« Esclavage au Foutah Diallon… »: entre approche méthodique, objective et parti-pris subjectif, superficiel, voire infâmant…

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tiernosbah washington dc jan 2016 1 150x150Note de la Rédaction: Le Fuuta-Jalon a, de tout temps, fait l’objet de positions  tranchantes et de controverses vives. Selon Thierno Siradiou BAH, Analyste-Bloguer, fondateur du site webguinee.net, la qualité de vues des protagonistes et antagonistes oscille entre l’approche méthodique et objective, d’une part, et le parti-pris subjectif et superficiel, voire infâmant, d’autre part. Dans un article publié sur Gbassikolo.com, intitulé « Affaire Manden-Djallon : « Foulaphobie » ou activisme politico-droit-de-l’hommiste ? », Mansour KABA, homme politique guinéen, persistait et signait qu’un groupe de Guinéens « sont encore esclaves dans leur propre pays, pointant du doigt le Foutah Djallon où, soutient-il, « des séquelles de l’esclavage persistent encore».

Mais qu’en est-il ? Comment s’effectue l’assimilation dans un groupe migratoire ou lignager chez les nomades ? Quelles sont, en contraste, les diverses formes d’incorporation et de subordination dans l’État théocratique du Fouta-Djallon (Guinée) ?…

{jcomments on} Nous vous livrons ici l‘extrait d’un article parsemé des commentaires (notes) de M. Thierno Siradiou BAH qui, s’appuyant sur un document de Marguerite Dupire intitulé «Identité ethnique et processus d’incorporation tribale et étatique.” Cahiers d’Études africaines, 133-135, XXXIV: 1-3, 1994, pp. 265-280., », tente d’apporter des précisions sur « de multiples questions au sujet de l’ethnie fulɓe et du pulaaku (foulanité) », abordées par M. Dupire.

(…) Dans une contribution antérieure (1981) on s’est demandé comment les Fulɓe eux-mêmes définissaient la foulanité et comment les autres la voyaient ! Puisque la création et le maintien de tribus ou d’États à base ethnique impliquent des processus sociaux d’incorporation et d ‘exclusion, on tentera de les voir à l’oeuvre dans divers types de sociétés fulɓe.

Les Fulɓe orientaux islamisés offrent, par contre, l’exemple d’une hégémonie politique culturellement absorbée par les populations hausa qu’elle avait vaincues.

Les Fulɓe qui conquirent le Fouta-Djallon au début du XVIIIe siècle étaient déjà métissés. Ils conquirent le pays peuplé de Diallonké — terme générique désignant plusieurs petites ethnies d’agriculteurs animistes — aidés d’ailleurs par des Fulɓe pasteurs trouvés sur place, et des Mandingues. Ils islamisèrent, assimilèrent de manières diverses les convertis, et asservirent les autres populations. Le pays conquis s’organisa en provinces (diiwe), constituées d’un certain nombre de paroisses (misiide) dont les terres appartenaient aux patrilignages qui les avaient conquises. Un chef politique et religieux fut mis à la tête de cette Confédération islamique.

L’unification se fit sur un mode inégalitaire, les lignages fulɓe eux-mêmes se hiérarchisant en fonction du rôle qu’ ils avaient joué dans la conquête. Ces circonstances historiques furent à l’origine de la stratification socio-politique : au sommet de la hiérarchie les lignages forts conqué rants (wawɓe), puis les lignages alliés ou clients, dits « faibles » (waawaaɓe), les Pulli et les non-Fulɓe musulmans, les animistes convertis et assimilés, les artisans castés et les esclaves. Toutes ces strates constituaient une société plurale islamique.

Y eut-il assimilation de tous ces groupes étrangers et par quels processus ? Cette assimilation présentait des degrés : adoption stricto sensu, intégration au teekun, groupe  territorial et politique, ou au clan, subordination, asservissement. Nous verrons que ces strates sociales ne participaient pas toutes à la vie politique. Si tout musulman était citoyen, pour être électeur et éligible il fallait appartenir aux familles conquérantes et les familles fulɓe s’assurèrent la mainmise sur le pays. Les conquérants non-fulɓe (mandingues) n’obtinrent que rarement le commandement d’une province — tels les Foduye-Hadji jusqu’au milieu du XIXe siècle — et se répartirent les tâches de conseillers. Il y avait plusieurs Conseils et Assemblées, mais seul le Conseil des Anciens, (Teekun Mawɗo) dont les membres faisaient partie des premières familles conquérantes fulɓe déléguées des teekunji, détenait un droit de décision. Les gens du commun ne pouvaient qu’approuver les décisions des
aristocrates.

L’adoption dans un patrilignage fulɓe — mode d’intégration le plus absolu — existait mais était très rarement pratiquée. Elle touchait des serviteurs zélés et enrichis ou encore des étrangers de haut statut social et surtout religieux. Ainsi l’ancêtre du lignage dominant de la région de Labé (Kaliduyaaɓe) aurait été un notable marocain selon certains, un esclave adopté d’origine mandé-sereer selon d’autres (Marty 1921 : 37).

[Note. Ci-dessus, la première supposition relève de l’idéologie orientaliste, qui attribue la suprématie à toute personne ou à tout phénomène religieux et culturel en provenance d’Orient. Bien que légendaire aussi, la deuxième conjecture s’inscrit dans les tensions entre autochtones agriculteurs et immigrants éleveurs. A noter toutefois que les Jalonke eux-mêmes s’installèrent dans le pays en expulsant leurs  prédécesseurs Baga.

Vu son expérience de recherche sur le terrain au Fuuta-Jalon, il est curieux que M. Dupire reproduise ici des supputations anonymes et errornées sur l’ancêtre des Kaliduyaaɓe. Une telle démarche atténue la dimension de son article et en affaiblit le contenu. De plus, le texte n’indique pas le nom de ce personnage. Il le maintient plutôt dans l’anonymat. Dommage, car dans l’introduction du Oogirde Malal Alfâ Ibrâhîm Sow fournit des indications détaillés sur les Diallo du Fuuta-Jalon. Dupire aurait pu et dû les consulter et s’y référer.Tierno S. Bah]

L’adoption nécessitait l’accord de tout le patrilignage souvent difficile à obtenir (Dupire 1970 : 158). L’adopté était rebaptisé et il recevait le nom de lignage de son adoptant dont il devenait le dernier des fils. On lui donnait aussi une épouse Pullo libre et une habitation dans un hameau d’hommes libres. Soulignons que le ndimajo, descendant d’esclave de la troisième génération, dévoué à son maître, cherchait à acquérir les valeurs fulɓe et voulait être incorporé de cette manière traditionnelle au monde des hommes libres et non pas acheter son titre sans être adopté.

Les femmes serves, en revanche, en devenant concubines légales, étaient libérées lorsqu’elles donnaient un enfant au maître, mais non adoptées, et elles conservaient un statut inférieur à celui des épouses fulɓe. Ce type d’adoption est une pratique empruntée au rite malékite , car contrairement aux Arabes pré-islamiques les Fulɓe nomades n’adoptent pas 4.

Les Pulli, anciens Fulɓe nomades convertis, conservèrent leurs patronymes ainsi que les terres qu’ils cultivaient dans la paroisse. Ils formaient des lignages subordonnés à un lignage dominant qu’ils avaient aidé dans la conquête. Ce groupe territorial et politique portait le nom de teekun suivi de celui du lignage dominant et chaque paroisse en comprenait de deux à cinq qui étaient hiérarchisés, bien que leurs droits fonciers fussent juridiquement égaux (Dupire 1970: 284-287; 386-388). Les Pulli convertis ne pouvaient avoir de commandement que sur leurs semblables. Quelques-uns cependant, riches et cultivés, parvinrent à s’infiltrer dans l’aristocratie fulɓe, de même que des musulmans non-fulɓe (Diallo 1972: 105-109).

Venaient ensuite des étrangers musulmans de haut statut — marabouts d’origines ethniques diverses — qui étaient rattachés au teekun du lignage dominant de la paroisse et adoptaient le nom de clan de celui-ci (yettoore). Le lignage issu de l’ancêtre était cependant autonome ainsi que son patrimoine foncier. L’origine ethnique de ces étrangers musulmans finissait par se perdre après quelques générations puisque le statut socio-politique de ces lignages était équivalent à celui des lignages fulɓe, bien qu’ils appartinssent à la catégorie des « faibles » (waawaaɓe), c’est-à-dire des clients.

Les populations animistes converties — diallonké, bassari, tenda, etc. — furent différemment foulanisées. Les lignages issus de ces animistes portèrent le nom de clan du lignage fulɓe, ou assimilé aux Fulɓe, qui travailla à leur conversion et avec lequel ils s’intermarièrent. Cette fulɓeisation se fit le plus souvent par l’intermédiaire de lignages étrangers fulɓeisés et on s’étonne à quel point elle fut rapide et totale. L’exemple des Fulɓe Boini ou Tenda Boini, anciens bassari matrilinéaires animistes, devenus en moins de trois générations hal-pular, patrilinéaires et musulmans, en est un exemple typique (Dupire 1963 : 286).

La génération des vieillards parlait encore en 1960 un dialecte bassari et certaines techniques agricoles, relatives à la riziculture, sont d’origine bassari. Ces Boini ont cependant conservé le sens du mariage-échange — ils n’en sont pas arrivés encore à l’endogamie fonctionnelle du patrilignage fulɓe — ainsi que celui du commandement démocratique, puisque la chefferie de village n’est pas héréditaire. Les cérémonies religieuses ont certainement contribué à l’intégration de ces animistes dans la communauté fulɓe.

Dans ces régions frontalières du Fouta-Djallon conquises les dernières, tous ces groupes métissés, convertis, ainsi que certaines populations animistes, ont assimilé les institutions fulɓe, y compris celles qui allaient à contresens de leurs traditions antérieures (mode d’héritage, esclavagisme, endogamie). En retour, certaines pratiques magico-religieuses relatives à l’initiation (masques kankoran, contre-sorcellerie) furent introduites par des captifs, tenda en particulier, dans ces groupes fulɓeisés. Ici, comme en toute situation de contact entre populations, les emprunts ne se sont pas faits à sens unique, et c’est de syncrétisme culturel qu’il faut parler (Dupire 1972: 404).

Du point de vue politique ces familles converties étaient clientes de familles fulɓe dominantes, parmi lesquelles étaient choisis les délégués au Conseil des Anciens (Teekun Mawɗo). Grâce à ce système d ‘alliance et de protection la population libre avait l’impression d’être représentée au Conseil (Diallo 1972: 225-232). L’intégration politique souhaitée par les Almaami aurait été refusée par le Grand Conseil de Fugumba, extrêmement conservateur, puisque ses délégués étaient élus par les familles fulɓe détenant héréditairement le pouvoir. Elles avaient la prééminence sur les autres Conseils, le chef de région de Fugumba placé à sa tête consacrant l’Almaami.

Les étrangers islamisés arrivés après l’extension territoriale obtinrent des droits d’usage sur des terres, mais ne furent pas incorporés comme les groupes précédents.

Enfin les rois des marches foutaniennes durent accepter de se convertir pour continuer à régner, signèrent des traités, jurèrent allégeance et payèrent un tribut annuel. Des esclaves et des artisans castés, tenus à distance, étaient liés aux familles libres par des relations d’obligations réciproques.

Dans quelle mesure la population captive s’est-elle adaptée à la culture des maîtres ? A-t-elle fini par constituer une nouvelle enclave ethnique et dénommée dans la société réceptrice, ou faut-il la considérer comme un sous-groupe culturel partageant la langue et la religion des maîtres ? »

 

À suivre….

 

Avec Gbassikolo.com

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