À l’occasion de mon dernier texte intitulé « une pseudo-presse partisane et indigne1», je me suis rendu compte que je n’avais pas toujours été compris, la compassion ne devant pas permettre tous les excès. Je vais donc préciser certains éléments qui ont pu apparaître flous à quelques internautes.
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Retour sur l’homicide de Mohamed Koula Diallo le 5 Février dernier
Tout le monde se souvient que le 5 Février dernier, Bah Oury s’était rendu au siège de l’UFDG pour assister à la réunion qui s’y tient hebdomadairement. A priori rien d’anormal, sauf que quelques jours auparavant il avait été exclu du parti. On peut toujours discuter de la légalité ou pas de la décision (pour ma part j’ai le sentiment qu’elle n’est pas conforme, mais je ne dispose pas des statuts du parti, donc ce n’est qu’un ressenti), mais une chose est claire, une décision a été prise et si on n’est pas d’accord il faut la contester judiciairement.
En voulant forcer la décision, Bah Oury a commis à mes yeux une première erreur, car s’il avait commencé par mobiliser la justice, peut-être la mort de Mohamed Koula Diallo aurait été évitée. J’y reviendrai dans une seconde partie.
Dans les échauffourées qui ont eu lieu aux abords du siège de l’UFDG, entre ce qui a été présenté comme le « service d’ordre » de l’UFDG et les « partisans » de Bah Oury qui voulaient forcer l’entrée, une balle serait partie et a mortellement touché un citoyen guinéen, en l’occurrence Mohamed Koula Diallo. Ce dernier s’était rendu sur les lieux en tant que reporter d’un organe de presse local. Malheureusement il finira par succomber de ses blessures.
Une presse sous perfusion
Sous la conduite d’Ibrahima Sory Traoré, employeur de Mohamed Koula Diallo, et d’Amadou Thiam Camara (patron de l’Aguipel, organisme chargé prochainement de distribuer les 2 milliards de GNF de subventions aux organes de presse, y compris aux sites web), une journée de protestation de la presse a été « décrétée », suivie par la quasi majorité de la presse guinéenne. Ce n’est pas tant le principe d’une journée sans presse qui m’a scandalisé – encore que -, mais les justifications – autres que la compassion – qui ont été faites pour cette action.
Accepter de perdre une journée de chiffre d’affaires n’est pas une décision à prendre à la légère, surtout lorsqu’on est en situation de déficit chronique (la majeure partie de la presse guinéenne n’est apparemment pas rentable). Il est vraisemblable que les subventions à venir permettront de faire passer la pilule.
La plupart des sites guinéens bénéficient de cette aide, même ceux qui se trouvent à l’étranger, mais on suppose que ceux qui se trouvent en Guinée reçoivent davantage que les autres. Si en plus les créateurs de sites se trouvent en Guinée au moment de la distribution, on peut comprendre leur zèle à obtempérer à cette initiative (diktat ?), voire même à essayer d’éreinter tout critique du régime. Car si les critères de distribution des subventions sont plus ou moins « translucides », le calcul final du montant du versement lui est particulièrement opaque et à la discrétion de l’Aguipel. Un site de peu d’audience peut permettre d’engranger une douzaine de millions de GNF, ce qui représente quand même deux fois le revenu annuel d’un smicard.
Certes la presse, comme tout autre secteur économique, peut-être temporairement aidée pour faire face à des difficultés passagères. Mais la justification de cette aide ne doit pas être fondée sur ce que faisait la France napoléonienne, sauf à dire que la Guinée a 220 ans de retard. La presse guinéenne – comme les universités « privées » d’ailleurs – n’a pas besoin d’une assistance permanente, sauf à sombrer dans l’assistanat chronique. Le soutien acceptable peut prendre différentes formes, et notamment la franchise des frais postaux par exemple, parce que ces critères sont impartiaux et s’appliquent à tous de façon indéterminée. Une imposition minorée peut également se comprendre, car là encore, la mesure serait ciblée et concernerait le secteur, indépendamment de sa ligne éditoriale. Mais donner une somme d’argent – à la tête du client – est inadmissible.
Malheureusement depuis les années 60, la Guinée est une « mendiante » qui s’ignore, vivant de l’aumône, et de nombreux Guinéens ont malheureusement été formatés dans la même veine. Le pire, c’est qu’ils ne le savent pas, voire trouvent cela normal. Mais si on ne peut pas en vouloir à ceux qui n’ont connu que ce système, que penser des autres ?
Le comportement scandaleux d’une certaine presse
On rappelle succinctement qu’en matière criminelle, on ne peut poursuivre quelqu’un que s’il existe un élément légal, matériel et intentionnel :
- l’élément légal est une infraction qui serait condamnable pénalement (ici l’homicide, puisqu’il y a eu mort d’homme) ;
- l’élément matériel est constitué de la balle (voire de l’arme si on la trouve), qui est à l’origine du décès de Mohamed Koula Diallo ;
- l’élément intentionnel (la volonté de tuer) n’existe pas en l’absence de coupable. C’est d’ailleurs cet élément intentionnel qui permet en outre de transformer un meurtre, en assassinat, lorsque ce meurtre est prémédité (c’est-à-dire réfléchi à l’avance).
Dans cette affaire, 3 hypothèses peuvent logiquement être envisagées. L’homicide peut-être involontaire si le tir a été déclenché accidentellement, ou volontaire (meurtre) si le tir a été exécuté en toute connaissance de cause. La préméditation (assassinat) évoquée ci-dessus constituerait une circonstance aggravante.
Je n’évoque évidemment pas les déclarations évoquées et par Bah Oury, selon laquelle il aurait été visé (Mohamed Koula Diallo aurait donc été touché indirectement selon cette hypothèse), et par l’UFDG, selon laquelle Bah Oury serait venu avec une arme pour tuer. Ces deux affirmations sont en effet ridicules et pitoyables, et relèvent davantage de la communication, que de la vraisemblance. Il faudrait être particulièrement insensé pour avoir voulu attenter à la vie des uns et des autres, au vu et au su de tout le monde. En outre, cet aspect du dossier n’a pas été évoqué par l’enquête à ce moment, ni par la suite.
En revanche, une partie de la presse a parlé de manière quasi « spontanée » d’assassinat. Ce faisant elle a pris parti, avant même le résultat d’une enquête qui avait à peine commencé. Or je précise qu’on ne pouvait parler d’assassinat, que comme d’une hypothèse parmi d’autres, et non comme un fait acquis, et c’est ce que je reproche d’abord à cette presse.
Car en admettant qu’il s’agisse d’un assassinat, cela supposerait que le tir visait spécifiquement Mohamed Koula Diallo. Or comment pouvait-on savoir que ce dernier allait se rendre ce jour au siège de l’UFDG, à une heure bien précise, et pourquoi quelqu’un lui en voudrait-il au point de l’assassiner ?
Son employeur Ibrahima Sory Traoré a confirmé que Mohamed Koula Diallo était un reporter régulier des réunions hebdomadaires de l’UFDG. Autrement dit, il était connu de l’UFDG, et il faisait son job. On a donc du mal à comprendre pourquoi il serait spécifiquement ciblé. Et si Ibrahima Sory Traoré se pose encore des questions aujourd’hui sur un assassinat, qu’il se rassure, les commentateurs de son site ne font tout simplement que leur job. Il n’ont rien de héros et ils ne sont pas intimidés physiquement, voire obligés de s’exiler. D’ailleurs si quelqu’un d’autre était visé, il ne peut donc pas s’agir de l’assassinat de Mohamed Koula Diallo.
Que la mouvance spécule imprudemment sur ce qui s’est passé est dans l’ordre des choses de la lutte politique (à l’UFDG de réagir), mais que la presse soi disant libre et indépendante ne se contente pas de relater les faits – c’est son rôle -, mais prononce quasi unanimement un jugement définitif, est la preuve de son parti pris et de son indignité, n’en déplaise à ceux qui se sentent visés.
De même, il est inadmissible que le gouvernement en fasse autant. Les ministres Ousmane Kaba, Rachid N’Diaye et pire Cheick Sacko, se sont également malhonnêtement avancés, non pas parce qu’ils veulent élucider un homicide (même si le zèle du gouvernement est suspect, contrairement à d’autres crimes), mais parce qu’ils préjugent (sans inculpé), qu’il s’agit d’un assassinat. La préméditation suppose l’intention volontaire préalable. Comment peut-on se mettre « dans la tête » d’un inconnu ? Ce faisant, et la presse et le gouvernement prennent parti avant la fin de l’enquête, puisque je le répète, personne ne sait si Mohamed Koula Diallo était visé particulièrement. Sauf s’il est dans un « coup monté », hypothèse plausible eu égard au pseudo-attentat du 19 Juillet 2011, en aucun cas, le gouvernement ne peut faire de déclaration affirmative en l’absence de coupable.
Pire encore, le boycott
En plus d’un jugement hâtif, la presse ne s’est pas contentée de cette erreur originelle (ou de volonté de nuire pour certains), mais elle est encore allée au-delà, par un acte politique. En effet, malgré le fait que les circonstances du drame ne soient pas élucidées, et en l’absence de responsable et de coupable, la presse ne s’est pas embarrassée de fioritures. Pour elle, il n’y a aucune hésitation, il s’agit d’un assassinat (donc forcément prémédité contre Mohamed Koula Diallo ???) et les dirigeants de l’UFDG (puisque c’est le parti qui fait l’objet d’un boycott) en sont les commanditaires. La journée de boycott du 9 Février dernier – si Mohamed Koula Diallo avait été berger et non reporter, la presse aurait-elle eu cet excès de corporatisme2 ? – et les déclarations parallèles n’ont pas d’autre explication, que la volonté de stigmatiser, donc de nuire à l’UFDG.
Le but de mon texte n’a donc jamais été d’argumenter pour prouver ce qui n’est qu’un simple ressenti, mais de rappeler que le choix des mots et des actes n’est pas innocent. Parler de sophisme est donc mal choisi et certaines plumes devraient prendre de la hauteur, afin d’éviter d’imiter certains Guinéens, qui ignorent que « la culture c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale ».
Ceux qui affirment également qu’en d’autres occasions la presse guinéenne a réagi, en témoigne l’initiative de RSF (Reporters Sans Frontières) – quel rapport avec la Guinée ? -, oublient de préciser que si des journalistes guinéens ont parfois réagi médiatiquement, ils ne sont jamais allés jusqu’à un boycott du RPG, de la HAC, du gouvernement, voire de tout autre organisme, autre que l’État.
Pourtant les occasions n’ont pas manqué : exactions contre des journalistes, qui ont été empêchés de travailler (Amadou Diouldé Diallo et Mouctar Bah de RFI), frappés (Moussa Moise Sylla), délestés de leur matériel, poussés à l’exil (Mandian Sidibé, Sékou Chérif Diallo), voire tués et/ou assassinés (Facely Konaté à Womey, Chérif Diallo disparu de manière suspecte, cas qui n’interpelle plus ses collègues), sans que cela ne perturbe leurs confrères. De même la radio Baté FM à Kankan a été saccagée, quid de la suspension de la radio Liberté FM par la HAC, qui n’ont pas suscité les mêmes réactions. Bref la presse ne s’est pas montrée particulièrement zélée sur ces différentes affaires, dont la plupart impliquait ce régime, ceci expliquant sans doute cela.
Ce sont les électeurs qui peuvent éventuellement « boycotter » l’UFDG, pas la presse dont le seul rôle est d’informer. La presse pouvait écrire des papiers à charge pour protester contre l’attitude des uns ou des autres, mais le boycott (synonyme de rejet) est un acte politique, en outre inédit vis-à-vis d’un parti politique. La décision sage au contraire, était de prendre les avis des différentes parties prenantes et d’informer le public, pas de stigmatiser un parti pour mort d’homme, parti qui ne sera jamais rendu responsable pénalement.
Enfin pour tenter de justifier son attitude contre l’UFDG, Ibrahima Sory Traoré a déclaré que la presse (qui exactement ?) s’est constituée partie civile. Sans doute présente t-il cela pour montrer que la presse est partie prenante au procès et veut découvrir la vérité. L’ennui, et je ne suis pas sûr que l’individu ait fait montre de pédagogie, c’est qu’il oublie de préciser quel est l’intérêt de la constitution de partie civile au procès pénal, car la finalité c’est d’obtenir un dédommagement financier pour préjudice !!! Là encore que veut-on précisément ? Il serait utile que ceux qui se sont laissés entraîner dans cette aventure soient un peu plus curieux.
Petit rappel quant à ma démarche
Mon rapport à la presse
Lorsque mes papiers ne plaisent pas, ils ne sont pas critiqués pour leur contenu, que certains internautes ne lisent même pas, ce qui ne les empêche pas d’avoir un avis négatif sur…. son auteur. Il est bon de rappeler – ce n’est pas la première fois – que je ne suis pas un enseignant à l’ancienne, c’est-à-dire omniscient. Je fais de nombreuses erreurs et je sais même dire à mes étudiants que je suis incapable de répondre à certaines de leurs questions, y compris dans mes matières de prédilection. Mais mes étudiants savent aussi que lorsqu’ils m’interrogent, ils obtiendront une réponse.
Mes textes n’ont pour objectif que d’essayer de rendre clair des actions, des déclarations et/ou des décisions. Je n’affirme pas que j’y parviens tout le temps, eu égard à la pluralité des lecteurs (dont les capacités cognitives sont diverses), en témoigne certains commentaires, mais c’est l’objectif. En droit par exemple, je n’utilise pas certaines des expressions classiques de l’étudiant (attendu que, nonobstant, qu’en statuant ainsi…) pour que les décisions soient compréhensibles. Je suggère à certains de mes contradicteurs d’en faire de même. Il faut s’en tenir aux faits, rien qu’aux faits. D’ailleurs le pathos (méthode de persuasion faisant appel à l’émotion du public) ne fait pas partie de mon style, le juridique n’étant d’ailleurs pas propice à ce genre d’effusions.
Ainsi par exemple, l’élection (ou la désignation) de domicile (qu’on appelle domiciliation) désigne le lieu physique, où une personne morale (un parti politique par exemple) peut recevoir son courrier et évidemment organiser des réunions pour ses militants. Lorsqu’un individu veut entrer dans ce lieu physique, on parle, en droit, de violation de domicile et non de violation de domiciliation. Les étudiants en droit sont donc bien fondés à utiliser cette expression. Ils pourront également constater que si Bah Oury et Bah Mamadou ont signé un bail pour la domiciliation de l’UFDG, ils l’ont fait au nom et pour le compte du parti politique. Le fait que leurs noms figurent sur ce bail ne leur confère aucun droit ou statut particulier, même si je comprends que tout profane puisse l’ignorer.
Mon incohérence apparente
Certains font semblant de croire à une incohérence dans mes propos. Pourtant il m’est possible de réitérer deux assertions à 3 ans ou plus d’intervalles, parce que je n’ai qu’une seule version (tout le monde ne peut pas en dire autant, en adaptant ou modifiant ses propos en fonction de son interlocuteur ou du site sur lequel il publie, le plus souvent d’ailleurs sous un pseudo). Ainsi lorsque je suis d’accord avec les critiques de Bah Oury sur la gouvernance de l’UFDG, cela signifie que je suis d’accord sur ce qu’il dit, pas forcément sur ce qu’il fait, a fortiori s’il existe un décalage entre les déclarations et les actes. À l’inverse, lorsque je défends certaines positions de l’UFDG ou de son président, cela signifie seulement que je suis d’accord avec la décision qui a été prise, pas forcément sur les actions qui en découlent.
Il faut rappeler à ceux qui l’oublient, que les avocats peuvent défendre un contrevenant, en passant par un délinquant ou un criminel, parfois en connaissance de cause, parfois en toute ignorance, mais son rôle n’est pas d’insister sur les aspects négatifs de la personnalité de leur client, mais de le tirer d’affaire. Ce n’est pas parce que certains ont une vision binaire, que le monde fonctionne de manière identique.
J’assume mes actes et mes écrits. Aussi je ne comprends pas qu’on puisse interpréter mes écrits – pour me reprocher ensuite un comportement apparemment contraire -, alors que je suis en totale conformité avec ceux-ci. Défendre une cause ou un individu sur un point précis ne signifie pas qu’on soit d’accord sur tout.
Par exemple, ceux qui affirment effrontément que j’ai soutenu l’accord du 3 Juillet, n’ont pas lu mon texte3. De même, les mêmes qui soutiennent que je suis favorable à la CENI actuelle, oublient que j’avais demandé le boycott (tiens, tiens) de la cérémonie d’investiture, pour ne pas légitimer la mascarade à suivre4. La parole s’envole, mais les écrits restent.
Et je pourrai continuer indéfiniment…
Conclusion
Certains internautes affirment que je ne « roule » que pour moi, ce qui a contrario signifie donc pour personne d’autre. Je rappelle que mon texte initial n’est pas relatif aux accords du 3 Juillet ou à la CENI, mais àl’indignation provoquée chez moi par le boycott d’une presse soi disant « libre et indépendante », qui répond au mot d’ordre scandaleux d’opportunistes partisans, pour boycotter un parti politique, auquel on ne peut RIEN reprocher juridiquement le 5 Février 2016.
Cette affaire a malheureusement provoqué la mort d’un homme, dont la responsabilité est multiple. C’est pourquoi dans une seconde partie, je reviendrai tant sur le mal fondé des plaintes de Bah Oury (aussi bien sur le timing, que sur la forme), que sur son nouveau positionnement insensé.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
1 http://guineeactu.info/debats-discussions/tribunes-libres/6241-une-pseudo-presse-partisane-et-indigne.html
2 Une affaire récente a scandalisé l’opinion à l’occasion d’un lynchage public à Kouroussa. Bien que la presse dispose des photos des meurtriers ou assassins, on ne peut pas dire que son zèle soit proportionnel à la sauvagerie qu’elle dit avoir décelé dans le drame du 5 Février !!!
3http://guineeactu.info/debats-discussions/tribunes-libres/3361-il-faut-contester-le-dernier-chronogramme.html
4http://guineeactu.info/debats-discussions/tribunes-libres/2227-la-ceni-lopposition-na-rien-fait-.html