Massacre du 28 septembre : Justice a-t-elle vraiment été rendue ?

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« Historique », c’est le qualificatif auquel bien de Guinéens et même d’observateurs extérieurs à notre pays, associent le verdict rendu ce mercredi 31 juillet dans le procès du 28 septembre. Oui, sans doute quand on la ramène à la longue tradition d’impunité dont les serviteurs de l’Etat ont toujours bénéficié en Guinée, on pourrait trouver que la décision rendue par le juge Ibrahima Sory II Tounkara a quelque chose d’inédit. Mais à côté, on pourrait bien tout aussi se dire qu’il y a des choses qu’on aurait pu mieux faire. En effet, dans une perspective historique, la vérité sortie du tribunal criminel de Dixinn nous permet-elle de mieux cerner ce qui s’est véritablement passé le 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry ? Sait-on réellement qui a fait quoi, au-delà du doute ? En sort-on mieux outiller quant aux donneurs d’ordre ? Ce n’est pas très certain. Par ailleurs, toutes les peines prononcées sont-elles nécessairement au très gravissime chef d’accusation de crimes contre l’humanité, finalement retenu contre Moussa Dadis Camara et Cie ? Là non plus, la réponse est loin d’être unanime.

Instruction bâclée

Mais disons-le tout net. Les magistrats qui ont conduit le procès depuis le 28 septembre 2022 ne sont nullement à blâmer. Ils ont dû composer avec le matériau qu’ils avaient sous la main. Mais à l’arrivée, convenons-en, il y a peut-être davantage du symbolique. Parce que le procès n’éclaire pas toutes les zones d’ombre. Loin de là. Mais le premier hiatus est davantage dans l’instruction qui s’est révélée avoir été plutôt bâclée. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé dans ce procès avec seulement 11 accusés sur les dizaines d’assaillants que les témoignages évoquent comme ayant perpétré le massacre dans l’enceinte du stade, il y a environ 15 ans. Probablement, très peu de ceux qui ont les mains vraiment ensanglantées ont comparu devant le tribunal. De même, au cours des 22 mois qu’ont duré les débats, on n’a brandi aucune arme, aucune machette, encore moins de hache ou de poignard qui pourrait avoir servi au massacre. Les miliciens de Kaléah qu’on dit avoir singulièrement sévi au cours de cet odieux évènement n’ont été vu nulle part dans ce procès. En somme, tout cela était plutôt mal embarqué.

‘’Crimes contre l’humanité’’, une bouée de sauvetage

Ces faiblesses congénitales ont dû pousser le tribunal à aller vers la requalification. Parce que dans ce jugement, premier de cette envergure-là dans l’histoire du pays, qui plus est surmédiatisé, il fallait trouver le moyen de présenter un résultat. Or, au fil des mois d’audience, il est apparu à tout le monde que ce ne serait pas évident de relier bon nombre des accusés au massacre. Sauf à se couvrir de ridicule. Inenvisageable tout simplement. C’est alors qu’on est allé trouver la qualification de ‘’Crimes contre l’humanité’’. Elle a l’avantage d’offrir des bases légales pour condamner un accusé suivant la responsabilité de commandement. En d’autres termes, on peut être condamné pour des crimes commis par ses subordonnés. Voilà qui facilitait les choses, d’un certain point de vue.

L’impératif de la « stabilité politique »

Toutefois, le procès se devait certainement de tenir compte d’un autre impératif. Celui qu’un confrère a appelé « l’impératif de la stabilité politique ». Dans une Guinée aux ressorts sociopolitiques plutôt fragiles et dans un contexte sous-régional tout aussi volatile, condamner Moussa Dadis Camara, leader naturel de la région forestière depuis son passage à la tête du pays au cours de la transition sous le CNDD, cela requiert qu’on fasse montre d’une certaine realpolitik. D’autant qu’en cette période de transition plutôt agitée, les perceptions se mêlant aux manipulations, peuvent très vite donner lieu à une situation explosive. Du coup, en dépit de la requalification des faits en Crimes contre l’humanité, les peines prononcées laissent toujours la place à une éventuelle grâce, si cela s’avérait nécessaire.

En tirer la leçon qui s’impose

Voilà donc qui donne un verdict plutôt symbolique. Qu’on pourrait aussi appeler à un verdict adapté à la réalité de la Guinée d’aujourd’hui. A savoir une sentence dont on n’est pas totalement satisfait, mais dont on devra bien se contenter, avec l’idée que c’était un premier pas. C’est en cela qu’il faut comprendre les réactions empreintes de soulagement des victimes et de leurs représentants. Comparées au martyre qu’ils ont enduré avec les viols perpétrés, les proches qu’on n’a jamais retrouvés, les handicapés à vie et les destins brisés à jamais, les peines prononcées peuvent paraître clémentes. Mais après tout, ils en étaient à ne plus croire à la tenue de ce procès. Alors, entre l’incertitude qui se dessinait pour eux et la victoire en demi-teinte qu’ils viennent d’obtenir, le choix est plutôt facile.

Il faut juste espérer que tout le monde tire la bonne leçon de ce procès-là. Car, comme l’illustre l’absence des avocats à l’audience d’hier – aussi bien ceux de la défense que leurs homologues de la partie civile – la transition en cours elle-même ne se passe toujours comme cela était espéré. Leur absence à un évènement aussi crucial de ce procès qui s’inscrit dans le cadre du boycott qu’ils observent en signe de protestation à l’enlèvement et à la détention dans un lieu tenu secret, de Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, militants du mouvement citoyen du Front national pour la défense de la constitution (FNDC).

Boubacar Sanso Barry in Djely.com

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4 août 2024 22:28

« Laisser le peuple résoudre ses problèmes en commençant par choisir ses propres dirigeants, et les remplacer quand ils le décident. Dans ce cas ils seront toujours » le capitaine » dans leur bateau de la vie.« 

C’est la formule magique des pays qui s’en sortent. Chez nous, on est pret a tout essaye sauf ce qui marche ailleurs.

Abs Cam
Abs Cam
4 août 2024 12:35

Bonjour à tous, j Je vous lit couramment, sans pourtant faire de commentaires. Mais ceci m’a interpellé. Je pense que les peines sont très petites, especially pour un massacre perpétué sur un peuple qui était sur tout son droit. Dans d’autres lieux , ils auraient multiplier chaque peine par le nombre de morts, blessés, violés (es). 500 ans probablement. Rappelons qu’ils on tué des êtres humains. O my God. 2. Le pouvoir appartient au peuple, pas à un individu, ou un groupe. 3. Parlant du pouvoir, tant que le guineen n’apprend pas que la paix est le résultat de la… Lire la suite

Gandhi
Gandhi
1 août 2024 22:58

Il y a beaucoup à dire sur cette parodie de justice, et je suis d’autant plus critique que certains osent demander une grâce présidentielle. D’abord il n’y a pas de président en Guinée, ensuite prendre 20 ans pour un massacre, là où des voleurs peuvent prendre perpétuité en dit long sur l’état de décrépitude du pays. Mais mieux vaut des peines mal ajustées que rien du tout, mais il va falloir tout construire, car pour certains la Guinée est restée en 1958. Heureusement il y a une jeunesse diverse

BAMCE
BAMCE
1 août 2024 20:55

Massacre du 28 septembre : Justice a-t-elle vraiment été rendue ?

La réponse est non