Les rideaux sont enfin tombés sur le fameux et énième dialogue politique guinéen. Dans un pays où le constitutionnalisme et le légalisme sont constamment troqués au profit du marchandage politique qui, hélas, s’est trop souvent soldé par la désillusion et le désenchantement, il n’a guère été surprenant que tout ce brouhaha politique ait pris fin sans avoir suscité d’engouement particulier auprès des populations guinéennes…
{jcomments on}
S’il est vrai qu’à l’exception du départ précipité de M. FayaMillimono du Bloc Libéral, l’ambiance durant les tractations politiques a été bon enfant, force est de constater que la mise à l’écart de l’Union des Forces Républicaines (UFR) de M. Sydia Touré et du Parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) de M. Lansana Kouyaté au moment de la ratification dudit accord, continue d’alimenter les discussions à Conakry et parmi la diaspora guinéenne. Le refus de ces 2 organisations politiques de prendre part à la cérémonie de signature de l’accord précité a été accueilli doublement sur la scène politique guinéenne. D’un côté, des voix se sont élevées pour dénoncer l’acte en prenant pour motif que la constitution guinéenne ne prévoit que 2 types d’organisations politiques, en l’occurrence, la mouvance présidentielle et l’opposition, ce qui par ricochet n’accorde aucune place à une voie parallèle. En Outre, il a été fait remarquer que l’UFR, en particulier, a pris part à ces négociations auprès de l’opposition de façon très active. Partant, il a été soutenu que les signatures apposées sur l’accord du 12 octobre 2016 par messieurs Mamadou Cellou Bah et Aboubacar Sylla au nom de l’opposition devrait s’entendre dans le cadre d’une délégation de pouvoir de ladite organisation politique à 2 de ses membres et représentants. De l’autre côté, une frange constituée de militants et d’observateurs dont je partage les préoccupations s’est dressée pour rejeter, sans réserve, les arguments avancés plus haut. Dans le cadre de cet article, je m’attèlerai à reprendre puis à démonter les 3 arguments susmentionnés avant de faire une observation sur la suite du processus enclenché.
1) La constitution guinéenne ne reconnait que la mouvance présidentielle et l’opposition :
La paternité de ce courant nihiliste revient à M. CellouDalein Diallo de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) qui, pour la première fois, l’a exprimé à l’occasion d’une discussion sur les modalités de réforme de la Ceni. Il sied ici de se poser la question de savoir ce qui donne l’impression à M. Diallo d’être habilité à décider de la position politique des autres partis légalement constitués et irréfutablement indépendants. La réponse à cette question se trouve en partie dans l’interprétation erronée et tendancieuse qu’il se fait de son statut de chef de file de l’opposition qui est une fonction essentiellement protocolaire. Les attributions du chef de file de l’opposition ont reçu une consécration légale et parmi ces attributions ne figure guère le droit de décider du sort des partis politiques ayant pignon sur rue en Guinée! À cela, s’ajoute le type de rapport que M. Diallo entretient avec l’UFDG, parti qu’il dirige d’une main de fer, notamment dans sa capacité à exclure ipso facto etinfinitumtout membre de ce parti qui aurait une divergence d’opinion avec lui; sans oublier la facilité dont il jouit avec sa stratégie de populisme ethnique qui lui épargne les tracasseries de se doter d’un projet de société inclusif. Son pouvoir absolu de décider du prix de la vie/de la mort de ses militants tués dans la poursuite de ses ambitions personnelles, comme il en ressort de l’accord du 12 octobre 2016, le prouve à suffisance. Il est de toute évidence qu’un caractère politique forgé dans un tel moule ne peut que constituer une entrave et même un danger latent pour l’avenir de la démocratie en Guinée. On ne s’improvise pas démocrate!
Ainsi, le journaliste Djiwo Barry d’un site d’information guinéen en ligne impute à M. Diallo d’avoir argumenté qu’au regard des articles 27 et 30 de la Charte des Partis Politiques, l’UFR ne peut être considéré comme parti d’opposition, en ces termes : <<Cette charte des partis définit la mouvance, dans son article 27, comme étant les partis qui participent au gouvernement et qui le soutiennent. La même charte précise à l’article 30 que sont membres de l’opposition, les partis qui ne participent pas au gouvernement, qui le critiquent et ne le soutiennent pas>>. Il se trouve que la Charte des Partis Politiques dont il est question ici, c’est-à-dire celle de 1991 ne traite absolument pas de cette question dans les 2 articles susmentionnés. La référence à ce texte de loi est inopportune puisqu’il ne traite pas de la question en l’espèce. En sus, la loi portant statut de l’opposition politique de 2014 qui, justement fait de M. CellouDalein Diallo le chef de file de l’opposition, exprime clairement que la Charte des partis politiques est abrogée. Comment se fait-il que M. Diallo n’ait vu dans cette loi que ses privilèges et rien d’autre? (http://www.visionguinee.info/2016/05/05/dalein-persiste-et-signe-lufr-ne-peut-pas-faire-partie-de-lopposition/)
Il apparaît clairement que le texte de loi qui est d’intérêt ici est celui portant statut de l‘opposition de 2014. Or, l’article 2 de cette loi indique que: « Le statut de l’opposition est l’ensemble des règles juridiques permettant aux partis, alliances de partis ou groupes de partis politiques de l’opposition de disposer de l’espace de liberté qui leur est nécessaire pour participer pleinement et sans entrave à l’animation de la vie politique nationale ». Le législateur guinéen a bien voulu attirer notre attention sur sa volonté de reconnaître la diversité au sein de l’opposition. Ainsi, l’usage du pluriel pour désigner les partis, groupes de partis et alliances de partis de l’opposition ne peut s’entendre que par la latitude laissée aux partis politiques de s’associer en fonction des intérêts qu’ils défendent. C’est par la même occasion le rejet du monolithisme au sein de l’opposition. Il en découle de ce qui précède que la conception moniste de l’opposition soumise à l’UFDG, parti dirigé par M. Diallo qui a tout à apprendre de la gestion démocratique ne saurait prospérer
Cependant, le <<contentieux>> n’est, pour autant, pas complètement vidé. Il se pose légitimement la question de savoir comment s’acquiert le statut de parti d’opposition. Ce problème est résolu à l’article 3 de la loi portant statut de l’opposition: <<Sont Partis Politiques de l’Opposition, tout Parti, groupe de partis, ou Alliance de Partis Politiques qui se déclarent comme tels, et qui s’inscrivent dans un cadre juridique avec un Projet de société différent de celui du Parti ou des Partis Politiques de la majorité dans la perspective d’une alternance démocratique>>. Là encore, la volonté libérale et pluraliste du législateur se fait nettement remarquer par l’expression <<se déclarent comme tels>>. Il en ressort de cet article que la condition pour être reconnu comme parti d’opposition repose sur l’intention rendue publique par une simple déclaration publique. Or, ce n’est pas cet état de fait qui est reproché à l’UFR. La soumission à l’UFDG n’a pas été retenue par le législateur guinéen comme critère en l’espèce!
Par ailleurs, la référence à l’article 4 du texte susmentionné est impertinente parce que la loi n’exige aucune formalité pour exprimer les critiques à l’endroit du gouvernement. (http://www.aujourdhui-en-guinee.com/fichiers/videos6.php?code=calb6856&langue=fr&champ2=&pseudo=rub2&PHPSESSID=9e0b4be9ae1853b0087ba643db24996f)
Quid de la constitution guinéenne qui ne parle de l’opposition qu’au singulier? On pourrait, avec succès, argumenter que la constitution ne dit pas non plus qu’il doit s’agir d’une institution monolithique soumise à un parti qui ne tient son prestige qu’en raison du populisme et de la démographie ethnique qui constitue son fonds de commerce politique. Ainsi, pour éviter la chicane, on fera appel au droit et le principe qui est de mise ici est : <<ubilex non distinguit nec nos distingueredebemus>> (on ne fait pas de distinction là où la loi n’en fait pas). Le pluralisme au sein de l’opposition est consubstantiel à l’esprit de la démocratie guinéenne comme le confirme la loi sur le statut de l’opposition.
2) l’UFR a activement participé aux débats auprès de l’opposition :
La paternité de cette thèse revient à l’honorable Saliou Bella Diallo du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG). Je demeure convaincu qu’il l’a exprimée de bonne foi. Toutefois, il est important de revenir là-dessus parce que faisant l’objet d’intérêt sur les sites d’échanges sur le net. L’UFR en tant que parti d’opposition est intervenue dans ce débat en toute légitimité et a fait valoir sa position sur les différents écueils à surmonter. De là à interpréter ses intentions comme étant celles d’un parti acceptant de se mettre sous la coupole de l’UFDG, un pas dangereusement important a été franchi. Travailler ensemble ne veut pas dire renoncer à son indépendance. Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que l’élément psychologique (opiniojuris) est le facteur le plus déterminant en l’espèce. La conviction d’avoir accepté de déléguer ses pouvoirs à autrui. De toute évidence, tel n’a pas été le cas concernant l’UFR.
3) l’opposition a été représentée par ses délégués :
Il découle de ce qui précède que l’UFR, au regard du droit positif guinéen, ne peut être considéré que faisant partie de l’opposition guinéenne, plus précisément de l’opposition plurielle. Son ancrage dans la position <<centriste>> ne peut être interprété comme l’ouverture d’une 3ième voie dans le système politique guinéen. C’est une ligne politique dans le même sillage que le socialisme le libéralisme ou même le populisme ethnique dont on n’en dira jamais assez dans le contexte guinéen. Or, il apparaît que l’UFR tout comme le PEDN a été écarté de la procédure de ratification de l’accord au motif que M. Mamadou Cellou Bah (UFDG) et M. Aboubacar Sylla (UFC), porte-parole à vie d’une opposition soumise à l’UFDG, ont agi à leur compte. Ceci constitue une usurpation d’identité et une violation grave des règles qui régissent la représentation. Toute représentation requiert un mandat et à l’évidence ces 2 signataires n’avaient pas reçu d’émission de pouvoir a fortiori le droit d’agir pour le compte d’autrui. La délégation de pouvoirsne se présume pas! Elle doit être expresse et consentie. Pourtant, l’accord en cause a été suffisamment clair sur cette étape de la procédure en ces termes :<<Le présent accord entre en vigueur dès la signature par l’ensemble des parties prenantes. A l’exception du cadre permanent de concertation (Chapitre III aliéna 16), il prend fin après les élections législatives>>.
La signature de l’ensemble des parties étant une condition d’entrée en vigueur du texte, il va sans dire que ce vice de procédure pourrait être excipé à l’occasion pour faire barrage à son application, ce qui serait de nature à créer des problèmes superfétatoires.
C’est la raison pour laquelle, j’exhorte l’exécutif guinéen à faire respecter le droit avant que le texte soit soumis à l’assemblée nationale pour vote et aux sieurs Cellou Bah et Aboubacar Sylla à faire amende honorable auprès de leurs confrères de l’autre opposition.
Salim Gassama Diaby