Alors que le gouvernement ne s’est pas totalement remis de la claque du syndicat de l’éducation, le ministre de la fonction publique, Billy Nankouma Doumbouya et celui de l’administration du territoire, le général Boureima Condé, sont au cœur d’un gros scandale.
Il s’agit du recrutement de « 92 nouveaux cadres » sur la base du népotisme, du favoritisme et de l’illégalité, qui pourraient mettre à rude épreuve l’unité nationale, estiment les observateurs. Pour corroborer ce que nous dénonçons, nous publions deux documents authentiques, dont votre quotidien électronique, Guinéenews, détient une copie. Cliquez ici : Recrutement douteux à la fonction publique par deux ministres.
De quoi s’agit-il au juste ?
Selon nos investigations, il s’agit du recrutement, on ne sait sur la base de quel concours ou de quelle nécessité, de 92 nouveaux fonctionnaires, alors que l’État vient de se saigner pour faire face, le couteau à la gorge, aux réclamations des enseignants.
Dans un courrier N° 2018/1087 portant « engagement de 92 fonctionnaires », le ministre de la fonction publique, Billy Nankouma Doumbouya, a arrêté ceci. Article premier :
« Les personnes désignées ci-après, ayant satisfait aux conditions de recrutement, sont engagées dans les effectifs de la fonction publique, divers cadres uniques et corps de la hiérarchie ‘’H/A1’’, en qualité de fonctionnaires titulaires et mises à la disposition du ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation », a-t-il signé et cacheté dans son arrêté, à la date du 9 mars 2018.
Pour sa part, dans sa décision N° 0010 du 23 mars 2018, Boureima Condé a décidé : vu les nécessités de service et de tous les postes budgétaires autorisés, les 92 nouveaux fonctionnaires sont nommés secrétaires généraux de mairies rurales.
Question donc : quand est-ce un tel concours de recrutement a été organisé à la fonction publique ? Qui a procédé aux corrections des épreuves ? Peut-on voir l’appel à candidatures ayant précédé ce concours ? Peut-on accéder aux copies puisque la loi exige une compétition loyale pour tout recrutement à la fonction publique ?
Autres questions : quel est l’acte de la présidence ou de la Primature ayant ordonné l’engagement dans l’urgence de ces nouveaux cadres ? Aujourd’hui, la fonction publique compte plus de 100 000 fonctionnaires. Comment expliquer que des cadres fraîchement engagés, alors qu’ils n’ont aucune expérience, ni une formation adéquate dans une école d’administration, soient parachutés dans des postes sensibles de secrétaire général des mairies ? Pourquoi a-t-on préféré ces recrues au lieu des cadres expérimentés de la fonction publique aptes à faire le travail ?
Si nous posons toutes ces questions, c’est parce qu’en se fiant aux neuf « Vu », alignés par le ministre de la fonction publique pour justifier « l’engagement des 92 fonctionnaires », et les onze « Vu », alignés par le ministre du territoire pour justifier la « nomination des secrétaires généraux de communes rurales », nulle part, il n’est mentionné la tenue d’un concours ayant abouti au recrutement des 92 cadres.
Le ministre de la fonction publique ne fait nullement allusion aux résultats d’un quelconque concours de recrutement dans sa décision. Il fait plutôt allusion à des lettres, mais lesquelles ?
Quant au ministère de l’administration du territoire, il renvoie au recrutement des nouveaux fonctionnaires, publié par son homologue de la fonction publique, pour annoncer la nomination des recrues au poste de Secrétaire général (SG) des communes.
Où est le scandale donc ?
Il y a scandale alors puisque selon la loi, tout recrutement à la fonction publique doit se faire sur la base d’un concours régulier. En agissant de la sorte, cet exemple viole toutes les règles d’intégration à la fonction publique, laissant court au népotisme et au favoritisme, dit-on.
Pour preuve, ce sont ces recrues, sans aucune expérience, et parfois sans référence, qui devraient appuyer les nouveaux élus dans la gestion de leurs collectivités.
Contacté, le ministre de la fonction publique, Billy Doumbouya, de retour d’une mission à Mamou, balaie ces accusations du revers de la main. « Laissez ça, ce sont des balivernes. Les gens n’ont rien à dire, je ne rentre pas dans ça », a-t-il martelé.
« Quand un ministère m’écrit pour indiquer de prendre les gens, qui assurent l’intérim depuis plusieurs années, qui va regarder à la loupe qui est Malinké, qui est Soussou ? Moi, je ne rentre pas dans ça. Je n’ai pas bu de ce biberon », a-t-il enchaîné.
« Je suis un guinéen tout court. Je suis de Dinguiraye, de N’zérékoré, et de partout. Je n’ai jamais bu de ce biberon-là. Ça ne me ressemble pas, ça ne me ressemblera jamais. Je suis un professionnel du pied jusqu’à la tête. Il faut laisser ça », s’est-il défendu.
Joint au téléphone, le second incriminé, Boureima Condé, n’a pas décroché nos appels.
Il y a scandale puisque les auteurs de ces nominations obligent tout le monde à faire des arithmétiques, qui pourraient fragiliser l’unité nationale. Pour preuve, le Chef de l’Etat aime marteler souvent une métaphore pleine de sens. « La Guinée est un véhicule à quatre roues, quand une seule roue est absente, il ne peut rouler ».
Il y a scandale encore puisque l’école d’administration de Sérédou n’aurait aucune importance.
Il y a scandale enfin puisque le secrétaire général de la commune est le maitre d’orchestre du développement local. C’est en tout cas l’avis du candidat indépendant de Ratoma aux élections locales, Bella Barry, contacté pour la circonstance.
« Le secrétaire général d’une mairie, à l’image d’un ministère, est la cheville ouvrière de la commune, la personne clé, le maître d’orchestre. Les élus ne sont pas parfois des spécialistes. C’est pourquoi, l’un donne les orientations et l’autre coordonne tout. Donc, le secrétaire général fait le développement local », a-t-il expliqué.
Dans la nouvelle nomenclature, poursuit-il, les gros ouvrages sont effectués par l’Etat. « Mais toutes les infrastructures de proximité sont confiées à la commune. Comme la santé primaire, l’école secondaire, l’assainissement, les parcelles, les maisons de jeunes. C’est pourquoi, il faut une équipe managériale, un maire visionnaire et un secrétaire général compétent parce que tout repose sur lui », a-t-il affirmé.
En tout état de cause, autant l’administration publique est politisée, le développement local risque d’être également sacrifié pour des générations encore, à cause du parachutage dans les mairies des secrétaires généraux sans aucune expérience ou choisis sur des bases opaques.
Ci-joint : les décisions des deux ministres. Cliquez : Engagement SG CR fonction publique