WAE et SMA, un désastre écologique ? ( Haroun Gandhi Barry )

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Complément au texte « West Africa Exploration et Sable Mining Africa, un nouveau scandale »

Comme je l'ai écrit dans mon précédent texte (ci-dessus évoqué), et comme le montre le rapport de mission évoqué dans ce texte, le permis octroyé à West Africa Exploration (WAE) était situé dans une zone interdite pour des raisons environnementales, un site classé « héritage universel » par l'Unesco, sur la réserve naturelle intégrale des Monts Nimba.

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Même si cela a été corrigé ensuite, ce texte vise donc à éclairer les Guinéens, sur ce que les différentes missions de suivi de l'Unesco, ont conclu relativement à ce sujet. Le texte, assez technique, qui intéressera donc d'abord les spécialistes du développement durable, risque d'être indigeste. C'est pourquoi, ceux qui ne sont pas intéressés par les dégâts écologiques potentiels, pourront lire l'introduction et passer directement à la conclusion.

Le Mont Nimba, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco

La Réserve naturelle intégrale des Monts Nimba en Guinée est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco depuis 198111. Le Comité du patrimoine mondial (CPM2) de l'Unesco l'a en outre inscrit sur la Liste du patrimoine mondial en péril en 19923, à la suite de la proposition du gouvernement de la Guinée d'en réduire sensiblement l'étendue, afin d'y permettre le développement d'activités minières. La Liste en péril « est conçue pour informer la communauté internationale des conditions menaçant les caractéristiques mêmes, qui ont permis l'inscription d'un bien sur la Liste du patrimoine mondial et pour encourager des mesures correctives ».

 

En 1993, le CPM a accepté de réviser les limites du bien et d'en retirer une enclave de 1 550 ha, afin de permettre la réalisation d'un projet minier. Le gouvernement de la Guinée avait en effet signé une convention avec le consortium « Euronimba » qui, associé à « Mifergui », a créé la « Société des mines de fer de Guinée » (SMFG) à laquelle a été confiée l'exécution du projet minier.

 

À la demande du CPM, une mission de suivi a été organisée du 23 juin au 2 juillet 2007, dans le but d'évaluer la valeur universelle exceptionnelle et l'état de conservation du bien, et de faire le point sur les activités minières dans l'enclave. Cette mission a constaté que les pressions sur le bien avaient continué d'augmenter depuis 2007. Toujours à la demande du CPM, une nouvelle mission de suivi a été organisée du 25 février au 5 mars 2013, pour constater que les pressions sur le bien avaient continué d'augmenter depuis 2007. C'est cette dernière mission qui constitue le contenu de ce qui suit, et dont je reproduis certains extraits.

Bilan global de la mission de 2013, notamment pour ce qui concerne WAE en particulier (extraits du rapport)

Un permis d'exploration de minerai de fer (arrêté ministériel n°A2012/238/MMG/SGG du 27 janvier 2012) a été attribué à la société WAE, situé en limite nord-ouest du bien, dans la « zone d'influence des Monts Nimba ».

 

La mission observe que l'État partie n'a pas informé le CPM de l'attribution de ces nouveaux permis, malgré leur proximité du bien. Elle estime que l'État partie aurait du informer celui-ci avant même de délivrer le permis, conformément au paragraphe 172 des Orientations. Elle note aussi que l'attribution de ces permis a suscité une controverse au sein du gouvernement, le ministre chargé de l'Environnement considérant que l'exécution du projet WAE irait à l'encontre des engagements internationaux de la Guinée4.

 

Au départ le périmètre initial du permis accordé à WAE empiétait sur le bien, mais à la demande du ministre de l'Environnement, une commission a été chargée de résoudre ce litige et une expertise a été effectuée sur place en juillet 2012, ce qui a permis de clarifier la situation et de corriger la carte du permis.

 

WAE envisage à terme d'exploiter des dépôts de minerai de fer situés sur 3 plateaux sédimentaires, mais le deuxième plateau est séparé de l'enclave minière de la SMFG par une étroite bande forestière, incluse au bien et abritant actuellement un groupe de chimpanzés.

 

WAE s'est engagée à consulter officiellement le CPM et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sur le cadre de son Étude sur l'impact environnemental et social (EIES) en cours.

 

C'est enfin au cours des phases ultérieures de construction et d'exploitation de ces projets que les niveaux des nuisances collatérales et les dérangements pourraient singulièrement augmenter, en particulier pour la grande faune, du fait en particulier des activités de traitement sur site du minerai et de son transport. Le projet WAE induira la création de lacs artificiels étendus, en remplacement des milieux actuels de savane et de forêt situés au piémont de la chaîne.

 

La WAE a également engagé le processus d'EIES dont elle dit qu'elle a confié la réalisation à un Bureau d'études allemand Inros Lackner. Les termes de référence (TdR) de l'étude ont été validés au cours d'un atelier qui s'est tenu le 13 février 2013, associant toutes les parties prenantes, y compris l'Office guinéen de la diversité biologique et des aires protégées (Oguidap) et le programme PNUD/GEF des Monts Nimba. Ces TdR ont été adressés au ministère qui n'a pas encore délivré le certificat de validation. Cette EIES devrait être terminée courant 2015.

 

Non seulement le CPM n'a pas été informé de la délivrance du permis d'exploration de la WAE, mais malgré le fait que la concession soit située à toute proximité du bien, il n'a pas non plus été consulté préalablement sur les TdR, pour avis et commentaires. Au cours des échanges avec l'équipe de mission, la compagnie s'est cependant engagée à le faire officiellement et elle a proposé d'organiser une rencontre entre son prestataire chargé de l'EIES, le CPM et l'UICN.

 

La mission a reçu une copie électronique des TdR de l'EIES au cours de sa visite ; à ce stade, elle souhaite faire les remarques suivantes sur le texte qui lui a été remis :

 

  • Selon les TdR, l'EIES doit tenir compte des dispositions de la Convention du patrimoine mondial lors de la description de l'environnement physique et biologique ; cependant, aucune référence n'est faite à l'évaluation des impacts potentiels du projet sur la valeur universelle exceptionnelle (VUE) du bien. La mission rappelle que ces impacts doivent être évalués au regard à la fois des critères, de l'intégrité et du régime de protection et de gestion du bien. Elle rappelle aussi qu'une déclaration de VUE du site a été approuvée par le Comité.

 

  • Ce projet est particulièrement délicat en raison de sa proximité du bien et de ses impacts synergiques potentiels avec le projet minier SMFG. C'est pourquoi la mission considère que l'EIES doit clairement considérer comme une alternative l'abandon du projet si l'EIES concluait qu'il n'est pas possible d'atténuer ses impacts négatifs sur la VUE du bien.

 

  • La mission réaffirme également à cette occasion le fait que tout impact négatif sur la VUE du bien, y compris son intégrité, ne peut pas être compensé, dès lors que la VUE d'un bien est irremplaçable en application même de la Convention du patrimoine mondial, qui protège les valeurs uniques du site reconnues à travers son inscription sur la Liste du patrimoine mondial.

 

  • Elle rappelle la demande du Comité que les EIES se conforment aux plus hauts standards internationaux. Elle note que les TdR se réfèrent aux orientations et lignes directrices de l'International Finance Corporation (IFC5), notamment à sa politique de durabilité sociale et environnementale établie en 2006 mais elle considère que l'EIES devrait se référer aux standards de performance de l'IFC adoptés en 2012, également utilisés par la SMFG.

 

  • La mission constate l'absence de données de base sur le milieu naturel et insiste sur la nécessité que l'EIES contribue à combler ces lacunes pour espérer conclure sur des recommandations acceptables ; elle considère qu'en l'absence d'information suffisante sur des paramètres clés, l'EIES devra appliquer le « principe de précaution » dans ses recommandations de préservation de la VUE du bien.

 

  • Les TdR incluent également une évaluation des impacts synergiques, en relation avec les autres concessions minières du secteur. De l'avis de la mission, cette question est primordiale ; elle justifie que la SMFG et WAE se coordonnent à l'occasion de la réalisation de leurs EIES respectives.

 

  • La mission prend note que WAE sollicitera officiellement le CPM et de l'UICN pour avis et commentaires sur les TdR de l'EIES ; elle recommande également que les deux organisations soient impliquées par la compagnie, à chaque stade du processus de l'EIES et accueille favorablement la proposition de WAE d'organiser une rencontre entre son prestataire chargé de l'EIES, le CPM et l'UICN.

 

La mission s'est inquiétée des effets synergiques de ces activités d'exploration, proches et concomitantes, et de leurs impacts corrélatifs aux travaux de construction et d'exploitation, s'ils devaient être engagés ultérieurement. La mission a également évoqué avec les compagnies les impacts de leurs activités collatérales liées à la transformation sur site des matériaux extraits et à leur transport par voie ferroviaire, jusqu'à un port d'embarquement, comme cela est envisagé. Ces activités pourraient être la cause de nuisances importantes, y compris sonores, qui, dans le contexte de proximité du bien, sont aussi de nature à menacer la valeur universelle exceptionnelle du bien et à dégrader son intégrité écologique.

Autres dégâts écologiques

Au cours de sa visite, la mission a aussi constaté que l'interdiction de chasser dans les concessions minières était parfois toute relative, en atteste la présence d'un chasseur à l'entrée de la concession WAE lors de la visite du site.

 

La forêt de Déré (Guinée), a été totalement anéantie par le feu et les coupes de bois. En l'état, ces massifs ont perdu tout ce qui faisait leur valeur biologique par le passé. Ces évolutions conduisent la mission à s'interroger sur le devenir et même l'intérêt de la réserve de biosphère, ainsi que sur le fait de savoir s'il est encore possible d'inverser ces tendances et de restaurer ces milieux. Si le projet WAE devait aboutir, il aggraverait encore celle-ci.

 

La situation du corridor écologique créé en Décembre 2009 pour assurer un lien fonctionnel entre les collines de Bossou, l'une des trois aires centrales de la réserve de biosphère, et le bien, n'est guère meilleure ; ce cordon forestier destiné initialement à faciliter le déplacement des chimpanzés entre les deux massifs, est lui aussi profondément dégradé par le feu et les coupes forestières.

 

Dans leur ensemble, ces évolutions sont liées à des pratiques et usages traditionnels incontrôlés, tels l'agriculture et la chasse, dont les impacts croissent avec les tendances démographiques locales. Quoique ne constituant pas encore une menace immédiate pour la préservation de la VUE du bien, ces activités participent insidieusement à la dégradation de l'écosystème, elles fragilisent les équilibres et processus naturels et contribuent à accroître l'isolement écologique du bien. A titre d'exemple, l'absence de communication possible entre le groupe de chimpanzés des collines de Bossou, composé seulement de 12 individus et d'une seule femelle reproductrice, et les autres groupes présents dans le bien, hypothèque gravement la viabilité de ces animaux.

 

La dégradation tendancielle rapide des massifs forestiers contigus au bien, conjuguée aux coupes illégales réalisées localement dans le bien, sont autant de menaces potentielles à la préservation de son intégrité écologique.

 

En conclusion, la mission est satisfaite de ses échanges avec les compagnies et des informations qu'elle a obtenues auprès d'elles sur les processus en cours d'EIES. Dans leur ensemble, ces études demandent encore de nombreuses investigations et un certain temps avant d'aboutir. La mission recommande que le CPM de l'Unesco et l'UICN soient tenus régulièrement informés des résultats intermédiaires de ces travaux au fil de leur progression.

 

Conclusion

BHP Billiton et Newmont, les deux investisseurs initiaux anglo-saxons du projet de fer guinéen Euronimba, sont tous deux membres de l'International Council on Mining and Metals (ICCM), qui s'est engagé en 2003, au Congrès mondial sur les parcs nationaux (Durban), à ne pas développer d'activités minières dans les biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial. Mais on sait également qu'Arcelor Mittal, qui est devenu majoritaire en août 2014 d'Euronimba (il a racheté les parts de BHP Billiton et d'Areva), jouxte le projet de WAE. Or Arcelor Mittal et Sable Mining Africa (la maison mère de WAE) ne sont pas membres de l'ICCM.

 

Est-ce à dire que sur le périmètre minier, qui représente 5 500 hectares sur les 12 500 de la réserve écologique, il va forcément y avoir des répercussions sur l'environnement ? En tous cas, le bruit des engins de chantiers, voire les explosions feront fuir les animaux.

 

En outre, l'expérience libérienne ne plaide pas en faveur des compagnies minières. La partie libérienne du Nimba, exploitée durant des années par un consortium américano-franco-suédois, a subi un véritable désastre écologique : rivières polluées, forêts détruites, etc… Nous sommes prévenus. Si l'on rabote de 50 ou 100 mètres le sommet des monts Nimba, là où se trouve le fer, on risque de faciliter le passage des nuages, qui jusqu'à présent sont retenus par les cimes. Dès lors ils iraient crever plus loin. À long terme cela pourrait modifier profondément l'écosystème local ainsi que le réseau hydrographique. À l'heure où les changements climatiques menacent la planète, la question mérite donc d'être posée.

 

Gandhi
Citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

_______________________

1whc.unesco.org/fr/list/155

2whc.unesco.org/fr/comite

3Historique du classement du Mont Nimba à l'Unesco (y figurent les rapports des 2 missions de 2007 et 2013 : whc.unesco.org/fr/list/155/documents

4Lettre du ministre délégué à l'Environnement, aux Eaux et Forêts, n°0711/MDEEF/CAB/20 du 9 août 2012, adressée au ministre des Mines et de la Géologie.

5La Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale.

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