Une ombre sur le Rio Pongo (par Ourouro Bah)

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Des hauts plateaux du Fouta-Djallon, par des chemins sinueux, des rivières s’épanchent vers l’est et le sud de l’Afrique de l’ouest. Vers la côte d’autres se déversent en flots et en chutes. Ensuite ils se dispersent dans le parterre des riches plaines alluvionnaires de l’extrême Basse-Guinée – créant l’impressionnant réseau des « rivières du sud »

Les noms des fleuves et des rivières sont des mélanges de langues et de légendes locales auxquels s’ajoutent les dénominations étrangères qui évoquent la traite des noirs et les rudes conquêtes auxquelles la région fut soumise : on parle de Cogon ou Rio Componi, de Bourounao et de Tinguilinta ou Rio Nunez, de Forécariah, de Méllacorée, de Fatala ou de Rio Pongo etc.  Les fleuves du sud s’entrelacent dans des écheveaux avant de s’ouvrir sur l’océan en plusieurs estuaires dont le plus dramatique est celui du Rio Pongo ou Fatala. L’estuaire du Rio Pongo fut le point d’aboutissement principal des routes de la traite des noirs de l’intérieur du continent. Aussi, avant le choix du Liberia, il fut considéré comme point de rapatriement des esclaves libérés du 19ème siècle. C’est dans cette embouchure – après des tortures au camp Boiro – que fut jeté vivant un homme au parcours honorable et exceptionnel : Karim Bangoura.

Naissance et formation

Karim Bangoura naquit le 17 juillet 1922 à Wonkifong, province du Soumbouya-Coyah. Il est issu d’une famille de la chefferie locale dont le règne remonte aux années 1800. Parmi les régnants de sa famille dans le Wonkifong-Soumbaya il y a son oncle, l’Almamy Belia Bangoura. A la mort de cet oncle, l’Almamy Sogbe Ismael Bangoura, père de Karim, fut désigné chef de canton Wonkifong-Coyah. Il s’installa plus tard à Coyah dans un domaine royal. Il prospèrera et fut respecté parmi les siens.  Mortifié par l’arrestation de son fils, l’Almamy du Soumbouya-Coyah mourra à la fin des années 1971.

Karim Bangoura fit ses études primaires et secondaires en Guinée. Après cette formation, il reçut une formation militaire en Côte d’Ivoire. Il en sortit avec le grade de sergent-caporal. Remarqué par ses superviseurs pour son intelligence, il sera encouragé à fréquenter l’école William Ponty d’où il sortit dans la prestigieuse branche des instituteurs.

Carrière et engagement politique

De 1945 à 1956, Karim Bangoura fut instituteur à l’école de Sandervalia, à Conakry.   En même temps, il participe activement à la vie politique de la Guinée qui s’animait suite à l’abolition de l’indigénat. Il fut parmi les fondateurs du Bloc Africain de Guinée (BAG) avec Barry Diawadou, Amara Soumah and Framoï Berété. En 1954, il sera élu comme conseiller de l’Union Française en remplacement de Diawadou Barry. Il y siégera avec le groupe radical, tendance Mendès-France. Entre 1957 et 1958 il fut conseiller de l’Union Française à Versailles.

En même temps, Karim Bangoura participa à la création de l’Union de la Basse-Guinée. L’Union connaitra de profondes scissions en son sein. Une partie rejoindra le RDA. Le groupe restant fondera, le 25 juin 1949, le Comité de Rénovation de la Basse-Guinée sous la direction de Karim Bangoura et de Naby Youla. Le Comité de Rénovation de la Basse-Guinée s’opposa aux violences politiques du PDG. Ses responsables chercheront en vain à les contenir. Karim Bangoura dénonça la complicité du Haut-commissaire Bernard Cornut-Gentille auquel il adressa un télégramme de reproches :

Gravité des incidents de Coyah marque faillite politique de complaisance avec le RDA que vous avez instaurée.

Le chauffeur de mon père tué, la maison de mon oncle saccagée et ses filles violées, soulignent étendue de vos responsabilités.

Ma douleur immense m’encourage à vous dénoncer auprès des hautes autorités de la métropole comme soutien officiel et déclaré des extrémistes africains fauteurs de troubles.

Les agissements du RDA restent votre œuvre. La carence de l’autorité locale en découle.

La mise à feu et à sang de ce pays jadis paisible continuera à peser sur votre conscience, car vos rapports officiels n’ont pas traduit la vérité sur le caractère du RDA.

Je reste fidèle à la France et à la Guinée, et vous pouvez compter sur ma détermination farouche contre votre politique néfaste pour la présence française.”

Face à la collusion entre le Haut-Commissaire et Sékou Touré, les forces d’opposition se regrouperont sous la bannière du PRA. Elles organiseront des actions punitives contre les milices du PDG/RDA. En même temps, les autres sections africaines du RDA feront pression sur Sékou pour fin aux violences de ses milices. Sékou observera un arrêt temporaire, attendant des occasions propices. Il liquidera tous ses adversaires une fois qu’ils s’uniront pour acquérir l’indépendance.

Au service de la Guinée indépendante.

Entre 1959-1962 Karim Bangoura est Directeur de Cabinet au Ministère de l’Information et du Tourisme sous le Ministre Camara Balla.   Karim Bangoura se fait remarquer par son engagement pour la jeunesse et la promotion de la culture. Un engagement qu’il démontrera le reste de sa vie. Il supervise notamment la production des Premiers Disques 45 tours (rouge) sur la musique Guinéenne.

En 1963, il est nommé comme troisième ambassadeur de la Guinée aux Etats-Unis, aux Canada, couvrant en même temps l’Angleterre.  Il exercera cette fonction de 1963 à 1969 poursuivant l’œuvre de Diallo Telli et Dr. Seydou Conté.  Karim Bangoura y montre des qualités qui lui valent l’admiration de tout le monde diplomatique à Washington. Il sera honoré comme meilleur ambassadeur à Washington.

A l’instar de ses prédécesseurs, Karim Bangoura cultiva des relations avec plusieurs personnalités politiques des Etats-Unis pour élever le profil de la Guinée. Il était apprécié par les grandes figures du mouvement d’émancipation des noirs aux Etats-Unis : Dr. Martin Luther King et Harry Belafonte ainsi que les ambassadeurs des USA en Guinée comme James Loeb et Roobinson Mcllvaine. Ils constituèrent un lobby puissant pour la Guinée auprès des sénateurs et représentants influents de l’époque ainsi que des membres du gouvernement :   Edward Brooke du Massachussetts, Frank Church de Idaho, Daniel Inouïe de Hawaii, la famille Kennedy, John et ses frères Senator Edward Kennedy, Robert Kennedy, Sergent Shriver, fondateur du corps de la Paix avec le Président Kennedy, le secrétaire du département d’état Dean Rusk.  Tout le gotha diplomatique de Washington était souvent présent lors des réceptions de la fête de l’indépendance de la Guinée. Ces relations assureront à Karim Bangoura des réalisations importantes au profit de son pays.

D’impressionnantes réalisations

Karim Bangoura négocia avec Henri Norman, directeur du corps de la paix, l’envoie du bateau Hôpital Hope en Guinée. Le bateau était complètement équipé pour des soins gratuits dont beaucoup de guinéens bénéficièrent.

Profitant de ses entrées dans la sphère de l’administration américaine, Karim Bangoura négocia aussi le premier financement du plus grand projet CBG d’une valeur initiale de 250 millions de dollars, le plus grand projet minier en Afrique à l’époque. Ce fut un point fort de sa carrière. Ce projet fit vivre le régime de Sékou Touré pendant des années. En d’autres circonstances, il aurait contribué à faire décoller l’économie guinéenne.

En même temps, l’ambassadeur cultiva de bonnes relations avec Joseph Harari de l’American Trade Sale ainsi qu’avec les responsables de la Fondation Ford. Grace à lui la Panam Airways lança son vol transatlantique en Afrique de l’Ouest qui reliait Conakry à New-York. A bord du premier vol, il y avait de fameux journalistes du temps tel que Collingwood ainsi que Sergent Shriver, Lansana Beavogui et Achkar Marof. 

Ancien instituteur, Karim Bangoura avait le culte de l’éducation.  Comme ambassadeur, il suivait de près les étudiants boursiers guinéens par le canal du Bureau Culturel de l’Ambassade. Ses encouragements contribuèrent à l’éducation de plusieurs guinéens dans les meilleures universités américaines. Parmi eux, il y a feu Edouard Benjamin, El Hadj Thiam Tafsir, El Hadj Abdoulaye Bah, El Hadj Alpha Bah etc… Tous gardent de Karim Bangoura de souvenirs émouvants et ressentent avec amertume sa tragique fin.

Dans le collimateur de Sékou Touré et de Ismael Touré. 

En 1969, Karim Bangoura est nommé comme Ministre des Mines et de l’Industrie. A ce poste, il supervise les travaux initiaux de la CBG. Ismael Touré convoitait le poste et s’irritait de l’admiration que les étrangers avaient pour Karim Bangoura pour son intellect et son dévouement à la Guinée. Il développa une animosité profonde contre Karim Bangoura et cherchera à le compromettre auprès de Sékou Touré. Il lui proposa notamment de l’aider à renverser son demi-frère.

En outre, Sékou n’avait pas oublié que Karim Bangoura avait dénoncé ses relations avec le Haut-Commissaire, Bernard Cornut-Gentil. Ismael fit feu de tout bois pour récupérer le poste qu’il jugeait lucratif de ministre des mines. En 1970, Karim Bangoura est nommé ministre des Transports. A ce poste aussi, il laissa des marques indélébiles. En moins d’un an, il améliora le transport urbain et inter-régional de la Guinée. Il mit en place notamment le service des TUC – Transport Urbain de Conakry. 

Le débarquement du 22 Novembre offrira aux deux frères – Sékou et Ismael Touré – l’occasion de se défaire de l’homme dont l’aura, l’intelligence et l’intégrité étaient un rappel constant de leur imposture et de leur médiocrité.

Durant le débarquement du 22 Novembre 1970

Après le débarquement de Novembre 1970, Sékou voulait convaincre l’ONU que la Guinée était sous l’attaque d’un pays colonialiste en passant sous silence la participation de guinéens au débarquement. En outre, il voulait dissimuler le marchandage qu’il avait fait avec les colons portugais – sur le dos du PAICG – pour faire libérer les prisonniers détenus par le mouvement de libération. Sékou privait ainsi le PAIGC d’un moyen de négociation contre leurs adversaires colons.

Mais, les rapports de Sékou Touré avec le secrétaire général de l’époque, U-Thant Sékou s’étaient détériorés suite à l’arrestation de Achkar Marof anciennement représentant de la Guinée à l’ONU. U-Thant était intervenu en vain auprès de Sékou Touré pour obtenir la libération du diplomate guinéen. Sachant que Karim Bangoura jouissait d’un grand prestige à Washington et à l’ONU, Sékou le supplia de convaincre les institutions onusiennes. Karim Bangoura se rendit au domicile de René Polgar, le représentant du PNUD à Conakry. Il le convainquit de soutenir la thèse de l’invasion étrangère. Le Portugal fut condamné par le conseil de sécurité de l’ONU. Un support international presque unanimement pour la Guinée s’en suivit.

Dans l’engrenage des purges

Assurée du soutien international et de l’effet des pendaisons et assassinats du 25 Janvier 1971, Sékou entreprit une seconde phase de purges et d’assassinats avec l’aide d’un agent tchécoslovaque, le docteur Kozel et d’autres comparses comme Siaka, Ismael et Emile Cissé.

« Le système des enquêtes fut décentralisé. Le Comité Révolutionnaire établit des commissions à Kankan, Kindia, et pour un certain temps à Gaoual et à Koundara ». Les Guinéens vivaient en sursis. Chaque soir, chacun attendait avec inquiétude les informations de 20 heures à la radio nationale dont les éditoriaux étaient des imprécations contre des personnes détenues ou en liberté. Ensuite c’était la récitation des aveux de détenus enregistrés sous la torture. Ceux qui étaient dénoncés et laissés en liberté subissaient un véritable ostracisme. Parents et amis les évitaient. Les arrestations s’opéraient de façon inattendue et capricieuse, de jour comme de nuit, sur les lieux de travail, à domicile, ou sur la route. L’ordre fut donné aux 8000 comités de base du Parti de procéder à l’arrestation des personnes dénoncées et de les transférer aux permanences fédérales du Parti. Une psychose de justice de foule s’installa dans tout le pays avec des règlements de compte, de la délation tout azimut et des comportements sombres de survie personnelle à tout prix.

Les arrestations étaient systématiquement suivies de la « diète » – une privation totale de nourriture – pour affaiblir les détenus avant de les soumettre aux séances d’interrogatoire sous la torture. La quasi-totalité des accusaient n’avait pas la force de résister. Les détenus acceptaient de reciter les aveux préfabriqués contre un morceau de pain et une tasse de boisson chaude. Ils s’accusaient de crimes monstrueux et dénonçaient des amis ou des parents en liberté ou déjà en prison. Le cycle se répétait tous les soirs.

Arrestation, tortures et assassinat

C’est dans ce climat qu’un soir de juillet 1971, le commentateur de la radio évoqua le nom de Karim Bangoura à plusieurs reprises.

« Après un moment, il fit un rectificatif disant qu’une erreur s’était glissée au cours du bulletin- Il s’agissait bien évidemment du traître Karim Fofana et non du secrétaire d’Etat Karim Bangoura.

Le père de Karim Bangoura, inquiet, fut reçu quelques jours après par Sékou Touré en compagnie de son fils. Sékou les rassura, et précisa même :

– C’est l’un de mes meilleurs cadres. Ce sont les ennemis de la Révolution qui font courir les fausses rumeurs de son arrestation. Il n’est pas question de l’arrêter.

Poussant le cynisme à son comble, quelques jours après, Karim Bangoura fut chargé de l’inauguration de l’usine de céramique que les Coréens venaient de réaliser à Matoto. C’étaient des missions dévolues jusqu’alors aux seuls membres du Bureau Politique du parti.

Cependant, le 1er août 1971, le nom de Karim fut de nouveau cité dans une déposition. Aucun rectificatif n’ayant été fait jusqu’à la fin de la déposition, les responsables du comité mirent à exécution les consignes du parti. Karim Bangoura sera arrêté à son domicile à Matam-Lido dans la journée, en présence de sa maman.

« Bien entendu Sékou Touré pourra toujours dire qu’il avait tenu parole. Il n’avait pas arrêté Karim puisque c’est le peuple qui l’avait fait. »

Comme tous les suppliciés du PDG, Karim Bangoura sera torturé et fera des aveux grossiers. On le fera avouer d’avoir été recruté par la CIA moyennant la somme de 400 mille dollars par mois (Note 2).  Il sera jeté vivant dans le fleuve Fatala (Boffa), à partir d’un hélicoptère. Les rumeurs de l’époque dirent que le mode d’assassinat avec été prescrit par les chamans comme sacrifice pour la gloire de Sékou Touré.

Notes :

Note 1 :

Beaucoup de données de cet article ont été fournies par la fille ainée de Karim Bangoura, Madame Amy Soumah. Elle a ces mots : « Je souhaite fermement que Dieu me donne le temps de collecter tous ces mémoires avec précision et détails à l’appui.  Je suis si fière de [mon père] et chaque jour que je respire, je m’inspire de ses actions ».

Note 2:

William Attwood, ambassadeur des USA à Conakry (1962-1964), écrivit le 9 août 1988 : “Mon ami Karim Bangoura, ancien ministre de l’information, a succombé à la diète noire après avoir signé une fantastique confession dans laquelle il m’accusait de l’avoir recruté pour la CIA et de lui avoir donné une Ford ainsi que 400.000 dollars par mois ! Bangoura, en réalité, était l’un des très rares hommes politiques africains que j’ai rencontrés et qui ne m’aient jamais demandé la plus petite faveur.”

Note 3 :

Cet article est tiré d’une série d’émission radios que Pottal-Fii-Bhantal et Radio Gandal organisent chaque 15 jours sur l’histoire contemporaine de la Guinée. La version pular sur Karim Bangoura est disponible en ligne sur YouTube.com.  https://www.youtube.com/watch?v=hN_rpWQA7hM

Ourouro Bah

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2 Commentaires
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K. Ba
K. Ba
9 janvier 2018 23:49

« la DGSE aurait accusé Bangoura Karim d’avoir été un de ses agents ».
Comment la DGSE, peut « accuser » quelqu’un d’etre un de ses agents? Ou meme l’admettre. Masria veut peut-etre dire le PDG, j’espere.
K. Ba

masria
masria
2 janvier 2018 07:39

Je crois que le temoignage public fait par mr Sekou Toure lui meme et son complice Jaques fOCCART a suffi pour clore le débat et clarifier la supercherie dans laquelle le peuple de Guinée a été roulé à la face du monde. Et qu’on ne vienne pas nous faire croire ici qu’il y a eu des temoignages de commanditaires français,qu’on dise donc le nom d’un seul responsable politique français qui aurit fait un seul temoignage. Et on comprend le desarroi des pro Sekou Toure en perte d’arguments qui s’accrochent à des petits livres de petits journalistes en quete de sensations… Lire la suite