La crise de la fièvre à virus Ébola en Guinée : les morts ont-ils été tués?

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Évaluation de l'article

La fièvre hémorragique à virus Ébola se propage en Guinée et dans les pays limitrophes avec son cortège de malheur. S’il est vrai que cette maladie fait sa première apparition connue en Guinée, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas une tombée de la dernière pluie sur la liste des maladies les plus dévastatrices et dont la communauté internationale peine à trouver un remède approprié. En effet, les premières apparitions du virus Ébola datent de 1976 au Zaïre

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(actuel République Démocratique du Congo) et depuis lors, des pays comme le Soudan (2004) ou l’Ouganda (2012) en ont été affectés. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui est intervenue dans tous ces pays affectés par le virus Ébola dispose, désormais, d’une stratégie très efficace dans la détection et la prévention de la propagation du virus.  

 

Confrontés à la terrible réalité de la présence du virus Ébola, les guinéens sont partagés entre 3 camps, quant à l’appréciation du rôle de la puissance publique face à la propagation de cette fièvre hémorragique. Il y a une première tendance qui estime que l’apparition du virus Ébola en Guinée serait l’expression d’un châtiment divin à l’encontre d’un peuple transgresseur qui a dangereusement dépassé les limites de l’acceptable auprès de son seigneur. Par conséquent, aussi bien les auteurs de péchés graves que ceux qui auraient dû les en empêcher sont fautifs. C’est l’hypothèse de la responsabilité collective dans la crise de l’Ébola; un deuxième groupe soutient que vouloir imputer la responsabilité de cette épidémie de fièvre hémorragique à un individu quelconque serait tout simplement l’expression d’une volonté sournoise de capitaliser politiquement sur un drame national, ce qui serait par ricochet une insulte à la mémoire des morts. C’est la thèse  du fatalisme; enfin, il se dégage un troisième point de vue qui  avance l’idée selon laquelle, si le gouvernement guinéen ne saurait être tenu pour responsable de l’apparition de la fièvre liée au virus Ébola dans le pays, toujours est-il qu’il (le gouvernement) a le devoir de gérer cette crise de façon à minimiser ses conséquences et en l’espèce, de façon à limiter les pertes en vies humaines. C’est l’hypothèse de la faute inexcusable, de la négligence punissable qui met en cause la réponse du gouvernement guinéen face à ce énième tragique épisode de l’histoire des épidémies du pays.

 

Je m’associe à cette dernière thèse que je m’attèlerais à défendre dans la première partie de l’article. Ensuite, je prendrais un moment sur les conséquences économiques, pour la guinée, de cette crise de l’Ébola.

 

D’entrée, faut-il rappeler que les épidémies de maladies meurtrières à grande échelle ont toujours été présentes en guinée et parmi elles, le choléra en est un candidat bien connu.   Presque toutes les saisons pluvieuses qui se sont succédées en Guinée depuis 1994 ont été marquées par des épidémies de choléra à Conakry et de plus en plus à l’intérieur du pays. Les autorités guinéennes disposent d’une bonne connaissance des manifestations de cette maladie, mais hélas, les années se suivent et se ressemblent quant aux dégâts causés par le choléra en guinée! Après tout, pourquoi essayer d'endiguer les méfaits du choléra si c’est la volonté de Dieu? Si les guinéens en meurent, c’est  parce que c’est la saison des pluies!

 

Je suis convaincu que Dieu sanctionne les péchés, mais en même temps je suis certain que les guinéens ne sont pas les plus pervers au monde pour mériter un châtiment à l’Ébola; je comprends que le gouvernement ne peut pas surveiller tous les chimpanzés et toutes les chauves-souris du pays, mais je suis forcé de constater que quand une maladie mystérieuse se fait observer dans une localité du pays, les autorités disposent de recours très efficaces pour empêcher la maladie de se propager. Parmi ces mécanismes de protection existe, le ‘‘International Outbreak Alert and Response’’ de l’OMS qui, dans son ‘‘Guiding principles for International Outbreak Alert and Response’’ assure à tout État membre de l’OMS, la prompte intervention de l’organisation en cas saisine pour faire face à une épidémie et il suffit d’observer le professionnalisme avec lequel l’OMS est intervenu en guinée pour s’en convaincre.

 

En sus, à l’heure des téléphones portables et surtout de la floraison des radios privées, le gouvernement a eu un outil d’une importance inestimable pour sensibiliser le peuple et mieux le préparer à comprendre et à se protéger du virus Ébola.

 

Or, on sait que les premiers signes de cette maladie ont été observés dès le début du mois de février, notamment avec les reportages d’Aljazeera English ou France 24 qui faisaient état d’une mystérieuse et mortelle fièvre dans le sud de la guinée. Le gouvernement de guinée en était informé au plus tard le 9 février, date à laquelle le diagnostic effectué à Lyon a été rendu public. Curieusement, le gouvernement de Guinée n’a commencé à reconnaitre officiellement l’existence de cette épidémie et à sensibiliser la population que quand les rumeurs de la présence de la maladie à Conakry ont commencé à circuler, c’est-à-dire dans la seconde moitié du mois de mars.

 

L’intérêt de la chose réside dans le fait qu’en raison des moyens dont dispose le gouvernement guinéen à travers l’OMS et les radios privées, cet intervalle de temps allant du début du mois de février à mi-mars aurait normalement servi à couper la chaîne de transmission du virus. En clair, l’hôpital de Guéckédou et le ministère de la santé n’auraient jamais dû laisser sortir les corps des premières personnes qui en sont mortes de l’hôpital et a fortiori, remettre ces cadavres aux innocents parents qui, à la suite de manipulations de ces corps infectés par le virus ont eux-aussi contracté la maladie. Quand plusieurs personnes meurent d’une mystérieuse fièvre en même temps, on garde les corps jusqu’à ce que tout soit clair à leur sujet. Et, à partir du moment où les médecins ne pouvaient pas expliquer la nature de cette maladie, l’hésitation n’était plus permise, le recours à l’OMS devenait obligatoire. En plus, selon les témoignages du docteur Sakoba Keïta qu’il faut remercier au passage pour son effort, la première victime du virus à Conakry a été enregistrée le 18 mars 2014, ce qui porte à croire que le ministre de la santé n’a toujours pas eu l’idée d’entrer en contact avec tous les centres de santé du pays pour leur donner des directives sur la conduite à suivre dans la gestion des corps des victimes du virus. En conséquence, les parents de la victime de Conakry,  auxquels  le corps a été remis et qui sont entrés en contact avec le virus ont été contaminés et ce sont eux, ces 4 personnes mises en quarantaine à l’hôpital Donka. À  partir du moment où un cadavre pose un problème de sécurité publique, il revient à la puissance publique et seulement à la puissance publique  de s’en occuper.

 

Je demeure convaincu que le silence et l’inaction du gouvernement ont largement contribué à la mort de plusieurs guinéens dans cette crise, sans oublier ceux qui ont été affectés par le virus et qui en ont survécu.

 

Pourtant la constitution guinéenne protège les guinéens contre un tel manquement, précisément en son article 15: «Chacun a droit à la santé et au bien-être physique. L'Etat a le devoir de les promouvoir,  de lutter contre les épidémies et les fléaux sociaux». C’est la raison pour laquelle, je crois qu’une commission d’enquête parlementaire devrait être mise en place, en application des articles 88 et 89 de la constitution guinéenne pour entendre le ministre Rémy Lamah et toutes autres personnes impliquées dans la gestion de cette crise. Monsieur Lamah devrait, au moins, répondre à ces 4 questions :

 

1-      Quand est-ce qu’il a été informé pour la première fois de l’existence de cette fièvre?

 

2-      Avait-t-il informé ses supérieurs hiérarchiques? Si oui, qui?

 

3-      Pourquoi, les guinéens n’ont-ils pas été informés de l’existence de cette maladie dès le 9 février et surtout les parents des victimes, afin qu’ils puissent se protéger et préserver leurs vies en ne manipulant pas ces corps infectés?

 

4-      Pourquoi l’OMS n’a-t-elle pas été invitée à intervenir dès le début du mois février?

 

Je crois qu’on est là dans une situation qui, en principe, devrait donner lieu à l’application de l’article 310 du code pénal guinéen qui stipule: «Sera puni d'un emprisonnement de 1 à 5 ans et d'une amende de 50.000 à 500.000 francs guinéens, ou de l'une de ces deux peines seulement, celui qui aura, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, involontairement donné la mort à autrui ou aura involontairement été la cause de cette mort.»

 

Les députés de l’assemblée nationale, qu’ils soient de la mouvance présidentielle ou de l’opposition républicaine, rendraient un énorme service au peuple de guinée en prenant leur responsabilité face à ce manquement grave de la part de M. Lamah. Et, s’il venait à être condamné par la justice pénale, on serait entré dans une ère où le prochain ministre de la santé veillera à ce que le choléra ne tue plus personne en guinée et surtout qu’Ébola et choléra ne se croisent pas dans le pays, étant donné que la saison des pluies approche. Par la même occasion, les autres membres du gouvernement s’apercevront de la fluidité des frontières entre le bureau ministériel et la cellule de prison pour incompétence dommageable. N’est-ce pas ce qui a permis aux pays occidentaux, en particulier, de se protéger contre les gouvernants coquins? Situer les responsabilités en cas de crise et prendre les décisions qui s’imposent!

 

Je traiterais du problème des possibles conséquences économiques dans un prochain article.

 

Salim Gassama-Diaby

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