« La Charte de Kurukan Fuga » : mythe ou …. ?

Bokoum

À quand remonte le premier texte dans le genre d’une déclaration des droits de l’homme ? A la déclaration universelle des droits de l’homme en 1789 ou à la charte de Kouroukan fouga qui serait originaire de l’empire du Mali (aussi appelé le Mandé, Mandén ou Mandingue), dont la datation remonterait au 13ème siècle ? L’Afrique serait-elle aussi « le berceau des droits de l’Homme » ?

Le débat fait rage sur les réseaux sociaux. Ce papier a pour but, de susciter le débat autour de ce que les uns qualifient aujourd’hui de « mythe », les autres de « réalité historique authentique ». Qu’en est-il en réalité ? En attendant d’autres contributions, votre site préféré vous propose un premier jet* de l’écrivain, dramaturge, et metteur en scène guinéen Saïdou Nour Bokoum

« La charte charte du Mandé1, charte de Kouroukan Fouga, ou encore, en langue malinké, Manden Kalikan, est la transcription d’un contenu oral, lequel remonterait au règne du premier souverain Soundiata Keita qui vécut de 1190 à 1255. Elle aurait été solennellement proclamée le jour de l’intronisation de Soundiata Keïta comme empereur du Mali à la fin de l’année 1236. Il n’en existerait pas de trace écrite antérieure aux années 1960 et son authenticité est mise en doute par plusieurs chercheurs2. Il existe plusieurs textes de la Charte .

Que Wa Kamiissoko et Youssouf Tata Cissé soient initiateurs et transcripteurs du Serment des chasseurs bamanas-maninkas n’est pas l’essentiel de mon argumentation. En ce temps là, le temps antédiluvien de « Kontron ni Sanène » auquel leur serment des chasseurs se réfère, il n’y avait pas de Malien ou Bamanan ! Le fond de notre débat est que :

1° Le KF auquel se réfèrent les thuriféraires de je ne sais quel Mandingues fut rédigé à Kankan en 1998

2° Il est esclavagiste

3° Il est monarchiste : la famille régnante est KEITA

4°Ce n’est pas lui qui est inscrit au patrimoine immatériel de l’ Unesco

Tout ce qu’ils racontent ad hominem, « des aigris, des communautaristes », et autres billevesées, n’est que mal de tête. Ici j’ai fini pour moi en mettant face à face les deux textes. Lisez s’il vous en reste du « horonya » (Ousmane Kaba)

LA CHARTE DE KURUKAN FUGA

« La Charte de Kurukan Fuga reproduite ici, est une version collectée en Guinée à l’issue d’un atelier régional de concertation entre communicateurs traditionnels et modernes (Kankan : 3-

12 Mars 1998). Ce sont les traditionistes qui ont déclamé le texte ; celui-ci a été ensuite transcrit et traduit, avec l’aide des linguistes guinéens et sous la supervision de Mr. Siriman Kouyaté – magistrat et traditioniste (sa famille est gardienne du sosobala, à Niagasole,

Guinée). S. Kouyaté a, ensuite structuré La Charte, sans altérer l’essentiel, dans le sens des textes juridiques modernes en vue de le rendre lisible aux contemporains (le texte original malinké existe sur la banque de données numériques ARTO).

LA CHARTE DE KURUKAN FUGA :

1.La société du grand mandé est divisée en seize (16) porteurs de carquois, cinq (5) classes de

marabouts, quatre classes (4) de nyamakalas. Chacun de ces groupes a une activité et un rôle

spécifiques.

2. Les nyamakalas se doivent de dire la vérité aux Chefs, d’être leurs conseillers et de défendre par

le verbe les règles établies et l’ordre sur l’ensemble du royaume.

3. Les morikanda Lolu (les cinq classes de marabouts) sont nos maîtres et nos éducateurs en islam.

Tout le monde leur doit respect et considération.

4. La société est divisée en classes d’âge. A la tête de chacune d’elles est élu un chef. Sont de la même classe d’âge les personnes (hommes ou femmes) nées au cours d’une période de trois années consécutives.

Les Kangbès (classe intermédiaire entre les jeunes et les vieux) doivent être conviés pour participer à la prise des grandes décisions concernant la société.

5. Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort.

6. Pour gagner la bataille de la prospérité, il est institué le Kön ̈gbèn Wölö (un mode de surveillance) pour lutter contre la paresse et l’oisiveté.

7. Il est institué entre les mandenkas le sanankunya (parenté à plaisanterie) et le tanamanyöya (forme de totémisme). En conséquence, aucun différent né entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle.

Entre beaux-frères et belles-sœurs, entre grands parents et petits-enfants, a tolérance et le chahut doivent être le principe.

8. La famille Keïta est désignée famille régnante sur l’empire.

9. L’éducation des enfants incombe à l’ensemble de la société. La

puissance paternelle appartient en conséquence à tous.

10. Adressons-nous mutuellement les condoléances.

11. Quand votre femme ou votre enfant fuit, ne le poursuivez pas chez le voisin.

12. La succession étant patrilinéaire, ne donnez jamais le pouvoir à un fils tant qu’un seul de ses pères vit.

Ne donnez jamais le pouvoir à un mineur parce qu’il possède des liens.

13. N’offensez jamais les nyaras.

14. N’offensez jamais les femmes, nos mères.

15. Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari.

16. Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes doivent être associées à tous nos

Gouvernements.

17. Les mensonges qui ont vécu 40 ans doivent être considérés comme des vérités.

18. Respectons le droit d’aînesse.

19. Tout homme a deux beaux-parents: Les parents de la fille que l’on n’a pas eue et la parole qu’on a prononcé sans contrainte aucune. On leur doit respect et considération.

20. Ne maltraite pas les esclaves, accordez leur un jour de repos par semaine et faites en sorte qu’ils cessent le travail à des heures raisonnables. On est maître de l’esclave et non du sac qu’il porte.

21. Ne poursuivez pas de vos assiduités les épouses: du Chef, du voisin, du marabout, du prêtre, de l’ami et de l’associé.

22. La vanité est le signe de la faiblesse et l’humilité le signe de la grandeur.

23. Ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur.

24. Ne faites jamais du tort aux étrangers.

25 Le chargé de mission ne risque rien au Mandé.

26. Le taureau confié ne doit pas diriger le parc.

27. La jeune fille peut être donnée en mariage dès qu’elle est pubère sans détermination d’âge. Le choix de ses parents doit être suivi quelques soit le nombre des candidats.

28. Le jeune homme peut se marier à partir de 20 ans.

29. La dote est fixée à 3 bovins: un pour la fille, deux pour ses père et mère.

30. Venons en aide à ceux qui en ont besoin.

31. Il y a cinq façons d’acquérir la propriété: l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession. Toute autre forme sans témoignage probant est équivoque.

32. Tout objet trouvé sans propriétaire connu ne devient propriété commune qu’au bout de quatre ans.

33. La quatrième mise-bas d’une génisse confiée est la propriété du gardien.

34. Un bovin doit être échangé contre quatre moutons ou quatre chèvres.

35. Un œuf sur quatre est la propriété du gardien de la poule pondeuse.

36. Assouvir sa faim n’est pas du vol si on n’emporte rien dans son sac ou sa poche.

37. Fakombè est désigné Chef des chasseurs. Il est chargé de préserver la brousse et ses habitants

pour le bonheur de tous.

38. Avant de mettre le feu à la brousse, ne regardez pas à terre, levez la tête en direction de la cime

des arbres.

39. Les animaux domestiques doivent être attachés au moment des cultures et libérés après les récoltes. Le chien, le chat, le canard et la volaille ne sont pas soumis à cette mesure.

40. Respectez la parenté, le mariage et le voisinage.

41. Tuez votre ennemi, ne l’humiliez pas.

42. Dans les grandes assemblées, contentez-vous de vos légitimes représentants et tolérez-vous les uns les autres.

43. Balla Fassèkè Kouaté est désigné grand chef des cérémonies et médiateur principal du Mandé. Il

est autorisé à plaisanter avec toutes les tribus, en priorité avec la famille royale.

44.Tous ceux qui enfreindront à ces règles seront punis. Chacun est chargé de veiller à leur application.

En 2009, l’UNESCO a inscrit la Charte du Manden au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. 

LE TEXTE DE LA CHARTE DE MANDEN

(Version transcrite en 1965 par Youssouf Tata Cissé, à partir d’un récit de Fa-Djimba Kanté,)

« Préambule.

Le Manden fut fondé sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir de discrimination ethnique ni raciale au Manden. Tel fut le sens de notre combat. Par conséquent, les enfants de Sanenè et Kòntròn font, à l’adresse des douze parties du monde et au nom du Manden tout entier, la proclamation suivante :

Article 1. Les chasseurs déclarent :

Toute vie [humaine] est une vie.

Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie.

Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable, qu’une autre vie.

De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

Article 2.Les chasseurs déclarent :

Toute vie étant une vie,

Tout tort causé à une vie exige réparation,

par conséquent,

Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,

Que nul ne cause du tort à son prochain,

Que nul ne martyrise son semblable.

article 3.es chasseurs déclarent :

Que chacun veille sur son prochain,

Que chacun vénère ses géniteurs,

Que chacun éduque comme il faut ses enfants,

Que chacun « entretienne » autrement dit pourvoie aux besoins des membres de sa famille.

Article 4. Les chasseurs déclarent :

Que chacun veille sur le pays de ses pères.

Par pays ou patrie,

Il faut entendre aussi et surtout les hommes;

Car tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique [connaîtrait la tristesses et la désolation].

Article 5. Les chasseurs déclarent :

La faim n’est pas une bonne chose;

L’esclavage n’est pas une bonne chose;

Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là

Dans ce bas-monde.

Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,

La faim ne tuera plus personne au Manden,

Si d’aventure la famine venait à sévir;

La guerre ne détruira plus jamais de village au Manden

Pour y prélever des esclaves;

C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche

de son semblable

Pour aller le vendre,

Personne ne sera non plus battu,

A fortiori mis à mort,

parce qu’il est fils d’esclave.

Article 6. Les chasseurs déclarent :

L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,

« d’un mur à l’autre » du Manden;

La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden;

Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.

Quelle épreuve que le tourment !

Surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.

Quelle déchéance que l’esclavage !

L’esclave ne jouit d’aucune considération,

Nulle part dans le monde.

Article 7. les gens d’autrefois nous disent :

L’homme en tant qu’individu,

Fait d’os et de chair,

De moelle et de nerfs

De peau et de poils qui la recouvrent,

Se nourrit d’aliments et de boissons;

Mais son « âme », son esprit vit de trois choses :

Voir qui il a envie de voir,

Dire ce qu’il a envie de dire,

Et faire ce qu’il a envie de faire;

Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme,

Elle en souffrirait,

Et s’étiolerait sûrement.

En conséquence, les chasseurs déclarent :

Chacun dispose désormais de sa personne,

Chacun est libre de ses actes,

Dans le respect des « interdits », des lois de la Patrie,

Tel est le serment du Manden,

À l’adresse des oreilles du monde entier. »

Saidou Nour Bokoum

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*Note de la rédaction: cette contribution du Doyen Saidou Nour Bokoum était destinée à la rubrique commentaire. Pour élargir le débat, et , compte tenu de l’immense intérêt manifesté par nos lecteurs (à travers les nombreux clics enregistrés), nous avons jugé utile d’en faire un article.

Par ailleurs le titre est de la rédaction.

Toutes nos excuses au Doyen Bokoum pour n’avoir pas demandé son avis.