Dans un entretien qu’il a accordé à notre partenaire Guineenews, le Ministre d’État chargé du partenariat public-privé est revenu en détail sur l’accord d’un prêt de 20 milliards US signé le 4 septembre 2017 entre la Chine et la Guinée sur une période de 20 ans; un accord qui a fait l’objet de beaucoup d’interprétations, de suspicions, voire même des spéculations.Les ressources minières de la Guinée ont-elles été bradées à travers cet accords ? Lisez ces précisions de M. Ibrahima Kassory Fofana…
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En droit, quel est le poids ou la valeur juridique exacte de cet accord cadre lorsqu’on sait qu’il est conclu non pas entre les deux parlements chinois et guinéen, mais seulement entre le conseil présidentiel de la Guinée et la commission nationale du développement et de la réforme de la Chine ? En d’autres termes, le présent accord est-il contraignant et opposable ?
Kassory Fofana : Tout accord-cadre de ce genre n’a pas de conséquence juridique directe. C’est comme si vous parliez les dans le cadre des relations de coopération économiques, des grandes lignes d’un cadre de coopération. Dans le domaine du secteur privé, on parlerait du « memorandum of understanding (MOU) ». Au niveau publique, on utilise très peu cette expression, on parle plutôt de protocole d’accord, d’accord-cadre ou de convention. Ces arrangements conventionnels expriment les intentions des parties et les orientations qui définissent leurs relations sur tel ou tel sujet. Quand vous lirez l’accord-cadre en question, il est dit clairement que les deux gouvernements veulent aller vers une situation telle qu’à l’horizon de 20 ans, ils vont pouvoir collaborer progressivement sur les financements et sur les investissements. C’est comme en droit privé, vous avez l’investisseur, vous avez l’argent avec le banquier qui fait l’intermédiation et vous avez le marché. Par exemple vous êtes un opérateur qui a une plantation de pomme terre et vous voulez vous équiper pour construire une usine de transformation de celle-ci en chips, mais vous n’avez pas d’argent. Vous aurez deux options. La première est de dire, je vais produire petit à petit, faire de l’accumulation de capitaux et construire mon usine. La deuxième option est de dire, j’espère que par mes moyens propres, il me prendra 15 ans pour me permettre de le faire. Mais puisqu’il y a quelqu’un dont le métier est de faire l’intermédiation financière, je vais prendre son à argent aujourd’hui et faire mon investissement pour arriver à mon objectif à court terme et lui rembourser à moyen et long termes. La meilleure option, c’est de travailler avec l’argent des autres, vous rentabilisez les capitaux et vous remboursez vos dettes. C’est un principe connu en matière de finance ! Au niveau des États, c’est la même chose.
La Guinée a des ressources aujourd’hui qui sont sous terre, souvent pas évaluées. L’échelle de connaissance de leur teneur en terme d’utilité économique est très faible. Tout le monde doit savoir qu’on a un potentiel économique certes important mais valeur marchande, parce que ce non évalué. Quand vous lirez l’accord, vous verrez qu’en terme de ressource qu’il n’y a que trois sociétés qui sont visées à ce stade : le projet d’exploitation des blocs de Boffa Sud et Boffa Nord par Chalco, le projet bauxite alumine de CDM Henan Chine et le projet bauxite alumine de SPIC.
« …Ce sont les revenus fiscaux tirés de ces exploitations qui donnent une sorte garantie à la Chine pour se convaincre que La Guinée sera capable à faire face ses obligations d’emprunts…»
Le remboursement est garanti comme le dit l’accord non seulement par l’exploitation des ressources naturelles de la Guinée mais aussi par d’autres revenus autres que ceux qui proviennent du secteur minier. Au final, peut-on dire que la Guinée tire un avantage particulier de cet accord-cadre ?
Kassory Fofana : L’esprit de l’accord c’est quoi ? Nous n’avons pas d’argent et nous voulons aller vite, on ne veut pas attendre qu’on ait Simandou demain avant de commencer à réaliser nos infrastructures pour atteindre notre objectif de taux de croissance à deux chiffres. En demandant des emprunts, les institutions financières chinoises ne peuvent s’engager sans la garantie de l’Etat chinois. Dans cette opération, l’Etat chinois se porte donc garant tout en aidant son secteur privé : entreprises et banques chinoises.
Il faut que cela soit clair, le gouvernement guinéen ne donne pas en gage les ressources minières en terme de tonnage mais plutôt des revenus fiscaux à tirer des ressources minières concédées. Alors la partie chinoise est en droit de se demander qu’adviendrait-il si lesdits revenus fiscaux tirés des concessions ne suffisaient pas pour rembourser leurs prêts ? C’est en cela que la Guinée s’engage à combler tout gap par ses propres ressources.
L’un des aspects importants à souligner est que cet accord est incitatif pour accélérer la prospection minière en Guinée dont l’évaluation des ressources n’est pas connue à part Simandou et quelques sites de bauxite et d’or. Grâce à cet accord, l’État chinois donnera des moyens à ses entreprises pour aider à faire des études de prospection conformément au code minier guinéen. Cela signifie que les entreprises chinoises vont se bousculer à faire des demandes de permis d’exploration. Ce qui nous économise du temps et des efforts dans la recherche des moyens destinés à la prospection minière. Il n’y pas d’exclusivité. C’est l’un des avantages d’un tel accord, car la prospection c’est souvent cher et à fonds perdu. Dès lors que la probabilité de trouver des ressources exploitables est hypothétique !
Un accord comme ça permet aux grandes sociétés chinoises de prendre des risques, parce qu’elles savent que l’État chinois est derrière. Puisque ce sont essentiellement des entreprises chinoises d’Etat, s’il y a une perte, c’est l’État chinois qui en paye le prix. Ça c’est un avantage très important pour la Guinée.
Un autre avantage pas des moindres, à chaque fois qu’une entreprise découvrira un gisement exploitable, c’est la moitié qui lui sera cédée conformément au code minier guinéen. L’autre moitié reviendra à l’État qui a la faculté dès lors de donner à d’autres investisseurs. Vous le savez bien.
Une fois que les concessions sont données et les sociétés créées avec les investisseurs chinois, c’est la phase d’exploitation qui génère des revenus fiscaux pour la Guinée. Ce sont les revenus ainsi tirés de ces exploitations qui donnent une sorte de garantie à la Chine pour dire que la Guinée sera capable de rembourser cet important prêt de 20 milliards US.
« …La fourchette du taux d’intérêt applicable sera comprise entre 4 à 6% dépendant de la nature des projets. C’est absolument un bon taux par rapport a la prime de risques sur la Guinée et des reconditions du marché financier, toute chose qui induirait un taux autour de 8 à 15% en général.. »
L’accord cadre ne dit pas si les prêts qui seront accordés le seront selon un taux préférentiel ou celui avantageux. Concrètement, c’est quoi le taux d’intérêt sur ce prêt de 20 milliards US ?
Kassory Fofana : Les Chinois ont été clairs avec nous. Ils ont suggéré une approche progressive. D’où l’objectif de 20 milliards sur 20 ans. C’est pour cela qu’au titre de l’année 2017-2018, la première tranche est fixée à un milliard quatre cent millions de dollars américains (1.400.000.000 USD) avec une anticipation sur les revenus des trois premières sociétés chinoises ciblées. Demain, si les négociations sur Simandou, qui ne fait pas partie de cet accord, aboutissaient, l’on pourrait augmenter l’enveloppe annuelle à deux, trois ou quatre milliards de dollars US par an.
L’on peut dire que les conditions financières ne sont pas concessionnelles. Elles ne sont pas non plus commerciales, parce qu’elles comportent une part de subventions indirectes de l’Etat chinois par voie de bonification des primes d’assurance. En terme clair, il y a une décote d’au moins 20% par rapport aux conditions du marché.
Maintenant, en ce qui concerne l’opérationnalisation des accords de financement, c’est l’approche projet par projet qui est retenue. Chaque projet aura un accord de financement spécifique. Et chaque accord de prêt fera l’objet de ratification par l’Assemblée nationale. C’est à ce niveau qu’on pourra parler d’engagement ou d’obligation financière de l’Etat. Vous avez donc un accord général, celui qui est signé et qui exprime le cadre, les intentions et le modus operandi des parties. Aucun des deux pays concernés n’amènera l’autre devant une juridiction parce qu’il n’y pas d’obligation « binding » au sens financier du terme. Mais demain, pour faire la route Coyah-Mamou-Dabola pour une enveloppe de près de 400 millions US, il y aura un accord de financement qui sera signé entre le ministre guinéen des Finances et le consortium des banques chinoises. Lequel accord va être soumis à l’Assemblée nationale guinéenne pour ratification. Ladite Assemblée fondera sa décision sur l’objet de l’endettement et sur l’assurance ou non qu’on pourrait faire face au service de la dette par les revenus fiscaux tirés des entreprises chinoises ou d’autres revenus de l’Etat. C’est fort de cet argument que l’assemblée donnera son quitus et ratifiera l’accord. C’est comme ça que ça va fonctionner ! C’est un cadre général de coopération qui se passe entre les États, comme je l’ai déjà dit tantôt. Les obligations financières seront par projet et en fonction de la viabilité de chaque projet.
Donc, concrètement, la fourchette du taux d’intérêt applicable sera comprise entre 4 à 6% dépendant de la nature des projets. C’est absolument un bon taux par rapport à la prime de risques sur la Guinée et des conditions du marché financier ; toute chose qui induirait un taux autour de 8 à 15% en général.
Si vous prenez par exemple Afri Exim Bank de Caire ou le guichet commercial de la banque africaine de développement (BAD) ou les conditions de prêt de la société financière internationale (SFI), vous ne verrez pas de taux en dessous de 6%. La ministre des Finances a bien négocié les conditions générales de financement avec le consortium des banques chinoises dont le résultat est un taux bonifié qui est en deçà des conditions du marché.
Il est donc important de souligner que ce n’est pas une ligne de crédit tout azimuts qu’on nous donne. Chaque projet éligible à la ligne de crédit sera soumis à une étude technico-économique de faisabilité pertinente. Si Le projet est rentable, le jugement est à la discrétion des banques chinoises en dernier ressort. Le dernier mot ne revient pas au gouvernement guinéen. Il soumet les dossiers de financement aux banques chinoises dans les mêmes conditions qu’un privé demanderait des prêts. S’il est démontré que les cash-flow à terme sont positifs et la rentabilité garantie, les banques acceptent le dossier de financement.
«…Aucun centime ne transitera ni dans un compte du trésor public ni dans celui de la banque centrale de la République de Guinée… »
Guinéenews© : Les Guinéens ordinaires pensent que les Chinois vont donner directement ces 20 milliards US au gouvernement guinéen tout de se suite pour faire sa propagande politique. Parce qu’un tel accord tel que vous l’avez étayé reste très avantageux pour la Guinée, mais il se trouve qu’il est très mal perçu par eux…Qu’en dites-vous ?
Kassory Fofana : Justement, c’est le rôle d’une presse sérieuse telle que la vôtre pour faire comprendre à nos compatriotes l’esprit et les mécanismes qui sous-tendent l’esprit de cet accord important pour le développement économique de la Guinée. Aucun centime ne transitera ni dans un compte du trésor public ni dans celui de la banque centrale de la République de Guinée (BCRG). Ce sont des projets spécifiques qui seront soumis aux banques chinoises, qui, une fois la rentabilité démontrée, acceptent et financent. Et les appels d’offres seront lancés aux entreprises chinoises. Là aussi, on doit comprendre qu’aucun pays ne donne du financement dans le cadre d’un accord bilatéral et que les entreprises de pays tiers en profitent. C’est une règle universelle ! Quand la France donne de l’argent, c’est aux entreprises françaises que ça profite ; quand l’Amérique donne, c’est aux entreprises américaines que ça profite. Mais lorsque la banque mondiale ou la BAD donne, les marchés sont ouverts aux entreprises des pays actionnaires dans ces institutions. Ce n’est pas l’argent cash qu’on donne au gouvernement guinéen. Cela doit être très clair ! Une fois que les projets sont approuvés, les contrats signés, l’argent quitte des comptes des banques chinoises pour les comptes des entreprises adjucatrices des différents marchés. Donc, rien ne tombe dans les caisses de l’Etat. L’argent est dépensé selon des mécanismes et procédures de transparence bien définis.
«…Tous les marchés sont examinés et validés par les cabinets occidentaux. Et tous les travaux seront supervisés par ceux-ci pour s’assurer du contrôle de qualité et de la sincerité des coûts…»
C’est bien beau de dire qu’on ne reçoit pas d’argent en liquide, mais on s’en dette tout de même pour financer nos projets de développement. Alors, comment l’État va s’assurer du contrôle de qualité des travaux d’infrastructures qui seront réalisés par les entreprises chinoises étant donné que notre expertise est limitée en la matière ?
Kassory Fofana : Les choses se passeront comme dans le cas du projet Souapiti (projet d’un coût d’un milliard et demi), où nous avons fait appel aux services de TEC, un cabinet franco-belge d’études et de contrôle. Ce cabinet a revu l’étude de faisabilité technique et financière du projet de barrage. Il a eu des séances de travail avec l’entrepise chinoise chargée des travaux pour corriger les imperfections de l’étude de faisabilité. Le cabinet et l’entreprise chinoise ont ainsi optimisé les conditions de réalisation du projet Souapiti. Dans cet exemple, le contrat des marchés est donné à une entreprise chinoise (parce que le marché est chinois) et le contrat de supervision est revenu à un cabinet occidental. C’est à la lumière de cette expérience réussie que le président de la République a donné des instructions très claires sur le mode d’exécution de cet important accord bilatéral. À cet titre, les études de faisabilité effectuées dans le cadre de réhabilitation de la route Coyah-Mamou-Dabola, ont été vérifiées par un bureau d’études français (Regis) pour garantir la pertinence des études techniques et les coûts du projet. La revue technique par le bureau d’études a permis des ajustements techniques du projet et des économies sur son coût de réalisation. L’application des instructions du président de la République permettent ainsi de se prémunir contre des risques de surfacturations comme ça été le cas dans certains pays en Afrique.
Bref, tous les marchés seront examinés et validés par les cabinets occidentaux et tous les travaux seront supervisés par ceux-ci pour garantir la qualité des ouvrages et la sincérité des coûts.
«…Il appartiendra à l’administration guinéenne dont nous connaissons les insuffisances de faire preuve d’efficacité pour assurer la mobilisation de ces financements importants…»
Quels sentiments vous anime après avoir été un des artisans majeurs de la signature de cet accord et surtout son opérationnalisation pour celui qui connaît la lourdeur administrative guinéenne ?
Kassory Fofana : C’est un sentiment d’optimisme pour l’avenir économique de la Guinée doublé d’un sentiment de confiance aux perspectives de croissance à deux chiffres projetées par le président Alpha Condé. En effet, cet accord garantit des ressources annuelles d’un montant minimum d’un milliard de dollars d’investissement et cela pour les 20 prochaines années. Ceci est très important pour l’avenir de la Guinée et des Guinéens. Et par cet accord, le président Alpha Condé aura donné à la Guinée les moyens substentiels de son développement économique. Il aura réussi son pari de changer la Guinée au delà de ses mandats présidentiels.
Bien sûr, il appartiendra à l’administration guinéenne dont nous connaissons les insuffisances de faire preuve d’efficacité pour assurer la mobilisation de ces financements importants. Là aussi, le président de la République m’a donné des instructions fermes en ma qualité de président du pool économique de lui présenter des propositions garantissant les conditions d’exécutions optimales de cet accord de coopération sino-guinéen. Je m’y emploierais en coordination avec le gouvernement de la République.
Avec Guineenews, partenaire de Gbassikolo.com