Siéger ou pas, épilogue

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Évaluation de l'article

GBK Depuis le 28 Septembre 2013 – soit plus de deux mois – ont eu lieu les élections législatives. Nous en avons longuement parlé ici, ce qui a permis aux uns et aux autres d'exprimer des points de vue pertinents. Par ces discussions et du fait des réalités guinéennes, pas toujours conformes à ce qu'elles devraient être, les positions des uns et des autres ont pu évoluer. En outre, un avocat guinéen, Amadou Diallo en l'occurrence, a produit un texte pour justifier la future position de l'UFDG ??, à savoir siéger à l'Assemblée Nationale.

{jcomments on}Il était donc normal que je reprenne une dernière fois le sujet, pour apporter des précisions. Je rappellerai à l'attention de certains mes motivations, Amadou Diallo ayant oublié de préciser les siennes, et je lui répondrai indirectement, ne souhaitant pas personnaliser un débat, qui concerne tout le monde.

 

Trois remarques préalables avant de répondre sur le fonds.

Première remarque: l'objectif de mes textes a essentiellement deux finalités :

·        d'une part, tenter d'expliquer le plus simplement possible aux profanes, certaines dispositions juridiques, qui pourraient inutilement (ou volontairement ?) compliquer la compréhension de certains événements, et,

·        d'autre part, susciter le débat pour corriger les erreurs inévitables, les interprétations erronées, voire pour amender, améliorer ou contester certaines propositions et/ou constats.

En l'occurrence les remarques des internautes sur mon texte « et si l'opposition ne siégeait pas ? », m'ont amené à deux corrections importantes, pourtant évidentes, mais que l'urgence à vouloir répondre à certains de ceux-ci, ne m'avait pas permis d'identifier immédiatement.

La première correctionconcerne le fait de siéger ou pas. Aujourd'hui il semble que la bonne stratégie pour maintenir l'unité de l'opposition, soit de siéger, mais de ne pas voter certains textes, et notamment le règlement intérieur dès la première session (j'y reviendrai, car c'est l'objet essentiel de ce papier), afin notamment, d'obtenir certaines garanties liées à l'accord non respecté du 3 Juillet dernier). Quelle que soit la décision, siéger ou pas, il y a des avantages et des inconvénients, mais il semble qu'il y en ait davantage pour l'opposition à le faire, ne serait-ce que pour maintenir son unité.

La seconde correctionconcerne l'article 92, qui concerne bien la situation du désaccord possible entre le PRG et l'Assemblée Nationale. Il y a donc effectivement un vide juridique sur la convocation de la première session (et non pas une date impérative pour siéger dans les 10 jours), mais une session extraordinaire pourra résoudre ce problème non insurmontable.

Deuxième remarque: la comparaison avec la CENI n'avait rien de juridique. Elle visait à faire comprendre aux internautes, que l'opposition n'avait pas tiré profit de certaines dispositions d'installation de la nouvelle CENI (notamment le quorum obligatoire lors de la prestation de serment), ce qui lui aurait permis de se faire entendre, puisqu'en ne participant pas à cette prestation de serment, la CENI n'aurait pas pu se mettre en place. Concrètement, il fallait obligatoirement être 17 sur 25, pour obtenir le quorum obligatoire à la prestation de serment et par conséquent installer la CENI et son Bureau. En ne participant pas à cette prestation de serment, les 9 commissaires choisis par l'opposition auraient pu empêcher la mise en place de la CENI. L'opposition désunie n'a pas tiré profit de cette disposition légale. Concernant le cas de l'Assemblée Nationale, il n'y a pas de prestation de serment, mais il existe une disposition qui oblige les députés à voter leur règlement intérieur à la majorité des 2/3, puisqu'il s'agit d'une loi organique. Le fait de ne pas voter ce règlement intérieur bloquerait l'installation de l'Assemblée Nationale, et donc son fonctionnement ultérieur. La comparaison n'avait donc pour but, que de montrer qu'il existe des formalités relativement identiques à la mise en place de l'institution (CENI et AN), permettant de paralyser éventuellement le système, et non de comparer les deux institutions !!!

Troisième remarque :j'ai eu l'occasion de préciser à un internaute que, contrairement à mes interventions publiques – où je suis invité en tant qu'enseignant, ce qui nécessite une certaine neutralité -, je n'ai pas les mêmes scrupules pour mes textes en ligne, qui s'inscrivent dans un combat militant contre le régime actuel. Par conséquent, hormis les erreurs inévitables que les internautes me font parfois remarquer, mon objectif en dehors des aspects pédagogiques, est de fournir éventuellement des outils, permettant à l'opposition de lutter efficacement, mais légalement, contre ce régime. Il m'arrive donc d'omettre volontairement certaines dispositions juridiques, afin de ne pas donner le bâton pour se faire battre. Concernant ce texte par exemple, j'ai dit et je répète que l'opposition peut paralyser la mise en place de l'Assemblée Nationale, sans indiquer tous les moyens juridiques permettant de contourner ce blocage. Cela m'amène donc à évoquer maintenant les questions de fonds.

 

Sur le fonds

Il paraît nécessaire d'aborder et/ou de revenir sur 3 points particuliers, qui n'ont pas forcément été compris, à savoir :

·        le vide juridique et l'article 161 de la Constitution.

·        la loi organique n°L/91/015/ du 23 Décembre 1991 portant Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale.

·        l'opportunité de siéger ou non à l'Assemblée Nationale.

 

Premier point : l'article 161 de la Constitution

Ce n'est pas parce que la Cour Suprême, le CNC, le CES, voire les partis politiques existent, qu'ils possèdent une base juridique indéniable, mais là n'est pas le problème, puisque sauf erreur de ma part, personne n'a jusqu'à maintenant, intenté un recours à la Cour Suprême, pour contester la légalité desdites institutions et/ou associations. Par conséquent elles sont réputées être légales, jusqu'à preuve du contraire. Ce qui m'intéresse donc aujourd'hui, ce n'est pas la remise en cause d'institutions du passé, mais l'application des textes du présent.

Actuellement la Constitution de 2010 est en vigueur, ce qui ne l'a pas empêché d'être violée maintes fois – y compris par celui qui est chargé d'en assurer la promotion, le PRG lui-même -, et que je sache, cela n'a dérangé personne, notamment au CNT. Il ne faut donc pas se retrancher derrière des arguties juridiques, pour dire tantôt que la loi préexiste et crée des institutions, tantôt que des institutions existent, ce qui prouve l'existence de la loi (sic). De même que je n'ai pas comparé la CENI à l'Assemblée Nationale (voir ci-dessus), de même je n'ai pas cherché à connaître les procédures de mise en place ou de fonctionnement de ces institutions décrites ci-dessus, et pour lesquelles il n'est dit nulle part, que leur légalité nécessitait le respect de certaines procédures pour être opérationnelles (en dehors de la CENI).

Certains juristes guinéens affirment de façon péremptoire – et donc sans le démontrer -, que les lois organiques subsistent à la constitution à laquelle elles sont pourtant obligatoirement rattachées, quand bien même cette dernière ne serait plus en vigueur. Autrement dit si le règlement intérieur de l'Assemblée Nationale de 1991 indiquait que cette Institution n'était qu'une chambre d'enregistrement des décisions du PRG, c'est ce règlement intérieur qui régirait toutes les assemblées futures, si par hasard une majorité qualifiée (2/3) n'existait pas pour la remettre en cause. Chacun imagine l'absurdité de cette affirmation, et notamment si un changement de régime (avec une nouvelle Constitution) avait lieu pour faire cesser cette mainmise de l'exécutif sur le législatif. En poursuivant cette logique, l'Assemblée Nationale ne pourrait jamais modifier cette disposition honteuse, en cas d'absence de majorité qualifiée. À quoi servirait donc une Assemblée Nationale nouvelle, qui serait pieds et poings liés par une disposition, qui ne la concerne pourtant pas ?

Cela reviendrait donc à graver dans le marbre (ad vitam aeternam) cette disposition, au motif qu'aucune majorité qualifiée (difficile à obtenir dans les faits), ne pourrait la remettre en cause. Encore heureux que ce règlement n'ait pas été pris à la préhistoire !!!

On peut comprendre que ce n'est pas parce qu'on change de constitution, qu'il faut tout remettre en cause, d'où la raison pour laquelle il faut prévoir des dispositions permettant d'assurer la transition. La Constitution du 23 Décembre 1990 n'étant plus en vigueur, on a inséré les dispositions de l'article 161 dans la nouvelle Constitution de 2010, pour permettre de prolonger l'existence des institutions, que la Constitution de 1990 a permis de mettre en place (la cour Suprême par exemple). En effet l'article 161 stipule que : «la législation en vigueur jusqu'à l'installation des nouvelles Institutions reste applicable, sauf intervention de nouveaux textes, lorsqu'elle n'a rien de contraire à la présente Constitution ».

La fameuse « législation en vigueur » s'applique donc aux institutions qui préexistaient déjà à la nouvelle Constitution (CENI, CES, CNC et Cour Suprême) jusqu'à leur modification éventuelle. Autrement dit le CES, le CNC et la CENI restent opérationnels jusqu'à leur remplacement par une nouvelle structure (seul le CNC changera de nom pour devenir la HAC, la Cour Suprême voyant la délimitation de ses pouvoirs amputée, au profit de la Cour constitutionnelle). L'ancienne CENI créée par la loi 13 du 29 Octobre 2007 par exemple, a déjà fait l'objet d'une nouvelle « loi organique » du 17 Septembre 2012.

En revanche, que signifierait concrètement cet article 161, pour des Institutions qui n'ont jamais existé par le passé (Cour constitutionnelle, Cour des Comptes, Haute Cour de Justice, INIDH, HCCL), et ne bénéficient donc d'aucun texte ancien les régissant ?

Pourquoi l'article 161 ne s'applique pas à l'Assemblée Nationale ?
L'article 161 ne s'applique pas à l'Assemblée Nationale, puisque c'est le CNT – article 157 de la Constitution – qui fait office d'Assemblée (il faut relire les textes dans la continuité à partir de l'article 155 pour s'en persuader), et qui était donc chargée de l'élaboration de certaines lois organiques. Elle a usé de cette faculté pour la CENI par exemple, comme nous venons de le voir.

En revanche, contrairement à certaines affirmations péremptoires (donc non argumentées), indiquant que la loi organique n° L/91/015/ du 23 Décembre 1991 (portant Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale) est toujours en vigueur, elles oublient deux choses essentielles, que sont les articles 157 et 158 de la Constitution.

L'article 157 indique que : « le CNT assumera toutes les fonctions législatives définies par la présente Constitution jusqu'à l'installation de l'Assemblée Nationale »

C'est la seule Assemblée Nationale qui vote les lois organiques (accessoirement pas le PRG), qui sont des textesqui complètent la Constitution (afin de l'alléger), pour l'organisation des pouvoirs publics, le règlement intérieur de l'Assemblée Nationale, ne constituant qu'un exemple parmi ces lois organiques.

Enfin, il faut distinguer le fonctionnement d'une institution et sa mise en place, qui sont deux situations différentes. Concernant l'Assemblée Nationale, c'est son installation qui pose problème (et non son fonctionnement ultérieur en partie réglé par la Constitution elle-même), ce qui m'amène à évoquer de manière plus précise le Règlement intérieur.

 

Deuxième point : la loi organique L/91/015/ du 23 Décembre 1991

Certains juristes guinéensaffirment encore – sans le montrer -, qu'il suffirait d'appliquer l'article 5 de la loi ancienne (???), pour contourner le quorum requis pour délibérer valablement à l'ouverture d'une session. Ils indiquent qu'il suffit de la moitié plus un des membres composant l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire la majorité absolue, soit dans le cas d'espèce 58 députés sur 114. Ils rappellent donc que de façon générale, les absents ont souvent (mais pas toujours) tort, et que l'absence des députés de l'opposition, n'empêchera pas l'institution de fonctionner. Mais en fait, ils ne font que constater que la majorité absolue est requise pour le vote des lois ordinaires, ce que personne ne conteste !!!

Toutefois, il faut distinguer le quorum pour siéger (pas de quorum sur une deuxième convocation par exemple) et le quorum pour voter. Or rien n'est précisé en ce sens dans ce règlement intérieur (et notamment au Chapitre XVIII avec les articles 81 à 89). En effet, l'article 5 n'indique nullement que le vote d'une loi organique puisse se passer du quorum des deux tiers. Sinon quelle que soit la position de l'opposition, la mouvance ferait ce qu'elle veut. Et dans ce cas de figure, à quoi cela servirait-il de discuter ?

Selon l'article 96 dudit règlement intérieur, la présente loi (donc le règlement intérieur proprement dit), ne peut être modifiée que conformément aux dispositions de l'article 67 de la Loi Fondamentale (du 23 Décembre 1990), article 67 qui figure de manière quasiment identique dans la présente Constitution de 2010.

L'ancien article 67 (devenu article 83 dans la nouvelle Constitution de 2010) dispose que : « les lois qualifiées d'organiques par la présente Loi Fondamentale sont votées et modifiées par la majorité des deux-tiers des membres composant l'Assemblée Nationale. Elles ne peuvent être promulguées si la Cour Suprême [Cour constitutionnelle], obligatoirement saisie par le Président de la République, ne les a déclarées conformes à la Loi Fondamentale. L'Assemblée Nationale ne peut habiliter le Président de la République à prendre par voie d'ordonnance des mesures qui relèvent de la loi organique ».

En fait ces dispositions ont vocation à éviter des changements – intempestifs – des règles du jeu en cours de législature. Un règlement intérieur s'applique pour toutes les législatures sous une même constitution. En admettant que la constitution de 2010 perdure pendant une vingtaine d'années, les 4 législatures (au minimum) seront tenues par le règlement intérieur qui a été adopté par la première législature, mais non par des textes antérieurs.

Mais encore une fois, si on a changé de constitution, c'est justement pour faire évoluer le système institutionnel guinéen, et non pour être soumis aux dispositions du passé.

Qu'avait-on prévu pour résoudre ce problème ?

Si la pérennité des institutions en cas de changement de constitution est réglé par l'article 161, qu'en est-il de la transition concernent l'Assemblée Nationale ?

C'est l'article 158 qui devait résoudre cette difficulté. En effet cet article stipule que : « les lois nécessaires à la mise en place des institutions et au fonctionnement des pouvoirs publics sont adoptées par le CNT et promulguées par le PRG ».

Il ressort de ces dispositions que c'est le CNT, qui faisait office d'Assemblée Nationale, qui devait prendre des mesures nécessaires à la mise en place de la nouvelle Assemblée Nationale. Le CNT aurait pu (dû) adopter une loi organique, nécessaire à la mise en place (et non à son fonctionnement, dont la constitution en régit certains aspects) de l'Assemblée Nationale, mais il ne l'a pas fait.

Ce n'est pas parce que le CNT a adopté lui-même de façon informelle ce règlement intérieur ancien (sans respect des procédures consistant à le voter et le publier), que certains juristes du CNT s'imaginent qu'il faille en faire de même pour la nouvelle Assemblée Nationale. J'ai déjà dit plusieurs fois, que le CNT qui est responsable – au moins formellement – de la rédaction de la Constitution, non seulement ne l'a pas respecté lui-même (il a voté deux fois un budget en déficit par exemple, alors que c'est strictement interdit par l'article 75 de la Constitution), et personne au sein du CNT, ne s'est jamais offusqué des violations constitutionnelles faites par le PRG. Ni les partis politiques, ni même les magistrats. On peut « comprendre » les magistrats fonctionnaires, qui craignaient pour leur carrière future, mais quid des avocats étiquetés de l'opposition ?

Comment faire ?

Il y a évidemment plusieurs manières de procéder, mais je n'évoquerai que celles qui permettent de sauvegarder les droits de l'opposition. C'est l'Assemblée Nationale seule qui vote les lois organiques. En cas de changement de régime – pour faire cesser des pratiques détestables -, les nouveaux députés doivent voter leur règlement intérieur, ne serait-ce que pour rejeter des règles anciennes léonines des droits du pouvoir législatif.

Pour les sceptiques enfin, il suffit de rappeler la situation française en 1959, lorsqu'on est passé de la quatrième république (caractérisée par un pouvoir législatif surpuissant) à la cinquième république. Rien n'avait été prévu concernant le vote du nouveau règlement intérieur, et il n'était pas question d'adopter les pratiques de la quatrième république, alors que justement la nouvelle constitution avait pour but de les faire cesser !!!

Les députés ont donc mis en place de manière consensuelle, des règles provisoires de fonctionnement, pour résoudre des situations identiques à celles posées par l'article 67 de l'actuelle Constitution de 2010. Dans son article 34-1 par exemple, la Constitution française prévoit que : « les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ».

On rappelle que l'article 67 précité prévoit que : « le règlement intérieur de l'Assemblée nationale est fixé par une loi organique qui détermine :

·        la composition et les règles de fonctionnement du bureau de l'Assemblée ;

·        le nombre, le mode de désignation, la composition et la compétence des commissions permanentes ;

·        les modalités de création de commissions spéciales temporaires ;

·        l'organisation des services administratifs placés sous l'autorité du président de l'Assemblée nationale ;

·        les règles de déroulement des débats, de prises de paroles, de vote et le régime disciplinaire des députés ;

·        d'une façon générale, toutes règles ayant pour objet le fonctionnement de l'Assemblée nationale dans le cadre des compétences que lui attribue la Constitution».

Si les nouveaux députés ne peuvent pas choisir les règles de fonctionnement de leur Bureau (la présidence de la commission des finances à l'opposition par exemple), et sont tenus par le règlement ancien, à quoi sert cet article ?

Dans le règlement ancien, il faut 12 membres pour créer un groupe parlementaire. Peut-être que l'UFR qui possède 10 élus, voudrait-elle abaisser ce seuil à 10 pour des raisons compréhensibles. En quoi serait-elle tenue par des dispositions qui s'appliquaient il y a plus de 20 ans ?

Le vote d'une résolution consensuelle semble être un bon compromis, et rien n'empêche la nouvelle assemblée de reprendre à son compte le règlement intérieur de 1991, mais après un vote solennel des 2/3 des 114 députés élus (et non des 2/3 des seuls 53 élus du RPG). Le règlement de l'ancienne assemblée – s'il est repris en l'état sans modification – ne s'applique pas, tant qu'il n'a pas été voté par la nouvelle assemblée.

Les députés pourraient donc adopter une résolution sur les modalités d'élection du Président de l'Assemblée, puis une autre sur celle des membres du Bureau, puis une autre sur les règles provisoires de fonctionnement en attendant l'adoption d'un règlement définitif. L'Assemblée Nationale française de 1959 fut confrontée aux mêmes difficultés et c'est de cette façon qu'elle les a solutionnées (voir ci-dessus). La nouvelle Assemblée pourrait donc s'en inspirer ou mettre en place une Commission des lois, chargée des questions de Règlement intérieur, voire une commission spéciale ad hoc.

En conclusion, les députés doivent s'entendre pour s'organiser et mettre en place une nouvelle Assemblée Nationale, débarrassée des désagréments des pratiques passées. Alpha Condé voulait que les discussions quittent la rue pour s'installer à l'Assemblée Nationale, il est servi.

Le blocage du système

En fait ce qu'il faut bien comprendre, ce n'est pas que l'opposition puisse bloquer le fonctionnement de l'Assemblée. Une fois que ces problèmes préalables d'installation auront été résolus, la mouvance pourra voter de nombreux textes avec ou hors la présence de l'opposition. Ici il s'agit de dire que vu le changement de régime et le fait que les lois organiques anciennes ne peuvent s'appliquer à l'Assemblée Nationale pour ce qui la concerne, la seule habilitée à les voter, l'opposition dispose d'un moyen préalable de se faire entendre, avant de permettre à la mouvance de faire seule ce qu'elle veut, dans de nombreux domaines (un peu à l'image de la prestation de serment de la CENI, qui une fois réalisée, a permis ensuite au rouleau compresseur RPGiste de s'affirmer implacablement, et on sait où cela nous a mené).

Par analogie de procédure, la création d'une association peut se faire en vertu de nombreux textes qui régissent le fonctionnement de celles-ci, mais pour que s'appliquent ces textes, il faut voter le bureau de l'association, après avoir signé les statuts, afin que l'association ait une valeur juridique. Tant que les adhérents ne signent pas les statuts, il n'y a pas de personnalité juridique.

La chance de l'opposition si l'on peut dire, c'est le changement de république, car si nous étions sous l'emprise de l'ancienne Constitution de 1990, le problème ne se poserait pas. Cet état de fait oblige l'Assemblée Nationale à voter ses propres règles (et non à se voir imposer des règles anciennes, qu'elle ne pourrait modifier faute de majorité qualifiée), ce qui nous amène à évoquer l'opportunité pour l'opposition de siéger ou non.

 

Troisième point : l'opportunité de siéger ou non à l'Assemblée Nationale

Il est fort probable que l'opposition finisse par siéger. C'est d'ailleurs un choix rationnel, sauf à bloquer complètement le système ou à demander par des manifestations populaires le départ du PRG. En fait, comme je l'ai évoqué en introduction, les motivations personnelles de nombreux députés risqueraient de faire voler en éclat l'unité de l'opposition. Or il est nécessaire de maintenir cette unité pour les échéances futures, et dès lors il semble nécessaire de siéger. De nombreux Guinéens préféreraient utiliser les mêmes méthodes qu'Alpha Condé pour le bouter hors du pouvoir, cela peut se comprendre, et si cela peut-être bien pour une majorité de citoyens, cela ne l'est pas pour la Guinée, qui a besoin d'exemples de résolution pacifique des différends pour ne pas reproduire à l'avenir des méthodes violentes du passé.

Il n'empêche, la lutte politique reste un combat, et si l'opposition décide de siéger, elle ne doit pas le faire dans n'importe quelle condition, et doit tirer profit de ce moyen de pression décrit précédemment, pour lui permettre de régler de nombreux problèmes en suspens, que je vais évoquer rapidement.

Les accords du 3 Juillet n'ont pas été respectés pour plusieurs raisons, dont l'un des aspects est de ne pas avoir prévu de sanction en cas d'inobservation de ceux-ci.

Les 5 « litiges » en suspens identifiés (mais ce ne sont sûrement pas les seuls), et sur lesquels les députés pourraient s'entendre sont les suivants :

·        les élections communales,

·        le changement d'opérateur électoral Waymark,

·        la révision du fichier électoral,

·        la révision de certaines procédures de la CENI,

·        la Cour constitutionnelle.

Ce n'est pas lorsque l'Assemblée Nationale aura voté son règlement intérieur lui permettant de fonctionner, que l'opposition minoritaire, pourra imposer ses exigences, puisque la notion de quorum aura moins d'importance, concernant le vote des lois ordinaires. Avec ce moyen de pression presque miraculeux (changement de Constitution), qu'il ne faut surtout pas brader une nouvelle fois, elle a les moyens de se faire entendre sous la présence de la communauté internationale.

Des élections communales

Chacun a vu la violation de la Constitution et le remplacement de certains maires ou chefs de quartier de l'opposition par des délégations spéciales, au motif que le mandat de ces maires a expiré (sic). Le problème est que le mandat de tous les élus a expiré, mais on n'a modifié illégalement que le mandat de certains, et qui ne concernent que l'opposition.

Avec des élections communales et communautaires, quand bien même l'opposition n'obtiendrait grâce à la fraude gouvernementale que 48%, ce serait déjà une avancée considérable par rapport à sa représentativité actuelle (vu qu'il existe des RPGistes partout). Toutefois ces élections sont uninominales, et on rappelle que dans ce cas de figure, l'opposition a obtenu autant d'élus que la mouvance. Problème, les législatives ont pris 3 ans. Rien ne dit qu'Alpha Condé sera pressé de remplacer des « élus » ou des « nommés par délégation spéciale », qui lui sont favorables – il est rare qu'on scie la branche sur laquelle on est assis -, et donc qu'il organise ces élections en 2014. Pourtant cela est nécessaire.

Il faut donc prévoir comme sanction qu'en cas de non tenue des communales, toutes les délégations spéciales seront annulées au 31 Décembre 2014, donc avant l'élection de 2015.

Le changement d'opérateur électoralWaymark

C'est un serpent de mer depuis 2010. Ceux qui n'ont toujours pas compris qu'Alpha Condé avait volé les élections grâce à cet opérateur, n'ont qu'a écouter la bande sonore publiée par Médiapart en Octobre 2013, et relatant toutes les péripéties des services spéciaux sud-africains pour faire gagner Alpha Condé. Dès lors, avec un opérateur qui a modifié le résultat des élections en 2010 (Waymark a été relativement canalisé en 2013 avec le comptage manuel), il est obligatoire de revenir à un opérateur neutre et sincère.

Il faut donc prévoir comme sanction qu'en cas de non changement d'opérateur (puisque les consultations pour un appel d'offres devraient commencer immédiatement, compte-tenu des délais incompressibles), on en reviendra encore au comptage manuel.

La révision du fichier électoral

On a vu combien le million d'électeurs supplémentaires en Haute-Guinée avait dénaturé les résultats législatifs (cela octroie automatiquement presque une vingtaine de députés à la mouvance sans rien faire !!!). De la même façon certains électeurs de l'opposition n'ont pas été inscrits, ou n'ont pas reçu leurs cartes d'électeurs, contribuant à dénaturer d'autant les mêmes résultats législatifs. Il est donc nécessaire d'y remédier.

Il faut donc prévoir comme sanction en cas de non révision, de revenir au fichier électoral de 2010, débarrassé de ce million supplémentaire.

La révision de certaines procédures de la CENI

On se souvient que lors des discussions pour faire évoluer la CENI, il y avait eu un consensus pour modifier l'ancien article 162 du Code électoral, disposition qui permettait au seul président de la CENI de supprimer les PV de certains bureaux de vote (BV), et donc de modifier les résultats. On avait transféré ce pouvoir à un collège élargi de la CENI (2/3 des commissaires), permettant à l'opposition d'avoir son mot à dire.

Problème : le président de la CENI ne peut plus supprimer les résultats des BV, mais ce pouvoir a été transféré au niveau local, de sorte qu'on a pu constater à l'occasion de ces législatives, que des représentants du pouvoir (car nommés par le seul président de la CENI), avaient annulé de manière ciblée, les résultats de certains BV (95 000 pour la seule ville de N'Zérékoré par exemple) mais aucun en Haute-Guinée. Cette coïncidence fait honte à ceux qui osent affirmer que ces élections ont été crédibles.

Enfin de la même manière des bulletins de vote ont eux aussi été annulés, permettant contre toute logique de « nommer » (et non d'élire) des représentants de la mouvance, alors que l'opposition était pourtant majoritaire dans la circonscription (les résultats à la proportionnelle en faisant foi). Il est donc primordial de revenir sur ces procédures unilatérales, sous peine de devoir subir les mêmes résultats en 1995. L'application à ces pratiques de l'article 162 nouveau du Code électoral, ne devrait imposer une annulation de BV ou de bulletins de vote, qu'à une majorité qualifiée des membres des BV (donc comprenant l'opposition).

Il faut donc prévoir comme sanction en cas de non modification des textes, la non possibilité d'annuler les scrutins des BV, voire des bulletins de vote, ces derniers pouvant l'être ultérieurement par une commission indépendante, qui ne fera qu'appliquer strictement les règles de l'article 82 du Code électoral.

Enfin la Cour constitutionnelle ne pourra de toute façon n'être mise en place qu'avec l'accord de l'opposition, mais cette dernière doit faire passer un message fort, consistant à dire que la future Cour constitutionnelle ne pourra pas s'encombrer de l'actuel président de la Cour Suprême, qui fait honte au système judiciaire et juridique guinéen. C'est bien de le rappeler solennellement, car avec Alpha condé, il est vrai que les septuagénaires s'imaginent pouvoir faire une seconde carrière.

 

Conclusion

Ainsi qu'il ressort du présent texte, la loi organique de 1991 portant règlement intérieur de l'Assemblée Nationale ne peut s'appliquer à cette nouvelle assemblée, que si cette dernière y consent par un vote solennel (2/3 des députés). Cette particularité vient du fait que d'une part, on a changé de régime et de république, et que par conséquent la nouvelle Assemblée Nationale ne peut être tenue par des dispositions anciennes la concernant directement1 (mais cela ne vaut que pour elle, pas pour les autres institutions créées antérieurement, et qui peuvent subsister en vertu des dispositions de l'article 161), et que, d'autre part, le CNT n'a pas pris les mesures idoines, comme l'article 158 l'y invitait, pour permettre l'installation de cette nouvelle Assemblée.

Dès lors l'opposition peut siéger en vue d'éviter d'inévitables violences (à quoi a servi la journée ville morte du 5 Décembre ?), mais doit profiter de cette disposition constitutionnelle opportune, pour obtenir satisfaction, sur le respect des accords du 3 juillet, sous la présence de la communauté internationale.

Nelson Mandela est mort, il n'a fait qu'un mandat pour montrer à ses successeurs et aux roitelets africains qu'il ne fallait pas s'accrocher au pouvoir. Alpha Condé qui s'identifie à lui, serait donc bien inspiré non pas de s'en réclamer verbalement – car ça, tout le monde peut le faire -, mais d'imiter ses actes en 2015, ce qui pourrait par ailleurs, résoudre un grand nombre de problèmes.

 

 

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1En France par exemple, le Sénat est obligatoirement partie prenante pour des lois organiques le concernant.

 

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