Entre la Guinée-Conakry et le Sénégal, l’Histoire ne se répète pas; mais elle bégaie de façon étrange. Hier, vu de Conakry avec les lunettes idéologiques de Sékou Touré, le Sénégal de Léopold Sédar Senghor était la tête de pont africaine du complot impérialiste contre la (tragique) Révolution guinéenne…
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Aujourd’hui, vu de Dakar avec les œillères de la suspicion teintée d’affolement – la panique étant l’antichambre de la folie et de la xénophobie – la Guinée est l’épicentre diffuseur du virus ambulant Ebola vers le Sénégal et, aussi, le pays émetteur de capitaux baladeurs, douteux et dangereux. Bref, on est en face de deux peuples soudés mais étonnamment gouvernés par deux Etats éloignés. Et abonnés à l’incompréhension mutuellement larvée.
Le 8 août 2014, les douaniers sénégalais ont découvert dans un petit avion, en provenance de Conakry, la somme de 20 millions de dollars. Environ 10 milliards CFA. Chiffre officiel guinéen. Abstraction faite des justifications techniques du gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) autour d’une « opération banale, routinière et légale » selon lui ; et mutisme observé sur les explications politiques du ministre porte-parole (Albert Damantang Camara) visiblement destinées à placer le Président Alpha Condé au-dessus de tout soupçon ; le Sénégal a quand même de bonnes raisons d’être regardant sur le respect de sa souveraineté (lois y comprises), d’être attentif à la conjoncture (intérieure comme extérieure) et enfin d’être vigilant sur le volet sécuritaire consubstantiel à un mouvement de fonds aussi considérables.
Les autorités du Sénégal ont-elles été prévenues de l‘opération ? La polémique et l’épilogue ont davantage épaissi l’énigme. Peu importe ! L’ultime vérité est que ces capitaux en balade, en fuite ou en transfert drainent dans leur sillage, de potentiels dangers pour le Sénégal. Si les liaisons de cet appareil lourdement chargé de devises fortes deviennent régulières, rien n’empêchera une fraction de la pègre internationale (un groupe cosmopolite de bandits) de tenter sa chance en donnant l’assaut à l’aéronef sur le tarmac de l’aéroport de Dakar. L’aérogare de Lagos est souvent le théâtre de telles attaques. Chez nous, les gendarmes de la plateforme aéroportuaire paieront, ce jour-là, un lourd tribut face aux assaillants généralement bénéficiaires de l’effet de surprise. Dans une sous-région où la corruption se déploie tous azimuts (en amont comme en aval), ce type de coup est à la portée de malfaiteurs entrainés et parrainés.
Le second risque est un atterrissage forcé (ennuis mécaniques) du petit avion affrété par la Banque Centrale de Guinée, sur une piste de fortune, dans un secteur militairement pollué par les sécessionnistes du Mfdc. A cette occasion-là, les rebelles casamançais seront dotés d’un budget de guerre d’une dizaine de milliards tombés du ciel. De quoi enrôler, équiper et motiver une multitude de bandes armées. Enfin, dans un Sahel voué durablement à la déstabilisation, les services de sécurité du Sénégal (Douane incluse) sont logiquement enclins au zèle. Tellement les sources de financements subversifs sont plurielles, insoupçonnées et obliques. Jamais directes. En voilà trois dangers d’origines criminelle et / ou terroriste qui fournissent au gouvernement sénégalais de bonnes raisons d’être, à la fois, tatillon et ferme sur les voies et moyens d’encadrer ces devises guinéennes en vadrouille.
Après le casse-tête des capitaux guinéens en transit, c’est l’équation apocalyptique du fugitif guinéen – atteint de fièvre hémorragique à virus Ebola – qui a bizarrement choisi d’être sénégalais. Même à titre posthume. Le remède anti-Ebola n’étant pas trouvable au Sénégal, pourquoi cet étudiant très spécial a-t-il traversé toute la Guinée (Forécariah est une ville de la Basse-Guinée ou Guinée-Maritime) pour une destination où l’on est aussi désarmé face au virus que chez lui ? Peut-être, des fossoyeurs trouveront la réponse, un jour, au fond d’une tombe. Par contre, il n’est pas nécessaire de se creuser la cervelle, pour admettre que le Sénégal est en face d’un défi (sans précédent) qui requiert une réponse originale, ingénieuse et adaptée.
Trêve de cafouillage ! La politique du cordon sanitaire, c’est-à-dire la fermeture des frontières, a montré ses limites et ses failles. La construction d’une ligne Maginot étant exclue et incompatible avec la dynamique communautaire voire fusionniste qui propulse les pays de l’espace CEDEAO. Au demeurant, le verrouillage des frontières est d’autant inamical et irréaliste que la Guinée – matrice du virus Ebola – est également le château d’eau qui alimente le fleuve Sénégal que l’OMVS met présentement en valeur. Peut-on traquer le virus, des montagnes de la Moyenne-Guinée jusqu’au barrage de Diama situé dans la périphérie de Saint-Louis ? Plus grave, la logique de la barrière baissée aux frontières aboutira plus vite que prévu à l’asphyxie du Sénégal. En effet, si le Mali et la Gambie déjà informés de la présence du virus à Dakar, décidaient en toute souveraineté de se barricader, le Sénégal (initiateur de la fermeture des frontières) serait terriblement éprouvé. Evitons d’être dans la situation du serpent agité qui finit par mordre sa propre queue, croyant que c’est celle du lézard voisin de son trou.
Gouverner, c’est réfléchir intensément avant d’agir méthodiquement. Devant ce péril épidémiologique, les arguments en faveur et en défaveur de la fermeture (peu efficace) des frontières se valent. Donc se neutralisent. Chaque Etat convoque ses responsabilités et ses intérêts puis les prend en charge souverainement. Par exemple, le Maroc – pays non voisin de la Guinée, non membre de la CEDEAO et hors UA – maintient les dessertes de la Royal Air Maroc, en prenant le risque d’exposer ses pilotes, ses hôtesses et ses stewards. Ici, les intérêts diplomatiques et les dividendes géopolitiques dans la crise du Sahara Occidental (soutien constant de la Guinée aux thèses marocaines) noient le virus Ebola. Il s’y ajoute que Rabat balise la voie de son retour au sein de l’UA ; et tisse, à cette fin, la toile de ses soutiens acquis ou attendus.
Il va sans dire que le Sénégal ouest-africain n’est pas logé à la même enseigne que le Royaume chérifien et…maghrébin. Les intérêts, les responsabilités et les échéances des deux pays se déclinent différemment. Là où Rabat expose des équipages, le Sénégal, lui, expose sa population entière. En outre, le virus Ebola n’est pas le meilleur atout pour convier – avec succès – l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement du monde francophone, en novembre 2014. Dans trois mois. Voilà pourquoi le virus ambulant Ebola est singulièrement emmerdant pour les autorités sénégalaises. La seule vertu (de surcroit anti-démocratique) que le virus Ebola traine, est sa capacité à empêcher les marches et les meetings de l’opposition plus efficacement que les interdictions préfectorales. Et les grenades lacrymogènes de la Police. La foule compacte et les flots de sueur étant les terreaux les plus fertiles pour distribuer le virus mobile et mortel.