
« Il ne faut pas dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Cette maxime résonne avec force en Guinée, où le discours sur la nécessité du changement reste l’unique constante. Dans ce pays marqué par des volte-face sans fin et une migration politique permanente, la plupart des citoyens ont le « destin de la feuille morte ». Ici, la leçon d’Edgar Faure est gravée au fronton de l’histoire et hante toutes les consciences : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. » La célèbre réplique pour justifier ses revirements politiques, notamment son ralliement au général de Gaulle.
Une question s’impose alors : est-ce le Guinéen, réputé malléable, corvéable et taillable à merci, qui s’adapte au chef, ou c’est ce dernier qui finit par succomber à ses charmes et tomber dans ses pièges ? Quoi qu’il en soit, l’homme guinéen ne se presse jamais avec ses dirigeants, quels qu’ils soient. Il parvient toujours à les contraindre de se dédire, de céder à ses avances après leur avoir fait croire qu’ils sont les seuls maîtres du jeu et du temps. À tous, il a été promis que le dernier mot leur reviendrait… avant qu’ils ne découvrent, à leurs dépens, que rien n’est éternel et que personne n’est invincible.
Tandis que le chef se persuade de détenir toutes les cartes, de dicter la marche à suivre et de fixer l’agenda selon son bon vouloir, il devient en réalité l’otage de groupes d’intérêts et de réseaux d’influence hétéroclites. Les messages d’aujourd’hui démentent les serments d’hier et brouillent les espérances de demain. Renaître de ses cendres, tel le phénix, ou émerger des ruines de régimes déchus reste possible pour quiconque, à une époque où les convictions sont réversibles et les engagements mouvants.
Qui aurait cru que l’on retomberait si vite, après la rupture annoncée et la révolution promise, dans les errements d’un passé récent ? D’une doctrine radicale de « non-recyclage » – justifiant de jeter « le bébé avec l’eau du bain » –, on glisse vers un racolage de voix et une cour assidue à de « vieilles marmites », pourtant peu réputées pour leurs « bonnes sauces ».
Sans doute a-t-on enfin compris qu’il est difficile de bâtir du neuf sans associer l’ancien.
Ceux qui ont prôné à la hâte le « non-recyclage », par crainte d’une concurrence déloyale ou d’être éclipsés par des esprits plus brillants – tant le pays regorge de compétences éprouvées –, vivent désormais dans l’angoisse d’être déclassés par des bataillons de renforts issus de tous les horizons et de toutes les générations politiques. Tel est pris qui croyait prendre !
La morale d’une autre fable de La Fontaine, Le Rat et l’Huître, illustre parfaitement le retour des bannis d’hier : « La vengeance est un plat qui se mange froid. » Les « petits » se feront toujours dévorer par les « grands », et comme le rappelle la sagesse africaine : « Les enfants savent courir, mais ne savent pas se cacher. »
On ne saurait opposer une Guinée à une autre dans une logique manichéenne, construire une nation en excluant les uns au gré des humeurs ou des intérêts éphémères des autres. Nul ne détient le monopole de la vertu, de la vérité ou du patriotisme, ni ne peut prédire l’avenir. Par conséquent, comme les voies du Seigneur sont impénétrables, aucun homme ne peut dicter le destin d’une communauté entière.
Tibou Kamara