Epilogue à la sortie d’un « témoin »…(Un document-témoignage proposé par Saidou Nour Bokoum)

Bokoum Diane
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Bokoum DianeDepuis Kobaya, j’ai senti les vaps d’une charogne en putréfaction

« Ce qui est à noter, c’est plutôt sa façon d’organiser sa défense En effet, le ton en est serf, l’encre visqueuse, le souffle déprimant. Et par-delà l’écriture se profile clairement une pauvre créature tremblant et suant de frayeur. Le rappel de ses états de service ne lui suffit point…

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Il lui faut psalmodier à longueur de pages des liens de servilité avec son maître, se traîner à terre pour montrer sa « fidélité » et sa soumission corps et âme. On croirait lire un morceau datant des temps moyen-âgeux. Relisons plutôt ce passage de cette quête infinie de soumission » (Africain et congénères)

Or ici-même, j’ai publié un petit morceau de cette « quête infinie de soumission » au même « maître ». Quand on est soumis à ce degré de souffrances et d’humiliations, même un des plus grands syndicalistes de son temps, ne pouvait que ramper comme une larve au pied d’une limace, colleuse d’affiche du Fodéba des Ballets africains. J’ai cru un moment que le mal du Guinéen, c’était l’amnésie. Eh bien non. « L’intellectuel guinéen » tient la dragée haute aux Vopos allemands en mal de distraction, souffrant de la monotonie des horreurs qu’ils infligeaient à leurs victimes, ces dernières étaient, trop « serves .. visqueuse » (Africain)

Voici donc un autre «slavus»

Koumandian Keita
Instituteur

à Monsieur le Président de la République de Guinée
Responsable Suprême de la Révolution

Monsieur le Président de la République,

J’ai l’honneur d’attirer votre bienveillante attention sur les faits relatifs à ma détention et à ses suites. 

En octobre 1967, au lendemain de ma mise en liberté, je vous ai rendu compte à Foulaya du mauvais traitement que j’ai subi en prison pendant 5 ans, 10 mois et 15 jours. 

Ma détention a été marquée par des exactions, des tortures, des mesures d’exception qui s’inscrivent toutes en marge de notre Constitution nationale, du Code pénal guinéen et des Statuts du PDG, en un mot de la légalité républicaine. 

En dehors de l’incarcération dans un espace vital limité par les quatre murs d’une cellule, j’ai connu un assortiment de mesures relevant de la police appliquée aux criminels. 

Début décembre, quelques semaines après ma condamnation, M. Fodéba Keita, alors ministre de la Défense nationale et de la Sécurité, m’a fait savoir par « phonie», dans ma cellule, qu’il est le chef de la police secrète et de la magie en Guinée. Il devait commencer aussitôt ce qu’il a appelé une « démentalisation » pour substituer à mon état d’esprit une mentalité nouvelle de sa création. Les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but ont été, dans l’ordre :

  • des injures grossières
  • des propos pornographiques
  • des émotions chocs par l’inoui, la violence, la soudaineté d’une déclaration, d’une nouvelle parfois fausse
  • des brûlures du corps, de tout le corps au courant
  • des décharges électriques dans le gland de l’organe sexuel
  • des développements extensifs suivis de réductions à sa plus simple expression de la verge
  • des flagellations au fuseau magnétique des développements glandulaires.

Pour mener à bien cette « démentalisation », j’ai été transféré au Camp Almamy Samory où M. Fodéba Kéita « mage » et «grand sorcier» était assisté de MM :

  • Moriba Makassouba, directeur de son Cabinet
  • Sikhè Camara, Procureur général
  • Sékou Diaby, Inspecteur de police.

Un travail d’équipe qui va durer quatre mois — décembre 1961 à fin avril 1962 — appela tour à tour chacune de ces personnalités à prendre la parole, à me brûler et à faire dresser les cheveux par la violence et l’impudicité des propos tenus.

C’est l’époque de mes brûlures les plus violentes et de l’affaissement de mes organes sexuels, le gland notamment, théâtre de décharges électriques et de torsions de nerfs. En même temps, je suis soumis, malgré moi, à une série d’injections intramusculaires et d’administration de sérum par des infirmiers militaires. Le docteur Fodé Sylla a eu à me faire quelques visites beaucoup plus de contact que de médecine. Au moment de mon transfert au camp Almamy Samory, je ne me plaignais d’aucune affection. Ce traitement était une initiative de M. Fodéba Kéita, initiative que mon statut de détenu ne m’a pas permis de refuser ; il n’a été ordonné par aucun médecin.

J’ai su par la suite qu’il s’agissait : d’intoxiquer mon sang de me retirer du sperme et d’alcooliser mon alimentation. Dans cet état d’affaissement physique et de prostration morale, je dus, sous les injonctions réitérées de ma « garde d’honneur », faire après chaque repas des génuflexions et répéter : « Le président Sékou Touré est l’homme le plus beau du monde ». 

M. Fodéba Kéita a mis cette situation à profit pour me demander de me confesser, de lui avouer les vols que j’ai pu commettre, de lui donner la liste nominative des femmes que j’ai aimées, etc. 

Malgré une amélioration sensible de mon régime alimentaire, j’étais d’une faiblesse telle que je ne pouvais pas me laver moi-même. En 4 mois, j’ai été lavé deux ou trois fois par un gendarme, l’adjudant Koura, actuellement en service à Conakry. 
Je me trouvais dans une vie absolument nouvelle, différente de tout ce que j’avais connu jusque là, une vie d’assujettissement brutal et de dégradation humaine. C’était là un premier aspect de la « démentalisation ». 

A mon grand étonnement, j’ai vu arriver dans ma. cellule MM. Camara Bengaly,ministre de l’Information, membre du BPN et Roger Accar, ministre de la Santé et des Populations. Ils ne m’ont pas révélé l’objet de leur visite, d’ailleurs brève. 
Fin avril, je suis ramené à la prison du Bloc de Camayenne où je resterai jusqu’en décembre 1962. 

MM. Sikhè Camara et Diaby ne participent plus à ma surveillance secrète qu’assurent désormais MM. Fodéba Kéita et Moriba Makassouba — deux hommes qui font autorité en matière de police secrète — qui m’ont suivi tout le long de ma détention et qui me font subir aujourd’hui encore le sort de prisonnier laissé libre.

s Vers fin décembre 1962, je suis conduit à l’hôpital municipal de Conakry avec le diagnostic de « misère physiologique », conséquence directe de mes brûlures et de mes nombreuses crises alimentaires. 

A l’aide de leurs appareils, MM. Fodéba Kéita et Moriba Makassouba ont fait de cet hôpital où un gendarme et un garde républicain partagent ma salle, une prison dominée par leurs activités secrètes. J’y ai reçu des visites celles de MM. :

  • Sinkoun Kaba, ministre de l’Intérieur
  • Namory Kéita, Commandant de l’Armée guinéenne
  • Mamadou Kéita, Capitaine Balla
  • Moussa Kéita, Instituteur
  • Madame Kouyaté Diéli Saramba.

Début mai 1963, a lieu mon transfert à Somaya, petite localité déshéritée à 5 kilomètres de Coyah où je vivrai 15 mois sous la surveillance effective de deux gardes républicains. La nuit même de mon installation dans cette nouvelle prison, M. Fodéba Kéita s’adresse à moi en ces termes : « C’est ici que tu dois mourir parce que c’est dans cette région qu’on a tenté d’assassiner le président Sékou Touré en 1954, à l’occasion des élections législatives partielles ». 

Si cette promesse n’eut pas de lendemain, elle n’en reste pas moins révélatrice d’une détermination que les événements n’ont pu favoriser. Je suis encore vivant mais je garde de Somaya un souvenir impénissable, comme du haut lieu le plus triste de ma détention. Sous les dehors d’un libéralisme de bon aloi, cette localité a vu à l’oeuvre les méthodes les plus subtiles de la police. 

M. Fodéba Kéita ne s’est pas fait défaut de me faire uriner dans mon lit autant de fois qu’il a voulu, de me dérégler alimentairement en m’obligeant à aller cinq à sept fois à la selle en moins de 24 heures, d’avoir mes organes sexuels à sa discrétion pour toutes sortes d’opérations. Mon sommeil contrôlé était toujours interrompu deux ou trois fois pour écouter les « phonies » pleines de sarcasmes et d’injures. 

Autant par les multiples actions pratiquées sur mon corps que par les propos tenus, embrassant tous les domaines de la vie, il a cherché à me réduire à l’expression la plus simple que puisse connaître la condition humaine. Sur le plan politique, les thèses préférées de M. Fodéba Kéita sont à connaître. D’après lui, il faut mater tout ce qui n’était pas authentiquement RDA. La doctrine du PDG pour la liberté, la dignité et le bonheur gêne sa philosophie. du pouvoir personnel. Il voudrait que le Président Sékou Touré soit le « Roy » Sékou Touré. Il n’a que faire de la légalité. Aussi, annonce-t-il froidement avoir tué, depuis son accession au pouvoir, les personnalités suivantes, MM. :

  • Lamine Kaba, Vice-Président de l’Assemblée nationale
  • Babadi Hadiri, Instituteur
  • Sékou Kaba, Directeur de Cabinet
  • Fodé Touré dit Gros, pharmacien
  • Ignace Deen, Ambassadeur
  • Ouremba Kéita, Vice-Président de l’Assemblée nationale.

Cette liste n’est pas exhaustive. Elle s’allongera avec de nouvelles victimes encore en vie.
La puissance, l’influence du président Sékou Touré émaneraient de la magie de M. Fodéba Kéita, non du peuple de Guinée organisé au sein du PDG. 

La magie, panacée universelle, fera le bonheur du pays : aussi doit-on lui consentir tous les sacrifices, voire les sacrifices humains. La vie privée des Guinéens, simples citoyens comme hauts magistrats jusque y compris le Responsable Suprême de la Révolution, Chef de l’Etat, est passée en revue, ridiculisée. 

Seuls échappent à cette cruelle raillerie M. Fodéba Kéita et son collaborateur Moriba Makassouba. C’est dans ce climat moral déprimant que j’ai vécu quinze mois à Somaya d’où j’ai été ramené en septembre 1964 à Conakry — manu militari — après 45 jours de grève de la faim. 

Au Bloc de Camayenne où je resterai jusqu’en septembre 1966, je retrouve des camarades détenus et une ambiance nouvelle. Le 19 février 1965, un détenu, ex adjudant-chef de l’Armée coloniale, est chargé de me frapper sur la tête avec une barre de fer. Il s’y prend mal ; le coup porte sur les fesses. « Le président Sékou Touré me demande de te faire disparaître par n’importe quel moyen» déclare M. Fodéba Kéita. 

En juillet 1966, il me fait menotter et laisser nu dans la cellule pendant 24 heures. Je signale au passage que seuls les voleurs sont menottés en prison. 

L’ensemble des détenus du Bloc de Camayenne peut témoigner de l’assiduité indéfectible avec laquelle M. Fodéba Kéita a fait exécuter ses provocations et ses mesures discriminatoires. Il a tout mis en oeuvre pour faire de moi le souffre douleur, le paria de la prison. 

C’est dans cette atmosphère qu’a lieu, le 17 septembre 1966, mon transfert à Macenta où ma détention a continué, avec son cortège d’injures et d’humiliations. 

Le 4 octobre 1967, je suis ramené à la prison de Camayenne ; le 8ème Congrès venait de décider la grâce des détenus politiques des années 1961-1962. 

Je suis mis en liberté à Conakry le 6 octobre 1967. 

Tel est le film rapide de ma détention que je me suis efforcé de vous présenter dans toute son objectivité sans passion, ni haine. Il est émaillé du nom évocateur de M. Fodéba Kéita qui s’est immortalisé dans mes souvenirs par sa détermination d’émasculer les élites de la République de Guinée. 

La suite des événements, S’il en est besoin, va confirmer le caractère personnel et haineux des poursuites secrètes que M. Fodéba Kéita dirige encore contre moi à l’heure actuelle.

Aujourd’hui, au moment où j’écris, il me parle par « phonie » comme au temps de ma détention. Il m’injurie et injurie mes parents en malinké. 

Il se mêle manifestement de ma vie privée qu’il s’efforce de perturber en intervenant quand il le peut auprès de mes interlocuteurs-parents, amis, camarades. 

Mieux, il tente de dérégler ma vie et celle de ma famille. Ma correspondance est lue pendant que je la rédige. Il n’est aucun secret de ma vie que MM. Fodéba et Moriba Makassouba ignorent. 

Leurs activités secrètes n’ont pas cessé ; je sens assez nettement les brûlures et les ramifications qu’ils font subir à mes organes sexuels. Quand ils le peuvent, ils me font injurier par des tiers. Rien ne peut justifier ce comportement. 

Cependant, rappelons quelques déclarations de M. Fodéba Kéita pendant et après ma détention. Il faut dire en liminaire que, pour lui, son bon plaisir est la légalité ; c’est ainsi qu’il n’a pas hésité à me préciser en prison que je suis choisi comme sacrifice humain du président Sékou Touré.

Voilà qui jette une lumière crue sur les ténèbres. Cela relève de la magie. Sacrifice humain du président Sékou Touré, je ne peux plus être un homme à part entière comme les autres. A ce titre, la dignité humaine m’est refusée par nécessité magique. Il m’a été révélé par Fodéba Kéita que le meilleur sacrifice humain du Président aurait été M. Barry Diawadou, ancien ministre et ancien ambassadeur, épargné en raison de sa naissance et de sa forte personnalité. Il fallait un homme de l’opposition. Le choix est tombé sur moi. De temps en temps, M. Barry Diawadou reçoit, lui aussi, les mêmes injures que moi. Mais il a l’avantage de ne pas les entendre. 

M. Fodéba Kéita aurait été, à ce qu’il a dit, très heureux de l’avoir à sa discrétion en cellule. Il lui aurait rappelé qu’en 1957, il a dirigé de loin une expédition de Foulahs BAG contre sa maison et sa personne.

J’ai donc une explication à ma déchéance physique et morale. Elle n’est pas le fait du PDG liberte—dignite qui s’honore d’avoir un grand respect pour le Peuple, pour sa liberté et sa dignité. Le pays, dans sa quasi unanimité, ignore cette situation qui sait utiliser les ombres et les camouflages imperceptibles. Sur un plan qui ne s’embarrasse pas des scrupules du commun des mortels, M. Fodéba Kéita a toute latitude pour faire ce qu’il a fait, ridiculiser les principes du PDG et la légalité républicaine.

Mon martyre dit assez éloquemment qu’il est maître en Guinée, un maîre conscient de son autorité, décidé à la faire sentir, parfois même au mépris des institutions démocratiques du pays. 

Le 6 octobre 1967, au moment de ma mise en liberté, il m’a dit par « phonie » que je suis provisoirement libre et que ma place est toujours prévue au Bloc de Camayenne

Au surplus, il m’a invité à garder par devers moi la dotation d’habits et d’effets de la prison. L’on comprend ainsi qu’il attache ses pas aux miens et qu’il me poursuive comme mon ombre. 

Je suis en effet surveillé de jour et de nuit comme un élément dangereux. Des appareils perfectionnés permettent de suivre mes moindres actes et d’enregistrer jusqu’aux plus menus de mes propos. Dans ma chambre à coucher, les « phonies » sifflent jour et nuit comme jadis dans ma cellule. 

MM. Fodéba Kéita et Moriba Makassouba connaissent mon corps autant que moi même. Ils en savent les qualités et les défauts. Mes rapports intimes avec ma femme n’échappent pas à leur vigilance ; en effet, ils contrôlent si l’impotence sexuelle qu’ils veulent provoquer en moi se confirme. 

J’entends distinctement leur dialogue conventionnel émaillé de gros mots et d’ironie. 

De Conakry, M. Fodéba Kéita peut parler à chacune de nos 29 régions administratives et à tout Guinéen dans la plus grande discrétion. Il agit d’autant plus violemment qu’il est sûr de n’être jamais découvert. 

J’ai cherché auprès des autorités supérieures de la nation, du Chef de l’Etat en premier lieu, des explications et de justifications qui n’ont pu être données.

M. le Président de la République m’a dit en janvier 1968 ne pas connaître les activités incriminées de son ministre. Il a promis de me confronter avec M. Fodéba Kéita. Cette confrontation est toujours attendue. J’ai par ailleurs rendu compte de cette situation au ministre d’Etat, El Hadj Saïfoulaye Diallo et au ministre du Développement économique M. Ismaël Touré qui, le 31 janvier 1968, a pris l’initiative d’une réunion commune avec M. Fodéba Kéita 1. En ouvrant la séance, le ministre avait déclaré : « Il s’agit, entre frères, d’une réunion d’où peuvent naître des rapports nouveaux ».

En réponse, M. Fodéba Kéita a déclaré ne s’être jamais occupé de police secrète encore moins de tortures Actuellement « vendeur de charrues et de tracteurs » 2 il a, dit-il, toujours eu pour moi de bons sentiments. Sur ce dernier point, il n’y a pas de preuve que je sache. Il y a au contraire, des faits précis à rappeler contre M. Fodéba Kéita.

  1. Au mois de mai 1958, ministre de l’Intérieur sous la Loi-cadre, il a demandé par écrit au Procureur de la République M. Dupuy Doureau de tout mettre en oeuvre pour obtenir ma condamnation par le Tribunal de Première instance de Conakry devant lequel je devais comparaître. J’ai été effectivement condamné à 4 mois de prison ferme et à 100 000 francs d’amende. Ce jugement rendu à huis clos a été cassé, considéré comme nul et non avenu par la Cour d’Appel de Dakar en septembre de la même année.
  2. En janvier 1961, il a lancé mon nom comme candidat aux élections présidentielles. Le PDG avait déjà donné l’investiture au président Sékou Touré à la Conférence de Kissidougou à laquelle je n’ai pas . assisté. Loin de moi l’idée d’une telle candidature. Par cette manoeuvre, M. Fodéba Kéita voulait indisposer contre moi et l’opinion publique et le chef de l’Etat.
  3. Quelques jours avant mon arrestation en novembre 1961, il m’a convoqué à son domicile personnel où il m’a demandé de prendre au CP1 de mon école une fillette qui lui serait envoyée de Siguiri. Bien qu’ayant accédé à cette demande, la candidate ne s’est jamais présentée à l’école de Dixinn. J’ai compris plus tard. En prison, il m’a expliqué qu’il s’agissait de m’attirer dans un piège policier et c’était ce jour même qu’il devait m’arrêter. Il a préféré. temporiser.
  4. Toujours en prison, il m’a révèlé qu’il s’est toujours opposé à ce qu’une promotion politique me touche. Notamment, il dit avoir refusé en juillet 1959 ma nomination au poste de ministre de l’Éducation nationale, nomination qui avait été largement annoncée dans l’opinion publique et à moi-même.
  5. Sous la haute direction de M. Fodéba Kéita, aucun détenu n’a eu, autant que moi, à souffrir de la faim. A titre indicatif, en 1964 j’ai passé 55 jours d’affilée sans manger un plat de riz.

Ces quelques faits, parmi tant d’autres, infirment les bons sentiments théoriques de M. Fodéba Kéita à mon égard.

A l’issue de la réunion du 31 janvier 1968 avec le ministre Ismaël Touré, il a déclaré qu’il a décidé de nier les faits par prudence puisque, dit-il, le Président lui-même n’a pas voulu reconnaître sa responsabilité dans cette affaire. Cet aveu prouve que je n’accuse pas M. Fodéba Kéita avec lequel je n’ai jamais eu aucun affrontement, même pas la plus petite discussion.

Il est donc bel et bien le chef de la Police secrète, celui qui m’a torturé en prison et qui me surveille actuellement avec la collaboration fraternelle de El Hadj Moriba Makassouba, secrétaire d’État à la Fonction publique et au Travail.

Au cours d’une audience qu’a bien voulu m’accorder, le ministre de la Défense de la Révolution3, j’ai pu m’assurer que l’ensemble du système de la Police secrète n’a pas changé de titulaire à l’occasion du remaniement ministériel intervenu en 1965. Ce haut magistrat n’a pu cacher son étonnement à l’audition de mes ennuis. Un autre étonné, le ministre des Affaires étrangères que j’ai contacté en tant que membre du BPN.

La situation ainsi créée est parfaitement claire pour la victime que je suis. Pour prouver ce que j’av . ance, je ne e peux invoquer aucun témoignage formel en raison du caractère profondément discret et personnel des actions menées contre moi. Mais il est possible de contrôler l’existence et l’emploi des «phonies» par lesquelles les uns et les autres sont touchés et priés d’agir. Quant aux brûlures et dégradations physiques, on n’a pas besoin d’expertise médicale pour en retrouver les séquelles.

Pour ce qui est de la détention, j’invoque le témoignage des officiers et sous-officiers ci-apres désignés, qui ont eu à nous garder en prison :

  • Officier
    • Commandant Kourouma Soma (Général à la retraite depuis 1984)
    • Lieutenant Kourouma Karfa
    • Lieutenant Touré Siaka
    • Lieutenant Cissé Oumar
    • Lieutenant Mara Kalil
    • Lieutenant Camara Kaba
    • Lieutenant Henri [Tofani]
    • Lieutenant Konaté Mansa
  • Sous-officiers
    • Adjudat-chef Condé Amadou (Gendarme)
    • Adjudant Sylla
    • Margis-chef Koïkoï
    • Margis-chef Zézé
    • Margis-chef Djoumbouya Moussa
    • Sergent Camara Kémoko
    • Brigadier-chef Doumbouya Moriba

Ces gradés m’ont toujours entendu me plaindre de M. Fodéba Kéita ; la voix que j’entendais par «phonie » en prison de 1961 à 1967 est toujours la même. Elle n’a pas changé. Je l’ai tellement entendue à Macenta, sur tout le parcours de Conakry à cette ville. je l’ai entendue inchangée à Kindia, Mamou, Dabola, Kouroussa, partout où je me trouve, comme une éternelle malédiction du Ciel.

Le fond moral de nos rapports de haine et d’arbitraire n’a pas varié. Pour M. Fodéba Kéita, la conquête du pouvoir est un mythe tant que ses ennemis ne sont pas anéantis ; telle est sa doctrine en matière de politique générale et de politique gouvernementale.

Ainsi, il nie toute contribution apportée à la Révolution par un mouvement autre que le PDG. Cependant, au premier meeting organisé au Cinéma Vox le 9 octobre 1958, le président Sékou Touré a déclaré entre autres :

En rejetant la Constitution, le PDG, la Section PRA et tous les mouvements démocratiques ont opté pour l’Indépendance, estimant que ce choix était le seul choix conforme à l’évolution historique des peuples.

Autres citations du Président :

Je sais que malgré la force du PDG, le régime colonial croyait que nos frères du PRA, nos frères d’autres organisations syndicales que l’U GTAN auraient accepté la corruption pour essayer de légitimer ce qui était envisagé pour la Guinée et dont nous avons connu la réalité dans la caffipagne électorale au Niger : la fraude, la brutalité, la force, l’imposition.

La victoire est celle des Guinéens qui ont placé les destinées du pays au-dessus de tout, alors qu’ils étaient divisés par des morts, par de nombreux prisonniers, par les injures les plus blessantes, par douze années de lutte féroce.

L’unité politique est scellée et nous demandons à tous les responsables du PDG d’oublier ce qui les a opposés au PR A et dans les Comités de quartier, dans les soussections de chaque cercle comme sur le plan national, nous leur enjoignons de fraterniser, côte à côte, afin que le programme de la jeune Nation soit rapidement traduit en réalités concrètes..

Paroles pleines de noblesse, conformes à l’évolution de l’humanité qui, tout le long des siècles, est témoin des oppositions et des réconciliations des diffèrentes couches des peuples.

Dans ce domaine, la Guinée ne s’est pas frayée une voie nouvelle ; de tout temps l’intérêt supérieur du pays passe avant les préoccupations des factions et des particuliers.

La chance de notre jeune nation a été de transcender ce sublime enseignement de Mistoire. Ainsi la réconciliation des Guinéens au sein du PDG est un des sommets, peutêtre le plus exaltant, de la vie politique passée. Dans l’esprit de ceux qui l’ont réalisée — ceux qui l’ont spontanément décidée et ceux qui l’ont acceptée — il n’y a pas que je sache piège, désir secret d’assouvir rétroactivement quelque haine inexpugnable, corps étranger dans la doctrine et la philosophie du PDG. Je dois cependant rappeler ici que, selon M. Fodéba Kéita, le président Sékou Tourème considère comme son ennemi le plus irréductible et, aussi le plus mal vu en secret. C’est là un cas indiyiduel qui ne modifie en rien l’attitude générale du PDG, parti national, tout à l’honneur de la République de Guinée.

A tort ou à raison, l’opinion publique a toujours entretenu l’idée de l’hostilité du Chef de l’État à mon égard. Le fait est que je n’ai personnellement rien sur la conscience qui soit action ou sentiment blâmable à l’endroit du PDG et de ses cadres. Mon adhésion au PDG, au lendemain de l’Indépendance, comme mon action en tant que travailleur de la Fonction publique et militant du parti sont dépouillés de tout calcul. Elles peuvent à tout moment et en tout lieu servir de tests de ma bonne foi et de mon désir d’apporter ma contribution à la Révolution. Mais les faits demeurent et «toute une ville ne peut pas mentir ».
Si, dans votre générosité, vous avez, en conducteur d’hommes, dépassé les mesquines contingences et accepté d’être le

Président de tous les Guinéens, en oubliant les divisions politiques et syndicales d’hier, je dois à la vérité de vous dire que je n’ai pas bénéficié de cette mesure générale. Le traitement particulier que j’ai connu en prison, l’acharnement de la police secrète contre moi sont justifiés par M. Fodéba Kéita comme des représailles de votre part. On ne saurait, en tout état de cause, leur trouver de signification plus plausible ; et si je dois rendre un hommage à M. Fodéba Keita, ce sera pour rappeler qu’il se réclame invariablement de votre haute autorité pour consommer les actions noires que je connais.

Une fois de plus, je vous en rends compte, en tant que Premier magistrat, Responsable suprême de la Révolution, tribune morale singulièrement au-dessus de la mêlée, à laquelle justice doit être demandée.

Le 2 décembre 1963 à Somaya, arrondissement de Coyah où j’étais isolé, M. Fodéba Kéita m’a déclaré : « Je te poursuis jusqu’au dernier souffle. Aucun médecin ne saura comment tu t’es éteint ». Depuis bientôt 10 mois que je suis en liberté, il travaille d’arrache pied à son oeuvre.

Au plus fort des tortures, alors qu’aucune lueur d’espoir n’éclaire notre horizon, j’ai gardé intact ma foi en l’avenir du pays. Aussi je veux croire, je crois qu’envers et contre tout vous aurez à coeur de remplir entièrement votre mission historique à la tête du PDG et de la République de Guinée.

Je veux croire que vous voudrez bien faire mettre fin à mon long et douloureux martyre.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments de très haute considération.

Conakry, le 25 juillet 1968

Koumandian Keita

 

Notes [T.S. Bah]
1. Cet acte indique une certaine décrispation. Mais le feu qui couve sous l’insécurité paranoiaque de Sékou Touré. L’explosion se produit en fin d’année après le renversement de Modibo Keita, le 19 novembre 1968, — succédant à la chute de Nkrumah réfugié à depuis 1966. Le sort de Fodéba était scellée et quelques mois plus tard, en mars 1969, il était inculpé dans le complot Kaman-Fodéba et fusillé nuitamment le 26 mai 1969.
2. L’expression « vendeur de charrues et de tracteurs » révèle l’état d’esprit de Fodéba, après le faux complot Petit Touré en 1965 . A la suite de cette affaire, il fut transféré du ministère de la défense nationale et de la sérité au département de l’économie rurale. Mais il était déjà perdu … Au cours d’un interrogatoire au Camp Boiro Ismael Touré indiqua à Portos que Sékou Touré et lui avaient procédé à la liquidation politique et physique de Fodéba sans laisser de traces.

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