré toutes les incantations de « jamais plus », malgré tous les monuments dressés, ils ressurgissent, sous d’autres formes, sous d’autres noms, sous d’autres latitudes. E pourtant, il faut toujours refuser, il faut toujours apprendre à refuser, il faut toujours s’évertuer à croire que plus jamais sera plus jamais ;si l’on était sûr que Camp Boiro n’existerait plus jamais, on le raserait pour le confier aux mémoires optimistes, celles qui ne se souviennent pas. Mais l’on sait que Camp Boio peut à tout moment renaitre à nouveau ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain ; que voudra dire alors le symbole bafoué de Camp Boiro, de Dachau, et bien d’autres… »
Se méfier des témoignages des vieux « combattants » ? de la diaspora
Nous avons également recommandé aux jeunes, dans leur quête de vérité, de ne point prendre tout à fait au sérieux les témoignages des vieux « combattants »? guinéens de la diaspora ; ces vieux fatigués dont regorge la France et d’autres pays occidentaux, sertis par la haine, déçus par ceux qu’ils ont bêtement servi contre leur pays et croyant détenir la Vérité, certains d’entre eux répètent inlassablement les mêmes analysent, reprennent les mêmes arguments désarticulés parce que surannés; ils n’acceptent aucune autre approche que la leur. Or, celle-là et ceux-là n’ont plus d’impact parce que mensongers comparés aux aveux des acteurs ou témoins français des contentieux que le peuple de Guinée a subi entre 1958 et 1984 ; les gymnastiques verbales mensongères de certains de ces vieux « combattants » ( ?) ont été violemment dénoncées au cours de la conférence. D’autant plus aisément que la plupart d’entre eux, fatigués et laminés par le temps, n’évoquent que les mêmes prétextes fallacieux pour ne pas aller servir leur pays depuis le décès de leur ennemi historique, Ahmed Sékou Touré, suivi du désastreux coup d’Etat du 3 avril 1984 qui a livré la Guinée aux vautours jusqu’en 2010.
Ces vieux « combattants » ont, en outre, une position définitive et ne pratiquent que l’espri888t de critique face à tout fait historique ou actuel de la Guinée. Aussi, s’en prennent-ils parfois violemment à ceux qui analysent, de façon scientifique, avant de prendre position. Ils continuent à oublier que la haine et le ressentiment ne peuvent construire rien de solide ou de durable. La Guinée risque ainsi de se réconcilier définitivement avec elle-même et ceux qui sont véritablement à la base de son retard sur ses nobles objectifs et de se développer sans eux et malgré eux.
Le refus de toute manipulation
Nous avons enfin insisté -et continuerons à le faire- auprès des jeunes sur la nécessité de refuser ou de rejeter toute tentative de manipulation ; d’accepter de discuter, de débattre franchement et sincèrement de tous les problèmes qui assaillent notre pays, de façon civilisée, sans opposition conflictuelle, dans le but de se comprendre et de s’accepter dans leur différence ; de ne pas se contenter de ce qu’ils apprennent sur certains sites, dans certains périodiques, de certaines radios, ou auprès de certains visiteurs, qui ne sont parfois que des racoleurs; de profiter de leurs vacances pour aller au pays voir et constater de visu ce qui s y passe dans , poser des questions sur tout et cibler les domaines qu’ils peuvent aider à se valoriser. Qu’ils prennent le bon exemple sur les pays dans lesquels ils vivent : sur le plan de la lutte politique en France, Allemagne, aux Etats Unis d’Amérique où seule la sentence démocratique (élection) résout la plupart des problèmes nationaux; sur le plan historique, d’étudier, par exemple, l’histoire des rapports Franco-allemands de 1870 à nos jours ; qu’enfin, personne ne dispose de la vérité ; qu’on est toujours plus intelligent à plusieurs et que c’est de la discussion contradictoire, franche et sincère que jaillit celle-là ou le vraisemblable. Qu’il est certes nécessaire de souhaiter l’assainissement de la vie politique guinéenne, mais eux qui sont l’avenir de ce pays, s’ils ne s’acceptent pas dans leur différence, l’avenir de la Guinée est encore sombre.
Sidiki kobélé Keita