De BioEnergy Africa à Sable Mining Africa
Bio Energy Africa est une entreprise créée le 27 Avril 2007, et dirigée par Phil Edmonds – ancien joueur de cricket britannique – et son associé en affaires Andrew Groves. Elle siège dans les îles Vierges britanniques, paradis fiscal bien connu où on ne paie aucune taxe, même si l'essentiel de ses activités managériales se situe à Londres.
{jcomments on}
Elle a été admise à l'Alternative Investment Market (AIM), marché géré par le London Stock Exchange (LSE), réglementé par la Financial Services Authority(FSA), et créé en 1995, pour accueillir des PME, qui peuvent accéder à ce marché, en faisant notamment appel public à l'épargne.
À l'origine cette entreprise était spécialisée dans le développement durable, avec un projet à Missangir (Mozambique) de dépollution, défrichages, irrigation et pépinières spécialisées dans les plantations de sucre de canne (pour la production d'éthanol).
À la suite de la vente au groupe minier kazakh Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) en Septembre 2009 pour 995 millions de $, de Central African Mining and Exploration Company (Camec), présidée jusqu'au 11 Novembre 2009 par Phil Edmonds1, BioEnergy a suspendu ses investissements au Mozambique dans l'éthanol pour se concentrer sur des projets d'exploration et de développement minier en Afrique subsaharienne, dans le charbon, le platine et l'uranium. Ce changement de cap s'est aussi traduit par un changement de nom : la société deviendra Sable Mining Africa Ltd.
Selon Guineenews, Aboubacar Sampil est considéré en Guinée, comme l'homme de paille de la famille d'Alpha Condé. Il possède 4 sociétés2 créées en 2011, toutes enregistrées à la même adresse au Royaume-Uni3, d'autres4 le seront courant 2011, et une autre5 enregistrée entre les 2 tours des élections présidentielles de 2010. Aucune activité n'est visible ou connue en Guinée. Par contre, West Africa Exploration (WAE), filiale guinéenne de Sable Mining Africa, dont Aboubacar Sampil est directeur non exécutif depuis le 12 Avril 2012, a obtenu un permis d'exploration pour 35 ans, de 123,5 km² au Mont Nimba6 en Février 2012. Le gisement a été découvert dans la sous-préfecture de N'Zoo (préfecture de Lola).
Qu'est-ce qui pose problème ?
Les dégâts écologiques
En premier lieu, et selon l'ancien Ministre des Mines Mamoudou Thiam, il est toutefois possible, au vu de son emplacement, que le permis octroyé à WAE soit situé dans une zone interdite, pour des raisons environnementales, un site classé « héritage universel » par l'Unesco, sur la réserve naturelle intégrale des Monts Nimba (étant donné les nombreuses implications sur le plan écologique, j'ai écrit un texte annexé à celui-ci pour ceux que cela intéresse afin de ne pas alourdir celui-ci).
La violation du Code minier
En second lieu, cela parait surprenant avec WAE, mais c'est avec un simple arrêté ministériel que la société effectue des recherches pour exploiter les mines guinéennes, ce qui constitue une forfaiture, quand on sait que les principes régissant le secteur exigent un titre minier pour la simple exploration d'abord, à plus forte raison pour l'exploitation. L'étude de préfaisabilité du projet d'exploitation ne sera finalement présentée que le 13 Septembre 2013, cependant que l'étude d'impact environnemental et social détaillée du projet, ne sera validée que le 15 Décembre 2014, sans être encore publiée à ce jour. Cela constitue une violation flagrante des principes régissant les industries extractives, qui voudraient que la fourniture d'un certain nombre de documents, y compris les résultats de cette étude, soit un préalable à toute action à mener. Ainsi selon l'article 37-II du Code minier, la demande d’une Concession minière doit être accompagnée d’un dossier dont le détail figure dans la réglementation minière et comprenant impérativement – le terme est important – différents éléments, et notamment une étude de faisabilité intégrant une étude d’impact environnemental et social détaillée, assortie d’un plan de gestion environnementale et sociale, comprenant un plan de dangers, un plan de gestion des risques, un plan hygiène santé et sécurité, un plan de réhabilitation, un plan de réinstallation des populations affectées par le projet et les mesures d’atténuation des impacts négatifs et d’optimisation des impacts positifs.
Même le FMI avait exigé du gouvernement guinéen, la publication dans « les meilleurs délais » des licences délivrées à 3 compagnies minières, dont WAE (au 12 Février 2015 la convention n'existe pas officiellement7).
On rappelle en effet que la Société WAE a obtenu un permis de recherche minière8 à Lola par arrêté (A2012/238/MMG/SGG) signé le 27 Janvier 2012 pour 3 ans (jusqu'au 26 Janvier 2015), pour une superficie totale de 459 km². La concession aurait été obtenue au moment des élections législatives (début Octobre 2013, au moment où tout le monde était exclusivement occupé avec le dépouillement).
Alpha Condé a l'habitude de pratiquer le deux poids, deux mesures. Ce qui est interdit à certains, est autorisé à d'autres. Là encore dans ce domaine, il n'en va pas autrement. On se rappelle que des discussions ont eu lieu – en comité restreint, et non avec les Guinéens -, pour savoir si le fer de Guinée devait passer par le Liberia ou via le projet de transguinéen. Alpha Condé s'était engagé pour le second, et sur le principe il avait raison.
En octroyant une licence d'exportation dérogatoire (à 250 millions de $ non payés au Trésor public, donc à qui ?), à une quasi coquille vide anglaise (voir ci-dessus), pour pouvoir évacuer le minerai de fer du mont Nimba vers le Libéria, sa décision – en plus d'être illégale – est inacceptable, parce que cette possibilité a été refusée à des géants miniers tels Rio Tinto, BHP Billiton et Vale, qui envisageaient également d'utiliser le corridor de Monrovia pour exporter le minerai fer sur les marchés mondiaux. Alpha Condé a toujours refusé cette option, estimant que cela entrainerait la mort du chemin de fer transguinéen. Il montre ainsi qu'il revient – une fois de plus – sur ses engagements, mais surtout, il prouve ainsi, que ce qu'il interdit aux autres, il l'accepte, dès lors que ses intérêts personnels sont en jeu.
On se rappelle en effet que le contrat controversé entre la Guinée et BSGR-Vale exigeait la construction d'un chemin de fer de 600 kilomètres pour une valeur d'un milliard de $, afin de donner l'autorisation d'évacuer le fer de Simandou et de Zogota vers le Libéria. Pourquoi cette obligation n'existe plus pour WAE ?
Ainsi si la rationalité économique veut que le minerai de fer soit évacué par le Liberia où existe déjà une ligne de chemin de fer, la Guinée, au nom de l'indépendance nationale souhaite avoir son train, même si la rentabilité de ce projet coûteux est jugée douteuse par les bailleurs de fonds. Toutefois si la dérogation d'évacuation par le Libéria est octroyée par le gouvernement lui-même, il va être difficile ensuite de justifier la construction du transguinéen, un projet pourtant si cher aux Guinéens.
Par ailleurs, comment une coquille vide, de surcroît non spécialisée dans les produits miniers, a t-elle pu obtenir une concession d'un si riche gisement de fer, alors que le gouvernement avait annoncé avoir « gelé » toutes les licences, et que les détenteurs de concession devaient passer devant le Comité Technique de Revue des Titres et Conventions Miniers de la République de Guinée (CTRTCM), dirigée par Nava Touré ?
Le machiavélisme de WAE pour parvenir à ses fins
Contrairement à d'autres projets où une multinationale ne respecte pas toujours ses obligations vis-à-vis des populations locales (on se rappelle tous Zogota), le groupe Sable Mining a eu l'intelligence de fournir aux riverains, différents équipements pour l'amélioration de leur quotidien, à hauteur de 10 milliards de GNF selon lui. On peut donc penser qu'il s'est acquis le soutien des autorités locales.
Par ailleurs, du 17 au 22 Juin 2013, WAE a financé la formation d'une soixantaine de journalistes guinéens (sans doute pour ne pas aiguiser leur esprit critique à l'encontre de la société). C'est Jean Kouchner lui-même (frère de Bernard), qui assuma la direction des ateliers. Curieux mélange des genres, lorsqu'on sait que ce dernier défendait une approche radicale de l'indépendance des médias. Ainsi en 2008, lors d'une conférence, il estimait que le vrai journalisme s'en tient à 4 principes fondamentaux9. Il paraît donc bizarre a posteriori, que cet individu oublie de se les appliquer.
Enfin le budget annuel 2015 de l'ITIE-Guinée a été adopté le 23 Décembre dernier, à hauteur de 1,5 million de $, la Guinée contribuant à hauteur de 70%. C'est sans doute ce qui explique que le Comité exécutif de l'ITIE ait fait allusion à l'affaire BSGR dans l'octroi de permis sur fond de corruption, mais pas de Sable Mining, dont les procédures vues précédemment n'ont pourtant pas été respectées. D'ailleurs la publication sur son site web, des licences et des propriétaires réels, et qui constitue une obligation, n'est toujours pas respectée. Il est donc important de rappeler que si la Guinée se glorifie d'avoir été déclarée pays conforme à la norme ITIE, cela ne signifie nullement que le secteur minier du pays est entièrement transparent. Au 12 Février 2015 par exemple, le dernier rapport publié est celui de 2012 !!!
Quelles sont les finalités du projet pour la Guinée ?
La presse anglaise suggérait que la société vendra le projet à des géants miniers plus établis, tels que Glencore Xstrata, Jindal, Anglo American ou ArcelorMittal, avec des centaines de millions de $ de plus-value, la spéculation semblant constituer le but réel de cette affaire.
On a pourtant reproché à BSGR d'avoir obtenu une concession dans des conditions opaques, et de l'avoir revendue avec une plus-value de 2,5 milliards de $, sans que la Guinée ne touche quoi que ce soit. Ce qui serait interdit à Beny Steinmetz serait donc autorisé à Mohamed Condé ? Dans les deux cas, la Guinée perd, car pourquoi n'avoir pas octroyé une concession à la Soguipami – censée représenter les intérêts de l'État -, et non à des aventuriers, qui ne travaillent que pour eux-mêmes ?
Cette société vaudra de l'or, pas seulement pour son gisement dont la teneur est remarquable, mais pour les différentes autorisations octroyées. Même Rio Tinto pourrait être intéressé à racheter une société qui dispose du droit d'évacuer son fer par le Liberia, ce qui lui a toujours été refusé.
On sait qu'Arcelor Mittal, qui est aussi devenu majoritaire en Août 2014 dans le projet de fer guinéen d'Euronimba (il a racheté les parts de BHP Billiton et d'Areva10), jouxtant celui de Sable Mining, est tenu par ses accords avec Monrovia d'ouvrir son infrastructure ferroviaire libérienne à des utilisateurs tiers, et donc Sable Mining par exemple.
Comme Rio Tinto s'est inquiété en déclarant « vous ne pouvez pas exiger de nous, de construire un chemin de fer de 600 km et un port, et de demander à mon concurrent de construire 10 km et de commencer avant moi », la société EuroNimba a du accepter de payer 100 millions de $ à la Guinée (au Trésor public ???) plus 25 millions de $, qu'ils devront investir pour l'aéroport de N'Zérékoré. Là encore des millions sont versés à des comptes spéciaux, dont il faut être aveugle pour ne pas comprendre qu'ils n'appartiennent pas au Trésor public guinéen.
Enfin accessoirement, cette opération pourrait permettre de recycler (donc justifier légalement via cette activité officielle), l'argent sale (détourné) par le clan Condé.
Conclusion : que faut-il faire ?
Le 26 Novembre dernier, lors de sa troisième rencontre avec les journalistes, Alpha Condé avait abordé la situation de nos ressources minières. Il a rappelé que la Guinée avait signé et ratifié plusieurs conventions avec Rio Tinto (investissement de 20 milliards de $), Mubadala (investissement de 5 milliards de $), China Power Investment (investissement de 5 milliards de $) et avec Rusal, dont curieusement aucun chiffre n'est cité. Dans les 3 premiers cas, il s'agit de prévisions d'investissement, alors que pour Rusal, un versement a été effectué, dont on ignore d'ailleurs et le montant, et la destination.
En outre Alpha Condé fait une fixation sur le Code minier afin que la Guinée puisse tirer « profit » de ses ressources minières en exigeant une participation de 15% d'actions gratuites et la possibilité d'acheter jusqu'à 20%, donnant ainsi 35%, qui est « l'unité de blocage ». Mais outre qu'il ne respecte pas lui-même le Code minier, au lieu de focaliser sur 35% d'exportation de matières premières, il faudrait insister sur la transformation sur place de nos ressources.
Il faut cesser d'asseoir une stratégie de développement de la Guinée sur les seules mines, et non sur ses ressources humaines, la seule richesse d'un pays.
Puisque les politiciens ne s'intéressent qu'à eux-mêmes, il ne faut pas compter sur eux pour défendre NOS intérêts. Or si nous comptons sur eux pour faire quelque chose, nous serons obligatoirement déçus. Au lieu de les critiquer, il faut nous prendre en charge et agir nous-mêmes. Je vais donc proposer sous peu, la création d'un Collectif de toutes les bonnes volontés, pour agir d'abord sur le plan juridique, y compris pourquoi pas sur ce dossier, puisqu'il est concret.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
1Il démissionnera de son poste de directeur en Octobre 2014.
2Rio Nunez SA, WAE SA, Guinée Métaux de base SA et Kakande Natural Resources Limited.
3Taparia House 1096 Uxbridge Road Hayes Middlesex UB4 8QH.
4ADS Ressources Limited, Soguifer Limited, Guinea Real Estate Development Company Limited, Finagri Limited et Société Financière de Guinée Limited.
5Rio Pongo SA.
6En 1973, la société d'économie mixte Mifergui-Nimbaest constituée. Son objectif est d'extraire 15 millions de tonnes par an de minerai de fer et de l'évacuer par le Liberia grâce à la ligne de chemin de fer qui relie la partie libérienne des monts Nimba au port de Buchanan. Malheureusement les prétentions exorbitantes du Liberia et la concurrence d'un projet brésilien font capoter l'entreprise guinéenne. Après une éclipse due à la dictature Sékou Touré, le projet refait surface via le consortium Euronimba emmené par les firmes BHP Billiton et Newmont La Source. Parallèlement un autre projet pharaonique voit le jour en 1995. Il s'agit de l'exploitation des mines de fer des monts Simandou, confié à l'anglo-australien Rio Tinto.
7http://www.contratsminiersguinee.org/about/projets.html
8Selon le rapport 2012 de l'ITIE, qui date de Décembre 2013.
9http://www.aostasera.it/articoli/2008/03/30/5805/les-devoirs-du-journal
10Comme cette transaction entre ArcelorMittal et BHP était suspendue à l'aval des autorités guinéennes pour faire passer le fer du Mont Nimba par le Liberia, on suppose que la conclusion de l'accord, signifie qu'Arcelor Mittal, qui disposait déjà de la concession du chemin de fer minier au Liberia entre Yekepa (au Nord du Liberia à la frontière guinéenne) et le port de Buchanan (sur la côte atlantique), a obtenu gain de cause.