L’alliance Dadis-Dalein : la morale et le droit (partie 3) – Par Haroun GANDHI

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Évaluation de l'article

La première partie de ces 3 textes, visait à montrer que le pouvoir actuel a instrumentalisé cette tragédie pendant ces 5 dernières années, pour intimider tous les hommes dont il voulait se débarrasser (et notamment Dadis), afin de contrôler de façon totalitaire l'ensemble du pays.

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La deuxième partie voulait expliquer pourquoi ce projet d'alliance entre l'UFDG et le FPDD présente certes des inconvénients mais aussi des avantages – aussi bien pour Dadis que pour l'UFDG -, l'unité d'une opposition la plus élargie possible constituant le gage d'une alternance possible.

 

Cette partie 3 vise à montrer que les massacres du 28 Septembre 2009 devront servir de leçon de morale pour la Guinée, tout en permettant de distinguer la politique, le droit et la morale.

 

Intro

On a vu précédemment qu'en politique, non seulement l'alliance Dadis/Dalein ne posait pas de problème particulier, mais qu'elle pouvait même être considérée comme un excellent coup politique pour l'UFDG et le FPDD, une mauvaise nouvelle pour le RPG.

 

Cette troisième partie – peut-être la plus intéressante – vise à nous confronter à nos propres démons eu égard à ce que d'aucuns jugent improbable.

 

Au-delà des apparences, même celles qui paraissent évidentes à tous, il ne faut jamais avoir une position définitive, tant que les parties prenantes ne se seront pas expliquées de manière contradictoire (en présence des uns et des autres), ceci permettant parfois de remettre en cause ces évidences initiales. Face à des tragédies, l'émotion ne doit pas être l'unique réponse, la répression en constitue une autre, car elle seule peut permettre de façon dissuasive de promouvoir la prévention. Mais le « plus jamais ça » n'est possible que si l'on agit, et pour se faire, il ne faut faire confiance qu'à soi-même, pas aux politiciens, qui ont d'autres intérêts, parfois à leur corps défendant. Si CDD accédait au pouvoir, que réclamerait la majorité des jeunes d'aujourd'hui : de se tourner enfin vers l'avenir, leur avenir, puisqu'ils représentent celui-ci, et la seule façon d'y parvenir est de rassembler toute la communauté nationale autour d'un projet commun. Cela implique donc d'aller vers l'avant – ne pas se retourner sur le passé, surtout si ce passé suppose que la communauté se déchire encore. C'est cynique, mais cela correspond à la réalité. Il suffit de regarder les pays latino, plus proches de nous sur le plan sociologique, mais aussi l'Europe après 1945, pour voir comment ils ont géré la réconciliation et/ou la répression des anciens criminels.

 

Attention, je ne suis pas en train d'expliquer que la justice ne doit pas se faire, elle est indispensable, mais elle suppose de la faire avec des personnes qualifiées et compétentes, pas avec des revanchards (tels Alpha Condé), pas avec des gens qui ne sont que dans l'émotion, l'important étant que la justice pour toutes les victimes soit réelle, mais se fasse de manière équitable et apaisée.

 

Rappel de certains éléments de contexte : version officielle du 28 Septembre

Personne n'a évidemment oublié les massacres et viols du 28 Septembre 2009, qui ne sont que les conséquences directes de l'impunité dont ont bénéficié les auteurs des massacres de Janvier et Février 2007. Pourtant 6 ans après, à peine une dizaine de personnes avait été inculpées1. La liste s'est curieusement allongée lorsque Moussa Dadis Camara a précisé qu'il allait rentrer en Guinée2. Quant à ce dernier, il n'a jusqu'à présent été entendu que comme témoin, et n'a toujours pas été inculpé.

 

De cette affaire, un rapport de l'ONU pointe certains éléments de fait à retenir, dont notamment la présence de rebelles de l'Ulimo recrutés par les bérets rouges (la garde présidentielle de Dadis), ce qui explique sans doute l'inhabituelle violence faite à l'encontre de citoyens guinéens, et notamment des femmes.

 

Je ne reviendrai par sur ces massacres horribles qui ne resteront pas impunis, quelle que soit la décision des hommes politiques. Il convient juste de rappeler pour le moment la position juridique de Dadis, car c'est ce qui nous intéresse.

 

Le statut juridique de Dadis

Il existe 2 formes principales de responsabilités, selon lesquelles Dadis pourrait être rendu pénalement responsable de violations du droit pénal international : la responsabilité directe ou celle indirecte du chef militaire ou supérieur hiérarchique3.

 

La responsabilité directe de Dadis sera établie s'il est prouvé qu’il a commis lui-même individuellement les faits incriminés, mais il n'était pas au stade. Sa responsabilité indirecte peut être mise en cause si par l'intermédiaire d'une autre personne (Toumba ?), il a ordonné, sollicité, favorisé, aidé, encouragé, assisté dans la commission (des faits), fourni des moyens pour la commission de crimes, ou contribué intentionnellement à la commission d'un crime par un groupe de personnes ayant un objectif criminel commun.

 

Donc même si Dadis n'avait aucune excuse le 28 Septembre 2009 et peut-être n'en aura t-il jamais, il faut un procès – et il aura lieu de toute façon – pour répondre à un certain nombre de questions que l'on ne se posait pas à l'époque, mais qui avec le recul, prennent une dimension que seul un procès permettra d'élucider. Car pour tout le monde Dadis est coupable.

 

Quelques éléments de doute

Lorsque certains commentateurs évoquent des faits troublants, allant même jusqu'à accuser Alpha Condé d'être derrière tout ça, eu égard à la question « à qui profite le 28 Septembre ? », et le fait que les réponses impliquent de nombreuses zones d'ombre, on est en droit de se poser quelques questions. Je ne prendrai pas à mon compte toutes ces digressions, mais veut néanmoins évoquer quelques éléments pour vous faire partager ces éléments de doute.

 

L'hypothèse selon laquelle Alpha Condé serait derrière le 28 Septembre est un peu fantaisiste. En revanche, l'idée selon laquelle certains éléments de l'armée proches d'Alpha Condé – on nous a toujours expliqué que l'armée de l'époque était « divisée » entre partisans de Dadis pour majorité originaires de la forêt, et les partisans de Konaté en majorité originaires du Manding – auraient décidé de sévir ou de réprimer sévèrement n'est pas fantaisiste. Alpha Condé et Sékouba Konaté auraient pu être avertis de ce que les rebelles de l'Ulimo (dont certains sont aujourd'hui donzos), allaient faire, et ont préféré fuir, pour ne pas y être mêlés directement.

 

Dadis ne contrôlant pas toutes ses troupes, divisées au moins entre ces 2 composantes, a quand même envoyé sa garde présidentielle pour empêcher le meeting du stade, mais il aurait demandé à Toumba au dernier moment (c'est ce dernier qui l'affirme) de protéger les leaders politiques. C'est ce que Toumba a raconté partout, et chacun sait qu'il n'a aucun intérêt à défendre Dadis.

 

Pour illustrer ce manque d'unité, le rapport de l'ONU1indique que «le lieutenant Aboubacar Chérif Diakité (alias Toumba) a exigé de Cellou Dalein Diallo qu'il descende sur la pelouse [afin de faciliter sa protection, ce qu'il évoquera plus tard], et comme celui-ci refusait de bouger, il a donné l'ordre à des bérets rouges de monter dans la tribune… Les bérets rouges ont assailli les leaders politiques et plusieurs de leurs gardes du corps ont été blessés, notamment par balle, dont celui qui s'est interposé quand le chauffeur du président, Sankara Kaba, a tiré sur Cellou Dalein Diallo ».

 

En droit, juste sur cet aspect ponctuel, comment prouver que Dadis qui a demandé au patron des bérets rouges Toumba de protéger CDD par exemple, peut-il être responsable d'un simple béret rouge – sous la responsabilité de Toumba –  qui tire quand même sur CDD ? Qui est responsable de Sankara Kaba ? Dadis ou Toumba ? Sans compter qu'en Guinée, il y aura toujours de mauvaises langues pour rappeler que Sankara Kaba était le chauffeur personnel de Dadis, cependant que d'autres mauvaises langues diront que Sankara Kaba n'est pas guerzé, donc plutôt proche de l'autre camp au sein de l'armée.

 

Dadis reste présumé responsable, puisque c'est sa garde présidentielle qui était en première ligne, mais en matière pénale il faudra trouver des éléments de culpabilité. On aimerait bien savoir pourquoi Toumba Diakité non seulement a fait montre de zèle ce jour là (pour le compte de Dadis ou pour autrui ?), et pourquoi, plus de 2 mois plus tard, a voulu faire taire définitivement Dadis, officiellement parce que ce dernier voulait lui imputer la responsabilité entière de ces massacres (et si c'était vrai ?).

 

On aimerait aussi savoir pourquoi les services de renseignement guinéens sont efficaces quand il faut l'être : lorsqu'il s'agit de trouver les assassins de Mme Boiro, Amadou Oury Diallo (responsable de la section motards de l'UFDG) ou Thierno Aliou Diaouné par exemple, on trouve toujours des coupables, même si ceux-ci sont parfois sujets à caution. En revanche, lesdits services sont particulièrement mauvais dans d'autres cas, notamment lorsqu'il s'agit de trouver les coupables des tirs mortels sur les manifestants, par exemple. De même Toumba court toujours et personne ne semble pressé de le retrouver.

 

Marcel Guilavogui, arrêté depuis le 31 Mars 2010, contredit les affirmations de Toumba, selon laquelle celui qu'on présente comme le neveu de Dadis, serait le principal responsable des massacres, alors que Marcel Guilavogui nie avoir été au stade. Il est vrai qu'il n'en existe aucune trace dans le rapport de l'ONU, et qu'officiellement il est incarcéré non au titre du 28 Septembre 2009, mais pour rébellion à Kaléya (siège des 7000 recrues de Dadis originaires de la forêt et fermé par Sékouba Konaté après l'attentat de Toumba contre Dadis en Décembre 2009). En fait un autre Marcel, Koivogui celui-là, a été cité de nombreuses fois dans le rapport de l'ONU. Seule une confrontation pourra éventuellement nous éclairer. Pourquoi, alors que la détention préventive, même dans des circonstances exceptionnelles, ne peut jamais excéder 2 ans, Marcel Guilavogui est-il toujours enfermé ?

 

De même il faut se souvenir que Sékouba Konaté, Ministre de la Défense, et forcément informé de la manifestation, s'était retrouvé hors de Conakry. Pour quelle urgence ?

 

Les syndicalistes avaient été dissuadés d'aller au stade, mais aussi la société civile, Sydia également en pleine nuit la veille (mais pas CDD ?). Alpha Condé était opportunément absent, bien que membre influent des Forces vives, qui avaient pourtant appelé à la manifestation. Ils n'ont jamais eu à s'expliquer sur ces absences tellement opportunes, qu'on fait croire aujourd'hui encore, que c'est la seule UFDG qui voulait la chute de Dadis.

 

Et Toumba dans tout ça ?

Aujourd'hui, si j'ai toujours la certitude de la responsabilité présumée de Dadis, en revanche il semble de plus en plus nécessaire pour tous les acteurs, et notamment Dadis, Toumba, Konaté et autres, de venir rapidement s'expliquer à Conakry. Ce devrait d'autant être une exigence de ce régime, que personne ne semble trouver bizarre que Toumba réagisse soudainement, à la demande, comme s'il était téléguidé par quelqu’un, donc comme s’il était protégé par ce régime. Quel est le but de sa réaction ? : intimider Dadis. Dans quel but ? Pour le compte de qui ? Comment Toumba  qui s’est toujours plaint pour sa sécurité, indique maintenant qu'il revient aussitôt en Guinée si Dadis revient.

 

En effet si on peut considérer que Dadis est responsable, pas forcément coupable, un procès nous édifiera. En revanche s'agissant de Toumba, sa culpabilité ne fait aucun doute, aussi bien dans les massacres du stade où il se trouvait avec la fameuse garde présidentielle dont il était le responsable, et dans la tentative de meurtre de Dadis en Décembre 2009. Que Dadis soit innocenté ou reconnu coupable, n'aura aucune conséquence sur la culpabilité de Toumba. Donc au lieu de s'occuper de Dadis, Toumba ferait mieux de s'occuper de lui.

 

Toumba indiquait dans son entretien à RFI que « Dadis doit se préoccuper des charges morales et juridiques qui pèsent sur lui. Faut pas qu'il vienne semer le trouble, on doit se soucier de la nation, du pays. Ce n'est pas pour encore créer d'autres problèmes ».

 

Pourquoi au lieu de s'intéresser à son propre sort, il le fait pour celui de Dadis (mais dans ce cas, pour le compte de qui ?). Pourquoi la justice ne l'intéresse que maintenant ? Que Dadis soit coupable ou innocent, cela n'aura aucune conséquence sur la culpabilité de Toumba, bien réelle celle-là. Donc si Toumba s'intéresse à la seule justice, il n'a qu'à rentrer en Guinée. Dadis veut rentrer en Guinée pour se présenter aux élections présidentielles, il n'y a aucune pagaille là-dedans. Mon sentiment est qu'il donne l'impression d'être instrumentalisé par le pouvoir actuel. Car la pagaille, ça c'est le sentiment du pouvoir, pagaille eu égard à ce que le pouvoir a déjà acté.

 

On a donc du mal à comprendre pourquoi ce régime s'offusque d'une possible alliance de l'UFDG avec Dadis, alors qu'il est incapable de trouver le fameux Toumba.

 

De même, que fait l'État français, qui a forcément une idée de l'endroit où se trouve Toumba, puisque c'est ce dernier qui a appelé RFI – autrement dit l'État français ?

 

Bref tout ce paragraphe pour indiquer que l'émotion qui a suivi la fin Septembre 2009, nous avait fait accepter une version officielle, qui plaisait à tout le monde, parce qu'on ne voulait plus de Dadis, et parce que les apparences nous empêchaient de voir autre chose. Aujourd'hui la responsabilité et la culpabilité éventuelles de Dadis restent évidemment très probables, mais elles sont peut-être beaucoup plus partagées qu’on ne le pense, et on ne pourra en juger qu’en ayant tous les éléments à disposition.

 

Le mépris des partis politiques pour les droits humains

La plus grande surprise du mandat d'Alpha Condé aura été de le voir piétiner les droits humains, lui qui se présente pourtant comme un défenseur de la démocratie (ce qu'il n'est pas), lui qui a grandi plus de 50 ans dans un pays démocratique (mais n'en a tiré aucune leçon), et lui qui a pourtant bénéficié de la lutte de certaines ONG et militants des droits de l'homme, pour sortir de prison. C'est d'autant l'une des plus grandes déception d'Alpha Condé, qu'il se montre ingrat envers lesfamilles des martyrs dont les sacrifices lui ont quand même permis indirectementde se retrouver là où il est aujourd'hui.

 

Maintenant, s'il fait pire que les autres (eu égard au nombre de victimes en 4 ans), les autres partis politiques ne sont pas très intéressés non plus par la défense des droits humains. Ceux qui font semblant de s'étonner que l'UFDG soit capable d'une telle alliance avec Dadis, oublient que les partis politiques en général, ont abandonné à leur sort non seulement les victimes du 28 Septembre, mais également ceux des manifestations sous Alpha Condé. La justice pour ces victimes n'a jamais été une priorité dans l'agenda des partis de l'opposition, uniquement préoccupés par les élections.

 

Même à titre symbolique, la proposition d'une loi d'amnistie par les députés de l'opposition – même retoquée par la mouvance – aurait peut-être mis un peu de baume au cœur des victimes. Et ça ils peuvent le faire, contrairement aux plaintes sur le plan pénal, que les partis politiques ne peuvent pas engager collectivement, puisqu'ils ne sont pas victimes à titre personnel.

 

Que pensent certaines ONG ?

Des hommes politiques

En Guinée, aussi bien du côté du RPG que de l'UFDG, on justifie souvent les erreurs des uns par les crimes des autres. Le rôle de l'intellectuel est donc de chercher à sortir le débat de ce cercle vicieux. Pour cela une seule solution, arrêter de refaire le monde en indiquant des « il faut » et des « y'a qu'à… », et agir par des actes concrets. Je vais donc rapidement essayer d'évoquer les arguments sérieux, qui relatent les indignations de cette alliance.

 

Il est vrai que les leaders guinéens ne cherchent que le pouvoir, c'est d'ailleurs le but d'un parti politique, donc on peut difficilement les en blâmer.

 

Il est vrai que l'alliance que l'UFDG vient de faire avec un criminel présumé constitue :

·         une violation des principes élémentaires de la morale politique (ce qui n'est pas répréhensible ni civilement, ni pénalement),

·         une tactique pour s'assurer d'une victoire électorale (en tous cas un moyen supplémentaire de pouvoir y parvenir),

·         un moyen de contrer les menées du pouvoir (assurément, puisque les exils forcés de citoyens guinéens sont monnaie courante sous ce régime),

·         une coopération contre-nature abominable (c'est avec le RPG, qu'une alliance de l'UFDG serait abominable),

·         une avancée vers la « réconciliation nationale » (en tous cas, c'est un acte fort – et non une simple déclaration –, car CDD est lui-même une victime, même si cela n'engage que lui à titre de victime et non l'ensemble de celles-ci).

 

S'il est vrai que les partis politiques, dont l'UFDG, ne pourront plus vendre lapromesse de changement à l'avenir, il faut s'entendre sur le terme changement. C'est en apparence une mauvaise nouvelle, mais je pense moi au contraire que c'est une bonne nouvelle (j'y reviendrai ci-après).

 

On reproche à CDD de brader à vil prix le fonds de commerce qu'il a acquis le 28 Septembre 2009, du fait des massacres le ciblant avec sa communauté. Personnellement je ne vois pas de fonds de commerce, car l'UFDG ne se préoccupe pas du 28 Septembre, au moins officiellement. En revanche, l'UFDG a pris à son compte les dépenses médicales et/ou mortuaires de ses militants, tant pour les massacres du 28 Septembre, qu'à l'occasion des manifestations ultérieures.

 

Il est vrai qu'aucun parti n'est démocratique en Guinée, mais au lieu de critiquer ce fait, il faut créer de nouvelles structures qui elles, respectent l'esprit démocratique et l'état de droit. Seule une pédagogie par l'exemple peut permettre à terme de faire évoluer les choses. Les partis politiques tels qu'ils existent actuellement, ne sont que des écuries présidentielles au service d'un homme, qui considère le parti comme son entreprise personnelle. Pour ce faire, sont nécessaires des débats contradictoires et des décisions par vote, le respect des formes légales dans le fonctionnement des institutions politiques étant d'une importance capitale, ne serait-ce que parce que les partis politiques sont constitutionnellement les seuls habilités à choisir les futurs dirigeants du pays. Une société civile digne de ce nom devra en faire sa mission.

 

De la morale politique

En politique, il faut éviter de parler de morale, car la notion d'éthique a bien évolué au cours des siècles.

Dans « la République », Platon indiquait que le but de l'État était de faire régner la vertu, d'instaurer une société juste, c'est-à-dire une société dans laquelle sont respectés la sagesse, le courage, la tempérance et la justice. Platon nous a fait rêver, mais si l'utopie reste nécessaire, elle s'éloigne des principes édictés de manière plus récente (XVIème siècle) par Nicolas Machiavel dans le chapitre 8 du « Prince ». Pour ce dernier, l'important en politique est d'obtenir le pouvoir et de le conserver, et pour cela, tous les moyens sont bons. Une faute politique est plus grave qu'un crime moral. Et le critère de la faute est l'échec. Seul un pouvoir fort peut assurer la paix, qui est la condition de tout ordre moral.

 

Enfin selon la conception kantienne de la politique, la politique permettrait de faire régner un ordre social conforme aux principes de la morale. Le politicien lui-même dans son action, devrait se conformer à ces principes. Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIème siècle, pense donc que la morale est la fin visée par la politique.

 

Il n'est pas question ici de refaire le débat, ni de montrer qu'à l'utopie originale, a succédé ce qu'on appelle aujourd'hui la realpolitik. À tort ou à raison, c'est l'idée qui s'impose de plus en plus et progressivement dans toutes les sociétés.

 

Il ne faut pas se méprendre, personne ne peut arrêter le cours de la justice et l'impunité n'existe que parce que nous en sommes les complices inconscientes et/ou involontaires. Ceux qui veulent garder espoir peuvent toujours se dire, que si alternance politique il y a, tous les dossiers gelés, et notamment ceux liés aux violences de l'État, seront activés.

 

Et l’État dans tout ça ?

Il n'y a aucun cynisme de ma part, mais je terminerai mon propos par 2 rappels :

·         en premier lieu l'UFDG, en tant que parti politique ne peut nullement porter plainte sur le plan pénal, car c'est une action individuelle et personnelle. Les victimes d'exactions diverses ne doivent donc pas être à la remorque d'un parti politique quelconque,

·         en second lieu, les victimes doivent harceler l'État guinéen (aujourd'hui incarné par Alpha Condé), pour obtenir réparation sur le plan civil.

 

En effet, ceux qui parlent des 2 milliards de GNF obtenus par certains leaders politiques en Juin 2010, ils ignorent (pour une fois je crois sincèrement) une chose. Au-delà des coupables individuels, c'est l'État guinéen qui est civilement responsable et qui devrait prendre en charge financièrement les victimes, pas l'UFDG. Alpha Condé se rappelle quelques notions de droit lorsqu'il s'agit d'indemniser les victimes des meurtres d'ébola à Womey, et on ne peut que le féliciter pour cela. On lui reprochera cependant d'oublier les victimes de Womey (celles de la répression sur les villageois) et toutes les victimes de l'État guinéen. La responsabilité pénale est individuelle et entrainera des peines de prison pour les individus coupables d'exaction, mais quel que soit le résultat final, l'État guinéen est responsable civilement de la faute de ses représentants (gendarmes, policiers et autres militaires, voire même civils) qui ont commis des crimes au stade et lors des manifestations.

 

Il paraît extraordinaire qu'aucun juriste guinéen n'ait engagé de procédure en ce sens, permettant à des attardés de réclamer à CDD exclusivement (et non aux 3 autres, mais surtout à l'État guinéen) la gestion des deux milliards reçus en Juin 2010, à titre de dédommagement des exactions du 28 Septembre 2009 (coups et blessures, mise à sac des domiciles, vol de véhicules et d'objets personnels…).

 

A priori c'est l'UFDG qui assiste tant bien que mal les morts et les blessés du 28 Septembre et des manifestations. Or c'est l'État guinéen qui n'a pas rendu justice aux victimes de cette répression, pourtant c'est son devoir.

 

En définitive, loin de moi de vouloir absoudre une telle alliance entre Dadis et Dalein, mais il était nécessaire de recadrer à tête reposée ce débat. Sur le plan pénal l'UFDG ne peut rien pour les victimes (autre qu'un soutien moral et/ou financier pour agir), mais elle ne peut se substituer à elles pour agir. Sur le plan civil, c'est à l'État guinéen de dédommager toutes les victimes d'exactions de représentants de l'État (là encore l'UFDG fait sans doute ce qu'elle peut, mais elle devrait comptabiliser tous les frais engagés et les réclamer à l'État au titre de la responsabilité de ses commettants).

 

Que faire alors ?

Il n'est pas normal d'entendre dire que certains citoyens guinéens sont engagés dans une lutte pour la justice depuis 30 ans. Il faudrait aussi qu'ils se remettent en cause et se posent des questions. La justice divine existe, mais celle des hommes peut aussi agir. Certains ont abandonné le combat, favorisant le recommencement de mêmes histoires. D'autres par lâcheté, ont également laissé tomber le combat contre l'injustice.

 

Certains pensent que le RPG a aggravé l'impunité et que l'UFDG vient d'en rajouter une couche. Le sursaut peut prendre plusieurs formes, mais il doit être immédiat désormais.

 

Un Collectif est en voie d'immatriculation, il a pris son temps, justement pour permettre l'expression de tout un chacun, la lenteur étant la contrepartie de la démocratie. Il a vocation à faire de la pédagogie, c'est-à-dire agir concrètement, et expliquer ensuite à chacun comment il a procédé, afin de permettre à chaque citoyen d'en faire autant en démontrant que la justice est à la portée de tous. Pour changer tout ça (l'impunité), une seule voie possible : arrêter de pleurnicher et agir judiciairement. Le Collectif des Actions Citoyennes (c’est ainsi qu’il se nomme) a été créé pour se faire. Il reste à l'écoute de tout soutien humain (plus on est nombreux, mieux c'est), intellectuel (des juristes notamment, mais pas seulement), et financier (les adhésions sont les bienvenues, les dons également).

 

Conclusion

Ce débat montre s'il en est besoin aux citoyens, que les politiciens sont comme les Guinéens, ni meilleurs, ni pires, car ils ne pensent qu'à eux. Doit-on leur en vouloir, alors qu'ils ne sont qu'à l'image de leurs mandants ?

 

En politique, il faut parfois se salir les mains ou constater que ça sent mauvais (car il y a des intérêts à défendre). C'est pourquoi elle n'intéresse pas forcément beaucoup de gens – moi y compris -, mais tout le monde apprécie pourtant que quelqu'un nettoie les écuries d'Augias, ou s'y colle pour nous débarrasser des mauvaises odeurs. Donc ne soyons pas hypocrites, ou nous sommes capables de le faire nous-mêmes, ou nous apprécions que quelqu'un le fasse pour nous.

 

Fort de ce constat, il faut que les Guinéens apprennent à ne pas rester à la traîne des politiciens, dont les agendas et les intérêts sont différents, et se prennent en mains. C’est essentiel. Ainsi la justice se fera indépendamment des partis politiques et ces derniers feront ce qu'ils veulent, sans jugement autre que le vote des électeurs.

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1Dont Claude Pivi, Moussa Tiegboro Camara, Abdoulaye Chérif Diaby…

2Mamadouba Toto Camara, Resco Camara, Oumar Sanoh, Fodéba Isto Keira, Sory Condé, Ibrahima Sanoh, Mamoudou Condé, Sankara Kaba, Marcel Koivogui, Fatou Sikhe Camara…

3Il faut aussi avoir à l'esprit qu'Alpha Condé en tant que Ministre de la Défense, supérieur hiérarchique de la gendarmerie, peut également être poursuivi pour les mêmes motifs, dans la mesure où c'est la gendarmerie qui tire mortellement sur les manifestants, même si ce n'est pas le problème pour le moment puisqu'il bénéficie de l'immunité pénale liée à sa fonction. Cela explique ainsi pourquoi les chefs d'État africains refusent souvent de lâcher le pouvoir, eu égard à ces conséquences éventuelles.

4Rapport de la Commission d'enquête internationale chargée d'établir les faits et les circonstances des évènements du 28 Septembre 2009 en Guinée, page 17.

 

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