Contribution au débat suscité par l’article de Gandhi Barry intitulé « Et si l’opposition ne siégeait pas »

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Évaluation de l'article

GBK Avant tout, je voudrais remercier Monsieur Gandhi pour cet article qui a fait couler beaucoup d'encre et, sans doute, de salive.

{jcomments on}En effet, le titre donné à l'article et les arguments juridiques invoqués ont eu le mérite de susciter le débat et la réflexion sur la marge de manœuvre dont dispose l'opposition pour empêcher, s'il y a lieu, l'installation de la nouvelle Assemblée nationale et son fonctionnement.

Selon Monsieur Gandhi : « l'opposition a une nouvelle fois (la dernière ?) l'occasion de bloquer le système en ne siégeant pas à l'Assemblée nationale ».

En réponse, je voudrais donner mon avis sur le raisonnement et les arguments juridiques développés à cet effet par Monsieur Gandhi.

I – En ce qui concerne l'interprétation de l'article 67 de la Constitution, Monsieur Gandhi fait une comparaison qui ne mérite pas que l'on s'y attarde car les deux institutions (Assemblée nationale et CENI) sont différentes l'une de l'autre, tant dans leurs missions, composition, organisation et fonctionnement que dans leurs catégories juridiques : si l'Assemblée nationale est un organe politique délibérant, la CENI, quant à elle, est plutôt proche des autorités administratives indépendantes(AAI) et, cela, en dépit du fait qu'elle ait une base juridique dans la Constitution…

En outre, l'entrée en fonction des députés n'est subordonnée à aucun formalisme ou prestation de serment et encore moins à l'élaboration d'un règlement intérieur.

De même, si Monsieur Gandhi rappelle à juste titre que l'adoption ou la modification des lois qualifiées d'organiques y compris celle portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale requiert une majorité qualifiée de deux tiers (article 83 de la Constitution), il oublie cependant de préciser, qu'en la matière comme dans d'autres, il n'y a pas de vide juridique. Sinon toutes les institutions créées avant 2010 (Cour suprême, Conseil économique et social, Conseil national de la communication, partis politiques, etc.) existeraient, aujourd'hui, sans base légale.

En effet, aux termes des dispositions de l'article 161 de la Constitution « la législation en vigueur jusqu'à l'installation des nouvelles institutions reste applicable, sauf intervention de nouveaux textes, lorsqu'elle n'a rien de contraire à la présente Constitution ». Autrement dit, les textes de loi non abrogés et qui ne sont pas contraires à la Constitution restent applicables.

De ce qui précède, la loi organique n° L/91/015/ du 23 décembre 1991 portant Règlement intérieur de l'Assemblée nationale est toujours en vigueur. Et aux termes des dispositions de cette loi, le quorum requis pour délibérer valablement à l'ouverture d'une session est la moitié plus un des membres composant l'Assemblée nationale, c'est-à-dire la majorité absolue soit, dans le cas d'espèce, 58 députés sur 114, pour une première convocation.

Il en résulte que dans le contexte actuel, l'opposition ne peut sur cette base empêcher l'installation et le fonctionnement de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire la mise en place du bureau et le vote des lois ordinaires. En effet, avec ou sans l'opposition, le RPG et ses alliés ont la possibilité de faire élire les membres du bureau de l'Assemblée et d'exécuter le travail législatif ou parlementaire dans les limites fixées par les lois organiques et la Constitution.

Il est donc juridiquement erroné de soutenir : « si l'opposition refuse de siéger, l'Assemblée nationale ne pourra pas se mette en place et ne pourra donc pas être opérationnelle ».

Par contre, l'opposition peut s'opposer à l'adoption ou à la modification des lois constitutionnelles, des lois organiques et des lois ordinaires présentées en deuxième lecture lorsqu'elle estime que ces projets ou propositions de textes ne correspondent pas à l'intérêt de la nation guinéenne.

Aujourd'hui, dans un contexte d'insécurité, de pauvreté et de déchirement du tissu social, il est dans l'intérêt de la démocratie, de la paix et du bien-être des citoyens que l'opposition puisse apporter sa contribution, je veux dire son expertise, pour compléter et mettre à jour le dispositif juridique et institutionnel existant dans le pays, en particulier celui des élections et de la gouvernance économique et financière.

Il s'agit notamment de la mise en place des nouvelles institutions prévues dans la Constitution de 2010 et surtout des modifications jugées pertinentes et indispensables par tous les observateurs avertis des lois organiques portant respectivement composition, organisation et fonctionnement de la CENI et le Code électoral.

Sur ce dernier point, il convient de noter que les acteurs politiques de l'opposition et les observateurs du processus électoral guinéen sont unanimes sur la nécessité d'amender ces textes de loi. Car ils contiennent des lacunes, des omissions voire des distorsions qu'il convient de corriger avant les futures échéances électorales.

De même, l'absence de garantie juridictionnelle notamment en matière électorale, les nombreuses défaillances et irrégularités relevées dans l'organisation des élections législatives, le non-respect des textes de loi par la CENI, le RPG et le gouvernement, et la violation de l'accord politique signé le 3 juillet 2013 (censé garantir notamment le caractère libre et transparent des élections législatives et de l'élection présidentielle) sont autant de sujets qui préoccupent aujourd'hui l'opposition guinéenne et la communauté internationale (voir rapport préliminaire en date du 30 septembre 2013 de la Mission d'observation électorale de l'Union européenne en Guinée).

II – En ce qui concerne l'entrée en fonction des parlementaires nouvellement élus, Monsieur Gandhi invoque à tort l'article 92 de la Constitution qui prévoit en son alinéa 5 que « L'Assemblée nationale se réunit de plein droit dans les dix (10) jours qui suivent son élection ».

En effet, cet article ne vise que la dissolution anticipée de l'Assemblée nationale suite à un désaccord persistant sur des questions fondamentales entre le président de la République et l'Assemblée nationale. Dans cette hypothèse où le président est appelé à démissionner, il est normal que l'Assemblée nationale puisse se réunir en dehors des sessions ordinaires prévues à l'article 68 de la Constitution, étant entendu que le président de la République démissionnaire ne peut plus convoquer une session extraordinaire et, cela, même à l'initiative des députés.

En principe, l'entrée en fonction des députés nouvellement élus n'est effective qu'au moment où expirent les pouvoirs des élus sortants, c'est-à-dire à la fin de leur mandat qui devrait correspondre à l'ouverture de la deuxième session ordinaire, soit le 5 octobre de la cinquième année qui suit leurs élections.

Or, dans le cas d'espèce, il n'y a pas d'élus sortants et le Conseil national de transition (CNT) a quasiment fonctionné en session permanente sans tenir compte des conditions et des périodes d'ouverture et de clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires.

A cet égard, il convient de signaler que le chevauchement des sessions et le non-respect des calendriers électoraux sont un phénomène récurrent en Guinée qui a pris des proportions inquiétantes avec l'arrivée au pouvoir du président Alpha Condé. Cela dit, les retards observés dans l'ouverture des sessions de l'Assemblée nationale et dans l'organisation des élections nationales et locales sont entièrement imputables aux différents gouvernements.

Faute de dispositions juridiques plus précises sur la question, je pense que l'entrée en fonction des députés nouvellement élus ne sera effective qu'à l'ouverture d'une session (extraordinaire en principe) de l'Assemblée nationale convoquée spécialement pour la mise en place de son Bureau. Le tout, sur le fondement des articles 60 alinéa 2, 68, 69 et 157 de la Constitution.

Enfin, pour terminer, je dirai qu'après l'arrêt de la Cour suprême, le président de la République ne dispose d'aucun moyen juridique pour prolonger indéfiniment la mission du CNT.

Maître Diallo Amadou
Avocat

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