Un procureur « dur de la feuille 1»
Il y a peu Nantou Chérif (Coordinatrice Nationale du RPG et députée), Bantama Sow (Ministre conseiller à la Présidence de la république), Malick Sankhon (Directeur de la CNSS) et Hady Barry (membre de la Direction Nationale du RPG) ont été impliqués dans un vaste programme d’organisation de contre-manifestations et la planification d’expéditions punitives contre les manifestants de l’opposition, avec des expressions telles que :
– « tous ceux qui manifesteront nous trouveront sur leur chemin…
{jcomments on}
– il nous a été dit que Cellou Dalein a envoyé beaucoup de lance-pierres et qu’ils ont fait des bois avec clous, donc il doit comprendre que le RPG a plus de 25 ans d’expérience. S’ils recrutent 1 500 jeunes, qu’ils sachent que le RPG est un vieux parti qui a été officiellement agréé depuis 1992. S’ils mobilisent 1 000 personnes, nous allons mobiliser 10 000 personnes ».
Réaction du procureur, qui peut se saisir d’office – autrement dit, qui peut poursuivre sans plainte de qui que ce soit – : RIEN du tout.
Ces 4 individus soutenus par Alpha Condé, par le Ministre de la Justice (étrangement resté coi) et par le RPG, ont crié publiquement leur détermination à punir tout manifestant de l’opposition, soit la préméditation d’une violence éventuellement meurtrière – eu égard au passé. Or la volonté de ces individus d’empêcher la manifestation, voire de blesser, et même tuer… d’autres Guinéens est insensée, mais surtout délictuelle, voire criminelle. Une contre-manifestation est en effet une rencontre organisée contre la manifestation, or elle est illégale si elle se déroule à la même heure et au même endroit que la manifestation principale, car elle suppose qu’on veut l’empêcher physiquement. Or l’article 10 de la Constitution permet la manifestation, dont le gouvernement ne peut préjuger le déroulement violent, sauf à l’organiser lui-même volontairement par des éléments infiltrés, ce en quoi il est spécialiste !!!
Un procureur zélé qui retrouve l’ouïe
Selon certains sites guinéens, le Procureur se serait autosaisi, un comble eu égard à mes remarques précédentes, pour outrage au chef de l’État. En effet, ce délit serait constitué parce qu’Ousmane Gaoual Diallo aurait rappelé à Alpha Condé son devoir de protéger les citoyens ainsi que leurs biens. « J’ai entendu le président Alpha Condé dire que l’opposition fait sortir les enfants pour qu’ils soient tués… Un chef d’État n’a pas le droit de dit cela… Il n’a pas pour mission de tuer les Guinéens. Son devoir, c’est de nous protéger, protéger nos biens et créer l’harmonie entre nous. Mais, en déclarant que les gens qui manifestent, manifestent pour être tués, Alpha dit à la face du monde qu’il est l’ordonnateur des assassinats qui se passent dans notre pays », aurait-il dit.
Il est clair qu’Alpha Condé est un criminel et que sa responsabilité est engagée, non pas en tant que chef d’État, car plus délicate à mettre en œuvre lorsqu’il s’agit de prouver un lien direct avec les meurtres et assassinats de manifestants (près de 70 depuis qu’il est à la tête du pays), mais en tant que Ministre de la Défense, donc hiérarchiquement responsable des gendarmes, ceux qui tuent les manifestants.
En outre, l’absence d’enquêtes lors de ces crimes constitue un élément à charge supplémentaire. Disons que pour le moment, Alpha Condé est protégé par une immunité, d’autant que ses complices directs2, ne sont pas encore en mesure de se retourner contre lui.
Des affidés sans honte
Le plus incroyable – on marche sur la tête – est que ce sont les « délinquants » du RPG cités plus haut, qui se sont associés à ce dossier pour porter plainte au TPI de Dixinn, sans aucune gêne, pour la réponse d’Ousmane Gaoual Diallo à leurs propos inadmissibles.
Il est vrai que la réponse du député est tout aussi scandaleuse, même si le contenu est de plus en plus partagé par une frange elle aussi de plus en plus importante de Guinéens – évitons l’hypocrisie. Même s’ils répondent aux agressions verbales des 4 dirigeants du RPG, ces propos peuvent et doivent être sanctionnés – au moins pour le principe -, car de tels propos exprimés publiquement par des hommes politiques sont indignes. Par ailleurs, il est inutile de se mettre au niveau de tels individus malfaisants, qui n’ont aucune utilité et dont c’est l’unique vocation. Enfin la responsabilité pénale est individuelle et ne concerne donc pas les familles respectives de ces individus.
En réaction à ce double scandale (des déclarations incendiaires de RPGistes et l’absence de réaction du Procureur, voire du Ministre de la Justice), il faut aussi que l’UFDG porte plainte pour les mêmes motifs que ceux reprochés à Ousmane Gaoual Diallo, à savoir :
- menaces de mort sur les manifestants,
- diffamation du chef de l’opposition,
- manœuvres (organisation de contre-manifestations) et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves ou à jeter le discrédit sur les institutions constitutionnelles ou leur fonctionnement.
Pourquoi plusieurs affaires ? il y a un dossier pour outrage au chef de l’État et un dossier concernant les dirigeants du RPG. Cela permet de multiplier les actes de procédure, d’augmenter les délais de garde à vue (car ils sont renouvelables), de sorte que l’humiliation et/ou l’intimidation du député est de mise. Parce que franchement, quel est l’intérêt de garder quelqu’un en garde à vue dans une affaire aussi limpide ?
À propos d’immunité et de flagrance
Je n’insisterai pas sur ces notions, je l’ai déjà fait il y a un an à propos de la première affaire d’Ousmane Gaoual Diallo, mais je tiens à corriger certaines déclarations un peu trop rapides, ou erronées surtout lorsqu’elles viennent de juristes censés former nos futurs hauts fonctionnaires !!!
On peut discuter de la réalité du délit d’outrage (voir ci-dessus), en revanche la flagrance est réelle, et un à 2 jours constituent un délai raisonnable, d’autant qu’en Guinée, ce délai peut durer 10 jours voire davantage dans certaines conditions. En France le délai de flagrance peut-être prolongé à 8 jours, voire de façon tout à fait exceptionnelle à 15.
De même si l’immunité parlementaire est un principe constitutionnel, elle ne s’exerce pas dans tous les cas, et notamment en cas de flagrance. Un flagrant délit permet en effet de poursuivre un député comme un justiciable « normal », sans l’intervention du Bureau de l’Assemblée Nationale.
Quel est le problème, alors ?
Comment comprendre que des hauts cadres du RPG se livrent en toute impunité à des menaces, à des accusations graves et diffamatoires contre le Président de l’UFDG, allant jusqu’à lui attribuer l’intention de préparer un coup d’État militaire ?
Comment interpréter l’indifférence des autorités administratives et judiciaires face à la décision assumée par le RPG, de recruter et d’entretenir des milices privées et des jeunes contre-manifestants en vue de s’opposer par la force aux marches pacifiques de l’opposition ?
Comment interpréter cette justice à 2 vitesses, qui signifie que pour un même fait, les résultats soient différents, bref une impunité totale. Tout le monde se rappelle que lorsqu’Alpha Condé s’en était pris à l’ethnie malinkée en Mai 2016, Ousmane Kaba avait indiqué que « Alpha Condé a bu de l’alcool… Un buveur dit toujours ce qui est dans son cœur ». Le procureur n’a pas considéré qu’il s’agissait d’outrage au chef de l’État.
De même Alpha Condé prononce souvent des propos aussi graves au siège du RPG, comme l’a fait Ousmane Gaoual Diallo à l’UFDG. Donc n’étant dans aucune fonction officielle de chef d’État, Alpha Condé s’exprime en tant que président du RPG (ce qui est anticonstitutionnel en vertu de l’article 38 de la Constitution), mais manifestement cela ne dérange aucun procureur.
Comme le rappelle Benn Pépito, dans sa dernière production, Bantama Sow est l’auteur de la menace suivante faite devant ses partisans : « Mr le PM, nous sollicitons auprès de vous de dire au président de la république de faire respecter la loi dans toute sa rigueur. Il y a des partis loubards dirigés par des leaders loubards. Ils pillent, ils cassent, ils brûlent, ils brisent. Les forces de sécurité n’en sont pour rien… Désormais », poursuit-il, « jeunes de l’arc-en-ciel, si un jeune loubard dirigé par un parti loubard s’attaque à nous, nous allons le poursuivre jusque chez lui. « Ils doivent savoir que la récréation est terminée. Désormais, c’est dent pour dent et œil pour œil ».
???
Quid de l’UFDG ?
Par ailleurs, il va falloir que l‘UFDG imagine d’autres réactions plus efficaces que ses déclarations stériles, voire des manifestations tuées dans l’œuf.
Dans sa déclaration de réaction à la garde à vue de son député, l’UFDG se plaint que les auteurs et commanditaires des crimes et délits commis à Banankoro et plus récemment à Mali se promènent librement alors que les responsables de l’UFDG de Koundara sont arbitrairement détenus et sans jugement depuis bientôt un an. C’est entièrement vrai, mais à part prendre en charge les familles – ce qui est un minimum – qu’a fait l’UFDG sur le plan judiciaire ? Absolument rien. Et après 6 ans de régime d’Alpha Condé, elle espère encore que celui-ci va évoluer favorablement, alors que justement son régime va se crisper de plus en plus.
Quant aux manifestations, que se passera t-il si comme les dernières l’ont montré, les leaders sont confinés à leur domicile ?
On espère que l’affaire d’Ousmane Gaoual Diallo va montrer à certains leaders, qu’ils ne sont pas à l’abri de violations de leurs droits dans la démocrature d’Alpha Condé, et que cet épisode leur servira de leçon…
Et la suite ?
Concernant l’affaire Ousmane Gaoual Diallo proprement dite, il y a plusieurs solutions possibles, de la plus dure (une peine de prison ferme possible mais risquée à l’orée de la manifestation du 10 Août), à la plus souple (une nouvelle sanction avec sursis, avec mise à l’épreuve cette fois). Je ne rentre pas dans le détail pour le moment, car de nombreuses conditions entrent en ligne de compte et des vices de procédure sont susceptibles d’exister, qui pourraient remettre en question le jugement.
Il est certains toutefois que si l’opposition ne réagit pas avec les outils qui conviennent, la société civile au sens large (pas celle de Guinée) devra prendre ses responsabilités pour faire ce que cette opposition s’évertue à ne pas faire… avec constance.
Une sanction contre le député est normale, mais elle doit être de principe, car elle ne paraîtra admissible aux yeux de TOUS les Guinéens, que pour autant que l’équité soit observée, ce qui est loin d’être le cas. Et dès lors que la violence des propos récents a pour conséquence une radicalisation des positions des uns et des autres, il faut être prudent. Personne n’a intérêt à ce que la situation s’envenime (notamment le gouvernement), d’autant que l’économie va de plus en plus mal – contrairement aux déclarations fantaisistes du gouvernement. Or on sait qu’en Guinée les populations se moquent des droits de l’homme, des libertés publiques et de démocratie… qui n’intéressent que les intellectuels, mais en revanche des difficultés économiques conjuguées à un blocage politique peuvent susciter des réactions incontrôlables.
La bouteille d’eau se remplit progressivement, donc attention à la goutte qui ferait déborder le vase, attention à l’étincelle que pourrait constituer l’accumulation sans fin d’injustices… flagrantes.
Donc le VRAI procureur serait avisé de constater qu’il y en a marre et que trop c’est trop…
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791)
1 Se dit d’une personne qui a du mal à entendre.
2 Et notamment Abdoul Kabélé Camara, Mouramani Cissé, Mamadouba Toto Camara et Mohamed Diané.