Comment arriver à une alternance politique sans ‘’brûler le pays’’ ? Les inconditionnels du jeu démocratique vous répondront sans équivoque : par les urnes.
Et les autres ? Ils vont sans doute argumenter sur les multiples recours ‘’possibles’’ face à un tel cas de figure. Quel est alors le cas de figure qui se présente en Guinée ? Le régime de Alpha Condé peine à insuffler un véritable changement. La manipulation ethnique semble être le leitmotiv politiquement ancré dans les pratiques du régime. La pauvreté des guinéens est aujourd’hui insoutenable. Les violations de la constitution sont récurrentes. Les statistiques macabres sont alarmantes. Bref, le régime a failli à ses engagements d’offrir aux guinéens des conditions de vie décentes, de les protéger et respecter le contrat social démocratique régi par des lois…
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Ce diagnostic est partagé par l’immense majorité des guinéens. Mêmes ceux qui soutiennent mordicus le régime savent que l’arc-en-ciel promis par le RPG (parti au pouvoir) n’a réellement qu’une seule couleur : le noir. Loin de faire de la caricature, j’essaie de présenter les faits. Face à un tel bilan, les velléités de changement anticonstitutionnel trouveraient leurs justifications et la légitimité populaire mettrait de l’ombre à la légalité constitutionnelle. Mais, l’issue ‘’envisagée’’ d’une telle entreprise est plus qu’incertaine et son évaluation à priori est inéluctablement hypothétique.
Revenons un instant sur la position de ceux qui défendent la voie des urnes pour ‘’abattre’’ légalement un régime jugé incompétent. Replongeons-nous dans l’histoire électorale récente de la Guinée pour asseoir notre argumentation. En 2010, Alpha Condé a été déclaré président de la République à l’issue d’une élection la plus invraisemblable. Un cas d’école sur la fraude électorale dans le monde. Arrivé en deuxième position avec 20,7% au premier tour de l’élection et ne bénéficiant pas du soutien du troisième (Sidya Touré avec 15,6%) et face au premier (Cellou Dalein) qui avait totalisé 39,7%, Alpha Condé s’en sort avec 52,52% au deuxième tour. Un exploit inédit diront certains mais c’était plutôt le résultat d’‘’une vente aux enchères’’ où le plus offrant a raflé la mise. On pourrait trouver une explication à cette surenchère politico-mafiosique sur la guéguerre qui a suivi entre l’acheteur et le vendeur où ce dernier est persona non grata dans son pays. Bref, comme sous l’arbre à palabre qui d’ailleurs mine l’ancrage démocratique dans nos pays, la forfaiture a été entérinée sous le prétexte d’une préservation de la paix sociale. Moins d’an an après, nous avons évalué ce que valait réellement cette ‘’prétendue paix sociale’’ avec son couronnement macabre. En 2013, les élections législatives sont organisées. Cette fois-ci encore avec le même modus operandi. Le bras exécutant de toutes ces mascarades électorales n’est autre que l’organe chargé des élections en Guinée. La commission électorale nationale ‘’indépendante’’ est l’une des plus partisanes en Afrique. Sous un soleil de plomb, l’électeur guinéen s’aligne une journée entière dans l’attente pour pouvoir glisser son bulletin dans l’urne et une poignée de guinéens décident autrement des résultats à publier en violant la volonté exprimée par la majorité. Les frustrations qui en découlent décrédibilisent les arbitres électoraux et alimentent le sentiment de rejet et de défiance face une tradition qui semble vivace.
Les crises politiques sont permanentes en Guinée. Le pouvoir est dans une logique de répressions, de justifications et de manipulations. De l’autre côté, l’opposition est coincée dans une spirale de revendications qui sont d’ailleurs toutes légitimes, de victimisation et des querelles fratricides de positionnement.
Comment alors résoudre une telle équation sans basculer dans une violence ‘’inutile’’ ? Partant du constat que la situation du pays résulte d’un colmatage institutionnel initié et adopté par les organes de la transition de 2010 où le laxisme, le favoritisme et l’amateurisme ont contribué à la création et l’entretien d’un environnement de suspicion généralisée mais aussi la relégation de la constitution au second plan au profit d’accords tri ou multipartites dont les contours entretiennent des confusions et n’engagent faiblement leurs signataires. Face à une telle exception dans un pays qui se targue d’être exceptionnel par le caractère plutôt insolite et informel de son modèle social, des mesures exceptionnelles s’imposent.
En ma qualité de citoyen lambda (ordinary citizen) dont la notoriété ne dépasse pas le seuil de ma porte, je me permets de faire un certain nombre de propositions aux acteurs qui nous ont injustement piégé dans des querelles infernales.
Au pouvoir (je voulais dire Alpha Condé)
L’organisation des élections communales et communautaires avant la présidentielle qui est aujourd’hui la principale revendication de l’opposition est la résultante d’une suspicion ‘’fondée’’ sur le rôle des délégations spéciales mises en place par le régime. A cet effet, nous suggérons :
- Alpha Condé devrait prendre un décret révoquant toutes les délégations spéciales qui ont remplacé les élus locaux en déclarant une vacance des pouvoirs locaux jusqu’à l’installation des nouveaux élus ;
- Le rôle de la force spéciale de sécurisation des élections dans les fraudes électorales précédentes est avéré. La mission de cette force doit être redéfinie et elle doit s’occuper strictement de la sécurisation des bureaux de vote et du pays en général sans aucune implication directe dans la gestion et le transport du matériel électoral ;
- Ecarter systématiquement toute l’administration déconcentrée du processus.
NB : je me permets cette naïveté intellectuelle de croire qu’Alpha Condé accèdera à cette requête sachant que son salut viendra de ces acteurs précités.
A la CENI (commission électorale nationale ‘’indépendante’’)
- Procéder à la recomposition de ses démembrements avec la présence des ‘’vrais’’ représentants des partis politiques en lice ;
- Ces démembrements auront des missions élargies à celles jusque-là détenues par les délégations spéciales. Ils seront chargés de la gestion de tout le matériel électoral et de l’organisation au niveau local.
A l’opposition
- De faire preuve d’exigence sur le choix de ses représentants au niveau des démembrements de la CENI qui seront leurs véritables observateurs. Finir avec le laxisme et les affinités dans le choix de leurs représentants, qui ne se contenteront pas simplement d’émarger sur une fiche pour percevoir de per diem mais de garants de la transparence. Cette recommandation est aussi valable pour ses délégués au bureau central de la CENI.
Avec ce minimum de mesures concrètes, les positions radicales des différentes parties se décanteront et s’affineront. L’opposition pourrait adhérer à l’argument financier brandit par la CENI qui ‘’justifierait’’ le choix d’inverser l’ordre des élections. Ainsi la seconde phase du processus sera abordée dans un environnement de confiance minimale retrouvée. De toute évidence, les étapes suivantes seront aussi laborieuses. La révision et le toilettage du fichier électoral, la redéfinition de la cartographie électorale, l’élaboration et la distribution des cartes d’électeurs soulèveront sans doute d’autres problématiques encore plus grandes. Le pouvoir reste le seul responsable de cette énième impasse politique.
Pour terminer, je réaffirme ma position inébranlable qui est celle d’un démocrate convaincu : un coup d’Etat militaire est toujours un recul démocratique. C’est plutôt une insurrection populaire qu’il faudrait redouter avec la tournure que prennent les évènements et le pourrissement de la situation. De toute évidence, les révolutions populaires ont souvent connu la récupération militaire. Plusieurs exemples en font foi.