L’éventualité d’une reforme constitutionnelle pouvant permettre à l’actuel président de la Guinée de briguer un mandat supplémentaire continue de susciter des réactions. La dernière en date – et non des moindres, est celle de Nadia Nahman, porte-parole du Chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo. Pour ceux qui, selon elle, soutiennent que le débat n’est pas pour le moment lié à un éventuel troisième mandat pour Alpha Condé, elle a tenu à préciser que son parti n’est fondamentalement opposé à une révision et une amélioration de la constitution, si l’initiative en question ne s’inscrivait pas, comme dans le cas présent, dans l’intérêt exclusif d’un seul homme ou d’un groupe d’hommes . Lisez plutôt un extrait d’un entretien qu’elle à accordé à un confrère de la place….
« (…) Il faut savoir une chose qui est très importante. Il n’y a pas d’opposition de principe à ce que les dispositions de la constitution soient révisées et améliorées, mais pour peu que ça soit dans l’intérêt général, et pas dans l’intérêt exclusif d’un seul homme ou d’un groupe d’hommes. Aujourd’hui, ces personnes-là sont moins animées par des préoccupations liées à la légitimité ou à la légalité de cette constitution que par la volonté de se maintenir au pouvoir ad vitam-aeternam et de s’arroger une présidence à vie, afin de continuer la prédation à la tête de l’Etat et la dilapidation des ressources publiques.
Bien sûr que toute œuvre humaine est perfectible, mais pour vue qu’on reste dans le cadre légal, réglementaire et constitutionnel. (…) Ce n’est pas au crépuscule de la fin du mandat que soudainement, on réalise que la constitution qui nous a élus n’est pas bonne. On peut alors considérer que toutes les institutions de la république sont illégitimes y compris le président de la République. C’est ça fondamentalement.
Il faut aussi rappeler que cette Constitution de mai 2010 est l’émanation d’un solide consensus de tous les acteurs nationaux et même internationaux. Toutes les chancelleries occidentales se sont mobilisées pour que la Guinée rejoigne le concert des nations et qu’elle puisse retourner à l’ordre constitutionnel. Mais après tout, le pays du NON du 28 septembre 1958 ne peut pas se permettre un tel retour en arrière !
On a quand même vécu 26 ans de dictature, 24 ans de régime autoritaire, quelques mois de junte militaire. Les acquis de la jeune et fragile démocratie guinéenne ne peuvent être consolidés si des gens décident de la remettre en cause de manière unilatérale. On ne biaise pas les règles de la sorte. C’est comme dans un match de football, on ne redéfinit pas les règles du jeu qui sont connues d’avance.
La démocratie guinéenne est jeune et fragile, on ne peut pas la renforcer si on s’amuse à la remettre en cause de manière unilatérale dans l’intérêt exclusif d’un homme.
En ce moment tout un groupe de couturiers juridiques qui sont dans des hôtels 5 étoiles ici avec l’argent du contribuable guinéen participe à ce projet hautement dangereux et suicidaire pour la Guinée. Mais faut rappeler qu’il y a une barrière constitutionnelle infranchissable. C’est l’article 27 et l’article 154 de la Constitution.
Les dispositions de l’article 27 sont claires. Il nous dit ceci : « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs ou non ». Les constitutionnalistes de 2010 ne sont pas limités à l’article 27, ils ont ajouté l’article 154. C’est intéressant parce que là on a quand même des dispositions intangibles auxquelles on ne peut pas toucher. Pourquoi ? Parce qu’ils ont appris des leçons, ils ont tiré tous les enseignements de ce qui s’est passé en 2001. C’est le traumatisme parce qu’on peut très bien estimer qu’ils auraient pu s’arrêter à « nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ». Là Alpha Condé aurait pu laisser quelqu’un venir, après il serait revenu. Mais ils ont ajouté « consécutifs ou non ». C’est de dire à quel point le traumatisme était présent. Ils ont verrouillé la Constitution sur ces aspects-là.
Et quand on regarde sur les 55 pays qui constituent l’union africaine, 35 ont introduit des clauses limitatives de mandat. C’est intéressant de le noter. Même le Togo et le Burkina sont en train d’introduire ces clauses dans leur constitution. Les pays qui s’amusent à enlever cette clause, on a affaire à des pays dont les dirigeants sont passés plusieurs années à la tête de l’Etat qui n’ont aucun bilan positif à faire valoir et à défendre, et qui veulent se maintenir au pouvoir.
Revenant toujours sur le cas guinéen, on a ces éléments légaux que sont l’article 27 et l’article 154 de la Constitution. Mais les couturiers juridiques se sont dit attention : une telle modification de la constitution qui viserait à retirer cette clause-là serait très mal vu par l’opinion internationale (…). Ils se sont dit qu’on va penser à une nouvelle constitution. Et là encore que dit l’actuelle Constitution en ce qui concerne l’adoption d’une constitution par voie référendaire ? Il faut savoir qu’une nouvelle Constitution ne peut advenir que lorsqu’il y a rupture de l’ordre constitutionnel : coup d’Etat, révolution, chao généralisé ou encore naissance d’un nouvel Etat. C’est à ces seules conditions que l’on peut parler de nouvelle constitution. Qu’est-ce qui justifie ici l’édition d’une nouvelle constitution ? Rien. Il n’y a aucune opposition de principe à l’amélioration des dispositions, parce que toute œuvre humaine est perfectible, mais pour vue que ça se fasse dans le respect de la Constitution actuelle et pour vue que ça se fasse dans le respect des clauses qui sont révisables et des clauses qui ne sont pas révisables. Sous Nicolas Sarkozy en 2008, il y a eu une réforme qui a amputé la constitution des 2/3 de ses dispositions, mais on n’a pas touché aux clauses intangibles. Elle a été améliorée sur la base dispositions qui pouvaient l’être. Donc, ça c’est une démarche à laquelle on peut souscrire. Mais ce qui est dangereux, on ne peut pas se lever un beau matin, concocter une nouvelle constitution et la proposer au peuple de Guinée sans l’associer. Ils sont en train de tomber dans leur propre piège en disant que le CNT (conseil national de la transition) n’est pas représentatif. NON. Toutes les couches socioprofessionnelles du pays ont été consultées. Il y a eu une large consultation. Donc, il n’y a pas de possibilité tant que cet ordre constitutionnel n’est pas rompu.
Parlant de référendum, il est important d’attirer l’attention sur le fait que la Constitution guinéenne encadre strictement le référendum. Le régime juridique applicable au référendum et fixé par les articles 51 et 152 de la Constitution guinéenne. Aucun de ces articles ne peut servir de fondement de base légal à l’adoption d’une nouvelle constitution. Pourquoi ? Parce que l’article 152 qui régit le référendum s’inscrit uniquement dans le cadre de la révision. Donc, on ne peut pas parler d’une nouvelle constitution. L’article 51 ne peut pas non plus servir de base légale à une nouvelle constitution. Pourquoi ? Parce que le référendum prévu à l’article 51 est un référendum uniquement de nature législative. C’est quoi un référendum ? C’est une consultation directe du peuple sur l’adoption d’un texte législatif ou constitutionnel d’intérêt national ou général dont la réponse est oui ou non. L’article 51 ne peut pas servir de fondement légal à une nouvelle constitution parce que le référendum prévu à l’article 51 est uniquement législatif. Il n’y a aucune possibilité. S’ils veulent améliorer le cadre, il faut que ça se fasse absolument dans le cadre des dispositions légales.
Nul n’est dupe, peu importe la dénomination. Qu’il s’agisse d’une modification, qu’il s’agisse d’une nouvelle constitution, quelle est finalité poursuivie aujourd’hui ? C’est une présidence à vie. Les guinéens le savent. Ce n’est pas un procès d’intention. Cette présidence à vie est promue par les plus hauts dignitaires de ce pays avec la bénédiction même du chef de l’Etat. Voilà pourquoi quand on me parle d’arbitrage, ça me fait sourire. Quand on dilapide autant de deniers publics à organiser des concerts rémunérés à des milliards de francs guinéens, à organiser des sorties à l’intérieur du pays grassement rémunérées, de quel arbitrage peut-on parler quand le président de la république lui-même avalise ça ? C’est lui le seul responsable. «