Ce que doit être la stratégie guinéenne de lutte contre le terrorisme ! (parIbrahima Sanoh)

I Sanoh
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Évaluation de l'article

I SanohLa recrudescence des attentats terroristes de par le monde après qu’elle nous eut  écœurés exige que l’on se décide. Nos indignations ont été sélectives bien que nos condamnations aient été fermes. Nos condoléances, sympathies et prières furent envoyées aux morts, blessés et à leurs familles, cela révéla notre part d’humanité. Chaque chose son temps ! Passé celui des condamnations, le temps de la réflexion est échu. Notre pays, la Guinée, doit ici et maintenant définir une stratégie cohérente de lutte contre le terrorisme.

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On pourra dire que l’islam pratiqué chez nous n’est pas violent et que le risque de l’importation des idéologies dangereuses est faible.   Un tel argument aurait pu être solide si le terrorisme n’était pas un fléau mondial. Le terrorisme s’est mondialisé, il transcende les seules frontières des nations. L’avènement des nouvelles technologies a facilité la communication et pis, la vulgarisation des idéologies favorisant la radicalisation et justification des stratégies   de la terreur.

Aujourd’hui, plus qu’hier, le terrorisme fait peur. Il induit des coûts directs et indirects considérables. Ne rien faire, en espérant être à l’abri ou ne pas être exposé à un risque considérable,  serait   un mal. L’optimisme est responsabilité et sous-tend de se prémunir contre tout mal, surtout quand ce dernier est mondial.

Mon dessein à travers ce papier, est d’appeler à la définition et conception d’une stratégie nationale cohérente de lutte contre le terrorisme.   L’approche qui faudrait adopter dans une telle démarche devrait être foncièrement multidimensionnelle. Le terrorisme est multi-facette et la stratégie à définir doit être globale dans le dessein de réduire notre degré d’exposition. La stratégie à définir doit être axée sur quatre piliers : les mesures sécuritaires à adopter, des mesures d’encadrement du fait religieux, des mesures légales et réglementaires à définir, et celles économiques et sociales.

  1. Mesures sécuritaires

L’insécurité a assez sévi dans nos villes ces dernières années. Des pontes de l’Etat, des citoyens et des gens obscures ont payé le lourd tribut de leurs vies.   La question sécuritaire s’est donc posée et les mesures adoptées n’ont pas été cohérentes et suffisantes. Dois-je le dire à tous, elles n’ont été conçues que dans le dessein de contenir à court terme la situation d’insécurité qui prévalait . Une approche bien efficace devrait viser le long terme et tenir compte des enjeux liés à l’insécurité.

Dans un papier «La réponse pérenne à l’insécurité », j’avais soutenu l’idée que le départ des militaires pour les casernes, bien qu’ayant été salutaire, avait laissé un vide de la gestion de la sécurité. L’idée sous -jacente était que la police n’avait pas été préparée à  gérer le vide que le retour de l’armée dans les casernes avait causé. La réforme des services de sécurité a donc été inachevée.

La Guinée est aujourd’hui dépourvue d’une instance à même de lutter contre le terrorisme, cela est une lapalissade. Lutter contre le terrorisme suppose d’adopter une stratégie efficace de lutte contre les activités pouvant servir de sources de financement au terrorisme. La lutte contre le narcotrafic, la contrebande d’armes et le blanchissement d’argent doit être renforcée.

« L’Agence nationale de lutte contre le trafic de la drogue, la criminalité organisée et le terrorisme », dispose des pouvoirs discrétionnaires et ceux-là sont des terreaux pour la collusion des intérêts. La lutte contre les cartels de la drogue, le démantèlement des sites terroristes, la lutte contre la criminalité organisée exigent d’une structure efficace  dotée de moyens conséquents et au mandat bien précis. L’heure est à la responsabilisation des acteurs. Les pouvoirs discrétionnaires doivent disparaître et céder.

Cette agence doit être complètement réformée. Elle vit en autarcie, son Directeur est l’objet d’inculpation dans le dossier du 28 septembre 2009, cela pourrait être un écueil pour sa coopération avec d’autres agences sous-régionales et internationales. Le terrorisme ne se combat pas en étant esseulé, sa lutte exige de développer des coopérations et de veiller à se doter de l’information pertinente le moment opportun. Ce qui compte le plus, c’est l’anticipation d’opérabilité.

Il nous faut une police d’élite, conséquemment formée dont les membres seront choisis sur les critères d’aptitude physique, mentale. Ils doivent être très instruits en vue de pouvoir chercher l’information utile, l’analyser et agir en conséquence.   Certains pays, efficaces en matière de lutte contre l’extrémisme se sont déjà dotés de telles instances. C’est le cas du Maroc, qui s’est doté depuis mars 2015 d’un Bureau Central d’Investigation Judiciaire (BCIJ) dont les membres rigoureusement sélectionnés ont fait des formations aux Etats-Unis, en France et en Italie. Le rôle des services de renseignement marocains dans la localisation de quelques  terrorismes responsables des récents attentats de Paris est connu de tous. Les enjeux du terrorisme sont trop grands pour s’accommoder avec des agences discrétionnaires. Il faut se décider et surtout bien le faire .

  2. Mesures d’encadrement de fait religieux

L’approche sécuritaire à elle seule est vouée à l’échec. L’importation de nouvelles idéologies contraires à l’islam séculaire pratiqué en Guinée pourrait favoriser l’endoctrinement.   Le bourrage des crânes doit être répudié par tous les moyens légaux et efficaces.   Nous attendons souvent dire qu’il faille fermer les écoles coraniques. Mais une telle solution serait dangereuse car favoriserait   l’émergence de centres coraniques inconnus des autorités et financés par des sources dangereuses.  

L’encadrement du fait religieux suppose de définir des moyens d’assermentation des écoles dites coraniques. Leurs enseignants et sources de financement doivent être connus de l’Etat .L’opacité qui caractérise la gestion de ces centres et leurs sources de financement doit prendre fin. Nous sommes une République laïque, mais cela n’empêche que l’Etat use de ses moyens de régulation pour empêcher l’importation, la production et la vulgarisation des idéologies extrémistes . L’extrémisme et la violence sont très proches et la borne entre les deux est étroite . Il faut l’empêcher.

Beaucoup de nos jeunes partent étudier dans les universités étrangères dites islamiques et le risque d’importation des idéologies rigoristes est bien grand. Les idéologies rigoristes importées et enseignées dans nos mosquées ou par le truchement des canaux informels sont contraires à nos façons de vivre, à nos valeurs de tolérance et d’altérité. La laïcité, oui. Mais quand la République est menacée, elle se doit d’assumer ses responsabilités.

Ceux qui prêchent dans nos mosquées doivent être connus de l’Etat et aussi les contenus de leurs sermons.   Le Maroc est le seul pays arabe avec lequel la Guinée doit coopérer en matière de lutte contre le terrorisme, il est le seul à se doter d’une stratégie cohérente de lutte contre l’extrémisme religieux par le truchement de l’encadrement du fait religieux. Les autres pays arabes, ne doivent pas nous inspirer confiance. Je le dis bien, la diplomatie du ventre qui consiste à quémander des pétrodollars pourrait conduire au désastre si elle perdure, car celui qui tend la main ne peut pas tenir rigueur à   celui que lui fait don.

Le débat sur le port du voile intégral a été différé. Nous ne sommes pas contre les symboles religieux, mais le débat qui vise à définir lesquels symboles participent de nos valeurs de la République doit se tenir en toute sincérité. Il faut un courage politique pour se faire. L’objectif n’est pas de porter un coup à la religion, de l’interdire, mais d’empêcher que des personnes violentes et lâches ne se servent d’elle pour faire mal à notre société.

La lutte contre l’extrémisme   et la propagation des idéologies similaires ne doit pas seulement se faire par l’encadrement de la religion, mais aussi par le truchement des réformes éducatives. Notre société n’est pas seulement guettée par le piège de l’extrémisme mais aussi par celui de la carence des valeurs normatives et morales. L’école de la République doit favoriser, par le biais de ses programmes, l’émergence d’une nouvelle citoyenneté. Elle se doit donc de transmettre les valeurs du patriotisme, du respect de la différence et de sa valorisation, de la tolérance et de l’altérité.

  3. Mesures d’amélioration du cadre réglementaire de lutte contre le terrorisme

Le cadre réglementaire doit être réformé car l’extrémisme religieux qui   est le substrat à la violence et la terreur ne produit ses effets que lorsqu’il est financé. Les activités servant de moyens de financement du terrorisme sont : trafic de drogue, la contrebande d’armes et le blanchissement d’argent.

Les groupements terroristes   utilisent les moyens et techniques de financement très dégourdis, il convient de comprendre ces mécanismes et d’adopter des mesures permettant de porter le coup à leur prospérité. Je veux bien dire que l’amélioration d’un tel cadre réglementaire nécessite des consultations et des coopérations à la fois nationales et internationales  . La Guinée doit bien apprendre des expériences réussies d’autres pays en matière de lutte contre le financement des activités terroristes.

Par ailleurs, notre système judiciaire n’est pas trop performant .Il souffre encore du sous-effectif et du sous-financement en sus de ses carences structurelles. Il a certes connu des   réformes, quelques réformes ces dernières années, elles sont encore insuffisantes.   L’administration pénitentiaire doit être réformée en profondeur et ses différents acteurs responsabiliser.

  4. Mesures d’inclusion sociale

La croissance économique   enregistrée dans notre pays depuis des décennies n’a pas permis de lutter efficacement contre la pauvreté et les inégalités. Nos zones rurales sont les plus pauvres et enregistrent les citoyens les moins alphabétisés, cela est un terreau pour l’endoctrinement. Les mesures économiques à mettre en œuvre doivent être celles qui favorisent la croissance dite inclusive. Nos jeunes, frange la plus importante de la population, sont   inoccupés et au chômage. Le désœuvrement auquel est confronté la jeunesse guinéenne pourrait être exploité par des esprits désaxés. Notre jeunesse a toujours payé le lourd tribut pour que notre société prospère, se démocratise. Mais peu, elle a été écoutée et ses aspirations légitimes à la vie descente et à l’emploi satisfaites.

Il nous faut définir un autre modèle économique car les politiques économiques jusque-là implémentées se sont avérées inefficaces pour favoriser la création d’emplois. Le modèle à implémenter doit être celui de l’inclusion sociale et doit favoriser les créations d’emplois, cela suggère que des études conséquentes soient menées pour comprendre les causes de notre chômage et les carences structurelles de notre économie.

Parlant d’inclusion sociale, je dis que la marginalisation doit être combattue sous toutes ses formes. Autrement, certains se sentiraient comme des citoyens entièrement à part et de telles situations peuvent être exploitées pour commettre des actes révélant de la stratégie du désespoir et d’interpellation.

Certains pourraient penser que le moyen de combattre la marginalisation serait la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Je ne le dirais pas cela , notre pays n’en a pas besoin car le gouvernement dit d’union nationale ne permet de régler nos myriades de maux . Et , partout , où il fut évoqué et mis en place , il n’a permis qu’une illusion de cohésion nationale . L’injustice, les marginalisations sous toutes les formes doivent être combattues et cela passe par la mise en place d’une équipe gouvernementale efficace. Il faut éviter les politiques velléitaires, l’heure est au courage et à la vigilance.

En définitive, la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme est tributaire d’un effort de travail multidisciplinaire. Une telle démarche ne doit pas être discrétionnaire, elle exige de coordonner les forces des différentes partes prenantes de la nationale guinéenne, de s’ouvrir aux idées nouvelles, de nouer des coopérations et d’apprendre des expériences réussies dans d’autres cieux.   L’heure n’est plus à l’espoir sans actions. Il faut unir les forces de la nation et trouver un cadre idéal de concertation pour la définition et la mise en place d’une telle stratégie pour le bien de notre peuple. Les forces militaires, les services paramilitaires, la société civile, les médias, les partis politiques, les religieux, les partenaires étrangers et le gouvernement doivent se réunir pour accoucher d’une stratégie guinéenne de lutte contre le terrorisme.

                                                                                             

 Ibrahima Sanoh

Citoyen guinéen.

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