L’Exploitation d’un État au bord de la faillite: le cas de la Guinée (Département de la défense américaine) – 1ère Partie

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Évaluation de l'article

“The Anatomy of the Resource Curse: Predatory Investment in Africa’s Extractive Industries” J.R. Mailey- May 2015  – La Guinée a le bonheur d’être dotée d’abondantes ressources minérales. Elle est la deuxième exportatrice mondiale de bauxite, l’élément essentiel entrant dans la production de l'aluminium. Cependant selon pratiquement toute mesure, la Guinée est l'un des pays les plus pauvres du monde. Son PIB annuel par habitant n’est que de 460$US. Moins de la moitié de la population de la Guinée a accès à l'eau courante et à l'électricité, et à peine 30% de la population adulte est alphabétisée. Près de 15 pour cent des enfants nés en Guinée meurent avant d'atteindre l'âge de 5 ans.

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Une des causes reconnues de la situation de la Guinée est la mauvaise gouvernance. L’abus de pouvoir et la mauvaise gestion des ressources et des institutions publiques ont été la norme en Guinée depuis des décennies. Le pays se classe régulièrement presque à la queue de peloton sur l’Indice Annuel de Perception de la Corruption de Transparency International. La corruption a paralysé la capacité de l'Etat à assurer les services publics de base et a créé un climat d'impunité.

Presque depuis l'indépendance en 1958, la Guinée a été soumise à un régime autocratique. Entre 1984 et 2008, la Guinée a été gouvernée par le régime notoirement rapace du président Lansana Conté, caractérisé par son opacité, des pratiques de prédation, et le manque de reddition de comptes. Lui et ses associés ont régulièrement procédé à des retraits en espèces de la banque centrale du pays, en plein jour. La corruption mineure était également très répandue, vu que les fonctionnaires se trouvant dans les bonnes grâces du Président étaient libres de surfacturer, détourner des fonds, et de solliciter des pots de vin, sans crainte de conséquences ou d’enquêtes.

Dans la soirée du 22 Décembre 2008, le Président Conté est décédé des suites d'une longue maladie. Six heures après l'annonce de la mort de Conté, un groupe d'officiers militaires s’est emparé des ondes pour annoncer la formation d'un gouvernement militaire qui se fait appeler Conseil National pour la Démocratie et le Développement, (CNDD). Leur premier acte fut de suspendre la constitution et dissoudre l'Assemblée Nationale. Le coup était dirigé par le Capitaine Moussa Dadis Camara, un officier subalterne qui a dirigé l'unité chargée du ravitaillement de l’armée en carburant. Le 24 décembre 2008, il a été annoncé que Camara était le président du CNDD.

Un régime désespéré et isolé.

L'Union Africaine (UA) a, sans tarder, condamné le coup. La Communauté Economique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a suspendu la participation de la Guinée. Les Etats-Unis et l'Union Européenne ont mis en attente certains importants programmes d'aide bilatérale.

Héritant d'un Etat au bord de la faillite, le CNDD a promis d'entreprendre de vastes réformes. Camara a promis que la junte allait organiser "des élections libres, crédibles et transparentes" dans un délai de deux ans, affirmant aux journalistes «Le Conseil n'a pas l'ambition de se maintenir au pouvoir". Le CNDD a également promis de sévir contre le trafic de drogue et la corruption. "Toute personne qui a détourné des actifs de l'État à son profit, une fois prise, sera jugée et punie devant le peuple", a déclaré Camara devant un auditoire de plusieurs centaines de représentants du public, y compris les syndicats, les politiciens et le clergé. Le secteur minier devait faire l’objet d’une attention particulière quand les responsables du CNDD ont promis d'entreprendre une révision de tous les contrats existants et de renégocier ceux qui étaient défavorables.

Les promesses de réformes par la junte sont restées sans effet. Les alliés de Camara occupaient de hautes fonctions au sein du Gouvernement et dans les Conseils d'Administration des sociétés étrangères opérant en Guinée. La junte a remplacé les administrateurs régionaux par des agents fidèles qui coiffaient les institutions de l'Etat par décret. Les institutions du secteur public déjà en déconfiture ont sombré dans l'insignifiance. La junte a réduit au minimum les libertés civiles et l’opposition politique. Ceux qui critiquaient le gouvernement ou tentaient de s'opposer au CNDD ont été intimidés, harcelés ou malmenés. La corruption, quant à elle, s’est en fait exacerbée. Quand il a pris fonction en 2011, le Président Alpha Condé a estimé que la junte a dépensé plus durant son mandat de 2 ans que tout ce que le pays a effectué comme dépenses au cours des cinq décennies précédentes.

Le contrôle du secteur minier lucratif du pays était concentré dans les mains du Ministre des Mines nouvellement nommé, Mahmoud Thiam, un ancien banquier de Wall Street jouissant de la double citoyenneté américaine et guinéenne. Bien qu’il passe beaucoup de temps à l'étranger, même après son entrée en fonction, Thiam s’est montré extrêmement influent. Il a conçu une réorganisation du secteur minier qui a introduit plusieurs affaires s’exprimant en plusieurs millions de dollars et suscité l’audit des activités des grandes entreprises minières étrangères en activité en Guinée. En réalité, les changements ont simplement remodelé de vieux réseaux de clientélisme à la convenance des nouveaux dirigeants de la Guinée.

Les frustrations ont connu une réelle exacerbation parmi les Guinéens. Le 28 septembre 2009, des dizaines de milliers de Guinéens organisés par des militants de la société civile se sont réunis à l’occasion d’une manifestation au plus grand stade de football de Conakry pour protester contre la junte après qu'il soit devenu évident que Camara n’honorait pas sa promesse de ne pas participer aux élections présidentielles prévues pour Janvier 2010. Peu de temps après que les dirigeants de l'opposition soient arrivés au lieu de la manifestation, un contingent d’éléments de la garde présidentielle, des soldats, des policiers, et des milices se sont regroupés au niveau des différentes issues du stade et lancé des gaz lacrymogènes sur les manifestants avant de charger le stade et ouvrir le feu. Selon Human Rights Watch, les assaillants ont tué 157 manifestants, violé des dizaines de femmes et filles, et ont fait plus de 1.400 blessés au cours du massacre qui s’en est suivi. Les gouvernements étrangers et les organisations régionales ont renforcé les sanctions et exigé une transition rapide vers un régime civil.

Alors que de nombreux investisseurs se détournaient d'un tel contexte politique mouvementé en raison de préoccupations au sujet du risque politique et une atteinte à la réputation de l'entreprise, le Groupe Queensway y a trouvé une opportunité.

Tous les Escrocs de la Terre se Donnent Rendez-vous à Conakry.

Pour accéder aux gisements miniers lucratifs de la Guinée et aux droits d'exploration dans ses domaines potentiels de pétrole offshore, le Groupe Queensway a établi des liens avec la junte dès après le coup de décembre 2008 en prenant contact avec l'envoyé de la Guinée en Chine, l'Ambassadeur Mamadi Diaré. Au début de 2009, le Groupe a envoyé une délégation à Conakry pour rencontrer la junte. Le contact principal du Groupe à Conakry était le Ministre des Mines, Mahmoud Thiam. Initialement Thiam fait montre d’un certain scepticisme, en déclarant que «Quand un nouveau gouvernement arrive au pouvoir, surtout quand il est inexpérimenté, il se produit un phénomène inéluctable: tous les escrocs du monde s’y rencontrent. Et chaque escroc que compte la terre se présente avec les plus grandes promesses, l’accès à des milliards de dollars de lignes de crédit et aux prêts ". Cependant, ses inquiétudes se sont estompées quand le PDG de Sonangol, Manuel Vicente, s’est rendu à Conakry peu de temps après.

Toujours est-il que d'autres hauts fonctionnaires du nouveau Gouvernement sont restés sceptiques. Après tout, le Groupe Queensway était simplement un des nombreux investisseurs internationaux en lice pour une tranche des abondantes ressources de la Guinée. Pour réussir à se distinguer des autres prétendants, Queensway a parrainé une nouvelle compagnie aérienne nationale, Air Guinée International. Queensway a organisé une cérémonie à l'aéroport international de Conakry pour commémorer le lancement de la nouvelle compagnie aérienne. Camara y était l'invité d'honneur. Étaient présents Sam Pa et Lo Fong Hung, représentant CIF et China Sonangol, les promoteurs de la compagnie aérienne nationale. Le Groupe Queensway a été accompagné par une délégation qui comprenait François Chazelle, alors vice-président des ventes d’Airbus, Executive and Private Aviation, qui avait une relation d'affaires existant déjà avec Sam Pa depuis l’achat par China Sonangol de trois jets d'Airbus. Faisaient également partie de la délégation Ian Lee, alors Directeur Régional pour l'Afrique et le Moyen-Orient à l'entreprise internationale de Singapour, un organisme gouvernemental qui assure la promotion des intérêts des entreprises de Singapour à l'étranger.

Le partenariat a pris de l’importance la semaine suivante, le 12 juin 2009, lorsque CIF et le CNDD ont signé un Accord-Cadre qui a présenté les plans de mise en place d’une société de joint-venture qui servira de véhicule pour les investissements du Groupe dans le pays. CIF serait le partenaire majoritaire dans la coentreprise, détenant 85 pourcent des actions de la société. (Cette prise de participation de 85 pour cent a été finalement divisée entre CIF et China Sonangol.) Le Gouvernement de la Guinée détiendrait au départ une participation de 15 pourcent avec l'option d'achat de 10 pourcent supplémentaires des actions de la société chez Queensway à une date ultérieure.

L'Accord-Cadre stipule que la coentreprise réaliserait des projets dans un large éventail de secteurs, y compris "l'énergie, le traitement de l'eau, l'électricité, le transport, le logement, l'agriculture, la pêche, ou dans tout autre domaine d'intérêt commun." En effet, comme il l'avait fait ailleurs, le Groupe a promis d'entreprendre un ensemble ambitieux et extravagant de projets, y compris une nouvelle centrale thermique et plusieurs grands barrages, ainsi que la construction de somptueux immeubles à usage de bureaux gouvernementaux, d'une valeur de $650 millions. Il construirait un chemin de fer Transguinéen pour transporter les minéraux de l'intérieur du pays à un port sur la côte. Le Groupe a promis de livrer 100 autobus à Conakry dans les 45 jours qui suivent la signature de l'accord. Air Guinée International, la compagnie aérienne inaugurée récemment, faisait également partie de ce paquet.

Comme en Angola, CIF s’est engagé à financer les projets et serait en charge de leur conception et mise en œuvre. Le gouvernement guinéen, à son tour, devrait faciliter à CIF les conditions d’obtention de tous les permis et autorisations nécessaires, et les «exonérations applicables».

L’Accord-Cadre a précisé en particulier que pendant une période de 12 mois (la «période d'exclusivité»), la société de joint-venture aurait des droits exclusifs d'entreprendre des projets dans tous les secteurs indiqués. En effet, le gouvernement a accepté "de n’entreprendre à aucun moment pendant la période d'exclusivité, des discussions, des négociations ou la conclusion de contrats ou d’accords avec des tiers sur des projets concurrents." Surtout, une clause de confidentialité stipule que «toutes les informations échangées entre (les parties à l'accord) dans le cadre de cet Accord-Cadre et tous les documents, matériels et autres informations … resteront strictement confidentiels aux parties, tant au cours de l'exécution qu’à la fin du projet ".

Aussi radical soit-il, l'Accord-Cadre est et demeure le cadre d'un partenariat. Beaucoup de détails concernant l’organisation et le fonctionnement restent encore à régler. Le Groupe Queensway a envoyé deux émissaires, Jack Cheung Chun Fai, un proche collaborateur de Sam Pa, et Adrian Lian, pour représenter ses intérêts à Conakry. Du côté guinéen, Camara a créé un "comité de pilotage" pour coordonner les investissements de CIF et China Sonangol dans le pays. Mahmoud Thiam a été l'un des vice-présidents du comité de pilotage.

 

A suivre…..

 

Source : Département de la Défense Américaine : Centre Africain pour les Etudes Stratégiques

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