Dans cette ville du massif du Fouta-Djalon, au centre de la Guinée, pas un quartier n’a été épargné par les départs de jeunes vers l’Europe. Beaucoup ont disparu sur la route. Les autorités et organisations internationales ne cessent de sensibiliser les habitants sur le sujet mais les départs se poursuivent. Pis, ils concernent des adolescents de plus en plus jeunes.
La gare routière de Mamou grouille de son agitation quotidienne. Les vieux taxis jaunes attendent les clients alignés dans la poussière. Ils ne partiront qu’une fois remplis. À certains endroits, le marché, qui s’étale le long de la route, déborde dans la gare en plein air. Ici, une femme fait griller des épis de maïs. Plus loin, une forte odeur de poisson séché saisit les narines. En ce milieu de matinée, voyageurs et commerçants cherchent déjà l’ombre. La chaleur est étouffante.
Difficile dans ce chaos de repérer qui voyage en famille, quel couple part en visite au village et quels jeunes visent une destination bien plus lointaine. D’abord le Mali, puis sans doute l’Algérie, la Libye et, au bout du chemin, l’Europe.
La gare routière de Mamou est devenue depuis les années 2013-2014 un important lieu de départ. Connue par tous les Guinéens comme la « ville carrefour », Mamou doit son surnom aux routes qui la traversent et permettent de relier aussi bien le sud forestier de la Guinée que la frontière malienne au nord. Ces dernières années, les départs de jeunes sont devenus tellement fréquents que les autorités ont été contraintes de réagir. Le pays voit de plus en plus de jeunes adolescents prendre la route.
Vigilance sur les routes
À une extrémité de la gare routière, les locaux de l’Union des transporteurs de Mamou sont plongés dans l’obscurité à cause d’une des nombreuses coupures d’électricité quotidiennes. Assis sur un coin de bureau, Montaga Sow, le secrétaire de l’organisation, explique que les différents syndicats de chauffeurs sont aujourd’hui sensibilisés à la question du départ des jeunes. Les autorités comptent sur eux pour repérer les groupes d’adolescents qui voyagent sans adulte et prennent des taxis pour se diriger vers les villes frontalières du Mali.
Les chauffeurs sont incités à poser des questions aux enfants et, s’ils ont un doute, à s’arrêter à la gendarmerie pour faire prévenir les parents. « Il y a à peine une semaine, cinq jeunes sont partis en taxi de Banian [à 250 km à l’est de Mamou ndlr]. Ils cherchaient à aller à Bamako. Ils avaient de 8 à 16 ans. La gendarmerie de Faranah les a repérés, ils nous ont appelés et ont prévenu les parents. Les gendarmes de Mamou les ont guettés sur le bord de la route et ont pu les arrêter », raconte-il.
Mais le système ne fonctionne pas encore parfaitement, déplore Mamadou Gando Diallo, membre du Syndicat national des transporteurs de Guinée, qui participe à la conversation. « Le chauffeur qui les avait pris à bord ne s’était pas posé de questions, il ne pensait qu’à l’argent », s’énerve-t-il, casquette en tweed sur le crâne et ample chemise bleu clair sur le dos.
Montaga Sow et Mamadou Gando Diallo sont tous deux membres des syndicats de transporteurs de Mamou. Ils incitent les chauffeurs de taxi à la vigilance sur le départ des adolescents. Crédit : Julia Dumont
Ces derniers mois, les deux syndicats de transporteurs de Mamou ont reçu la visite de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) avec laquelle ils collaborent désormais pour intercepter les jeunes avant qu’ils ne passent la frontière.
Mais le business du départ vers l’Europe s’adapte. Depuis que les chauffeurs se montrent plus vigilants, les jeunes ont commencé à changer de mode de transport. « Maintenant, ils montent plutôt dans les bennes des camions au niveau du carrefour de Séré, à 7 kilomètres à la sortie de Mamou », explique Montaga Sow. Selon lui, le carrefour est même devenu le lieu où les passeurs viennent à la rencontre des candidats au départ. « Ils se font parfois passer pour des proches pour ne pas attirer les soupçons », ajoute-t-il.
Partir pour réussir
La Guinée a toujours été un point de départ vers les pays de la sous-région, Côte d’Ivoire et Sénégal en tête. « En 2014, les Guinéens représentaient 47% des étrangers vivant au Sénégal », rappelle Mohamed Dougouno, chef du sous-bureau de l’OIM pour la région de Mamou et Labé qui a été ouvert en 2017.
Comme ailleurs en Guinée, la pauvreté et le chômage massif poussent les jeunes de Mamou à rêver d’Europe, perçu comme un eldorado. Depuis les années 1980 et la mort du président Sékou Touré (en 1984), la plupart des usines de Guinée ont fermé et le chômage a explosé.
La région est également majoritairement peule. Pour cette ethnie nomade présente dans une quinzaine de pays d’Afrique de l’ouest, le voyage est une tradition, un rite initiatique : on part pour devenir un homme. « Ici, un migrant est perçu comme quelqu’un qui peut améliorer les conditions de vie de sa communauté. Les gens sont persuadés que pour réussir, il faut partir », souligne le responsable.
Pour lui, ces dernières années, une « fièvre migratoire s’est emparée de la jeunesse guinéenne ».
À Mamou, les départs de jeunes pour l’Europe ont commencé il y a cinq ans dans les quartiers de Loppet, de l’Abattoir, de Pétel et de Horé-Fello. À ce moment-là, se souvient Mamoudou Barry, journaliste et enseignant à Mamou, une forme de concurrence entre quartiers se serait installée et aurait ensuite poussé les jeunes des 24 autres faubourgs de Mamou à se lancer sur les routes de l’exil.
« Il n’y a pas un seul quartier qui n’ait pas été concerné par ce problème […] En 2016-2017, à chaque fois que l’on apprenait qu’il y avait eu un naufrage, il y avait des jeunes de Mamou qui figuraient parmi les disparus », raconte-il.
« Tous les matins nous étions informés qu’il y avait eu des départs »
Aujourd’hui, la mairie et la préfecture affirment que le nombre de départs est moins important qu’en 2016-2017 mais il n’existe aucune statistique précise pour le certifier. Généralement, au bout de quelques jours d’absence d’un jeune, la famille vient signaler son départ à la préfecture. « Dans les années 2017-2018, tous les matins nous étions informés qu’il y avait eu des départs », se souvient Fodé Samoura, directeur préfectoral de la jeunesse, dans son lumineux bureau de la préfecture.
Élégant dans son costume marron, revêtu pour la prière du vendredi qui va commencer dans quelques heures, il confie que son propre fils a tenté de rejoindre l’Europe. « J’ai des contacts à la frontière qui m’ont permis de le repérer et je suis allé le chercher à Bamako. »
Si le fils d’un employé de la préfecture, dont les études et les frais du quotidien sont assurés par sa famille, n’hésite pas à prendre la route, qu’est-ce qui pourra bien retenir les autres ?, questionne le directeur préfectoral.
« Toute la ville pleurait »
Personne n’a comptabilisé le nombre exact de jeunes disparus sur la route de l’exil mais chacun se souvient d’une journée de 2017 particulièrement funèbre. Ce jour-là, près d’une quarantaine de familles de Mamou ont appris qu’un de leurs enfants était mort noyé en Méditerranée.
« Toute la ville pleurait », se souvient Mamadou Saliou Diallo, le président de la ligue de football de Mamou. L’homme souriant et replet raconte que l’équipe préfectorale de Mamou a récemment été déclassée au sein de la ligue de football. Entre 2013 et 2016, 37 de ses jeunes talents sont partis.
« Les jeunes parlent de l’Europe à longueur de journées », déplore Mamadou Saliou Diallo, le président de la ligue de football de Mamou. Crédit : Julia Dumont
« Ils parlent de l’Europe à longueur de journée », affirme le coach. Dans son quartier, plus de 70 jeunes sont déjà partis. Alors, au sein du club de foot de Mamou, qui rassemble de très nombreux enfants de la ville, Mamadou Saliou Diallo et les autres entraîneurs tentent de faire passer des messages de prévention. « On leur parle souvent des dangers qui les guettent », détaille-t-il.
Impliquer les familles
Les autorités de la ville ont compris – un peu tardivement – que la sensibilisation devait également passer par les familles. Ce sont parfois elles qui incitent les jeunes au départ. La mairie a donc mobilisé les chefs de quartiers et les imams pour que, dans leurs rencontres avec les habitants ou lors des prêches du vendredi, ils les convainquent des dangers de l’exil.
La radio rurale de Mamou a également été sollicitée pour toucher les jeunes. L’année dernière, le gouvernement a demandé à la station de mettre en place des programmes de sensibilisation sur l’immigration irrégulière. Depuis, des émissions sur ce thème sont régulièrement organisées. Des migrants rapatriés de Libye par l’OIM sont invités à venir raconter le calvaire qu’ils ont vécu sur la route de l’exil et des membres de la diaspora installés en Europe sont mobilisés pour raconter leurs conditions de vie. Les journalistes de la radio rurale de Mamou organisent régulièrement des émissions sur les dangers de l’immigration irrégulière. Crédit : Julia Dumont
Le poids de réseaux sociaux
Pourtant, toutes ces initiatives ne pèsent pas bien lourd face au pouvoir des réseaux sociaux. Chaque jour, Facebook, Twitter et Instagram présentent une image fantasmée des départs.
Ousmane*, 16 ans, a été tenté. Assis sur l’un des larges fauteuils noirs du salon de ses parents, l’adolescent raconte qu’il y a deux ans, il était sur le point de quitter Mamou avec des amis pour se lancer sur la route de l’exil. Pourtant, Ousmane est scolarisé, ainsi que son grand frère. Leurs deux parents travaillent et subviennent à leurs besoins. Malgré cela, les garçons s’inquiètent pour le financement de leurs études supérieures. C’est en apprenant sur Internet les sévices infligés aux migrants en Libye qu’Ousmane a finalement renoncé.
Comme lui, Mamadou Téli, 16 ans, a commencé à rêver d’Europe en surfant sur Facebook. Élevé au sein d’une famille monoparentale très pauvre, l’adolescent est parti après avoir vu la photo d’un ami devant la tour Eiffel, qu’il appelle « le poteau de Paris ».
« Depuis qu’il est revenu, il a changé »
À l’ombre de la petite maison où il vit avec sa mère et dix autres enfants, l’adolescent parle avec difficultés de son exil, de la Libye, de son rapatriement. Certaines questions restent sans réponse. Le jeune homme, en t-shirt de foot vert et jean lacéré, assis sur un très petit tabouret de bois, fixe le sol des yeux. L’exil et le passage en Libye ont transformé l’adolescent. « Depuis qu’il est revenu, il a changé », souffle sa mère. Autrefois communicatif, il est revenu de son périple mutique et prostré.
Assise à ses côtés, sa mère partage son regard triste. Elle semble épuisée. Depuis la mort de son mari et de sa co-épouse il y a des années, elle doit subvenir aux besoins de 11 enfants avec le seul salaire de son petit commerce.
Depuis que Mamadou Téli est revenu, l’adolescent a repris l’école. Aujourd’hui, le jeune homme assure qu’il souhaite poursuivre ses études à Mamou. Sur le terrain de football improvisé en bas du quartier où vit la famille, une vingtaine de jeunes garçons s’entraîne à taper dans le ballon. Comme chaque après-midi, Mamadou Téli se joint à eux. Au milieu des jeunes, de son âge, lorsqu’il mène sa balle vers le but placé sous les grands arbres qui bordent le terrain, les soucis se dissipent. Le visage de l’adolescent se détend enfin.
Lorsque Mamadou Téli est rentré en Libye, l’OIM a financé une petit boutique pour sa mère afin qu’elle puisse subvenir à ses besoins. Crédit : Julia Dumont
Par
Infomigrant.net
D’accord globalement avec le post de Youssouf Bangoura. Il y avait sous AST quantité d’usines et de fabriques, c’est une réalité concrète qu’il ne faut pas nier parce que l’on reproche à AST sa gestion autocratique. L’argumentation pour les démanteler et les brader à des « hommes d’affaires » qui ne connaissaient pas le métier n’apparait plus très solide quand on constate l’incapacité de certaines entreprises privées à fournir des biens à un prix abordable pour les revenus modestes. Même en Europe, un article récent du Monde diplomatique (mai 2019), montre que la privatisation et le découpage en plusieurs entités (production, distribution,… Lire la suite
Baren
Sachez que le RPF,RPR,’UDF,UMP,SFIO etc… ne recrutent plus de militants en France,ils sont tous mort mais le peuple français est toujours là.
Ils ont beau changé de noms aujourd’hui c’est RN qui domine le conglomérat de réfugiés qui sont dans (LERM_Modem_Agir ) .
Le PS s’est dessous dans l’APR au Sénégal .
Le PDCI peine à existé en Côte d’Ivoire.
Il n’y a que les anglophones qui ont encore les partis historiques en vies comme leur colonisateur.
@Le Pan-Africain, merci pour ces éclaircissements. Je confirme le commentaire de Mme Mariama: dans les années 70, les destinations des Guinéens fuyant la terreur du PDG et son corollaire le marasme économique étaient les pays voisins, notamment la Côte-d’Ivoire et le Sénégal. En Côte-d’Ivoire, où une partie de ma famille s’était exilé après l’assassinat de notre père au Camp Boiro et les persécutions contre d’autres membres de la famille, une bonne partie des professeurs de lycée étaient de la Guinée. À part les professeurs, il y avait aussi beaucoup de Guinéens moins qualifiés exerçant les petits métiers à Adjamé, Treichville,… Lire la suite
@Oumar Maci Bah, le Fouta est une region montagneuse qui malgre ses ressources en eau, en terres arables a des problemes de transport enormes qui font qu’il est tres difficile d’evacuer tout surplus vers d’autres regions. Les sous prefectures qui s’en sortent plus ou moins comme Timbi Madina ont un meilleur acces a ces moyens de transport par contre il y a plusieurs villages totalement enclaves. Dans un tel contexte, les jeunes vont en ville pour essayer de gagner leurs vies. Malheureusement il n y a pas d’energie electrique, pas de politique locale ou regionale pour creer des emplois et… Lire la suite
@Shams Deen et Youssouf Bangoura
Vous avez une mémoire sélective car sous votre fama et son PDG, plus d’un tiers de la population du pays s’est exilé. Seulement à l’époque les lieux de destination étaient les pays frontaliers (Sénégal, Côte D’Ivoire, Sierra Leone, Liberia, Mali). Les milices du PDG postées aux frontières terrestres tiraient à vue sur les personnes qui fuyaient l’enfer Guinéen. Aujourd’hui par contre la nouvelle vague de candidats à l’exil tentent d’atteindre l’Europe par voie terrestre et maritime. Vos usines mon œil.
Les parents sont plus que jamais sollicités pour lutter contre ce fléau à travers l’éducation de leurs enfants. Certes il y a une tradition de mobilité chez les Peuls mais je remarque que leurs cousins du Nigéria, du Cameroun, du Niger et même du Mali émigrent très peu vers l’Europe. Il serait intéressant de savoir pourquoi, d’autant plus que la Guinée est mieux dotée en eau et en ressources de toutes sortes. L’État a certainement aussi ses responsabilités.
Je pense que cest insulter l’intelligence des guineens que de suggerer qu’ils ne savent pas que ce qui est bien pour eux. Encore une fois, si la solution etait le communisme tropical et son corrollaire de la « Revolution Permanente », les guineens auraient continue a soutenir le PDG/AST. Mais meme les nostalgiques les plus sinceres de AST ne reclament une telle abomination.
Patriote Yousouf Les ennemis de la vérité lorsqu’on les oppose le fait que le grand sily s’était efforcé à doté nos régions d’embryons d’industries et donc la fixation des gens ,ils disent que toutes les unités de productions étaient déficitaires comme si ces unités avaient pour buts le profit sur le dos du peuple pour lequel ont été implantées ces petites industries. À part Conakry qui se remet petit à petit ,toutes les villes de l’intérieur du pays vivent des réceptions plus ou moins grandioses c’est selon la profondeur de la poche du voleur attitré . Mais ce qui m’a… Lire la suite
C’est cela la vérité, avec Sekou Touré, certes les familles n’étaient pas riches mais beaucoup travaillaient, il y avait des usines partout et pour tout le monde .Après sa mort, on a tout bradé, plus de 100.000 guinéens ( péres et mères de familles ) se sont retrouvés sur le carreaux sans espoir . La pauvreté en Guinée s’empire chaque jour, ajouter à cela les images idylliques de l’Occident envoyées par les télés, les réseaux sociaux et mêmes par des guinéens qui y vivent . les guinéens qui y vivent ne disent jamais le calvaire qu’ils rencontrent, la nostalgie du… Lire la suite