Lettre Ouverte à la classe politique guinéenne et aux forces vives de la nation à propos de la CENI (par Sadio Barry)

Sadio BAG
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Sadio BAGAvant 2007, les élections en Guinée étaient organisées par le Ministère en charge de l’administration territoriale (Celui de l’intérieur le plus souvent). Régulièrement confrontés à la partialité de ce Ministère, les opposants d’alors: Alpha Condé (RPG), Bah Mamadou (UNR), Siradio Diallo (UPR), Jean Marie Doré (UPG), Bah Oury (UFDG), appuyés par l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH), ont exigé et obtenu la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui serait exclusivement chargée de l’organisation des consultations électorales et référendaires en Guinée….

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En octobre 2007 la CENI est créée. Elle est constituée de 25 commissaires dont :

– 10 désignés par les partis politiques de la mouvance présidentielle,
– 10 désignés par les partis politiques de l’opposition,
– 3 désignés par les organisations de la société civile,
– 2 désignés par l’administration.

La mouvance et le pouvoir faisant Un, l’équilibre est faussé dans une telle constellation en cas de prise de décision par voie de vote. Ce déséquilibre est corrigé par l’article 20 de la Loi Instituant la CENI, et qui stipule: « Les décisions de la Ceni sont prises de manière consensuelle ». Rien donc ne pouvait se faire, tel que le choix d’une date électorale, la révision du fichier électoral ou recensement etc. sans le consensus du collège des commissaires. Les décisions de la CENI étaient donc prises avec l’accord de l’opposition. Une condition essentielle à l’impartialité de l’Institution que le militaire Lansana Conté, que le leader du RPG, Alpha Condé, qualifiait de dictateur et fasciste, accepta sans problème et signa le 29 octobre 2007.

L’opposant Alpha Condé, devenu Président, décidera de rompre cet équilibre pour soumettre la Ceni à ses ordres avant toutes nouvelles élections en Guinée. Il propose une nouvelle loi portant sur la CENI. Dans cette nouvelle loi l’Article 20 qui assurait l’équilibre entre les commissaires de la mouvance et ceux désignés par l’opposition disparaît. Il est remplacé par l’Article 15 qui stipule cette fois :
« … Le quorum pour valablement siéger est des deux tiers (2/3) de ses membres. Ses décisions sont prises à la majorité simple, en cas d’égalité de voix, celle du Président de séance est prépondérante ».

Outre ce déséquilibre sciemment crée, Monsieur Alpha Condé impose le Président de la CENI. En effet, lors d’une réunion initiée par le Président Alpha Condé avec les 8 centrales syndicales dans son bureau dans la nuit du mercredi 26 septembre 2012, il dit aux syndicats que Bakary Fofana et Abass Bangoura (l’avocat et ancien membre démissionnaire de la CENI) sont ses candidats. Il interdit à ces principaux acteurs de la société civile de présenter tout autre candidat contre Bakary au sein de la nouvelle CENI. Nous avions alors tiré la sonnette d’alarme et souligné les conséquences néfastes pour l’opposition de ce qui était entrain d’être mise en place par Monsieur Alpha Condé. Malgré nos mises en garde et conseils, le leader de l’UFDG s’aligna sur la position d’Alpha Condé, allant jusqu’à menacer le CNT si ce dernier n’adoptait pas le plus vite possible la nouvelle loi proposée par le Président Alpha Condé !

La CENI a été instituée en Guinée pour assurer l’organisation des élections libres et transparentes dans le pays. Comme son nom l’indique elle ne doit être inféodée à aucun parti politique, à aucun candidat. Elle doit être une Institution neutre, impartiale. Dans un pays comme la Guinée le rôle de la CENI est essentiel pour un débat politique civilisé et une transition démocratique réussie. Elle a l’obligation morale de veiller au respect des lois et/ou des procédures électorales. Cependant, depuis 2010, la CENI guinéenne n’a jamais organisé une élection dans le respect des lois ni dans la transparence ni dans l’indépendance, renonçant volontairement à son indépendance par corruption et avidité d’argent.

Depuis 2010 la CENI est devenue l’une des principales sources des violences politiques en Guinée. Au lieu d’initier, de décider, la CENI est devenue fidèle mandataire du dictateur Alpha Condé. Elle prend ses ordres à Sékoutoureah et les exécute à la satisfaction de Monsieur Alpha Condé. A la demande de ce dernier, elle fixe des cautions exorbitantes qui empêchent les nouvelles générations et les Guinéens intègres de participer, en tant que concurrents, aux processus électoraux en Guinée pour que le peuple n’ait à choisir qu’entre les incompétents et corrompus de son parti au pouvoir et les anciens voleurs de la République.

La CENI a sabordé son indépendance et son honorabilité. Avec le temps elle est, en réalité, devenue le reflet de l’inconsistance et de l’amateurisme des principaux leaders politiques du pays. En effet ces derniers qui désignent les commissaires dans cette Institution sont les premiers à ne respecter aucune éthique dans la nomination de leurs commissaires. Leurs choix ne reposent bien souvent ni sur la compétence ni sur l’intégrité morale des personnes. Chaque leader y envoie un proche pour des avantages financiers. La CENI est ainsi devenue le réservoir des corrompus, un gros facteur de troubles sociaux et de conflits entre ses membres. Elle est aujourd’hui l’un des gouffres financiers de l’Etat guinéen.

Quelques faits illustratifs :

1- Pour l’organisation des législatives de novembre 2013, la CENI choisit l’opérateur controversé Waymark / Sabari, sachant bien que l’opposition le récusait avec force. Les manifestations contre ce choix obéissant à la volonté du pouvoir ont fait 57 morts, plus de 600 blessés dont plus de 400 par balles et plusieurs dizaines de milliards de francs guinéens en dégâts matériels. Coût financier de ces élections législatives qui furent organisées dans le non-respect du code électoral et bâclées malgré trois ans de retard :

a)- 438 milliards GNF
b)- 12 415 672 500 GNF à l’opérateur du RPG Sabari (payé avant prestation de service).

2- Pour l’organisation de la présidentielle d’octobre 2015, la CENI demande d’abord 338 milliards GNF pour un premier temps, puis elle demande 153 milliards GNF, faisant un total de 513 milliards pour une élection qui n’en fut pas une.

Pour le choix de l’opérateur, la CENI choisit le français GEMALTO moins qualifié et moins crédible pour des élections à 26 millions de dollars contre le néerlandais SMARTMATIC plus spécialisé en matière électorale qui faisait une offre 50% moins coûteuse.

Pour obtenir les faveurs de la CENI sur le dos de la Guinée, GEMALTO s’était livré à une corruption de grande envergure des membres de la CENI. GuineePresse.Info avait rendu public les preuves de cette corruption (les factures de l’envoi et de la prise en charge de Pathé Dieng et de Bakary Fofana à Paris, du 01 au 08 février 2015), sans la moindre réaction des partis de l’opposition ni du pouvoir.

3- Le mardi 4 juillet 2017, 18 commissaires de la CENI sur les 23 (78%) ont destitué leur président Bakary Fofana, en poste depuis 2012, décrié depuis plusieurs mois par ses collègues pour sa gestion opaque des finances et du fonctionnement de l’institution. Malgré tout, ni le pouvoir ni les opposants n’ont exigé un audit indépendant de la CENI, comme prévu pourtant par la loi. C’est dire que cette CENI est un instrument d’arnaque de l’Etat, c’est-à-dire du peuple, par le pouvoir et la soi-disant opposition républicaine qui y envoient leurs représentants.

4- Pour les communales de février 2018, la CENI demande 350 milliards GNF et prévoit demander pas moins de 450 milliards GNF pour les législatives de la même année.

Chers compatriotes, faites le calcul ! Finalement, la Guinée injecte plus d’argent dans la CENI actuelle que dans les projets de développement sociaux, cela pour un travail plus médiocre que celui que l’administration fournissait. Avec la CENI, nous n’avons réussi qu’à ajouter aux voleurs de l’administration, des bandits et grands voleurs auxquels nous garantissons en plus l’impunité par le truchement de l’immunité spéciale que la loi accorde aux membres de la CENI. Le législateur guinéen leur a accordé cette protection juridique afin qu’ils exercent leurs fonctions de façon indépendante, en toute quiétude. Hélas, ils n’en ont pas été dignes !

Les Guinéens ont pris la malheureuse habitude de fermer les yeux sur les maux qui rongent notre société et qui nous empêchent d’avancer. Force est de reconnaître que la CENI actuelle est devenue un véritable handicape et une source de conflit et de gabegie financière. Où est en effet l’indépendance d’une Commission électorale incapable de fixer elle-même son propre calendrier pour les élections, qui ne se détermine que lorsque Monsieur Alpha Condé a fixé une date? C’est pourquoi je pense qu’il faut supprimer cette CENI qui coûte cher et n’est pas capable d’organiser une élection crédible. On réduirait ainsi les dépenses en supprimant la CENI et en laissant le Ministère de tutelle organiser les élections, comme cela se fait dans la plupart des pays du monde. Bien sûr que cela présente des risques en Guinée, surtout avec le pouvoir RPG qui se montre incapable de gérer l’Etat dans le respect des lois du pays (le fait de retenir l’agrément des partis considérés comme potentiels adversaires le prouve largement). La lutte pour la démocratie et l’Etat de droit est un processus qui sera effectif dans un avenir proche en Guinée. On ne doit donc pas dépouiller l’Etat de ses prérogatives à cause des failles liées à des personnes qui ne sont en rien des démocrates ni des éternels au pouvoir.

Quelle différence y a-t-il entre une élection non crédible organisée par le Ministère de l’administration du territoire et celle organisée par une CENI sous ordre, dans des conditions non transparentes et donc peu crédibles ?

L’erreur fondamentale de nous Guinéens, depuis toujours, est d’avoir cru que Monsieur Alpha Condé était un démocrate. Sous sa présidence aucune Commission électorale, quelle que soit sa composition et le mode de désignation de ses membres, ne fonctionnera de façon indépendante. A quoi bon donc de maintenir et continuer de financer à coût de centaines de milliards une Institution qui ne remplit pas son rôle ?

C’est à ces questions que la classe politique guinéenne et les forces vives doivent répondre si elles veulent avancer dans un peu de clarté.

SADIO BARRY,
Président du Bloc pour l’Alternance en Guinée (B.A.G)

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