Les élections législatives en Guinée: vers une nouvelle crise institutionnelle ?

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GBK La Guinée semble s’avancer vers la tenue d’élections législatives, le 24 Septembre prochain. La route vers ces élections a été émaillée de nombreux dégâts matériels, de sang et surtout de pertes en vies humaines. Partant, si la tenue de ces élections ne servait pas à étoffer l’arsenal démocratique de la Guinée, elle aura au moins servi à honorer, en partie, la mémoire de ceux qui y ont laissé leurs vies quelle que soit, par ailleurs, la lecture  que l’on se fait de la légitimité de ces marches organisées par l’opposition.

{jcomments on} C’est, sans doute, pour cette raison et tant d’autres que la tenue de ces élections suscite moins d’engouement que le sentiment largement partagé de vouloir sortir d’une situation de crise qui n’a que trop duré.

Mais attention !Si l’espoir est permis quant à la matérialisation de ces élections, il n’en demeure pas moins que la Guinée s’achemine lentement, mais sûrement vers une situation de crise institutionnelle.  La perspective de cette crise institutionnelle a pu échapper à l’attention des rédacteurs de la constitution de 2010, mais il n’est pas aberrant de croire qu’il s’agit d’ un acte délibéré de leur part pour se soustraire de la pression de politiciens qui voulaient d’un pouvoir taillé à leur style de gouvernance.Faut-il rappeler que la constitution guinéenne de 2010 a été rédigée sous fond de tension sociopolitique et par conséquent, n’a pas baignée dans la sérénité requise d’une démarche orthodoxe en la matière.

Au demeurant, il faut se garder de minimiser les conséquences de ce laxisme des rédacteurs de la constitution de 2010 car au Niger, dans les années 90, un manquement d’une telle nature a engendré une crispation institutionnelle qui a débouché sur un coup d’état. Et, au regard de la fragilité du soubassement sociologique en Guinée, une telle éventualité n’est pas à exclure.

Néanmoins, avant d’identifier clairement ce danger dans la constitution guinéenne, un travail préalable de détermination de la nature du régime politique guinéen s’impose (1) ; ensuite, il serait question d’analyser les manifestations possibles de ce danger (2) ; puis, une proposition de réforme va clôturer mon analyse (3).

1)     La nature du régime politique guinéen :

Le Président Alpha Condé, dans son intervention sur la chaîne de télévision TV5 du 8 Juin 2013, a qualifié le régime politique guinéen de ‘très très présidentiel’. S’il le croit, c’est une erreur d’appréciation de sa part. En revanche, le contexte dans lequel ces propos ont été dits laisse entrevoir une miseen garde de sa part. En effet, si l’opposition venait à remporter les élections législatives prévues le 24 Septembre 2013, la question de l’étendue des pouvoirs de M. Condé va naturellement se poser. Cette question est d’autant plus légitime que M. Condé a, depuis son accession au pouvoir, géré la Guinée sans avoir à se soucier du Conseil National de transition (CNT). Ainsi, pour mettre les choses au clair, le président Condé semble avertir l’opposition qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la constitution, nulne pourrait lui contraindre à un gouvernement d’union nationale ; ou à choisir un premier ministre issu de l’opposition ; ou encore, toutes autres concessions de cette nature.

En d’autres termes, qu’il entend être un pouvoir exécutif de type présidentiel avec toutes les prérogatives qui s’y attachent. L’intérêt de la chose est que les pouvoirs de l’exécutif sont plus étendus dans un régime présidentiel qu’ils le sont dans un régime parlementaire.

Traditionnellement, deux (2) types de régimes politiques sont reconnus par la doctrine constitutionaliste, à savoir, le régime présidentiel (celui des États-Unis d’Amérique) et le régime parlementaire (celui de la Grande-Bretagne).  Nonobstant l’existence de multiples différences entre ces deux (2) types d’organisation politique, deux (2) éléments fondamentaux permettent de les identifier, puis de les dissocier. Il s’agit, tout d’abord, de la prérogative de la détermination et de la conduite de la politique nationale. Ceci relève de la compétence du gouvernement (premier ministre) dans un régime parlementaire ou du président de la république dans un régime présidentiel. En Guinée, c’est le président de la république qui jouit de cette prérogative, propre au régime présidentiel. Il s’agit aussi de l’existence de moyens d’actions réciproques que sont le pouvoir de dissolution de l’assemblée nationale par l’exécutif et, en contrepartie, la possibilité de renvoi du gouvernement par la motion de censure ou le vote de confiance. Le vote de confiance est le procédé par lequel, le premier ministre soumet un projet de loi à l’assemblée nationale et menace de démissionner avec son gouvernement, si cette loi n’était pas votée. Le cas échéant, le gouvernement est tenu de démissionner. Dans un régime parlementaire, les moyens d’actions réciproques sont effectifs, alors que tel n’est pas le cas dans un régime présidentiel. Le pouvoir de dissolution de l’Assemblée Nationale qui est une caractéristique du régime parlementaire est prévu par la constitution guinéenne.

À côté de ces deux (2) grandes catégories de régime politique se trouve une catégorie hybride (présidentialiste ou parlementariste) que la doctrine constitutionaliste se refuse de reconnaître comme étant authentique. L’éminent juriste constitutionaliste africain et sénégalais,  ElhadjiMbodj  se joint à ce courant de pensé que l’on peut qualifier de ‘puriste’. Toutefois, je rejette cette approche ‘puriste’ que je considère à la fois  dogmatique et exclusiviste. Dogmatique, parce qu’elle tend à sacraliser les régimespolitiques Américain et Britannique ; et exclusiviste,  parce qu’elle dénie aux autres nations la possibilité d’établir des normes constitutionnelles qui reflètent leurs réalités historiques et culturelles et d’être considérées au même pied que les Britanniques et les Américains.

Les régimes politiques hybrides ou hétérodoxes, pour reprendre les termes du professeur M’bodj, à l’instar de celui de la Guinée sont des mélanges de régimes présidentiel et parlementaire, à la fois. Ainsi, la constitution guinéenne, malgré l’apparence de sa nature présidentielle prévoit un aspect des moyens d’actions réciproques qui est une caractéristique du régime parlementaire. Il s’agit du droit de dissolution de l’Assemblée Nationale que le président de la république peut exercer après la 2ème année de la législature (article 92). En sus, si le président venait à dissoudre l’Assemblée Nationale et qu’à l’issue des élections qui en résultaient, l’opposition conservait sa majorité favorable à la position adoptée par l’ancienne majorité sur la question qui a provoqué la dissolution, le président de la république serait tenu de démissionner. Ceci ne fait que renforcer la pratique des moyens d’actions réciproques car, en clair, c’est la contrepartie du pouvoir de dissolution dans la constitution guinéenne. Ce mélange peut être judicieux comme cela a été le cas en France sous la 5ème république, mais il peut aussi se révéler dangereux et constituer une source d’instabilité et de blocage politiques  s’il n’est pas assez bien ‘dosé’, comme c’est le cas en Guinée.

2)     Le danger dans la constitution guinéenne :

Le danger dans la constitution guinéenne c’est, en effet, ce mélange mal dosé de pratiques du régime présidentiel et parlementaire prévu à l’article 45  qui risque de rattraper la Guinée en cas de cohabitation politique. La cohabitation politique est la situation dans laquelle le président de la république et la majorité à l’Assemblée Nationale ne sont pas du même camp politique.Ainsi, la constitution guinéenne en son article 45 al.4 dispose que : «le président de la république détermine et contrôle la conduite de la politique de la nation». La conséquence logique de cette disposition légale est qu’en cas de cohabitation, la Guinée va se retrouver avec un président de la république gardant son pouvoir intact et ayant en face de lui une Assemblée Nationale qui échappe à son contrôle, mais sur laquelle il doit compter pour faire voter ses projets de loi et conduire sa politique. Il est évident qu’aucun président de la république ne peut gouverner un pays en ayant exclusivement recours au référendum pour faire voter ses projets de lois.

Dans le contexte sociopolitique délétère qui prévaut en Guinée actuellement, doublé du fait qu’on est à quelques encablures des élections présidentielles de 2015, l’on ne peut s’attendre qu’à une Assemblée Nationale activiste qui ne ménagera aucun effort pour bloquer l’action du gouvernement. Ceci pourrait être le début de 2 années de crise politique pour un pays qui peine déjà à sortir de 4 années de troubles sociopolitiques.Ce qu’il faut surtout craindre dans cette crispation politique, c’est le fait de donner un ‘beau prétexte’ à l’armée guinéenne de revenir au pouvoir pour soi-disant épargner à la Guinée de sombrer dans un chaos aux conséquences inimaginables.

3)      Que faire pour parer à cette éventualité ?

La voie devant nous est étroite, c’est celle d’une révision constitutionnelle qui permettra au gouvernement ou au premier ministre spécifiquement, de déterminer et conduire la politique nationale. Mieux que cela, la constitution doit spécifier que le premier ministre est issu de la majorité parlementaire. En d’autres termes, le président de la république n’aura qu’un rôle protocolaire à jouer en cas de cohabitation politique. En France, le président de la république n’est pas tenu de choisir son premier ministre au sein de la majorité parlementaire, mais il sait que faillir à cette tradition politique entrainerait, inévitablement, une crise politique. Et, en cas de crise pour non-respect de cette tradition politique, le président Français sait pertinemment que la sanction publique à son égard ne va se faire attendre. La Guinée n’a pas encore atteint le degré de maturité politique  qui institut des traditions politiques. Par conséquent, le pays a besoin de lois explicites pour quadriller les agissements des politiciens.

Tout en espérant que la prochaine Assemblée Nationale de Guinée va s’attelez, dès après son installation, à débarrasser le pays de ce spectre de coup d’état qui se profile à l’horizon,suite à un blocage institutionnel, force nous est de constater ceci :

Si le président Condé accède à cette révision constitutionnelle, en cas de victoire aux prochaines élections législatives, il pourra nommer un premier ministre dont il est sûr de pouvoir contrôler ; s’il venait à perdre ces élections, il dirigera la Guinée en tant que président -arbitre ; s’il refusait cette révision constitutionnelle, il risquerait de ‘‘jeter le bébé avec l’eau du bain’’.

 

Salim Gassama-Diaby

Juriste, Spécialisé en Économie Politique du Développement

 

 

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