Simandou, que faire maintenant ? (par Haroun GANDHI)

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Évaluation de l'article

simanduJe ne reviens pas sur les raisons officielles et officieuses de la mise en veilleuse du projet Simandou1 par Rio Tinto. D’une part cela a été en partie commenté, et d’autre part les sujets économiques n’intéressent pas grand monde. Je ne reviens pas davantage sur l’échec patent d’Alpha Condé, qui a misé un développement du pays quasiment sur ce seul projet.

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Au-delà des polémiques, je voudrais plutôt revenir sur l’entretien de Mahmoud Thiam publié sur des sites guinéens2, et dans lequel il préconise quelques conseils susceptibles d’initier – enfin !!! – une véritable politique minière.

Là aussi, je préfère m’appesantir sur les propositions évoquées, plutôt que sur les critiques plus ou moins fondées du comportement de Rio Tinto en Guinée.

Si on résume de façon succincte mais compréhensible son intervention, on peut la traduire par les constats suivants : Rio Tinto et ses concurrents Vale, BHP Billiton et Fortescue constituent de fait un cartel informel, qui contrôle le marché du minerai de fer, en déterminant le niveau de l’offre internationale. La production de fer ayant encore augmenté (sans le fer guinéen), ce qui explique la diminution du prix, corrélativement à la baisse de la demande chinoise (plus des 2/3 de la demande mondiale), les multinationales ont donc intérêt à rejeter l’arrivée de Simandou, nouvelle source de minerai, qui diminuerait davantage encore les prix bas actuels.

Eu égard à ces constats, il préconise que la Guinée prenne les 3 mesures suivantes :

· organiser une sortie totale de Rio Tinto et de ses partenaires du projet Simandou, sans contrepartie et à l’amiable.

· éviter de se précipiter pour trouver un remplaçant à Rio Tinto, mais au contraire profiter de l’état désastreux du marché pour prendre le temps d’élaborer une stratégie solide, ce d’autant qu’aucun partenaire crédible – hors ceux précités ci-dessus – n’est techniquement et financièrement capable de porter ce projet.

· enfin, prendre le contrôle de son développement selon un schéma élaboré par elle – les intérêts du pays n’ont jamais été pris en compte jusqu’à présent – avec l’aide de spécialistes indépendants, mais aussi de la société civile.

 

Que faire ?

Je voudrais revenir sur chacun de ces 3 points.

 

Récupérer l’ensemble de ses droits sur Simandou

Évidemment je parle des blocs 3 et 4, sachant qu’Alpha Condé a enfermé la Guinée – sans mandat – dans un conflit juridique avec BSGR pour les blocs 1 et 2. Là encore, merci à nos juristes qui n’ont évidemment pas contredit le seul maître à penser…

Mahmoud Thiam conseille à juste titre, d’organiser à l’amiable une sortie totale de Rio Tinto, car il ne faut pas insulter l’avenir, tout en préservant les maigres ressources du pays (voir BSGR ci-dessus), ce qui suppose de lui interdire de revendre le projet, sachant que de toute façon, Rio Tinto n’a pas perdu d’argent (voir ci-après). Cette disposition est facile à mettre en œuvre, au contraire de la récupération totale des droits, puisque Rio Tinto a cette fois-ci respecté les obligations de moyens (formalités juridiques et administratives), à défaut de faire aboutir le projet. Néanmoins qui ne risque rien, n’obtient rien et cela peut constituer un objectif, parce que Rio Tinto a montré que Simandou était davantage une variable d’ajustement (un placement) qu’un projet à concrétiser, en témoigne les 15 ans passés en Guinée sans que le projet ne voie le jour. Demain c’est sans doute l’Inde ou la Chine, après demain l’Afrique qui pourront être intéressées par Simandou, il n’y a donc vraiment pas lieu de se précipiter.

 

Ne pas se précipiter

Malheureusement je crains que ces conseils ne soient pas entendus, soit par incompétence chronique, soit par orgueil mal placé.

L’orgueil mal placé concerne Alpha Condé, qui ne supporte pas la contradiction et qui voudra montrer que le chemin qu’il a choisi – la solution de facilité – est le bon. Cela suppose de faire le buzz pour nous faire croire encore (Rio Tinto devait démarrer en 2015), que demain ça ira forcément mieux. La propagande a déjà commencé en évoquant le nom de Chinalco, comme solution de rechange, en oubliant les intérêts contradictoires du premier actionnaire de Rio Tinto.

Dans l’immédiat, les Chinois doivent en effet arbitrer entre des prix bas, puisqu’ils sont les premiers acheteurs de fer, mais également des prix hauts puisqu’ils sont actionnaires des principales multinationales (Rio Tinto, mais aussi BHP Billiton et Fortescue par exemple), tout en ayant à l’esprit la menace de taxation lourde de leurs exportations d’acier en Europe.

Concernant l’incompétence, on constate qu’au Ministère des mines, on prend les mêmes et on recommence. On nous présente un rajeunissement des cadres au ministère, et surtout une expertise de pointe – sans doute pour justifier les décisions à venir -, alors que moi je n’y vois qu’incompétence.

Sans pointer du doigt qui que ce soit, on peut constater que le nouveau Ministre n’a pas davantage nommé les cadres qui l’entourent et cela pose problème. Or le nouveau Secrétaire Général, celui qu’on nous présente quasiment comme un énarque et un mineur (École des Mines), ce qu’il n’est pas, était la personne qui justifiait en Octobre 2011, l’intérêt pour la Guinée (sic!!!) des fameux 700 millions de $ (on n’en parle même plus aujourd’hui !!!). A t-elle appris de ces erreurs ? Rien n’est moins sûr, et moi j’en doute. 

En outre Mamady Youla, qu’on nous a également présenté comme un spécialiste des mines de haut niveau, n’a pas empêché cette défection de Rio Tinto. Et on voudrait nous faire croire que cette endogamie malsaine nous sortira du mur dans lequel on se cogne depuis 30 ans.

Nos dirigeants sont incapables de discuter avec les investisseurs étrangers, ne jouant que les intermédiaires – avec commissions au passage – entre des cabinets d’affaires payés exagérément et les multinationales. Et cela dure depuis 50 ans. Il est donc temps d’en changer.

 

Définir une politique minière conforme aux intérêts guinéens

Il y a 5 ans j’avais publié un papier intitulé « Simandou, la Guinée roulée dans la farine3 », dont le contenu évoquait déjà certaines réalités. Ce papier garde encore toute son actualité, en dépit des commentaires de l’époque, qui prennent aujourd’hui un relief singulier. Je n’en tire aucune satisfaction particulière – de toute façon les écrits restent, au contraire des paroles qui s’envolent -, mais je préfère faire un rappel des constats de l’époque.

Il était dit qu’il « est scandaleux que certains détails de l’accord d’Alpha Condé avec Rio Tinto n’aient été dévoilés que par un communiqué de cette dernière à la presse, alors que le gouvernement guinéen, aurait du rendre public les détails du contrat, ce qui aurait pu offrir l’occasion à plusieurs spécialistes tant en Guinée qu’à l’étranger, de décortiquer l’accord et d’offrir des conseils précieux gratuits au gouvernement. La transparence est une vertu de la démocratie, et en outre, la Guinée a « réintégré » l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) ».

On espère que ce gouvernement – même si j’en doute – fera amende honorable et ne se précipitera pas à essayer de montrer qu’il avait raison. Comme je l’ai dit maintes fois, ce retrait de Rio Tinto confirme que l’État ne doit pas compter uniquement sur le secteur minier pour amorcer un décollage économique.

Si on fait le bilan du « scandale géologique » qu’on nous serine systématiquement depuis 30 ans, on peut effectivement constater que les ressources minières ont davantage constitué pour les régimes politiques criminels de Guinée que se sont succédé, une garantie de survie, d’une part en permettant de formater des générations de Guinéens dans le fantasme d’un développement rapide (à cause de nos richesses prétendument incommensurables), mais pourtant irréalisable et, d’autre part, en distribuant quelques miettes ici et là, pour que la roue continue de tourner… pour eux.

Il faut donc élaborer une stratégie de développement endogène, notamment fondée sur l’agriculture (l’élevage et la pêche) et les énergies renouvelables, et qui soit ajustée à nos moyens, et capables de créer des emplois et donc d’améliorer le pouvoir d’achat des populations.

Les mines ne sont qu’une solution de facilité, car on ne travaille pas, tout juste certains – une dizaine de personnes – espèrent en retirer un avantage financier personnel, à peine des royalties pour le pays. Il n’y a pas donc pas d’urgence à brader un projet, car rien ne dit que les cours cycliques ne rebondiront pas plus tard.

Il faudra d’ailleurs réfléchir sur le double scandale consistant à voir la Guinée dirigée par un PRG illégitime et en outre incompétent – et cela ne vise pas qu’Alpha Condé -, et qui malgré ces constats, prend quand même des décisions, qui engagent le pays sans jamais profiter à ce dernier.

Enfin tout le monde doit participer et pas d’obscurs fonctionnaires, obsédés par leur seul intérêt personnel4. Même le paysan de Yomou peut avoir des choses intéressantes à dire.

 

Des réponses à quelques interrogations lues ici et là

Sur la probité de Mahmoud Thiam

Certains internautes mettent en doute la probité de Mahmoud Thiam. Personnellement je ne le connais pas, et fidèle à mes principes, je me limite à ce qu’il a dit, pas à ce qu’il a fait, que tout le monde – moi y compris -, ignore d’ailleurs. S’il est délinquant ou criminel, c’est la justice qui doit s’occuper des infractions éventuelles qu’il aurait commises, pas des rumeurs anonymes, qui omettent le fait qu’en droit, c’est l’écrit qui compte. Pour la Guinée, les escrocs ne sont dangereux que lorsqu’ils engagent le pays concrètement, pas lorsqu’ils rêvent à ce qui pourrait être.

 

Sur le dossier BSGR

Concernant le dossier BSGR, il faut rappeler que Benny Steinmetz a vendu à Vale (non pas Simandou dont il n’est pas propriétaire), mais une société, titulaire d’un simple droit d’exploitation, pour 2,5 milliards de $, et si cela a été rendu possible (et était donc tout à fait légal), c’est parce que la Guinée ne l’a pas interdit !!! (merci les spécialistes – notre juriste patenté s’y trouvait déjà – du Ministère des Mines). Rio Tinto en a d’ailleurs fait de même avec Chinalco pour 1,3 milliard de $, et Alpha Condé (pas la Guinée) a obtenu 700 millions de $, soit un peu plus de la moitié. C’est d’ailleurs ce qui a fait fantasmer Alpha Condé, qui s’est sans doute imaginé qu’il pouvait encore gagner des millions de la même façon, sans rien faire d’autre que d’essayer de « racketter » BSGR.

C’est Louncény Nabe, Ministre des Mines en Décembre 2008, qui a accordé le permis à BSGR, le fameux Nabe, gouverneur de la BCRG nommé sous Alpha Condé ??? Certains reprochent à Benny Steinmetz – et ils ont probablement raison – d’avoir acquis son permis par la corruption, mais cela ne les dérange pas de vérifier si tous les contrats obtenus en Guinée ne l’ont pas été ainsi. Et ils se posent encore moins la question des marchés de gré à gré – dont on connaît pourtant la finalité – sous le régime d’Alpha Condé.

 

Sur l’avenir du marché du fer

Un internaute rappelle qu’à force de tergiverser, la technologie des matériaux composites risque de remplacer les métaux, pour assurer aux pays occidentaux une indépendance vis-à-vis des pays du Tiers monde, tout en permettant de ramener une production au plus près de chez eux. La situation de Simandou et son éloignement des zones de besoins en feraient donc un projet aléatoire, sauf pour les politiciens guinéens, qui nous rabâchent les mêmes recettes éculées de « scandale géologique ».

C’est une hypothèse à ne pas négliger, même si tout n’est cependant pas possible. Il faut rester positif, sans ignorer les risques, en constatant qu’à l’inverse, on remplace progressivement l’acier par l’aluminium dans la production automobile par exemple (parce que la bauxite est plus abondante que le fer). Ce sont toutes ces évolutions que la Guinée devrait pouvoir être en mesure de suivre et d’analyser. Or si nous sommes indépendants depuis 60 ans, il n’y a toujours pas d’ingénieurs des mines en Guinée susceptibles de déterminer au mieux de nos intérêts, les différentes voies à suivre. Ce sont des ingénieurs dont nous avons besoin, pas des administrateurs.

La Guinée est assise sur de la bauxite, elle devrait être capable après 60 ans d’en définir les évolutions possibles, et non se contenter de vendre encore des cailloux. Ce devrait être l’objectif de nos futurs ingénieurs – quid de la réforme de l’enseignement supérieur ? – pour imaginer des débouchés à nos matières premières par exemple.

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791)

 

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